Dans quelles mesures la levée de boucliers des banquiers centraux révèle-t-elle les déséquilibres au sein de la zone euro ?

La zone euro, une hétérogénéité source de conflits au sein de ses institutions

Dans quelles mesures la levée de boucliers des banquiers
centraux révèle-t-elle les déséquilibres au sein de la zone
euro ?

Le 12 septembre dernier l’ex-président de la BCE (Banque Centrale Européenne), Mario
Draghi a annoncé notamment l’abaissement du taux de dépôt à -0,5% et la reprise du QE (Quantitative Easing) à un rythme de 20 milliards d’euros par mois. Suite à ces mesures de nombreux banquiers centraux et autres membres des institutions monétaires de la zone euro, se sont révoltés.

Treize jours après cette décision, l’un des membres du directoire de la BCE, Sabine Lautenshcläger, annonce sa démission de l’institution. Malgré l’absence de raisons officielles à son départ, pour certains : il est clair que celle-ci était en désaccord avec ces mesures annoncées le 12 septembre par Mario Draghi, et ce serait notamment cette désapprobation qui motiva son départ.  

En effet les décisions prises par Mario Draghi sont loin de faire l’unanimité au sein du conseil des gouverneurs (c’est-à-dire les 6 membres du directoire ainsi que les 19 banquiers centraux des banques centrales nationales de la zone euro). Les informations des diverses sources diffèrent sur cette question, celles-ci varient d’un tiers à la moitié du conseil des gouverneurs opposé à ces récentes décisions orientées vers une politique monétaire de plus en plus accommodante.

Puis quatre semaines après cette annonce du 12 septembre de Mario Draghi, le 4 octobre 2019 un mémorandum est publié par Hervé Hannoun (ex-vice-président de la BDF de 1999 à 2005), Klaus Liebscher ( ex-président de l’OeNB1 de 1995 à 2008), Helmut Schlesinger (vice-président de la Bundesbank de 1980 à 1991 puis président de celle-ci jusqu’en 1993), Nout Wellink (président de la DNB2 de 1997 à 2011, administrateur de la BRI de 1997 à 2012, gouverneur du FMI ou encore membre du FSB3), Otmar Issing (membre du conseil d’administration de la Buba de 1990 à 1998 puis économiste en chef et membre du directoire de la BCE de 1998 à 2006) et Jürgen Stark (économiste en chef de la BCE de 2006 à 2011). À travers ce mémorandum ces six individus jugent la politique monétaire accommodante menée par la BCE, inadaptée et dangereuse. En outre les six signataires émettent le soupçon que Mario Draghi aurait mené cette politique pour porter secours aux états lourdement endettés (et plus particulièrement à l’un de ces états) contre une hausse éventuelle des taux d’intérêt qui entraînerait d’importantes difficultés de financements pour ces gouvernements. L’impartialité de Mario Draghi pourrait en effet être remise en cause, l’Italie faisant partie de ces états lourdement endettés. Néanmoins la vérifier serait quasiment impossible.

Il est évident que l’opposition face à cette politique monétaire accommodante est exclusivement issue des pays de l’Europe du Nord (l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Hollande et dans une moindre mesure la France avec la critique de Hervé Hannoun mais aussi de Jacques de Larosière directeur général du FMI de 1978 à 1987 puis gouverneur de la BDF).

Les conflits entre la Buba et la BCE ne sont pas récents et date depuis les années 2010 : lorsque les membres de la Bundesbank ont pris conscience que la BCE n’était plus un « clone » de la Buba comme elle l’était à sa création. En effet Hans Tietmeyer, président de la Bundesbank de 1993 à 1999, « a contribué de façon considérable à façonner l’Union économique et monétaire » (selon un communiqué de la Bundesbank à la mort de celui-ci). Ainsi celui-ci façonna la BCE à l’image de la Bundesbank, indépendante des pouvoirs publics et luttant pour la stabilité des prix. Or c’est à travers ce mémorandum que cette indépendance est mise en question. De plus les oppositions se multiplient, ce qui implique leur prise en considération. L’un des inconvénients de la monnaie unique est ainsi énoncé : ce mémorandum signifie que la zone euro (supposé être aux bénéfices de tous ses membres) est aujourd’hui, de par la politique monétaire de la BCE, à l’avantage de l’un et au détriment des autres. La BCE aurait (par cette politique monétaire accommodante) causé des ennuis aux autres membres de la zone euro pour venir en aide à ce gouvernement lourdement endetté. Effectivement, ces décisions du 12 septembre 2019 qui s’inscrivent dans cette politique monétaire accommodante, alimentent directement les taux négatifs* ainsi le taux du Bund à 10 ans est passé de 0,57% à environ -0,76% suite à l’annonce de la BCE ce 12 septembre (selon Investir). En effet les taux négatifs sont facteurs de création de bulles sur le marché obligataire mais aussi des actions et de l’immobilier. Ainsi «  l’indice CAC 40, qui était presque stable juste avant les annonces [de ce 12 septembre 2019], affiche un gain de 0,63% et l’indice européen Stoxx 600 est en hausse de 0,57%. » selon Investir.

En outre, les taux négatifs favorisent la prolifération des entreprises zombies. De surcroît, ils permettent aux entreprises de mener des politiques non-productive et ne bénéficiant qu’aux actionnaires. En effet dans un contexte de taux négatif, emprunter ne coûte rien (même si : le taux d’emprunt n’est pas le seul coût qui intervient lors d’un emprunt, en effet il convient d’additionner tous les coûts tels que ceux d’assurance…), il est ainsi aisé pour une entreprise (rappelons-le, dont l’orientation des politiques est décidée par les actionnaires) de racheter ses propres actions sur le marché de manière à premièrement : soutenir le cours de celle-ci et deuxièmement augmenter les dividendes perçu par chaque actionnaire (car diviser une même proportion des bénéfices de l’entreprise en un moins grand nombre de parts implique que chaque part soit plus rémunérée). Ce mécanisme s’inscrit dans cette déconnexion croissante et à certains égards inquiétante, entre les sphères réelles et financières de l’économie.

De plus, les taux négatifs rendent l’équation qui vise à concilier préservation de la valeur de l’épargne et absence de risque, quasiment sans solution. Ainsi les assureurs, qui garantissent des rendements à leurs clients sont en piteux état, certains s’aventurent vers des produits financiers risqués pour obtenir du rendement, d’autres sont déjà en difficulté. Il s’agit notamment de « Suravenir, la filiale d’assurance-vie et de prévoyance du groupe bancaire Crédit Mutuel Arkéa [qui a] dû être recapitalisée à hauteur de 540 millions d’euros par sa maison mère. » (Les Echos 22 octobre 2019), mais aussi de « AG2R La Mondiale [qui] a placé une émission de dette de 500 millions d’euros pour renforcer sa marge de solvabilité » (Les Echos 22 octobre 2019), ou encore Sogecap ainsi le 6 novembre2019 Les Echos titre « Assurance-vie : Société Général « n’exclut pas » de recapitaliser sa filiale ». Les fonds de pension et assureurs sont en effet dans l’impasse car une partie très importante de leurs placements garanties repose sur les titres d’état dont les rendements sont négatifs or ceux-ci (assureurs et fonds de pensions) garantissent pour certains des rendements bien plus élevés. Il existe en réalité des solutions pour préserver la valeur de son épargne mais celles-ci sont non-productives, les taux négatifs favorisent donc une mauvaise allocation du capital. Ces solutions comprennent notamment les métaux précieux tels que l’or dont la hausse du court s’explique par la forte demande des banques centrales notamment russe et chinoise mais aussi et ce dans une moindre mesure, de par la demande des épargnants soucieux de préserver la valeur de leur épargne sans prendre de risque.

Ce contexte explique la révolte des pays d’Europe du Nord qui remettent en cause la politique monétaire menée par la BCE qui favorise cette destruction de l’épargne par les taux négatifs, protégeant les gouvernements lourdement endettés. Ce sacrifice de la valeur de l’épargne des épargnants de la zone euro (et plus précisément de l’Europe du Nord où l’épargne y est bien plus abondante) actuellement dénoncé, peut être débattu néanmoins Christine Lagarde qui prend la tête de la gouvernance de la BCE en cette fin d’année 2019 a énoncé ce 30 octobre sur RTL «…chaque personne, ceux de vos auditeurs qui sont là, est à la fois : un salarié, un épargnant, un emprunteur et que les impacts des taux d’intérêt vont affecter chacune de leurs dimensions, je pense qu’on sera plus content d’avoir un emploi plutôt que d’avoir une épargne protégée, je pense que c’est dans cet esprit-là que les politiques monétaires ont été déterminés par mes prédécesseurs et je pense que c’est assez salutaire comme choix. ». Ses propos sont suffisamment clairs pour comprendre que ce sacrifice dénoncé semble être vérité, et que la politique monétaire future de la BCE n’ira probablement pas de sitôt vers une rupture avec celle menée ces dernières années.

Pour conclure la BCE mène cette politique accommodante pour :

 – Officiellement : atteindre la cible d’inflation désormais symétrique, de 2%. En effet, la BCE communiquait le 12 septembre 2019 « The Governing Council reiterated the need for a highly accommodative stance of monetary policy for a prolonged period of time and continues to stand ready to adjust all of its instruments, as appropriate, to ensure that inflation moves towards its aim in a sustained manner, in line with its commitment to symmetry. Today’s decisions were taken in response to the continued shortfall of inflation with respect to our aim. In fact, incoming information since the last Governing Council meeting indicates a more protracted weakness of the euro area economy, the persistence of prominent downside risks and muted inflationary pressures. » (Mario Draghi, President of the ECB, Luis de Guindos, Vice-President of the ECB, Frankfurt am Main, 12 September 2019). Or ce sont justement ces pressions inflationnistes qui sont contestées par les pays d’Europe du nord.

Et officieusement (selon ces frondeurs) : à faveur des gouvernements lourdement endettés, ce au détriment de l’épargne.

C’est donc cet objectif officieux poursuivi par la BCE, à la faveur de certains et au détriment des autres et ses conséquences négatives sur l’économie (confer : impacts néfastes des taux négatifs*) que critiquent ces frondeurs des pays d’Europe du Nord.

1 OeNB = Oesterreichische Nationalbank = Banque nationale d’Autriche
2 DNB = De Nederlandsche Bank = Banque des Pays-Bas
3 FSB = Financial Stability Board = Conseil de stabilité financière  

– FIN –

22 Décembre 2019

Charles Roussel

Sources :

Christine Lagarde était l’invitée de RTL https://www.youtube.com/watch?v=vbqzaUeGvmk  Publiée le 30 octobre 2019

https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/assurance-vie-societe-generale-nexclut-pas-de-recapitaliser-sa-filiale-1145979  Publié le 6 nov. 2019 à 15h48

https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/assurance-vie-londe-de-choc-des-taux-negatifs-se-propage-1142077  Publié le 22 oct. 2019 à 19h18

https://www.ecb.europa.eu/press/pressconf/2019/html/ecb.is190912~658eb51d68.en.html Mario Draghi, Président of the ECB, Luis de Guindos, Vice-President of the ECB, Frankfurt am Main, 12 September 2019

https://investir.lesechos.fr/marches/actualites/la-bce-baisse-son-taux-de-depot-et-relance-ses-achats-de-dette-1871727.php  Publié le 12/09/19 à 13h53

https://www.banque-france.fr/statistiques/taux-et-cours/les-taux-monetaires-directeurs

La coupe du monde 2022 au Qatar en débats

La polémique dure depuis presque 10 ans. Depuis que le Qatar, minuscule pays en majeur partie désertique du Moyen-Orient, s’est vu accorder l’organisation de la coupe du monde de football pour 2022, nombre de questions restent en suspens et inquiètent la scène internationale. La mise en accusation de Michel Platini en juin 2019 dans le cadre d’une enquête pour corruption sur l’attribution du Mondial 2022 ravive la polémique et nous amène à nous interroger sur la légitimité qu’a un pays comme le Qatar à accueillir un événement aussi important. Retour sur une affaire controversée.

L’attribution de la coupe au Qatar

Le 2 décembre 2010, lors d’une réunion à Zurich, le comité exécutif de la FIFA et son président Sepp Blatter officialisent l’organisation de la coupe du monde 2022 au Qatar. Cette annonce est une petite surprise puisque le pays pétrolier passe devant la première puissance mondiale, elle aussi candidate, que sont les Etats-Unis. Le lendemain-même, les médias anglo-saxons dénoncent une corruption à grande échelle qui aurait biaisé les conditions d’attribution du plus grand événement footballistique de la planète.

Problèmes engendrés par cette attribution

Le Qatar n’est pas et n’a jamais été un pays à culture footballistique. Il paraît donc étonnant d’attribuer l’organisation du Mondial 2022 à une nation qui n’a jamais réussi à se qualifier à la moindre coupe du monde auparavant, tant le niveau de ses joueurs était insuffisant. Si pour 2022, l’équipe nationale est qualifiée d’office, il n’est pas certain qu’elle brillera pour autant à domicile. Le président américain de l’époque Barack Obama affirme qu’il s’agit d’une « mauvaise décision », tandis que Michel Platini reconnaît lui aussi en mai 2014 que cette attribution était une erreur, mais que « c’était la volonté politique, aussi bien en France, qu’en Allemagne […] De grandes entreprises françaises et allemandes interviennent au Qatar, vous savez ».

L’ambassadeur du Qatar en France, Mohamed Jaham Al Kuwari, a publié une tribune dans le journal Le Monde dans laquelle il tente de justifier cette volonté des autorités qatariennes d’accueillir le mondial 2022. Selon lui, leur pays est en mesure d’organiser un tel événement du point de vue des infrastructures et de la logistique. De plus, cette nécessité d’organiser un mondial de football au Moyen-Orient pour la première fois s’accompagnerait d’une amélioration des relations diplomatiques entre les différents Etats de la région afin de préserver la paix, en plus d’aider à l’intégration des pays arabes dans la mondialisation. C’est cet ensemble de motivations qui aurait poussé le Qatar à postuler – avec succès – à l’organisation du mondial 2022.

Cependant, le climat du Qatar pose problème. Les températures peuvent en effet atteindre 50 degrés en été, situation intenable pour des joueurs devant courir pendant 90 minutes s’ils devaient le faire sans climatisation, ainsi que pour les centaines de milliers de supporters venus du monde entier. En janvier 2011, Sepp Blatter puis Michel Platini se déclarent alors, afin de remédier à ce problème et contre toute attente, favorables à l’organisation du Mondial en hiver pour la première fois de l’histoire de la coupe du monde. On peut s’étonner de la prise de conscience de ce problème seulement après coup. Une telle décision bouleverserait le calendrier des matchs des championnats nationaux, qui devraient s’interrompre plus longtemps que d’habitude pour permettre à leurs joueurs de rejoindre leur équipe nationale pendant plus d’un mois.

Bien que les températures hivernales soient moins extrêmes qu’en été, celles-ci demeurent toujours trop importantes pour permettre aux footballeurs de jouer dans des conditions optimales. C’est pourquoi les autorités qatariennes ont prévu la mise en place de climatiseurs dans tous les stades afin de rafraîchir les lieux. Ces dispositifs font l’objet d’une importante polémique car ils contribuent au réchauffement global de la planète dans un contexte de dérèglement climatique. L’indignation de la communauté internationale vis-à-vis de dispositifs aussi énergivores ne semble toutefois pas faire reculer les autorités qatariennes sur leur décision.

Bien que le Qatar prétende être prêt à héberger l’événement, de nombreux lieux sont encore en construction : parmi les 8 stades qui accueilleront joueurs et supporters en hiver 2022, seuls 3 sont actuellement opérationnels. Tous ces stades, en plus d’autres infrastructures planifiant l’accueil et le transport des nombreux supporters attendus (plus de 1,5 million) comme des hôtels et un métro, nécessitent la mise en oeuvre de travaux pharaoniques et très onéreux. Le Qatar peut de toute évidence financer ces nombreux projets grâce ses importantes recettes perçues de la vente massive de son pétrole, matière première à la fois indispensable pour toute économie développée et abondante sous le désert qatari. Le petit pays subit toutefois un embargo économique de la part de ses propres voisins, puisque l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn et l’Egypte ont, notamment, arrêté d’approvisionner le Qatar en matériaux de construction pour manifester leur colère quant au soutien du Qatar aux Printemps arabes. Néanmoins, les fournisseurs ont changé et les travaux se poursuivent. 

En revanche, les conditions de travail des migrants appelés pour construire tout ces infrastructures presque en urgence continuent de nuire fortement à l’image internationale du pays arabe. Le statut des migrants travaillant en ce moment pour ce vaste projet, principalement originaires du Népal, du Bangladesh et de l’Inde, est en effet dénoncé à travers le monde, notamment par l’ONG Amnesty International dans son rapport alarmant intitulé « The ugly side of the beautiful game » (« le côté hideux du beau jeu »). Leurs conditions de travail sont telles que certains y voient de « l’esclavagisme contemporain » : des horaires à rallonge couplées à un salaire dérisoire et un travail physique parfois dangereux, le tout sous un soleil de plomb, ont coûté la vie à 2 700 ouvriers entre 2012 et 2018 selon le journal The Guardian. L’ONG Human Rights Watch dénonce le manque de transparence du Qatar, qui refuse de publier des chiffres officiels. Leurs passeports sont confisqués dès leur arrivée, les empêchant de voyager ou même d’échapper au travail forcé en changeant d’emploi. Les migrants, privés de leurs droits, ne se plaignent pas par crainte de représailles.

Enfin, dès 2010, des soupçons de corruption pèsent sur cette attribution. Le président du comité qatari aurait en effet versé 1,5 million de dollars à trois membres africains du comité exécutif de la FIFA chargé de l’attribution de la coupe du monde en échange de leurs votes. Le lendemain de l’annonce officielle, le journal anglo-saxon The Sun publie pour Une « Truqué ! » (« Fixed » en anglais). Un nouveau scandale survient en 2013 après la publication dans France Football d’une enquête intitulée « Qatargate » (en référence à l’affaire du « Watergate ») où la FIFA est désignée comme une « petite mafia » et où le journaliste sportif français Eric Champel pointe les failles du système en déclarant que « l’éthique a été plusieurs fois bafouée par le Qatar dans la façon dont il a obtenu la Coupe du Monde 2022 ». S’ajoute à cela une supposée réunion secrète qui se serait tenue à l’Elysée le 23 novembre 2010, soit une dizaine de jours avant le vote de la FIFA, entre le Président français Nicolas Sarkozy, le prince du Qatar Tamim ben Hamad Al Thani, le président de l’UEFA Michel Platini et le propriétaire du Paris Saint-Germain Sébastien Bazin. Le journal France Football avance en 2013 que le Qatar aurait promis de racheter le PSG – ce qu’il a fait – en plus de monter leur actionnariat au sein du groupe Lagarde et de créer une chaîne rivalisant avec Canal + (que Sarkozy voulait fragiliser), à savoir BeIn Sports, le tout en échange de la voix de Platini en faveur du Qatar et non des Etats-Unis. L’ancien footballeur français démentira certaines informations, et en minimisera d’autres. Il sera mis en garde à vue le 18 juin 2019.

Le Qatar semblait ainsi déterminé à accueillir le Mondial de football 2022, quitte à user de moyens illégaux comme la corruption ou à bafouer les droits de l’Homme pour construire rapidement les stades. S’il a longtemps été question, en raison des nombreuses polémiques, d’attribuer l’organisation du Mondial 2022 à un autre pays, il n’en est finalement rien. Espérons seulement que le contexte particulier de la mise en place de cette coupe du monde n’entachera en rien la qualité du football attendu et la joie de ce qui doit être une fête.

Martin Vasseur

La « stagnation séculaire » : vers la fin de la croissance ?

Depuis 50 ans, l’augmentation annuelle des gains de productivité n’a cessé de ralentir en France. Supérieure à 5% dans les années 1960, elle n’était plus que de 4 à 5% dans les années 1970, puis de 2 à 3% dans les années 80 et de 1,5 à 2% dans les années 1990. Même en mettant à part la crise financière de 2008 et les années difficiles qui ont suivi, on observe que ces gains sont désormais inférieurs à 1% par an. 

Cette tendance concerne tous les pays développés et certains économistes prédisent une « stagnation séculaire ». En ces temps d’accélération du progrès technique et de sa diffusion, du fait de la mondialisation, ceci peut paraître surprenant. Sommes-nous condamnés à la stagnation ? 

Nous verrons d’abord que ces chiffres donnent une image exagérée des tendances récentes et qu’il existe des motifs d’espoir pour les décennies à venir. Pour autant, si on prend du recul pour comparer l’époque actuelle à celle qui l’a précédée, il apparaît que ce ralentissement constitue bien un phénomène « structurel » que nous allons devoir prendre en compte dans toutes nos réflexions. 

Un ralentissement, temporaire, qui ne serait pas si inquiétant.

Tout d’abord, la baisse des gains de productivité en France s’explique en bonne partie, depuis la fin des « Trente Glorieuses » par le fait que la France ne peut plus se contenter d’imiter le modèle américain, comme elle l’avait fait pendant toute cette période. En effet, à la fin de la deuxième guerre mondiale, notre pays avait accumulé beaucoup de retard, technologique ou dans l’organisation du travail. Il lui suffisait donc de se moderniser en important les méthodes et les connaissances américaines, ce qui explique que la croissance française a même été supérieure à celle des Etats-Unis pendant un temps. On ne devrait pas s’inquiéter trop fortement d’un ralentissement en partie dû au fait que ce rattrapage est terminé. 

Il est vrai que les gains de productivité ont aussi diminué aux Etats-Unis. L’économiste Robert Solow s’étonnait dans les années 1980 de « voir les ordinateurs partout sauf dans les statistiques ». Il a été démenti depuis, puisque les Etats-Unis ont enregistré un rebond de ces gains dans les années 1990, clairement liés à la production et à l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication. 

Pour les « techno-optimistes », il devrait en aller de même au XXIème siècle. On assistera à une nouvelle phase d’accroissement des gains de productivité, quand la révolution digitale produira tous ses effets, en se diffusant largement dans l’économie et la société. En effet, ceci demande du temps, parce que les entreprises et les travailleurs doivent s’adapter et que les nouvelles possibilités techniques ne se traduisent pas tout de suite par des innovations. De nouveaux produits et services apparaîtront progressivement. 

Enfin, certains mettent en avant que les données de la comptabilité nationale mesurent mal certains progrès, par exemple une plus grande rapidité ou une amélioration du confort, sans que cela ne se toujours dans le calcul du PIB. A des prix qui peuvent être constants, on va beaucoup plus vite en TGV et on a une image de meilleure qualité grâce aux nouveaux téléviseurs et à la TNT. Il est également difficile de prendre en compte correctement les progrès apportés par des biens et services complètement nouveaux, comme internet – il permet de communiquer plus vite que le courrier, mais aussi de faire beaucoup plus de choses. 

Donc, pour certains spécialistes, on n’aurait pas le droit de parler de « stagnation séculaire ». D’ailleurs, cette expression n’a-t-elle pas été inventée dans les années 1930, au moment de la Grande Dépression, c’est-à-dire à la veille de la plus formidable période de croissance qu’aient connue nos pays ? 

Nous serions bien en train de vivre un inévitable « retour à la normale ». 

Les « techno-pessimistes » ne contestent pas ces arguments, mais ils estiment que les gains de productivité rendus possibles par la digitalisation n’atteindront jamais durablement les niveaux du XXème siècle. On ne peut pas inventer deux fois l’électricité, le moteur à explosion, etc. qui ont permis des économies de temps et d’énergie considérables pour les humains. 

L’économiste Robert Gordon reconnaît que la révolution numérique a modifié en profondeur de nombreuses activités, mais sans s’accompagner d’économies de temps importantes dans la satisfaction de besoins fondamentaux et dans l’accomplissement de tâches répétitives très répandues. Pour souligner la différence avec le passé, il prend l’exemple de l’arrivée de l’eau courante au domicile, à partir de la fin du XIXème siècle – un progrès d’une technicité limitée, mais qui a apporté un gain de temps considérable dans la vie quotidienne (avant, il fallait aller chercher l’eau à l’extérieur).  

De plus, il soutient que les effets de la révolution numérique seraient déjà derrière nous. Les principaux effets de la numérisation remonteraient à l’époque où l’automatisation a fait disparaître de nombreux postes d’employés, de secrétaires, etc. Les principales pistes de progrès connues aujourd’hui ne seraient pas à la hauteur des révolutions passées et si les dépenses de recherche ont augmenté, leur rendement a aussi beaucoup diminué. 

Il existe d’autres raisons possibles à un ralentissement durable : la fin de l’augmentation de la qualification moyenne des travailleurs (après une période sans précédent de démocratisation de l’enseignement), le vieillissement de la population, un excès d’épargne au niveau mondial qui pèserait sur la demande, donc finalement aussi sur l’investissement et l’innovation. La transition écologique va également entraîner des « coûts », en tout cas économiques. Plus généralement, la priorité pourrait être désormais donnée à la préservation de l’environnement plutôt qu’à la croissance. 

Même si l’idée d’une stagnation paraît exagérée, il semble bien que la conjonction de facteurs favorables à la croissance de la productivité ait disparu. Ceci met fin à une période de prospérité qui était en réalité exceptionnelle. Si cette nouvelle situation peut avoir des avantages et être en partie voulue, en particulier à cause de l’impératif écologique, elle a aussi des conséquences économiques, sociales et financières, qu’il faudra bien évaluer.  

Peut-on produire tout en préservant l’environnement ?

Si la question écologique revient aussi souvent dans les débats publics du XXIe siècle, la protection de l’environnement ne reste pas moins une préoccupation récente dans l’histoire de l’humanité, en atteste le Sommet de la Terre à Rio qui officialise la notion de développement durable en 1992 seulement.  

Le développement durable peut être définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », définition énoncée pour la première fois dans le rapport Brundtland en 1987. L’enjeu pour les politiques actuelles consiste donc à assurer la pérennité des économies en garantissant un certain niveau de production, tout en préservant l’environnement et, plus particulièrement, les ressources naturelles ainsi que les conditions climatiques actuelles. 

L’écologie pose la question de l’intégration de l‘environnement dans l’économie, d’où la notion de développement durable employée pour expliquer le souci de conciliation les trois piliers fondamentaux d’une société que sont l’économie, l’environnement et le social. Nous nous demanderons donc dans cet article si croissance et écologie sont compatibles ou, au contraire, s’il convient de faire un choix difficile entre les deux.

Histoire de la question écologique

Nature et humanité entretiennent une relation changeante au fil des époques. Si certaines croyances, souvent dans des temps reculés, sacralisaient l’environnement, comme chez les Indiens d’Amérique, les Japonais et même les Grecs (Aristote comparait la terre à une nourrice, tandis que beaucoup de dieux grecs symbolisent des éléments de la nature, dont Poséidon et Déméter, entre autres), le christianisme délivre une nouvelle vision de la nature. Cette dernière est perçue en Occident à partir du Moyen-Age comme une espace à exploiter, Dieu ordonnant à l’homme, l’être au centre du monde selon la Bible, de peupler et dominer la terre. 

La désacralisation de la nature est concrétisée par le philosophe Descartes qui, au XVIIe siècle, invite l’homme dans le Discours de la méthode à se rendre maître et possesseur de celle-ci. Les deux révolutions industrielles au XIXe siècle ne se soucient guère de la nature ; au contraire, l’environnement est vu comme un vaste réservoir de matières premières que l’homme doit extraire et exploiter afin de produire l’énergie et les composants nécessaires à la production. Le positivisme, défendu par des philosophes comme Auguste Comte, a pour moteur le progrès scientifique, la connaissance de la nature, mais souvent au détriment de l’environnement.

C’est à partir des années 1970 qu’une conscience de la nécessaire protection de l’environnement émerge peu à peu. La croissance économique s’essouffle avec la fin des Trente Glorieuses suite aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Les premières conséquences négatives du productivisme apparaissent, comme l’illustrent des catastrophes écologiques tels la pollution par du mercure de la baie de Minamata au Japon dans les années 1950, le nuage de dioxine s’échappant d’une usine chimique à Seveso en Italie en 1976, la marée noire dans le Golfe du Mexique en 1979 ou encore l’accident dans la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986.

A cela s’ajoutent l’épuisement progressif des gisements de matières premières, comme le pétrole, dont le stock devrait être écoulé d’ici à 2100 selon certaines prévisions, et la déforestation liée à l’exploitation massive des forêts, entraînant une perte significative de biodiversité.

L’un des principaux effets de l’activité humaine et l’un des plus néfastes pour l’environnement est le réchauffement climatique qui s’opère depuis plus de 150 ans. Depuis 1861, la température mondiale a globalement augmenté de 0,6 degré, entraînant la perte d’écosystèmes entiers, la fonte des glaciers et la montée du niveau de la mer, en plus d’intensifier la fréquence des cyclones et autres tempêtes. Des projections prévoient une hausse de 6 degrés si aucune mesure n’est prise d’ici 2100. Le réchauffement climatique est principalement dû à l’émission massive de gaz à effets de serre comme le dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, en constante hausse. 

Le concept de développement durable s’est donc imposé à nos sociétés post-industrielles. Il s’agit d’un développement consistant à générer une production justement répartie au sein de la population et respectueuse de l’environnement, dans le souci notamment de préserver les générations futures de dégradations irréversibles de ce dernier.

Ces constats alarmants ont permis aux mouvements écologiques, jusqu’alors marginaux, de se consolider. Dans les années 1980, les partis politiques « Verts » se structurent en Allemagne (« Die Grünen ») et en France (aujourd’hui « Europe Ecologie Les Verts ») et se multiplient dans des pays où ils étaient jusque-là inconnus. L’écologie devient une préoccupation de la société relayée par certains politiques mais aussi par des associations internationales indépendantes comme Greenpeace, qui militent pacifiquement pour protéger l’environnement et la biodiversité.

Le modèle économique fondé sur la consommation de masse est-il compatible avec la préservation de l’environnement ?

A cette question, l’avocate spécialisée dans la protection de l’environnement et ancienne ministre de l’environnement entre 1995 et 1997 Corinne Lepage répond positivement. Il serait possible de concilier croissance et écologie, à condition d’investir dans des projets dits « verts ». Par exemple, la Norvège, riche de son exploitation du pétrole et du gaz, « s’inscrit pleinement dans le système capitaliste et passe pourtant pour l’un des plus vertueux par ses choix d’investissements non productivistes ». La croissance devrait surtout être réorientée, en faveur de la transition écologique et au service de l’environnement.

Une autre solution, plus radicale, consisterait pour tous les pays industrialisés à diminuer considérablement leur consommation et leurs investissements productifs afin d’arriver à un stade de « croissance zéro », voire de « décroissance ». En effet, dans un contexte où les ressources sont limitées, parler de croissance infinie serait une aberration pour certains. Au XXe siècle, Kenneth Boulding s’amusait à dire à ce sujet que « celui qui croit à une croissance exponentielle infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». 

Néanmoins, Corinne Lepage indique, à ce sujet, que « prôner la décroissance à l’échelle planétaire paraît compliqué alors que la population mondiale ne cesse d’augmenter – de 7,5 milliards aujourd’hui à 10 milliards en 2050 – et que les pays du Sud ont des besoins colossaux ». La mise en place d’une décroissance permettrait, certes, de mieux préserver la nature mais, en contrepartie, le niveau de vie moyen mondial pourrait même diminuer, compte tenu de l’accroissement démographique. Il serait difficile de se passer de toutes les innovations technologiques des siècles derniers, basées sur l’électricité (produite soit à partir de centrales thermiques émettrices de CO2, soit grâce à des centrales nucléaires dont le stockage des déchets radioactifs pose problème), ou sur le pétrole, encore nécessaire dans bien des secteurs de l’économie. Le respect d’une croissance zéro mettrait fin aux espoirs des pays en développement (PED) et des pays les moins avancés (PMA) d’accéder, un jour, à la société de consommation.

Le PDG de l’entreprise Veolia Antoine Frérot défend, lui aussi, l’idée de la compatibilité entre le développement économique et le respect de l’environnement, « à condition d’être raisonnable et de trouver les bons compromis pour soutenir les deux objectifs ». Il prend les exemples des pluies acides et de l’élargissement du trou dans la couche d’ozone qui inquiétaient le monde entier il y a quelques années. Or, ces problèmes ont été résolus grâce à « une réglementation adaptée et des solutions techniques ». Dans un élan d’optimisme, Antoine Frérot affirme qu’« une régulation efficace, les progrès des connaissances, le développement technique, plus de sobriété et moins de gaspillage permettront de trouver la solution au changement climatique ». 

La réglementation, mentionnée par ce PDG, constitue, avec la fiscalité et les « droits à polluer », l’un des trois grands instruments possibles pour protéger le climat. Il s’agit d’un ensemble de lois votées par les gouvernements afin de freiner les externalités négatives (dégâts causés par la pollution des usines par exemple), comme l’interdiction pure et simple du rejet de certains gaz nocifs, l’obligation de se doter de pots d’échappement catalytiques, etc.

La taxation des externalités négatives (ou subvention des externalités positives, par exemple dans le cadre du principe de bonus-malus économique pour l’achat de véhicules plus ou moins polluants) et la mise en place de marchés de quotas d’émission constituent les deux autres instruments de la politique climatique actuelle. Ce dernier instrument revient à « distribuer » des quotas d’émission aux entreprises nationales, après détermination d’une quantité maximale d’émission de CO2 à l’échelle du pays, quota que ne devra pas dépasser l’entreprise à moins de payer une amende à l’Etat (qui servira en outre à financer la transition énergétique) ou d’acheter d’autres quotas à des entreprises ne « dépensant » pas tous les leurs. 

Les Etats restent en général libres de choisir les instruments destinés à atteindre leurs objectifs. Les quantités maximales d’émissions autorisées ou souhaitables, quant à elles, sont définies lors de grands sommets internationaux du climat, comme celui à Rio en 1992 ou, plus récemment, la COP 21 en 2015, durant laquelle 195 pays se sont réunis à Paris. Les gaz à effet de serre contribuent au réchauffement climatique de la planète, quel que soit leur lieu d’émission. Plus généralement, de plus en plus de pays se rendent compte qu’avec la mondialisation, toute dégradation à un endroit de la Terre peut entraîner des conséquences irréversibles à l’autre bout de la planète ; dès lors, une internationalisation de la préoccupation environnementale s’impose.

Les limites matérielles à la croissance.

Si le problème de la pollution atmosphérique et environnementale pourrait être  réglé par une bonne coordination des politiques à l’échelle internationale, la question de la limitation et de l’épuisement des ressources demeure non résolue. Ce problème n’a pas lieu d’être selon les partisans de la « faible soutenabilité » qui affirment que les différents types de capitaux utilisables dans les processus de production sont substituables. Ainsi, la diminution du capital naturel et l’épuisement des matières premières non-renouvelables pourraient être palliés par l’émergence des nouvelles technologies, du moment qu’il existe des cerveaux pour les imaginer (capital humain), des fond pour les financer (capital financier), des moyens pour les produire (capital physique) et des lois pour encadrer les comportements (capital institutionnel). 

Par ailleurs, le développement économique irait de pair avec la tertiarisation des économies et donc de moindres besoins en ressources naturelles. La courbe de Kuznets illustre ce point de vue : les pays commencent par fortement polluer quand ils s’industrialisent, ce qui aboutit, à terme, au développement du secteur tertiaire et contribue ainsi à diminuer le niveau de pollution. La solution au problème climatique serait donc la croissance, car elle conduit à des économies moins polluantes, que ce soit grâce à la technologie ou parce qu’elle se traduit finalement par le passage à une société post-industrielle ou post-matérialiste.

Cependant, la substituabilité des capitaux ne fait pas consensus chez les économistes. Les partisans de la « forte soutenabilité » émettent l’hypothèse que les quatre capitaux énoncés plus haut ne sont pas substituables, mais complémentaires. Il serait donc indispensable de tous les préserver, surtout le capital naturel. Pour ce faire, il conviendrait de laisser le temps aux ressources renouvelables de se régénérer, tout en en gardant certaines intactes, comme la forêt amazonienne. 

Cette divergence des idées entre défenseurs de forte et de faible soutenabilité peut être illustrée par l’exemple des ressources halieutiques : alors que les premiers insistent sur la nécessité de laisser le temps aux poissons de se reproduire, les seconds rétorquent que, malgré la surpêche, la biodiversité marine pourra être préservée grâce à la pisciculture, une exploitation plus productive mais aussi plus respectueuse de l’environnement. Les partisans de la forte soutenabilité prônent ainsi la décroissance (ou, tout du moins, un arrêt de celle-ci) pour préserver le capital naturel, solution pour l’instant rejetée par la totalité des Etats, tant les conséquences sur l’économie et le bien-être des citoyens se révéleraient catastrophiques. 

De même, les tendances liées à la tertiarisation donnent lieu à des analyses divergentes. De grands Etats extrêmement peuplés, comme la Chine et l’Inde, sont encore en phase d’industrialisation. Il faudrait plusieurs planètes si l’on voulait que tous les habitants de la terre aient les mêmes mode et niveau de vie que les Occidentaux actuels. Il semble donc impossible d’attendre que tous les pays émergents rattrapent leur retard sur les Etats aujourd’hui les plus développés et que leur croissance devienne, comme la leur, moins consommatrice de ressources. En outre, des études plus approfondies ont montré qu’en réalité, la croissance de ces Etats s’accompagnait toujours d’une augmentation de l’utilisation des ressources naturelles, une fois pris en compte leurs importations (notamment en raison de la délocalisation d’industries polluantes).

Les difficultés liées aux différents instruments de préservation de l’environnement.

La réglementation des activités productives par le biais des quotas, des normes techniques et des interdictions peut difficilement être généralisé dans une économie mondialisée. Les normes environnementales et leurs sanctions financières en cas de non-respect qui pèsent sur les industries des pays développées vont, par conséquent, les rendre moins compétitives et les amener à perdre des parts de marché au profit d’entreprises provenant de pays émergents comme la Chine qui, elles, n’ont pas à s’adapter aux normes pour vendre sur le territoire. 

Le système de taxation sur les nuisances environnementales risque soit d’avoir trop peu d’effet sur les agents économiques, soit de décourager l’activité s’il est trop contraignant. Enfin, si les quotas ont un prix trop faible sur le marché des quotas d’émission, ils n’auront aucun effet dissuasif, puisqu’il sera plus rentable pour les entreprises d’acheter des quotas pour polluer davantage plutôt que d’augmenter leurs coûts de production afin de se plier aux règles. 

Chaque instrument, ayant ses avantages, mais aussi ses limites, est donc complémentaire : ainsi, pour l’automobile, les constructeurs dépendent d’une forme de marché de quotas, mais la réglementation leur impose aussi certains matériaux recyclables, alors que les acheteurs voient leur dépense modifiée par le bonus/malus.

Nous en arrivons donc à la conclusion suivante : si une « décroissance » paraît inenvisageable, tout l’enjeu pour les gouvernements en place consiste alors à se concerter lors de sommets annuels afin de définir les grandes lignes de la politique climatique et écologique à mener, qu’ils appliqueront ensuite à l’échelle nationale en combinant les différents instruments mis à leur disposition. Nombreux sont les experts qui s’accordent à dire que la croissance demeure compatible avec la préservation de l’environnement, tant que l’exploitation des ressources est maîtrisée, la pollution limitée et réglementée et les quatre principaux types de capitaux, qu’ils soient complémentaires ou substituables, dans l’ensemble, préservés. 

Le nombre de pays à adhérer à la préoccupation écologique ne cesse de croître, même si le principal pollueur mondial que sont les Etats-Unis de Donald Trump paraissent aujourd’hui moins sensibles à cette cause qu’il y a quelques années et que la Chine, en pleine industrialisation, continue d’émettre une quantité très importante de CO2 dans l’atmosphère depuis ses usines à charbon. 

Il convient enfin de rappeler que le comportement écologique est également individuel et citoyen. Eteindre la lumière en quittant une pièce, ne pas gaspiller l’eau, privilégier les transports publics constituent autant d’actions quotidiennes qui font de nous des éco-citoyens et qui, multipliés à grande échelle, préparent un avenir meilleur pour les générations futures.

Crédit social chinois : garant de l’ordre public ou de la soumission politique ?

Depuis maintenant quelques années, les caméras de vidéosurveillance envahissent les villes chinoises. Ces outils, dotés d’une reconnaissance faciale ultra-développée, permettent aux autorités de mieux repérer les éventuelles infractions des citoyens sur la voie publique et de poursuivre les malfaiteurs en fuite. La mise en place de ces caméras s’insère dans le projet de « crédit social » du gouvernement chinois, visant à élaborer un système national de réputation des citoyens. Chacun reçoit une note, échelonnée entre 350 et 950 points, dite « crédit social », fondée sur les données dont dispose le gouvernement à propos de leur comportement en société. Ainsi, les individus repérés par les caméras en train d’enfreindre la loi obtiennent une mauvaise note et subissent des pénalités, tandis qu’à l’inverse, les citoyens à l’origine de bonnes actions bénéficient d’avantages sociaux et fiscaux. Si un tel système se révèle très efficace pour maintenir l’ordre public en surveillant au mieux les actions des citoyens, les défenseurs des libertés individuelles s’alarment d’un système de « contrôle social ». N’y aurait-il, pour autant, rien à garder d’un tel projet pour un pays comme la France ?


Le cas chinois

À l’origine, l’idée d’un « crédit social » vient répondre à la demande d’entreprises américaines souhaitant mieux connaître les entreprises chinoises avec lesquelles elles s’apprêtent à faire des affaires. Cet outil, proposé dans les années 2000 par l’ingénieur en chef Lin Junyue, a pris une dimension plus vaste lorsque son théoricien a décidé qu’il évaluerait la solvabilité de toutes les entreprises chinoises. Ainsi, les investisseurs étrangers pourront avoir connaissance de la fiabilité des entreprises chinoises et y investir sans crainte. Le système de crédit social est donc présenté comme une solution à un problème de manque de confiance possible sur le marché chinois. En même temps a été décidé que tous les citoyens feraient l’objet d’une évaluation. Selon Lin Junye, le but de ce système, qui répond à une volonté d' »atteindre le même niveau de civilité que les pays développés » est « la reconstruction de la morale ».

Actuellement réparties dans une quarantaine de villes chinoises, les caméras, dont la résolution atteint les 400 millions de pixels (quatre fois plus que l’oeil humain), ont été créées par des chercheurs chinois et baptisées « super caméras » en raison de leur capacité exceptionnelle à distinguer et identifier des visages humains. Environ 349 millions de caméras surveillent en ce moment chaque recoin de la Chine, selon un rapport d’IHS Markit Technology, une entreprise américaine d’information économique. L’objectif fixé par le gouvernement chinois est d’installer 400 millions de caméras partout sur le territoire d’ici fin 2020.

Grâce au crédit social, chaque citoyen est sujet à une note, qu’il peut se procurer et partager avec ses proches ou sur les réseaux sociaux. Afin de garantir la fiabilité de chaque individu, toutes ses activités publiques sont surveillées, notamment en ligne. Sur Internet, critiquer ouvertement le gouvernement ou montrer des signes extérieurs de richesse sur les réseaux sociaux sont passibles de sanctions. À l’inverse, les citoyens disant du bien du parti sont ici récompensés.

Dans la ville, une multitude de caméras filment et enregistrent à toute heure de la journée et de la nuit les agissements des citadins. Par exemple, grâce au système de reconnaissance faciale, le visage et l’identité des piétons traversant hors des passages cloutés sont affichés publiquement sur un écran géant jusqu’au paiement de leur amende. Ici, la punition est triple pour les personnes en infraction : à la sanction économique que l’on connaît en occident (l’amende), s’ajoutent le retrait de points sur sa note et l’humiliation d’être étiqueté comme un délinquant. De même, répandre des supposées « fake news », ne pas valider son titre de transport ou fumer dans les trains font l’objet de sanctions.

Les citoyens avec une trop mauvaise note peuvent, par exemple, être privés d’utilisation de transports en commun (avions, trains) ; plus encore, il sont systématiquement refusés dans les restaurants, les cafés et les boîtes de nuit. Leur famille peut aussi en subir les conséquences, comme la possible interdiction de scolarisation des enfants dans des écoles privées. Les noms, visages et adresses de pas moins de 23 millions de Chinois particulièrement désobéissants sont ainsi inscrits sur les listes noires du gouvernement.
Les citoyens modèles bénéficient, eux, de réductions sur les billets de transports, sur les places de cinéma et de musée, à la bibliothèque… De quoi entraîner, selon les autorités, une émulation positive dans la société, qui doit tendre vers un idéal d’ordre et de respect d’autrui.

La plupart des Chinois se déclareraient satisfaits de ce système. Dans un pays où le strict respect des lois et des autorités fait partie intégrante de la culture et de l’éducation, il apparaîtrait légitime pour les citoyens d’encourager les bonnes actions et de punir les mauvaises au nom de la justice. De plus, beaucoup de Chinois auraient constaté que la société est devenue meilleure depuis la mise en place du crédit social : les rues sont plus propres, les gens plus civilisés… Néanmoins, dans le cadre d’une société constamment contrôlée, pouvons-nous être absolument certains de la sincérité de leurs réponses ?

Les dangers du crédit social

Les systèmes de reconnaissance faciale et de notation des citoyens sont actuellement vivement critiqués par les Occidentaux. La première crainte concerne la possible stigmatisation des  » mauvais citoyens » par le reste de la société pour des méfaits mineurs. Les sanctions infligées évoquées plus haut peuvent d’ailleurs, au lieu d’encourager l’individu à changer son comportement en vue de sa réinsertion, le décourager et même cultiver en lui une haine du système en place. De plus, cette surveillance généralisée paraît disproportionnée par rapport aux objectifs fixés.

L’interdiction de fréquenter de nombreux espaces publics et d’emprunter des transports en commun contribue en outre à marginaliser l’individu et pourrait, à terme, grandement affecter l’insertion sociale de certains Chinois. Par exemple, un message préenregistré avertit les Chinois qui tenteraient de joindre des individus placés sur liste noire. De même, de tels individus deviendraient les cibles privilégiées de l’appareil policier qui, préventivement, les contrôlerait davantage.

Les défenseurs des libertés individuelles s’indignent de l’implication étouffante des autorités dans la vie privée des individus et des restrictions accablantes qui menacent chacun. Leurs moindres faits et gestes sont scrupuleusement observés, enregistrés et matière à jugement moral. Si acheter des cigarettes ou de l’alcool au supermarché ou même avoir un chien peut paraître anodin en France, de telles actions sont pourtant sanctionnées par le gouvernement chinois, les considérant comme néfastes pour ses citoyens même s’il ne les a pas interdites. Ces derniers perdent alors grandement en autonomie puisque toutes leurs actions sont dirigées, voire dictées par une autorité supérieure, un système à la fois protecteur et répressif, rassurant et sévère, prenant le contrôle de ses citoyens à la manière de Big Brother dans le roman de fiction 1984 de George Orwell.

Réprimer des comportements jugés peu civiques mais aussi l’expression des opinions constitue naturellement une atteinte grave à la démocratie. C’est ce que dénonce le journaliste chinois Yourou, placé sur liste noire et privé de voyage après qu’il a enquêté d’un peu trop près sur les affaires de possible corruption de hauts responsables du parti. La liberté d’opinion est bafouée puisqu’aucune critique envers les hauts dirigeants n’est tolérée par le gouvernement. Autre exemple : celui du maître chinois de MMA Xu Xiaodong qui, en prônant la supériorité d’un sport de combat occidental vis-à-vis des arts martiaux traditionnels chinois (qu’il qualifie de « faux kung-fu »), s’est attiré les foudres du parti, ce dernier lui ayant infligé la sévère note de D (équivalent à être placé sur liste noire). Loin de seulement veiller au respect de la loi, le système de crédit social chinois semble donc dicter ce que les citoyens doivent faire et penser au quotidien.

Un pareil système est-il envisageable en France ?

Selon le chercheur spécialisé dans l’intelligence artificielle et président du comité d’éthique du CNRS Jean-Gabriel Ganascia, le système de notation des citoyens chinois, réducteur et permanent, existerait déjà en France. Comme en Chine, les citoyens sont notés sur Internet : Ganascia cite ainsi l’exemple des vendeurs sur Ebay dont la qualité de leurs produits et de leur livraison sont notés par les clients. Ce système de notation se retrouve aussi dans les institutions financières, comme lorsque les assurances ou les banques « notent » leurs clients selon certains critères pour s’assurer de leur fiabilité. De même, les grandes entreprises françaises peuvent disposer librement des informations que nous leur donnons, comme les photos de nous que nous partageons sur les réseaux sociaux.

Le système de reconnaissance faciale est, lui aussi, déjà présent en France. Par exemple, il permet d’authentifier efficacement les voyageurs dans les aéroports. Néanmoins, il pourrait, en parallèle, permettre l’identification de n’importe qui dans la rue, ce qui constituerait une atteinte à la vie privée. C’est déjà le cas à Nice, où des caméras à reconnaissance faciale participent à la sécurité de la ville. Ces nouvelles technologies appellent à de nouvelles loi, qui devront encadrer leur utilisation et protéger l’intimité des individus, sans pour autant compromettre leur sécurité.


Aussi louables peuvent être certains objectifs, à savoir l’efficacité économique et surtout le maintien de l’ordre public, les méthodes déployées pour y parvenir demeurent une question sensible. Le système de crédit social, en plus de porter atteinte à la vie privée des citoyens en les épiant constamment via des caméras à reconnaissance faciale, peut engendrer des effets pervers, comme en témoignent les sanctions abusives restreignant les libertés fondamentales ou confortant le pouvoir en place, voire la stigmatisation des « mauvais citoyens ». Dans un pays démocratique comme la France s’évertuant à garantir les libertés individuelles de ses citoyens, il semble aujourd’hui inconcevable que le gouvernement applique un système de crédit social aussi stricte qu’en Chine.

La planification, une nécessité pour notre économie ?

La crise sanitaire causée par le coronavirus a plongé le monde et en particulier la France dans une récession sans précédent depuis 1929. En effet, le PIB français a connu une contraction de 11 % en 2020 par rapport à l’année précédente, selon Bruno Le Maire, ministre de l’économie. Dans ce contexte, divers plans de relance ont été organisés. Mais la question de la planification dans des secteurs stratégiques tels que la santé ou les industries sensibles revient à l’ordre du jour. Boudé depuis le tournant libéral des années 1970 et 1980, cette planification prend de plus en plus d’importance à tel point que le gouvernement Castex a nommé un commissaire au plan, François Bayrou. Vilipendée par la théorie néo-classique, prônant une faible intervention de l’état sur le marché afin de rendre ce dernier le plus optimal dans l’optique d’une logique efficiente, la planification suscite des débats et divise le monde politique et économique. Dans cet article, nous allons donc analyser les modalités de la planification ainsi que sa finalité et ses conséquences.

Une politique ambitieuse

Un exemple symbolisé par le modèle soviétique :

En URSS, la planification débute réellement le premier octobre 1928 avec le premier plan quinquennal. L’objectif est d’accélérer le développement du secteur industriel. En effet, à cette époque l’URSS accuse un retard important dans le cadre de la production du secteur secondaire, l’essentiel de son économie restant encore fondé sur l’agriculture. Grâce à ces plans, l’URSS connaît une croissance industrielle importante, au point de devenir en 1940 la troisième puissance industrielle, derrière les Etats-Unis et l’Allemagne. Cependant, si l’on prend l’exemple de l’URSS, dont le premier plan date de 1928, cours d’histoire de première, la planification poussée à son extrême a des conséquences néfastes sur un plan économique comme social, Staline n’y allant pas de main morte. Tout d’abord, cette planification instaure une situation d’oligopsone (non ce n’est pas un nouveau Pokémon), c’est-à-dire un unique demandeur, l’Etat, face à plusieurs offreurs qui doivent se plier aux exigences, notamment en matière de délai de livraison, puisque le plan fixe des cadences de production qui doivent être respectées à la lettre. Dans cette situation, l’état organise l’administration des prix, empêchant les prix de se fixer librement en fonction de l’offre et de la demande. L’état va alors fixer des prix plafonds, c’est-à-dire des prix de vente que les unités de production ne pourront pas dépasser. L’isocoût, la contrainte budgétaire de la production, est donc un critère fondamental, même plus important que dans les économies de marché des démocraties occidentales, étant donné que les erreurs des dirigeants des entreprises peuvent leur coûter bien plus qu’une simple remontrance de la part du soviet suprême, disons une petite peine de 20 ans en camp de travail. Dans cette situation, le prix plafond est égal au coût de production, étant donné que ces entreprises n’ont pas comme objectif de vendre leur production sur un marché concurrentiel et d’y faire des bénéfices puisqu’elles sont censées agir pour l’intérêt de la société.

Une alternative apparente au modèle capitaliste :

La planification cherche à répondre à un idéal : celui d’une société égalitaire dans laquelle chacun des acteurs agiraient pour l’intérêt général. La planification cherche alors à corriger les défauts du capitalisme. En effet, dans une économie capitaliste, en proie à de violents retournements du marché, les classes les moyennes et populaires sont souvent plus touchées que l’élite économique et financière. Dans les démocraties occidentales, les entreprises sont majoritairement privées et au début du XXème siècle, les chefs d’entreprise sont souvent propriétaires de leur entreprise. On peut d’ailleurs prendre l’exemple d’Henry Ford ou de Louis Renault dans le secteur automobile. Alors qu’aujourd’hui, les grandes entreprises sont souvent des sociétés anonymes, avec des actionnaires et dont le président n’est pas le propriétaire. Ainsi, les propriétaires de ces entreprises peuvent avoir tendance à gérer l’entreprise dans leurs intérêts personnels et non dans celui de l’ensemble des acteurs de l’entreprise. Les intérêts antagonistes dans une entreprise sont indéniables : les propriétaires ou actionnaires veulent par exemple rogner les salaires afin d’améliorer la rentabilité financière pour toucher plus de dividendes tandis que le salarié aura tendance à vouloir une meilleure reconnaissance par une valorisation de son salaire ou une amélioration de ses conditions de travail. Il s’agit là de l’intérêt de l’économie planifiée selon ses défenseurs : l’idée de créer une économie dans laquelle des fonctionnaires qualifiés agiraient dans l’intérêt général et décideraient de l’allocation des ressources et des choix économiques à faire. Les décisions prises seraient alors bénéfiques à l’ensemble de la population et non à une minorité. Dans ce système, l’Etat maitrise l’ensemble de l’appareil productif et peut alors protéger ses marchés contre la concurrence étrangère ou contre des aléas de toute sorte. L’objectif de l’état par la planification est de se prémunir contre une certaine dépendance de l’étranger, notamment dans des secteurs clés comme la santé, où la pénurie de masque marque le symbole de la dépendance de la France vis-à-vis des marchés étrangers.

Une portée relative

Une population au bien-être mis à mal :

L’administration des prix peut entrainer une modification voire une suppression du point d’équilibre du marché, qui fixe le point d’intersection entre l’offre et la demande ainsi que le prix et la quantité d’équilibre. La fixation des prix par l’état engendre un rationnement de l’offre ou de la demande. Selon la théorie néo-classique, cette fixation des prix par l’état peut alors avoir des conséquences néfastes du fait d’une mauvaise allocation des ressources, c’est-à-dire une mauvaise répartition dans le système économique des moyens financiers, matériels et humains. Dans le cas étudié, la planification peut entrainer un rationnement de l’offre, provoquant des pénuries. Si l’on prend l’exemple du prix d’une voiture, l’état dans une économie planifiée va alors fixer un prix plafond que les entreprises ne devront pas dépasser. Si ce prix plafond permet en théorie de toucher une nouvelle demande aux ressources plus faibles, ce prix plafond risque également d’entrainer une réduction de la production des voitures, car potentiellement moins d’entreprises pourront se plier aux exigences tarifaires de l’état, du fait de coûts de production peut-être même plus élevés que le prix de vente.

Nous pouvons modéliser la situation à l’aide du graphique ci-dessus. Dans le cadre d’un marché concurrentiel le prix et la quantité d’équilibre se formeraient respectivement en P* et Q*. Mais dans le cadre d’une intervention de l’état, les conditions contraignent la production, la fixation d’un prix par l’état crée un prix plafond que tous les offreurs ne vont pas pouvoir supporter. Ainsi, le marché ne peut offrir qu’une quantité Q 0 en deçà de la quantité d’équilibre du marché concurrentiel. Et dans la logique des choses, l’intervention de l’état se fait dans l’objectif de permettre l’accès de biens à l’ensemble de la population. Par conséquent, l’intervention de l’état crée une hausse de la demande. Cette nouvelle demande est représentée par QD. Cependant, une offre réduite par rapport à une demande plus forte entraine inévitablement une fraction de demande insatisfaite. Ainsi, la différence entre la quantité demandée et la quantité offerte correspond au volume de demande insatisfaite. Dans cette situation le surplus collectif est exposé à une perte sèche, chez les producteurs du fait d’un prix trop élevé et chez les consommateurs du fait d’un rationnement de l’offre. Le surplus du producteur dans une économie planifiée doit en théorie être inexistant étant donné que les entreprises n’ont pas pour vocation de faire des bénéfices comme sur un marché concurrentiel. Cette situation de rationnement de l’offre et de demande insatisfaite s’est traduite concrètement en URSS par des situations de pénurie ou de longue attente de la population pour les biens de consommation. On peut prendre l’exemple des longues queues pour l’approvisionnement alimentaire ou encore le fait qu’une famille russe devait patienter dix ans pour recevoir une voiture. Vous imaginez si on revenait dix ans en arrière, comment c’est long. La PS3 était la console à la mode et les Nokia étaient les téléphones les plus vendus. De plus, dans ce système, l’offre est très peu diversifiée, ce qui réduit encore plus le bien-être du consommateur. Imaginez si vous deviez renoncer aux bonbons qui vous plaisent et manger tous les jours des réglisses ! En effet, en URSS, il n’y avait généralement qu’un modèle de télévision, de voiture, de cartable scolaire ou de pair de chaussures.. L’autre enjeu lié à la planification est la question de la bureaucratie. Cette dernière est approuvée par Max Weber dans son ouvrage « Economie et société » en 1921, et désigne un mode de production dans lequel les salariés qui entretiennent des relations impersonnelles occupent des postes uniquement en fonction de leurs compétences. Dans un système bureaucratique le travail de chacun est très encadré afin de ne pas laisser courir le risque de prises de décisions hâtives ou hasardeuse. Les modalités de la production sont réglées au millimètre, l’objectif étant de se protéger de quelconque aléa, risquant de désorganiser le travail. Cependant, étant donné que le travail est très encadré, la bureaucratie limite la prise de décision individuelle et par conséquent l’innovation. De plus, dans un modèle bureaucratique, la hiérarchie est verticale et l’individu en bas de l’échelle n’est souvent pas écouté, même si sa proposition est intéressante.

https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/politiques-economiques/theories-economiques/economie-planifiee/

https://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_1992_num_11_3_1641

https://www.francebleu.fr/infos/politique/francois-bayrou-nomme-haut-commissaire-au-plan-a-quoi-va-t-il-servir-1599108599

Le Brexit

23 juin 2016 : Les britanniques sont appelés aux urnes pour répondre à une question cruciale concernant l’avenir de leur pays. Les résultats du scrutin ont alors donner une majorité aux partisans du brexit. Pour la première fois dans l’histoire de l’Union Européenne, un pays membre quitte la communauté.

Alors que pour certains le Royaume Uni part à la dérive depuis que celui-ci a décidé de quitter l’UE. Pour d’autres le départ du Royaume Uni acte la victoire du peuple britannique sur les institutions européennes antidémocratique, recouvrant ainsi sa souveraineté.

Dans cet article, nous nous pencherons sur la question du vote britannique lors du référendum du Brexit et plus précisément sur les « profils » d’électeurs favorable et défavorable au Brexit. Par la suite, nous aborderons la question des conséquences présentes et éventuelles de ce Brexit pour le Royaume Uni mais aussi pour l’UE. En effet, si les défenseurs de l’Union Européenne estiment que le Brexit est une erreur aux conséquences lourdes pour le pays, d’autres ne voient pas ce fait d’un si mauvais œil et pensent que le Brexit est une occasion pour les britanniques de recouvrer une souveraineté populaire qu’ils auraient perdu.

Milieu socio-politique et orientation du vote : corrélation pertinente ou stéréotype réducteur ? ** Le 23 Juin 2016, la victoire du Brexit a révélé une certaine fracture au sein de la société britannique. Cette fracture est principalement de nature sociale, économique et identitaire. A première vue les britanniques qui ont voté pour le Remain sont ceux que l’on désigne comme les « gagnants » de la mondialisation (l’équivalent des CSP+ selon la catégorisation française). Ils incarnent ceux qui vivent souvent en métropole, voire dans l’hypercentre de celles-ci. A l’inverse, ceux qui ont voté en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’UE (Leave) sont considérés comme les « perdants » de la mondialisation. Ce sont les milieux moyens et populaires dont le déclassement au sein de la mondialisation est de plus en plus admis, ces populations vivent dans les milieux ruraux et anciens centres industriels victimes de nombreuses délocalisations. Néanmoins cette fracture qui s’apparente à celle présente lors de l’élection américaine de 2016 peut être jugée trop schématique


https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/3f/United_States_presidential_election_results_by_county%2C_2016.svg/521px-United_States_presidential_election_results_by_county%2C_2016.svg.png

Le référendum du Brexit dépasse le clivage électoral classique au Royaume-Uni et les dissensions au sein même des grands partis (travaillistes et conservateurs) en témoignent. Les catégories de population qui ont massivement voté en faveur d’un départ du Royaume Uni sont les retraités modestes et les victimes des nombreuses politiques d’austérité que subit le Royaume-Uni depuis plusieurs années. Ce vote est sans doute l’expression de ce sentiment déclassement et appauvrissement que subissent ces populations. Néanmoins le référendum du Brexit révèle également une fracture identitaire au-delà de la fracture sociale et économique. Cette fracture identitaire renvoie au traditionnel euroscepticisme britannique mais aussi à la montée des mouvements populistes. En effet, certaines régions relativement pauvres ont largement voté en faveur du Remain et d’autres relativement bien insérées dans la mondialisation en faveurs du Leave ; ceci s’explique par l’évolution de la population dans ces régions. Certaines régions paupérisées, où les minorités ethniques sont plus nombreuses en comparaison à la moyenne nationale, ont largement voté en faveur d’un maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne (ex centre est de Londres). A l’inverse dans certaines régions relativement insérées (ex Boston) le Leave est arrivé largement en tête ceci s’explique par sensibilités de ces populations au discours populistes face au chamboulement démographique puis communautaire de leur région.

Un diagnostic établi par les remainer prévoyant des effets indésirables :

Après d’interminables discussions entre Londres et Bruxelles pour trouver un accord de sortie, le Royaume-Uni quitte l’UE en ce début d’année 2020 avec l’espoir de trouver un accord d’ici 2021. En effet, le Royaume-Uni est pour le moment en période de transition (notamment sur le plan économique/commerciale) et reste à ce titre soumis à de nombreuses règles de l’UE même s’il ne fait plus partis de ses institutions. Face à cette incertitude, nombreuses sont les personnalités politiques, instituions ou organismes mettant en garde contre un no deal dont les conséquences seraient dévastatrices. Cependant un bilan économique du Brexit ne peut être traité pour le moment car le recul est insuffisant et celui-ci dépendra notamment de si un accord notamment commercial est conclu. (D’autant plus que certains secteurs par exemple le Luxe français, ont bénéficié en Europe en 2019 de cette incertitude dû à un éventuel no deal ce qui a grossi les stocks, situation dû a un contexte particulier qui évoluera. Cependant un point est à souligner, beaucoup d’acteurs économiques supportent mal l’incertitude.). C’est peut-être cette incertitude sur le no deal qui impactera l’économie britannique même si la crise économique qu’a enclenché la pandémie rebat certainement les cartes. D’autant plus que cette période de transition ne prendra fin en décembre 2020 que théoriquement. Or l’histoire du Brexit montre que les délais sont rarement tenus et que certains points de désaccords profonds tel que les zones de pêche s’avèrent extrêmement complexe, ceci amplifie d’autant plus l’incertitude qui reste cependant moindre qu’auparavant. La période de transition d’autant plus marqué par la crise sanitaire et économique du covid-19 laisse aux entreprises un temps d’adaptation très court. L’un des autres sujets d’inquiétude pour Bruxelles est l’évolution de la réglementation financière et fiscal du Royaume- Uni qui pourrait perturber la zone euro. L’UE se réserve ainsi le droit après la sortie complète du R-U de l’UE, d’autoriser les institutions financières britanniques à agir sur la zone euro. Le Royaume Uni pourrait notamment pratiquait un dumping fiscal et social et valoriser l’entreprenariat en le déchargeant d’importantes contraintes, tout ceci pourrait grandement déranger ses voisins européens. Divers études ont alors été menés par exemple par Bloomberg (https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-01-10/-170-billion-and-counting-the-cost-ofbrexit-for-the-u-k ) pour étudier tout d’abord le coût du Brexit pour le Royaume Uni puis les conséquence de celui-ci. D’après Bloomberg le Brexit a couté 130 milliards à l’économie britannique sur la période 2017-2018 et ceci ne cesserait d’augmenter dans le futur. Bloomberg dresse alors un bilan très négatif de la situation économique du Royaume-Uni suite au vote du Brexit qui serait responsable de la baisse de la croissance britannique. Ainsi, Bloomberg énonce «But they have been diverging since the vote to leave the EU, with the British economy now 3% smaller than it could have been had the relationship been maintained. ».


https://www.washingtontimes.com/news/2019/mar/24/theresa-may-pressed-resign-save-brexit/

Le gouvernement britannique se montrait alors bien plus positif. Face à ces incertitudes, beaucoup d’investissements, de fusions-acquisitions… ont été suspendu car cette sortie n’est qu’une période de transition et les relations futures entre l’UE et le Royaume-Uni sont encore à définir. La situation en ce début du mois de juillet 2020 est bien différente des perspectives début 2020, le Royaume-Uni est très fortement touché par la pandémie que ce soit sur le plan sanitaire (plus de 42 000 morts) ou économique (chute du PIB de plus de 11% sur l’année 2020 d’après l’OCDE).

(Le Royaume-Uni doit ainsi redresser son économie et pour atteindre le niveau d’avant crise une route relativement longue est envisageable. Cette faiblesse économique du Royaume-Uni pourrait augmenter l’incertitude sur sa capacité à se relever économiquement en cas de no deal. )

Des conséquences néfastes à relativiser :

Néanmoins ce qui est certains c’est qu’à présent le Royaume-Uni est bien plus libre juridiquement. Cette liberté Boris Johnson comptait dessus pour lancer un programme d’investissement notamment en infrastructure afin d’intégrer les espaces délaissés par la mondialisation ou encore pour moderniser et revoir les dépenses de la NHS ou bien réformer l’administration en favorisant le principe de subsidiarité. La crise actuelle facilitera peut-être certaines réformes législatives mais d’autres (investissements) seront peut-être plus difficile à mettre en place notamment pour des questions de financements. En effet, le confinement coûte et coutera chère à l’économie et l’état britannique, ainsi mener de grands investissements notamment en infrastructures alors que les caisses de l’état seront bien amaigries par le plan de relance que nécessite le déconfinement, s’avère délicat d’autant plus que jusqu’à présent les investissements étrangers dans les infrastructures britannique étaient très importants. Ainsi, le Royaume-Uni a accueilli plus de 23 milliards d’euros d’investissements chinois sur la période 2000- 2016 ce qui en fait le premier bénéficiaire de l’UE.


https://www.lepoint.fr/monde/royaume-uni-de-juteux-contrats-attendus-au-deuxieme-jour-de-la-visite-de-xi-jinping-21-10-2015-1975430_24.php

La Chine a en effet beaucoup investi dans les infrastructures britanniques ces 20 dernières années finançant par exemple des projets de centrales nucléaire, la CIC (China Investment Corporation) détient 10% de l’aéroport d’Heathrow et 9% du réseau de distribution d’eau de Londres… C’est par exemple aujourd’hui Huawei qui fournit en équipement la British Telecom & Vodafone UK. Lors du référendum Pékin défend publiquement le Remain, laissant ouvertement paraître sa stratégie, ces investissements permettent en effet à la Chine d’accéder à tout le reste de l’UE, le Royaume Uni est alors la tête de pont vers l’UE et sa place financière mondiale (la City) joue un rôle également stratégique. La sortie de l’UE met sûrement à mal cette stratégie, il est alors possible que Pékin réduise ses investissements au Royaume Uni à moyen terme si telle était la stratégie adoptée. Le Royaume Uni devrait alors trouver quelques nouveaux investisseurs pour financer ses investissements en infrastructure d’autant plus que les caisses de l’état seront quasiment vides.

Le Brexit aura également des conséquences pour l’UE qui perd 15% de son PIB et 13% de sa population. L’Europe pèsera moins sur le plan démographique et économique, son influence dans les relations internationales et son pouvoir de négociations sera donc très probablement amoindrie. D’autant plus qu’avec le Brexit, l’UE perd l’une de ses principales puissances militaires et la France se retrouve désormais seule détentrice de la puissance nucléaire au sein l’UE. Le budget de l’UE (déjà très faible) sera lui aussi impactait puisque le Royaume Uni représentait plus de 12 % du budget d’autant plus qu’au même titre que la France et l’Allemagne, le R-U faisait partie des plus grands contributeurs net. Ceci semble embêtait Bruxelles au vu de la facture que l’UE demande au Royaume Uni pour le Brexit. Le Royaume Uni est également un grand importateur de l’UE qui aurait donc intérêt à trouver un accord. Cependant pour certains Bruxelles fait et fera tout son possible pour que le Royaume-Uni ne se présente pas d’ici quelques années sous une croissante radieuse aux yeux des pays d’Europe en difficultés. Que dirai l’Italie si elle voyait son voisin britannique s’enrichir après son départ de l’UE ?


https://www.express.co.uk/news/politics/1313788/italexit-italy-eu-exit-brexit-Nigel-Farage-Gianluigi-Paragone-Latest-update

Bien sûr le redressement du Royaume-Uni n’est qu’une hypothèse, mais si elle se produisait…la réaction des pays tels que l’Italie pourrait provoquait l’éclatement de l’UE. L’on peut se demander par quel moyen le Royaume-Uni pourrait prospérer après son départ de l’UE même si cet exercice est hasardeux. L’on peut par exemple penser à un rapprochement avec les Etats-Unis. En effet le Royaume-Uni pourrait se rapprocher de son allié traditionnel mais ceci surtout dans un contexte où Trump joue la division en proposant à Guiseppe Compte de l’aider à payer la dette de l’Italie si elle quitte l’euro et l’UE ou à macron des accords commerciaux des plus intéressants pour la France si elle quitte l’euro et l’UE. Or ce rapprochement serait bien plus difficile avec un président américain bien moins hostile à l’égard de l’UE.


 https://www.france24.com/fr/20180629-trump-propose-macron-quitter-union-europeenne-accords-commerciaux.

Une sortie aisée puis accompagnée d’un redressement de l’économie britannique ouvrirait la porte à la sortie d’autres pays de l’UE (c’est pourquoi l’UE fait son possible pour démontrer qu’il est très difficile de sortir de l’UE et fera peut-être son possible pour montrer les conséquences néfastes d’une sortie). Attali explique lui-même en tant que rédacteur des premières versions du traité de Maastricht l’esprit du traité sur ce point dont chacun juge ce qu’il en pense malgré un discours sans équivoque. (je vous conseil d’ailleurs de visualiser la vidéo de son discours https://www.dailymotion.com/video/xp2073 , voici l’extrait en question https://www.youtube.com/watch?v=ZWBreXNezgk 

– FIN –

29 Juin 2020

Charles Roussel

Pour aller plus loin, voici quelques sources utilisées, notamment des cartes pour analyser les résultat du scrutin :

https://journals.openedition.org/espacepolitique/4555 (notamment cartes 1 et 3)

https://www.ons.gov.uk/methodology/geography/geographicalproducts/areaclassifications/2011areaclassifications/maps (notamment cartes 1-6-8)

Les manifestations à Hong-Kong de 2019-2020

Depuis le 15 mars 2019, de violents affrontements opposent une partie des habitants de Hong-Kong aux forces de police. Originellement, ces manifestations font suite à un amendement à la loi d’extradition présenté par le gouvernement de Hong-Kong, qui faciliterait l’intervention du pouvoir de Pékin dans le système juridique indépendant de Hong-Kong. La loi d’extradition menacerait par conséquent la sécurité personnelle de tous les Hong-Kongais, résidents permanents comme touristes de passage, selon ses opposants. En quoi les manifestations de 2019-2020 dans le petit territoire indépendant au sud-est de la Chine créent-elles une situation si particulière ?

Contexte géopolitique

Ancienne colonie britannique, Hong-Kong ne s’est détachée du Royaume-Uni que tardivement, le 1er juillet 1997, date à laquelle la région a été rétrocédée à la Chine. Toutefois, Hong-Kong garde depuis son autonomie politique, en conservant son système légal (la « common law » d’inspiration britannique), sa monnaie (le dollar de Hong-Kong), son système politique multipartiste, ses équipes sportives nationales, ses lois sur l’immigration, etc. Cette autonomie devait perdurer jusqu’en 2047, d’après la promesse de la République populaire de Chine faite à l’occasion d’une déclaration sino-britannique commune.

La loi d’extradition semble compromettre la pérennité des systèmes judiciaire et multipartiste hong-kongais. L’amendement introduit par le gouvernement consiste en une « ordonnance sur les délinquants en fuite relative à l’entraide judiciaire avec les autres pays qui n’ont pas d’arrangement avec Hong-Kong ». Cet amendement survient à peine un an après une difficulté judiciaire engendrée par un simple fait divers : en 2018, un natif de Hong-Kong tue sa petite amie enceinte à Taïwan, puis s’enfuit dans le régime administratif spécial (RAS) de Hong-Kong pour échapper aux poursuites. En effet, le gouvernement hong-kongais ne pouvait ni le juger à Hong-Kong, d’après le principe du territoire de 1987 stipulant que les fugitifs doivent être renvoyés pour jugement sur le lieu de leur crime, ni l’extrader à Taïwan car il n’y a pas de traité d’extradition avec ce pays. La loi d’extradition a censément été amendée pour éviter ce genre de problèmes à l’avenir.

Réactions

L’amendement à la loi d’extradition a provoqué de vives critiques à Hong-Kong et dans le reste du monde. De nombreux juristes, journalistes, groupes d’affaires et gouvernements occidentaux craignent en effet qu’il ne réduise l’indépendance du système judiciaire de Hong-Kong et affecte la stabilité juridique nécessaire aux affaires. Cette loi permettrait ainsi d’extrader de nombreux éléments que le gouvernement de Hong-Kong, dépendant de Pékin, considère comme « nuisibles », « perturbateurs » ou, plus généralement, les opposants politiques, vers la République Populaire de Chine, où le système judiciaire est moins indépendant. 

L’extradition pourrait concerner des organisations criminelles influentes qui, d’ailleurs, exercent parfois leurs activités sur l’ensemble du territoire chinois à partir de Hong-Kong, mais aussi les activistes indépendantistes de la région administrative spéciale. Si démanteler une vaste organisation criminelle est un objectif souhaitable pour tous, les opposants politiques ne sont pas considérés comme des hors-la-loi par les Occidentaux et faciliter leur condamnation menacerait les libertés hong-kongaises.

Cette peur d’une « justice politisée », là où auparavant prédominaient le multipartisme et la liberté de penser, de réunion et d’opinion (contrairement au reste de la Chine), a provoqué plusieurs manifestations et rassemblements à Hong-Kong. Le 9 juin 2019, près d’un million de Hong-kongais, soit un huitième de la population, participèrent à une manifestation dans les rues de la capitale contre la loi et pour la démission du chef de l’exécutif à l’origine de l’amendement, Mme Lam. 

A ces revendications, s’ajoutent à partir du 12 juin la condamnation de la violence policière hong-kongaise et la demande de libération de manifestants détenus. En effet, certains policiers n’ont pas hésité à utiliser du gaz lacrymogène, des projectiles en sachet et des armes à feu tirant des balles en caoutchouc sur les manifestants, suscitant l’indignation internationale, notamment de l’ONG Amnesty International, pendant que des étudiants étaient arrêtés et enfermés comme émeutiers. Depuis le mois de juillet 2019, les manifestants réclament la création d’un comité indépendant afin d’enquêter sur les violences policières, mais aussi, sur un plan plus politique, la dissolution du conseil législatif et l’introduction du suffrage universel. De manière plus générale, les manifestants exigent davantage de libertés.

Des manifestations se sont également produites dans le reste du monde, notamment là où l’on retrouve d’importantes communautés hong-kongaises, comme à Toronto et Vancouver au Canada, mais aussi aux Etats-Unis (à Times Square, devant la Maison Blanche et à New-York), au Japon, à Taïwan, en Australie et en Europe, surtout au Royaume-Uni, notamment à Londres.

Fondamentalement, ce mouvement populaire semble exprimer le rejet du régime chinois par les Hong-kongais, deux systèmes bien distincts coexistant actuellement, et même un rejet de la Chine elle-même. Selon une enquête de l’Université de Hong-Kong, seuls 11% des habitants se considèrent Chinois. 

Ces mouvements protestataires ne peuvent sans doute pas conduire à l’indépendance totale de Hong-Kong. Pour autant, les autorités chinoises se trouvent dans une situation délicate. En effet, les manifestations pro-démocratie ont eu un large écho dans les démocraties occidentales. Or, l’intérêt économique de Hong-Kong, pour la Chine, tient à ses relations étroites avec le reste du monde développé. 

Ainsi, le régime chinois paraît vouloir profiter de l’épidémie de coronavirus pour restreindre les libertés, interdire les manifestations et faire avancer ses réformes. Toutefois, les Etats-Unis viennent de menacer la Chine de remettre en cause certaines facilités dont bénéficie Hong-Kong et sans lesquelles elle ne serait pas une des principales places financières asiatiques. La situation demeure complexe à gérer pour Pékin et son évolution, incertaine. 

Crise de coronavirus : un plan de relance est-il nécessaire ?

Alors que l’économie mondiale est à l’arrêt mais que la perspective d’un déconfinement se précise dans plusieurs grands pays du monde, émerge dans le débat public la question de l’opportunité d’une stratégie de relance, éventuellement concertée. Nous verrons d’abord les raisons pouvant mettre en doute le bien-fondé de telles initiatives, compte tenu du rebond spontané de l’activité que l’on peut espérer, avant d’examiner les risques qui les justifient, en particulier de spirale récessive. 

Toute récession ou période durable de stagnation économique soulève la question d’une stratégie de relance keynésienne. Après la crise financière de 2008, les grands pays développés s’étaient mis d’accord sur la nécessité de soutenir la demande en acceptant un creusement important des déficits publics. Conjointement aux politiques monétaires menées par les banques centrales, ces politiques d’expansion budgétaire ont permis d’éviter que l’économie mondiale ne reste engluée dans les conséquences de la crise financière, qui menaçait de limiter durablement la capacité des agents à s’endetter pour investir et embaucher. 

Toutefois, le cas de figure inédit créé par l’épidémie de coronavirus instaure un contexte bien différent. En première analyse, on pourrait assimiler cette crise à une mise à l’arrêt temporaire, pouvant être suivie par une remise en marche assez rapide, d’autant que les pouvoirs publics ont multiplié les dispositifs pour limiter ses effets négatifs sur les entreprises et les ménages (comme le chômage partiel payé par l’Etat). L’OFCE a calculé que les finances publiques devraient absorber 60% des pertes de revenus dus aux deux mois (supposés) de confinement. En limitant les faillites, les licenciements et la diminution des revenus, l’Etat et les administrations publiques ont voulu prévenir le danger de conséquences durables sur l’activité et les capacités de production, créant ainsi les conditions d’un redémarrage rapide.

Non seulement, les pouvoirs publics ont, ce faisant, évité une dégradation de la situation financière des ménages, mais ouvert la voie, a priori, à un rebond de la consommation au sortir de la période de déconfinement. En effet, alors que leurs revenus ont été en grande partie préservés, les ménages ont consommé beaucoup moins qu’ils l’auraient souhaité durant ces deux mois, par la force des choses. Cette « épargne forcée » devrait normalement être utilisée une fois levées les restrictions de circulation et à l’ouverture des commerces et services. La consommation ne retrouverait pas seulement son niveau normal mais le dépasserait pendant un certain temps. 

Tout pourrait donc se passer comme si les Etats avaient déjà préparé un plan de relance en vue du déconfinement, en préservant les revenus des agents, en particulier des ménages. Il n’y aurait pas besoin d’une nouvelle stimulation de la consommation. L’OFCE a ainsi estimé que la récession française ne serait plus de 5% mais seulement de 2%, si toute cette épargne forcée était dépensée d’ici la fin de l’année. 

Par ailleurs, un nouvel effort budgétaire se traduirait par une détérioration supplémentaire des comptes publics, cette dégradation atteignant déjà des proportions vertigineuses. Cela mettrait en cause la capacité de remboursement à long terme des Etats et ferait peser à nouveau la menace d’une crise des dettes publiques, comme en 2011, en particulier dans le cas de pays déjà fragilisés comme l’Italie. A contrario, laisser la reprise se développer d’elle-même permettrait de réduire progressivement les déficits publics, grâce aux recettes générées par l’activité et la consommation. Un plan de relance ferait courir le risque de s’écarter de cette trajectoire favorable. 

Cependant, l’hypothèse d’une utilisation rapide de cette épargne forcée apparaît elle-même contestable, et sa non-réalisation fait planer un danger plus grave encore qu’un nouveau creusement des déficits. Il est, en effet, douteux que cette épargne se retrouve rapidement et intégralement dans les circuits économiques. Le déconfinement se fera de manière progressive, limitant certaines possibilités de consommation. Dans de nombreux domaines (services, tourisme, par exemple), on ne pourra pas rattraper et compenser, ou seulement partiellement, ce qui n’a pas été consommé pendant ces deux mois. Enfin, après un tel choc, dans un climat anxiogène, les ménages conserveront probablement une fraction importante d’épargne de précaution. Une partie d’entre eux, confrontés à de nombreuses difficultés et incertitudes, notamment ceux qui exercent leur activité en tant qu’indépendants, devront garder une marge de sécurité financière. 

Par ailleurs, le tableau apparaît plus sombre dans le cas des entreprises. Même de grandes sociétés se trouvent dans des situations précaires, et ce, sans doute pour plusieurs années – par exemple dans le secteur aérien et des transports en général. L’Etat va d’ailleurs parfois participer à leur recapitalisation, pour les aider à traverser une mauvaise passe relativement longue. N’oublions pas, en outre, que l’épidémie de coronavirus a provoqué non seulement un choc de demande mais aussi un choc d’offre, en désorganisant voire en interrompant des chaînes d’approvisionnement à l’échelle du monde. De nombreuses entreprises vont continuer à souffrir de difficultés à importer des composants et des matières nécessaires, voire à trouver les personnels compétents dont elles ont besoin. 

La situation est évidemment encore plus dramatique dans le cas de nombreuses PME. N’ayant pas la trésorerie nécessaire pour tenir plusieurs mois sans chiffres d’affaires, beaucoup vont faire faillite et/ou licencier une bonne partie de leurs salariés, malgré les aides publiques. Dans certains secteurs, comme l’hôtellerie-restauration, la reconduction des fermetures au-delà du 11 mai et éventuellement jusqu’à la période cruciale de l’été, risque d’être souvent fatale.

En tout état de cause, l’effondrement de l’investissement des entreprises ne sera pas suivie d’un rattrapage du temps perdu ni même d’une simple remise à niveau. Des perspectives et des capacités financières dégradées vont durablement limiter ces dépenses, alors qu’on sait que leur forte volatilité a une influence souvent prépondérante sur les fluctuations de la croissance. On pourrait ajouter que d’autres formes d’investissement au sens large, non indispensables à court terme, comme la recherche, la publicité, l’acquisition de logiciels, pourraient être sacrifiés, la priorité allant au rétablissement des comptes et à la survie des entreprises.

Au final, le risque d’une spirale récessive, provoquée par la baisse de l’investissement et le manque de dynamisme de la consommation, puis se nourrissant d’elle-même par l’intermédiaire de la diminution de l’activité, de l’emploi et des revenus, justifie d’engager la réflexion sur un plan de relance. Lui seul semble à même de remettre totalement en marche l’outil de production, une fois que celui-ci pourra à nouveau fonctionner normalement (et pas avant). Pour atteindre une efficacité maximale, il devra être concerté, la cohérence des politiques des grands pays de l’OCDE paraissant primordiale, et ciblé, car les besoins s’avèrent très différents d’un secteur à l’autre, d’une catégorie d’entreprises ou de ménages à l’autre. 

Martin Vasseur