Défiance politique & déclin relatif de nos partis traditionnels

Les partis politiques sont des institutions centrales de la vie politique. Ils peuvent se définir comme des organisations durables, implantées sur tout le territoire et ayant pour objectifs finaux la conquête et l’exercice du pouvoir grâce au soutien du peuple. Aujourd’hui, les partis semblent dans une situation paradoxale : alors que ces structures ont longtemps été jugées nécessaires pour désigner des candidats et offrir des choix clairs aux électeurs, de nombreux sondages montrent une méfiance grandissante des citoyens envers elles. Dès lors, les partis politiques seraient-ils devenus moins indispensables ? 

La moindre importance des partis politiques est d’abord liée au déclin des idéologies et des appartenances. La chute du Mur de Berlin en 1989 est venue mettre un terme au grand affrontement idéologique du 20e siècle opposant les sociétés capitalistes libérales de l’Ouest et le monde communiste de l’Est, qui a longtemps structuré la géopolitique mondiale mais aussi certains paysages politiques nationaux. Dans le même temps, les transformations de l’économie et de la société dans les Etats occidentaux, comme la hausse générale des niveaux de vie, le déclin relatif de l’industrie et les délocalisations, ont modifié et complexifié les frontières entre classes sociales, notamment en affaiblissant la classe ouvrière – et donc certaines affiliations partisanes qui, autrefois, allaient de soi. 

Plus généralement, de moins en moins de citoyens se reconnaissent dans le clivage droite/gauche traditionnel. Certains politiques brouillent même volontairement les pistes, en faisant de la « triangulation », ce qui consiste à prendre des idées de son adversaire voire à présenter, in fine, son idéologie comme « au-dessus » de la gauche et la droite.

La montée de l’individualisme et de l’hédonisme vient aussi mettre à mal la place des partis politiques dans la société. Les engagements des citoyens sont plus limités (parfois à des causes précises) et temporaires ; ils ne se retrouvent pas dans des organisations hiérarchisées auxquelles on adhérait pour toute leur vie comme autrefois, au service d’une véritable vision du monde. 

En conséquence, les effectifs des partis ont beaucoup diminué et le jeu politique semble devenu, pour beaucoup, une affaire qui ne les concerne pas, réservée à des professionnels qui cherchent avant tout à faire carrière (voire à s’enrichir plus ou moins honnêtement). Les sondages témoignent de ce rejet des partis : selon le 10e baromètre annuel de la confiance du Centre d’étude de la vie politique (Cevipof), seuls 9% des Français déclaraient avoir confiance dans les partis en décembre 2018. 

De nombreux partis traditionnels européens sont entrés en crise. En atteste l’effondrement, en Italie, du Parti Communiste, du Parti Socialiste et de la Démocratie Chrétienne, au profit, plus récemment, de l’émergence de partis « populistes » de gauche comme de droite qui ont accédé ensemble au pouvoir (Ligue et Mouvement 3 Etoiles), sans compter les périodes de gouvernements « techniciens » et « trans-partisans », dirigés par des experts apolitiques, tels M. Monti ou, actuellement, M. Draghi.

La victoire d’Emmanuel Macron aux élections présidentielles de 2017 illustre aussi ce point : pour la première fois, un tout nouveau parti (La République en Marche), ne se revendiquant ni de gauche, ni de droite, ayant pour unique but de soutenir un candidat aux présidentielles, a remporté la majorité absolue aux élections législatives qui ont suivi. Dans le prolongement de ce constat, et à l’exemple d’E. Macron en 2017 stigmatisant les partis, figures du « monde d’avant », certains candidats aux élections de 2022 ont quitté leur parti en espérant gagner ainsi en visibilité et en popularité.

Les médias comme la télévision mais aussi maintenant, les réseaux sociaux, favorisent la personnalisation de la politique, comme le font dans certains cas les institutions, à l’image de la Vème République en France, depuis l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel. De même, aux Etats-Unis, le système présidentiel a empêché l’émergence de partis puissants. 

Il arrive également que de nouvelles thématiques et de nouveaux courants de pensée créent des divisions au sein des camps, voire des partis, traditionnels. Ainsi, le souverainisme et la construction européenne ont divisé europhiles et eurosceptiques à l’intérieur de la droite (le RPR à l’époque du referendum sur le traité de Maastricht) et de la gauche (LFI/parti socialiste). L’écologie suscite de nouvelles oppositions, par exemple à gauche entre ceux qui défendent la décroissance et ceux qui restent attachés à la défense du pouvoir d’achat. 

Des élus ont conduit des politiques parfois en désaccord avec leur parti d’origine. Donald Trump, au cours des primaires qu’il a remportées, puis après son élection à la tête des Etats-Unis en décembre 2016, a imposé son style et ses idées, parfois très éloignés du conservatisme traditionnel, aux Républicains américains. Au Royaume-Uni, Boris Johnson a gagné les législatives après de fortes tensions au sein de son propre parti, en promettant de mettre en place le Brexit et d’augmenter les investissements dans les régions défavorisées, traditionnellement favorables au Labour Party. Même en Allemagne, où les partis sont restés incontournables, notamment du fait de la représentation proportionnelle (les partis désignent les candidats), la chancelière Angela Merkel, s’appuyant sur sa popularité, s’est plusieurs fois écartée des positions habituelles de son parti (sur la sortie du nucléaire et sur l’accueil des réfugiés syriens, par exemple). 

Pour autant, le jeu politique continue largement à s’organiser autour des partis. Si nombre d’entre eux sont en crise, l’organisation des acteurs du jeu politique sous la forme de partis reste souvent indispensable, notamment pour viser les différents lieux de pouvoir (Parlement, collectivités locales, tête de l’Etat). Les nouveaux courants deviennent des partis (écologistes, populistes) ou investissent d’anciennes structures partisanes, comme le « trumpisme » s’emparant du parti républicain, pour concourir aux élections, s’implanter et durer. Notons les difficultés de La République en Marche et du « macronisme » sans Macron à convaincre les électeurs aux élections locales, faute d’un parti solide.

Des facteurs anciens, comme les systèmes électoraux, en particulier le scrutin uninominal à un tour, peuvent contribuer à la préservation du rôle des partis, comme aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, en particulier dans la désignation des candidats.

Certains partis ont su se renouveler pour s’adapter aux évolutions sociales : plus grande facilité d’adhésion et émergence de partis « en ligne » (le parti 3 Etoiles italien et La France Insoumise). Les relations y sont en principe plus horizontales et les militants y jouent un rôle plus actif, notamment à l’occasion de l’organisation de primaires quand elles sont « fermées » (réservées aux adhérents) pour désigner des candidats qui peuvent renforcer leur légitimité face à des candidats « hors parti ».

Les recompositions de la société et du monde du travail ont mis à mal les anciens systèmes de parti, comme celui de la « quadrille bipolaire » en France avec le Parti Communiste et le Parti Socialiste, à gauche, les libéraux et les gaullistes, à droite. Cependant, les partis actuels ne sont pas dénués d’assises sociologiques, en dépit de l’individualisation des modes de vie. Toujours en France, le Rassemblement National regroupe une partie importante des classes populaires, tandis que LREM vise les classes moyennes supérieures, la gauche rassemble plutôt les jeunes diplômés et les fonctionnaires tandis que la droite a la plus grande partie de ses soutiens chez les retraités et les classes possédantes. Ce socle électoral leur confère une certaine stabilité. Certains nouveaux partis (souverainistes, populistes, de gauche radicale et écologistes) semblent ainsi destinés à durer.

Les repères idéologiques ont changé plus que disparu. Ils s’organisent autour de valeurs et d’idées qui définissent de nouveaux clivages forts et structurants, probablement durables, mobilisant des militants parfois très engagés. Ces combats idéologiques s’articulent de nos jours davantage autour de la préservation de l’environnement, du féminisme, des identités, de l’insécurité ou de l’immigration…

Il arrive que des mouvements sociaux nés en-dehors des partis se transforment en partis, ou que leurs acteurs s’engagent dans des partis qu’ils contribuent à transformer et à mettre au service de nouveaux combats. Ainsi, les partis de gauche mettent aujourd’hui moins en avant les classes populaires et la défense du pouvoir d’achat au profit de thématiques nouvelles comme le féminisme et l’antiracisme.

En définitive, si les partis politiques traversent une phase de crise, il s’avère aussi que leur rôle reste consubstantiel d’un cadre politique démocratique, mais cela rend d’autant plus nécessaire leur renouvellement. 

La discrimination positive réduit-elle correctement les inégalités ?

Après la mort de George Floyd, un homme noir tué par deux policiers blancs lors de son interpellation le 25 mai 2020, l’ampleur du mouvement antiraciste Black Lives Matter a en grande partie convaincu la Banque d’Amérique d’investir un milliard de dollars pour « combattre les inégalités économiques et raciales ».  Cet événement ranime le débat qui fracture les Etats-Unis depuis plusieurs années : celui de la discrimination positive. Cette politique très controversée consiste à favoriser certains groupes de personnes jugées victimes de discriminations systématiques, en vue de rétablir l’égalité des chances. La discrimination positive entend surtout lutter contre les inégalités raciales, fortement ancrées dans la société américaine depuis des siècles. Si son application permettrait d’améliorer les perspectives socio-professionnelles des minorités, elle créerait cependant des contradictions devant la loi, de même qu’un sentiment d’injustice chez les groupes n’en profitant pas. Dès lors, nous pouvons questionner la légitimité de la discrimination positive aux Etats-Unis.

Tout d’abord, l’égalité des droits reste souvent théorique et recouvre des inégalités dans les faits. Certes, la discrimination basée sur la race, la couleur de peau, le sexe, la religion, les origines, la grossesse ou encore l’orientation sexuelle est légalement interdite aux Etats-Unis. Néanmoins, les comportements discriminatoires ont loin d’avoir disparu dans la pratique. Les inégalités économiques, culturelles et sociales pénalisent ainsi des groupes bien identifiés, tout en revêtant un caractère durable et systémique.

Aux Etats-Unis, les populations noires font partie des plus touchées par les inégalités : elles seraient en effet victimes de discriminations à cause du racisme parfois inconscient qui habite certaines instances et personnes américaines. Les noirs sont victimes de discrimination lorsqu’ils sont intentionnellement – ou non – traités différemment des autres : par exemple, si les lois anti-ségrégation interdisent de leur fermer l’accès à certains commerces, ils peuvent être en pratique traités moins bien que les autres clients. Différentes méthodes, comme le « testing », mettent en évidence le fait que certaines inégalités sont dues à des jugements négatifs, c’est-à-dire à du racisme, contre lesquels la lutte s’avère longue et ardue. Le testing est une expérimentation sociale qui permet de déceler de potentiels comportements discriminatoires. Cette méthode consiste à comparer l’attitude d’un individu à l’égard de deux types de personnes de même profil, mais avec une variable précise différente (la race, si l’on veut étudier les discriminations fondées sur elle). Le testing a notamment permis déceler les discriminations à l’embauche.

Ce racisme ancré dans la société américaine trouverait son origine dans la pratique de l’esclavage jusqu’à la seconde moitié du XIXème siècle (banni depuis par le 18e amendement), un système dans lequel le blanc dominait et exploitait le noir, qu’il considérait comme inférieur et parfois plus proche de l’animal que de l’homme. Plus tard, le principe égalitaire de la république américaine n’a pas fait disparaître la notion de race aux Etats-Unis, au sein d’une structure très hiérarchisée : ce critère définissait le degré de respect mérité. C’est pourquoi certains noirs tentaient de se faire passer pour des blancs (phénomène de « passing ») pour jouir de leurs privilèges.

De nos jours, la discrimination positive est censée compenser les préjudices subis par le passé et de restaurer un statu-quo entre les races, en redistribuant les ressources, en fonction de ce que les individus auraient pu acquérir sans ces entraves. Il pourrait donc sembler logique que les noirs reçoivent des aides de l’Etat proportionnelles à leurs désavantages et, d’une certaine manière, à l’ampleur de leurs souffrances pendant les années d’esclavage. Les blancs seraient les débiteurs et les noirs, les créditeurs, en quelque sorte.

En parallèle, d’après la théorie utilitariste développée par les philosophes et économistes britanniques du 19e siècle Bentham et Stuart Mill, le rôle principal de l’Etat consiste à maximiser le bien-être de ses citoyens tout en diminuant leur souffrance le plus possible. Pour les utilitaristes également, tous les individus sont égaux. En ce sens, réduire les inégalités peut contribuer à maximiser l’utilité, en permettant à tout le monde de vivre décemment et de pouvoir évoluer dans la société sans rencontrer d’obstacles dont ils ne sont pas responsables. Par exemple, il serait plus utile de donner 1 000 euros à un ménage modeste, qui pourrait les dépenser pour se procurer des biens dont il a vraiment besoin (comme des biens de première nécessité), qu’à une famille déjà fortunée. De plus, les inégalités sont souvent perçues comme néfastes pour la société, car elles génèrent du mécontentement, de la défiance et de la jalousie chez les classes populaires vis-à-vis des élites. Réduire les inégalités raciales atténuerait donc cette colère et stabiliserait la situation sociale du pays.

La lutte contre les inégalités est ainsi une préoccupation centrale aux Etats-Unis, de même que dans la plupart des pays développées occidentaux. En ce sens, la distribution des différentes ressources (matérielles, culturelles, symboliques, institutionnelles…) est régulée par l’Etat, la seule instance légitimement habilitée à intervenir pour lutter contre les discriminations. Par exemple, dans le domaine de l’emploi, la discrimination positive devrait permettre de faire respecter « le principe de la juste égalité des chances » selon lequel les individus avec les mêmes talents et aptitudes devraient tous avoir accès aux mêmes récompenses professionnelles. L’Etat s’assure qu’aucune catégorie de la population ne soit discriminée à cause de ses caractères innés et inaliénables : sans ce principe, les choix des employeurs affecteraient négativement les minorités en interagissant moins avec elles, ce qui les ferait moins travailler et les priverait d’opportunités pour le reste de leur vie.

La discrimination positive, c’est-à-dire l’octroi de places et droits spécifiques, permet donc de remédier à ces inégalités de fait, que les lois contre la ségrégation se sont révélées impuissantes à faire reculer suffisamment. Elle permet également de remettre en cause certaines représentations, en promouvant des élites issues des minorités. Avec la mise en place de quotas dans les universités, les minorités ont la chance de pouvoir étudier, cela contribuant à réduire les inégalités. Si davantage de noirs occupent des postes élevés, comme docteur ou avocat, cela peut modifier les représentations et la conscience raciale américaine, facilitant l’accès des noirs à des emplois et des fonctions politiques. Ce changement dans les mentalités pourrait à terme faire disparaître les préjugés et la nécessité des mesures de discrimination positive, une fois atteints les objectifs qu’elle poursuivait : l’égalité réelle des chances.

Néanmoins, la discrimination positive reste largement contestée, soit par question de principe, soit à cause des effets pervers que sa mise en place peut engendrer et qui ont parfois suscité de fortes oppositions. Par referendum, les habitants de Californie ont par exemple voté à 57% en 2020 contre le retour de la discrimination positive dans leur Etat – plus précisément contre la proposition de revenir sur l’interdiction d’une discrimination positive basée sur la race, qui avait été établie en 1996 (une telle interdiction existant dans 9 autres Etats). Ce scrutin illustre bien le rejet d’une bonne partie des Américains de ce genre de politique ; mais quelles en sont les raisons ?

De nombreuses inégalités imputées à certaines apparences, comme l’origine, la couleur de peau ou la religion, peuvent en réalité s’expliquer par d’autres facteurs. En ce cas, les injustices peuvent être partialement corrigées par la discrimination positive, mais cela en créera d’autres. Ainsi, les blancs « pauvres » se sentent désavantagés par rapport aux noirs, alors que les difficultés des populations noires sont en grande partie dus à leur statut social et leur lieu d’habitation, au même titre que ces blancs. Des individus aux positions économiques et sociales similaires au sein de la société ne bénéficient donc pas tous d’une aide systématique de la part de l’Etat, selon qu’ils soient noirs ou blancs, ce qui crée des inégalités raciales inversées. 

Les préjugés et des différences de perception en fonction de l’origine ethnique devraient sans doute être identifiés précisément et combattus en tant que tels, dans le souci de garantir une égalité de traitement à tous. Cependant, répartir des places pour les emplois selon le critère d’origine ethnique renforce en réalité les divisions entre les races, au lieu d’effacer cette grille de lecture et d’arriver à une société égalitaire. L’objectif serait d’arriver à terme à une « société déracisée » dans laquelle la race ne jouerait plus aucun rôle dans l’allocation des ressources et des récompenses.

Comment déterminer qui a le droit de bénéficier de la discrimination positive et dans quelle mesure ? Certains individus, exclus de ces aides, revendiquent leur appartenance à une minorité qui aurait été discriminée par le passé, comme les asiatiques ou les Juifs. Au contraire, les individus aujourd’hui éligibles à ces aides ne sont pas toujours des victimes. De plus, toutes les anciennes victimes n’ont pas souffert à un degré similaire.

Certaines minorités réussissent mieux que d’autres. Ainsi, aux Etats-Unis, le revenu médian des asiatiques est devenu supérieur à celui des blancs ; le revenu des femmes asiatiques s’avère même plus élevé que celui des hommes blancs. Ce constat met à mal l’idée de « privilège blanc » et indique que l’origine ou la race ne constituent pas nécessairement les principales causes des inégalités. Elles pourraient aussi être expliquées culturellement : beaucoup d’asiatiques réussissent professionnellement car leur famille les aurait éduqués en leur transmettant les valeurs du travail et de la discipline nécessaires pour s’assimiler, faire de longues études et décrocher des diplômes. Les cas de mères célibataires sont beaucoup plus fréquents chez les Noirs, par exemple, ce qui ne facilite pas la réussite scolaire des enfants.

Faut-il dès lors pénaliser les asiatiques pour leur réussite ? Une partie de leur communauté implantée aux Etats-Unis s’indigne et s’élève contre l’injustice, selon eux, des règles de discrimination positive. En conséquence, les procès se multiplient contre les universités qui la pratiquent, et certains représentants de la communauté asiatique viennent de saisir la Cour suprême pour qu’elle examine ce type de dispositions au regard du 14ème amendement de la Constitution qui garantit l’égalité des citoyens devant la loi.  

La discrimination positive peut parfois être justifiée en théorie ; mais pour autant, est-elle aussi justifiée en pratique, lorsqu’elle génère des effets pervers, comme dans le cas des rentes de situation ? De même, est-ce moralement louable de porter atteinte à l’efficacité et au mérite ? Les professions nécessitent des aptitudes et des qualifications propres pour être correctement exercées. Dès lors, il semble très dangereux d’instaurer des quotas et de décerner des diplômes de chirurgien ou juge, des métiers impliquant de grandes responsabilités, sur la base essentielle des attributs physiques des individus. Instaurer des quotas raciaux dans les universités, les entreprises et l’administration fera également diminuer le niveau de qualification général des individus, puisque la compétence ne demeurera plus le premier critère de sélection. A terme, cela pourrait avoir un impact négatif sur l’état du pays et de l’économie, qui deviendraient moins efficace et productif. Ce système ne semble pas non plus très juste pour les individus jugés « privilégiés » mais qui ne se font pas recruter au profit de personnes issues de minorités et, dans certains cas, moins qualifiées.

La discrimination positive pose également un problème d’un point de vue moral. Sa mise en place implique en effet d’avoir une vision binaire, voire manichéenne de la société américaine. D’un côté, il y aurait les minorités opprimées, comme les noirs, victimes de leur passé et qu’il faut absolument aider et protéger, tandis que de l’autre, se trouveraient les populations blanches, majoritaires, coupables et qu’il faudrait presque punir en conséquence (on en arrive à des séances d’auto-critique). La dimension morale indissociable de la politique de discrimination positive tente de distinguer ce qui est bien de ce qui est mal, or ces concepts sont souvent subjectifs. De plus, les groupes raciaux ne forment pas des unités sujettes à des jugements moraux et à des responsabilités. Pourquoi un individu devrait-il payer aujourd’hui le tribut lié aux méfaits que l’on impute à son ancêtre ?

Il conviendrait donc peut-être de s’attaquer plutôt aux causes réelles de ces inégalités, comme l’état déplorable du système éducatif et les grandes disparités selon les quartiers et les territoires aux Etats-Unis, ou l’insuffisance des politiques familiales. Plutôt que d’attendre que les inégalités se reproduisent et de prendre des mesures compensatoires en conséquence, il pourrait être judicieux d’agir en amont afin de les prévenir. En France par exemple, les ZEP (Zones d’Education Prioritaire) sont des territoires économiquement et socialement défavorisés dans lesquels l’Etat investit afin de lutter contre l’échec scolaire. A cet égard, se focaliser sur la couleur de la peau pourrait apparaître comme une solution simpliste et inadaptée. Introduire des quotas de noirs pour compenser leur faible nombre rétablirait une égalité apparente dans certains secteurs, comme dans les universités, les médias ou la politique, sans remédier pour autant aux difficultés de la majorité des noirs. De fait, la discrimination positive est pratiquée depuis une cinquantaine d’années et n’a abouti malheureusement qu’à des résultats limités.

La discrimination positive doit profiter aux populations jugées « défavorisées » par leur héritage historique et culturel et par la perception négative à leur égard chez les Américains « favorisés ». Si cet objectif peut paraître justifié, il n’en reste pas moins qu’en voulant supprimer des inégalités, la discrimination positive risque d’en créer de nouvelles. Il convient donc de l’appliquer avec circonspection, dans des cas où l’identité constitue en elle-même un facteur d’injustice évident, et de privilégier d’autres méthodes, comme la détection et la répression des pratiques discriminatoires ou encore la mise en place de CV anonymisés basés sur des critères de sélection les plus objectifs possibles, afin de ne pas induire de biais raciaux dans les choix des recruteurs, par exemple.

Evolution de la calligraphie occidentale au Moyen-Age

L’art calligraphique existe depuis que les hommes pratiquent l’écriture. D’abord un moyen de garder une trace des transactions commerciales de la vie courante, l’écriture s’est ensuite élargie à de nombreux autres usages, notamment dans les plus hautes sphères des sociétés (parmi les élites dirigeantes et les ordres religieux) dans les premiers temps. Etymologiquement, le mot calligraphie vient du grec kalos, signifiant « beau » ; il peut donc être défini comme « l’art de la belle écriture ». A l’instar de l’écriture, dont elle tire ses origines, la calligraphie est universelle, mais diffère selon les cultures. Si la calligraphie persane, ou « orientale », se base sur l’alphabet arabe, la calligraphie occidentale, elle, repose sur l’embellissement des caractères latins. Encore de nos jours, l’art calligraphique occidental est omniprésent dans nos sociétés : chaque marque, chaque produit, en cherchant à se distinguer de ses concurrents, adopte son propre son style calligraphique pour attirer l’œil du consommateur et s’assurer d’être facilement reconnaissable par tous – même par ceux qui ne parlent pas forcément la langue ou n’utilisent pas le même alphabet.

Les premières traces de calligraphie occidentale remontent à l’époque romaine, à la fin du VIIe siècle avant J.-C, à une période où les Romains s’inspiraient de l’écriture des Grecs et l’adaptaient à la phonétique latine. Plusieurs écritures calligraphiques romaines en sont ainsi issues, comme la Capitale Romaine, la Quadrata, la Rustica et la Cursive. L’écriture romaine est par conséquent à l’origine de toutes les calligraphies latines.
La calligraphie occidentale s’est ensuite essentiellement développée grâce aux moines chrétiens durant le Moyen-Age. A une époque où l’imprimerie n’existait pas encore, la seule solution pour diffuser le savoir biblique et les textes religieux consistait à recopier les ouvrages, un à un, page après page : ce sont ce qu’on appelle les manuscrits (du latin manus, « les mains » et scribere, « écrire »).

Cette tâche occupait une grande partie du temps des moines copistes. Le film « Le nom de la Rose » réalisé par Jean-Jacques Annaud et sorti sur grand écran en 1986, est un drame médiéval mettant en scène le travail manuscrit réalisé par les moines copistes dans une abbaye bénédictine du nord de l’Italie, sous fond de morts mystérieuses et inexpliquées. Plusieurs scènes du film exposent le scriptorium, la salle dédiée à la copie des manuscrits, et les bibliothèques. Dans cette salle, plusieurs moines s’attèlent à la charge de recopier les manuscrits, installés à leurs bureaux, munis de leur plume, de leur parchemin vierge et de leur encrier, le tout dans un silence pour ainsi dire religieux.
Recopier un texte en un nombre donné d’exemplaires ne suffit néanmoins pas pour parler de « calligraphie ». Les manuscrits médiévaux se distinguent en effet également par la diversité, la créativité des caractères et par les formes artistiques que prennent certains d’entre eux. En ce sens, les enluminures étaient essentielles pour décorer les manuscrits et leur apporter une touche moins « austère ».
De nos jours, le terme d’enluminure renvoie essentiellement à l’ensemble des éléments décoratifs et des représentations imagées exécutés dans un manuscrit pour l’embellir. Au XIIIe siècle, l’enluminure est aussi très associée à l’usage de la dorure. L’enluminure de l’époque était donc une illustration ou une lettre imagée dessinée sur un fond doré – la lettrine – le tout servant à embellir les manuscrits. Par exemple, certaines enluminures, parfois presque comiques, pouvaient consister en différents personnages, animaux ou plantes, enchevêtrés les uns les autres de manière à former des lettres.

Les enluminures ornaient principalement les premières lettres de certaines phrases (on ne verrait jamais, par exemple, une lettre enluminée au beau milieu de l’une d’entre elles). Elles servaient essentiellement à mettre en valeur les lettres majuscules en début de chapitre ou de paragraphe, à les rendre plus importantes et plus esthétiques aux yeux des lecteurs, notamment afin de les aider à mieux saisir la structure du texte.
Il existe différents types d’enluminures, en fonction de leur plus ou moins grande insertion dans le texte lui-même. Certaines enluminures se détachent totalement du texte, lorsqu’il s’agit par exemple d’une illustration en bas de page. D’autres, au contraire, sont des lettres majuscules ornées de motifs, de dessins et de dorures.

Miniature du Roman de Mélusine par les Maîtres de Guillebert de Mets, 1410
Homéliaire dit de Saint-Barthélémy (vers 1250-1300), détail d’une lettrine D comportant un autoportrait de l’enlumineuse, Guda.

Parmi les différents types d’enluminures que l’on retrouve au Moyen-Age, nous pouvons recenser les scènes figurées, les compositions décoratives, les lettrines et enfin les signes divers (qui ne peuvent pas être considérés comme des enluminures à proprement parler mais qui possèdent tout de même pour certains une valeur esthétique). Toutes ces enluminures n’étaient pas réalisées par les moines copistes, mais par d’autres moines appelés les « pictor ».
La copie des manuscrits permettait également, selon les moines chrétiens, de purifier leur âme : bien plus qu’un simple travail de répétition, cette activité très chronophage constituait pour eux une forme de prière, entre une ascèse et une louange. Cette pratique religieuse censée élever l’âme nécessitait également une extrême concentration de la part des moines copistes, ainsi qu’une très grande précision des gestes, la moindre erreur pouvant être fatale et gâcher un travail de longue haleine. La copie de manuscrits exigeait donc des moines une hygiène de vie exemplaire et surtout une très grande patience, ce que leur apprenait leur vie quotidienne en marge de la société consacrée à honorer le Seigneur. Somptueusement reliés, ces livres coûtaient si cher qu’ils restaient l’apanage de collectionneurs fortunés, clercs ou laïcs.

La calligraphie monastique a également suivi les tendances cursives traversant au fil du Moyen-Age les sociétés européennes. Ainsi, en l’an de grâce 780, la minuscule caroline voit le jour dans l’école palatine tenue par Alcuin, sous l’impulsion de Charlemagne. Ce nouveau style d’écriture se diffuse ensuite depuis l’abbaye Saint-Martin de Tours, avant de se répandre dans tout l’Empire par l’intermédiaire des codices (l’ancêtre du livre moderne), les capitulaires et divers textes religieux. La minuscule caroline se caractérise par les formes rondes et régulières de ses caractères, son homogénéité et son effort de lisibilité. Pour la première fois, un espace sépare les mots parcequavantfranchementoncomprenaitrien, et il devient enfin possible de différencier le V du U ! La caroline s’inspire de l’écriture onciale et semi-onciale, tout en incluant des éléments de l’écriture insulaire utilisée en Grande-Bretagne et en Irlande, et se diffuse en Europe à partir du IXe siècle.
Ses particularités la rendent plus aisée à lire que sa prédécesseur, la minuscule mérovingienne, que le paléographe Bernard Bischoff qualifie de semi-cursive en raison de son écriture ferme et régulière. Issue des écritures romaines et utilisée en France sous la dynastie des mérovingiens, elle se distinguait par sa cursive étroite, verticale et resserrée, ses nombreuses ligatures, ses mots peu voire pas espacés et son latin parfois incorrect, conduisant trop suivant à des contresens. En raison de la disparition des institutions romaines en Gaule, l’écriture mérovingienne se scinda en de nombreuses variantes qui évoluèrent de manière inégale dans le royaume franc aux VIIe et VIIIe siècles. Ceci motiva Charlemagne à lancer ses grandes réformes de l’écriture pour tenter d’uniformiser les écritures régionales en Europe (tout en la rendant plus lisible), ce qui amena à la création et la diffusion de la minuscule caroline.
Enfin, à partir du XIe siècle se développe l’écriture gothique depuis les scriptoriums des abbayes du Nord de la France, de la Flandre et de l’Angleterre, avant de gagner fortement en popularité en Allemagne le siècle suivant. L’écriture gothique est une déformation de la minuscule caroline : les caractères arrondis laissent place à des lettres anguleuses aux arrondis brisés, qui ne sont pas sans rappeler les arcs brisés des cathédrales de l’époque. Il est possible, selon le médecin et homme politique français Emile Javal, que cette évolution graphique résulte de l’introduction et de la généralisation de la plume d’oie dans les scriptoriums, dont la pointe carrée formait naturellement ces lettres anguleuses.

Écriture mérovingienne dans le Lectionnaire de Luxeuil. Paris, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, Latin 9427, Folio 144 (Date : vers 700)
Une page du manuscrit de Freising, un des premiers parchemins en langue slave écrit en minuscules carolines
Psautier du XIVe siècle (Vulgate Ps 93:16-21), exemple-type de textus prescissus dérivé de la textura

L’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1450 à Mayence marque la fin d’une époque et le début d’une nouvelle. La calligraphie manuscrite occidentale cesse brutalement au profit de la presse, bien plus rapide et moins coûteuse à produire. Toutefois, jusqu’à la fin du XIXe siècle, tous les actes publics et privés, les édits royaux et les traités continuent de s’écrire à la main : chaque souverain se charge de trouver un maître écrivain expert en calligraphie pour rédiger ces dossiers, notamment parce qu’une belle calligraphie reflèterait le prestige, au même titre que d’autres arts. L’émergence de l’informatique et du traitement de texte semble signer l’arrêt de mort de la calligraphie, et son enseignement disparaît peu à peu des écoles au milieu du XXe siècle. L’héritage de la calligraphie occidentale largement développée au Moyen-Age reste néanmoins encore visible dans notre société contemporaine. La typographie et les polices d’écriture informatiques en sont en effet directement issues, or toutes les publicités, les étiquettes et les marques les utilisent pour promouvoir leurs produits (par exemple, la police d’écriture du quotidien Le Monde s’inspire de l’écriture gothique). Enfin, le monde des arts s’approprie progressivement la calligraphie, par exemple avec l’émergence ces dernières décennies des graffitis dans l’espace public. Quels que soient l’époque, l’aire géographique ou le domaine étudié, la calligraphie a donc toujours eu pour but de mettre en valeur le message de fond par la recherche de nouvelles techniques d’écriture esthétiques.


Devrions-nous juger les espèces sur leurs origines ?

Aujourd’hui, l’introduction d’espèces animales et végétales dans de nouveaux milieux soulève de nombreux débats. Si cette question peut sembler au premier abord purement scientifique, biologistes et écologistes sont pourtant loin d’être les seuls acteurs à s’y intéresser. De nombreux avis, analyses et témoignages contemporains nous éclairent en effet sur les différents enjeux de la question et sur le lien existant entre les décisions scientifiques et la société. Les origines des espèces ainsi que le potentiel effet négatif de l’introduction de l’une d’elles sur un territoire nouveau rappellent inévitablement des thématiques sociétales, plus ou moins anciennes, liées aux flux de populations, comme la colonisation ou, aujourd’hui, l’immigration. L’idéologie voire la politique s’immiscent donc dans la sphère scientifique et embrasent les passions.  D’un côté, les défenseurs du « laissez-faire » de la nature soutiennent le déplacement et mélange des espèces comme le fonctionnement naturel des écosystèmes, l’introduction de nouvelles espèces, souvent opérée sans action humaine, n’entraînant que rarement la disparition d’une autre. De l’autre, certains biologistes et écologistes dénoncent les dégâts provoqués par les espèces non-indigènes sur leurs nouveaux écosystèmes, entraînant parfois un appauvrissement de la biodiversité. Dès lors, les origines des espèces jouent-elles un rôle prépondérant sur leur habitat ? Est-ce un critère pertinent pour établir une distinction entre elles ? J’exposerai dans cet article les différents arguments utilisés par les deux camps, tant pour supporter leur point de vue que pour décrédibiliser leurs adversaires, notamment en remettant en cause leur expertise ou en les affublant de l’étiquette d’idéologues partisans. 

Les débats autour de la question de l’introduction d’espèces étrangères se portent notamment sur les conséquences quantitatives de cette action sur les écosystèmes. En effet, de nombreuses études menées n’aboutissent pas aux mêmes résultats – les auteurs étayant sans doute leurs opinions par les données qui leur conviennent le mieux – ce qui fait régner un climat d’incertitude sur la question. Dans son article « Don’t judge species on their origins » publié en 2011 dans la revue Nature, le collectif Davis et al. avance ainsi que, même si l’introduction de nouvelles espèces par les hommes a pu entraîner parfois des extinctions et des problèmes écologiques et sanitaires divers – comme le paludisme aviaire à Hawaï après l’introduction d’oiseaux européens sur l’île par des colons au début du XXe siècle – « de nombreuses affirmations alimentant la perception des gens selon lesquelles les espèces introduites constituent une menace apocalyptique pour la biodiversité ne sont pas étayées par des données ». Sur cette base, les auteurs contredisent les résultats de l’enquête de 1998 concluant que les espèces invasives constituent la 2e plus forte menace pour les espèces natives (derrière la destruction de leur habitat) et appuient leur point de vue en évoquant d’autres études, plus récentes, suggérant que la plupart des espèces ne sont en réalité généralement pas menacées par l’introduction de nouvelles sur leur territoire. Mieux encore, davantage d’espèces pourraient évoluer et s’adapter dans le milieu naturel concerné grâce à ce mélange. Néanmoins, les auteurs ne délivrent guère de précisions sur ces preuves scientifiques dans ce document.

En réponse à cet article, le collectif Simberlay et al. dénonce son manque de rigueur scientifique et reproche à leurs auteurs de « minimiser l’impact grave des espèces non indigènes qui peuvent ne pas se manifester avant plusieurs décennies – comme cela s’est produit avec le poivrier brésilien en Floride ». Les auteurs ne se montrent toutefois pas réticents à l’introduction sur de nouveaux territoires de certaines espèces animales et végétales, mais seulement de celles considérées comme dangereuses pour les autres espèces, les écosystèmes et les habitats par la Convention sur la Diversité Biologique. Russell JC, quant à lui, dénonce « la montée du déni des espèces envahissantes » dans son article du même nom. Selon l’auteur, un consensus scientifique autour de l’impact globalement négatif des espèces envahissantes existerait bel et bien, mais celui-ci serait de plus en plus mis à l’épreuve par des sceptiques et des adeptes du « déni de la science ». En effet, « des articles d’opinion de revues scientifiques et des livres écrits par des écologistes ont également tenté de recadrer, de minimiser ou même de nier le rôle des EEE (Espèces Exotiques Envahissantes) dans le changement global ». Les faits scientifiques, autrefois considérés comme indiscutables, sont désormais rejetés par les opposants du conservatisme biologique qui tenteraient « de fabriquer de l’incertitude dans le consensus scientifique sur un sujet par ailleurs incontesté […] exploitant le fait que toute connaissance scientifique contient un élément d’incertitude ». Notamment, la création de contenus voulant passer pour scientifique aux conclusions contraires au consensus jusqu’alors établi serait souvent le fait de lobbys, chargés de défendre les intérêts économiques, sanitaires ou environnementaux d’un groupe en particulier (par exemple, le lobby du tabac voulant limiter la généralisation de lois ou de taxes contre la cigarette). 

Afin de décrédibiliser les thèses de leurs adversaires, chaque parti tente de rendre compte au grand public de la partialité et de la politisation de ceux-ci, tout en se présentant eux-mêmes comme le plus neutre et objectif possible, conformément à ce que l’on pourrait attendre d’un vrai scientifique, intéressé davantage par les faits que par leurs interprétations. Ainsi, les opposants à la régulation des espèces condamnent les discours de leurs adversaires qui seraient, selon eux, davantage militants que rationnels. L’écologiste français Jacques Tassin illustre ce point lorsqu’il écrit que le public assistant à ses conférences s’outrage régulièrement que l’on ne puisse ni empêcher la progression des espèces invasives, ni corriger les erreurs commises, et ajoute que nombre d’entre eux entretiennent « la croyance que chaque espèce envahissante introduite quelque part prend nécessairement la place d’une autre espèce ». Cette peur du remplacement justifierait donc le discours anti espèces invasives de certains, comme le développent Mastnak T, Elyachar J et Boellstorff T. dans leur article « Botanical Decolonization: Rethinking Native Plants » : « Beaucoup de débats contemporains autour des espèces indigènes déforment les problèmes qui se posent. Ces fausses déclarations sont particulièrement importantes lorsque la défense des plantes indigènes est placée dans le même horizon conceptuel que le sentiment anti-immigration ». Loin de proposer un point de vue objectif, les opposants aux espèces invasives se trouvent comparés à des nativistes réactionnaires transposant leur vision de la société humaine à la nature, ce qui ne devrait logiquement pas être. Par conséquent, les auteurs expliquent que les décisions prises par les « biologistes de l’invasion » et les « écologistes de la restauration » seraient arbitraires et influencées par leur orientation politique, ceci constituant la preuve irréfutable que l’écologie, comme toutes les sciences, serait « structurée par les valeurs, la politique et le pouvoir ». Se basant sur le phénomène de colonialisme, certains auteurs dressent un parallèle entre les plantes et les immigrés : par exemple, par le passé, le fait que les Amérindiens ne furent pas supposés avoir domestiqué et transformé leurs écosystèmes aurait pu justifier la dépossession de leurs terres et leur extermination par les colons pour s’approprier le tant convoité Far West. A rebours de cette vision dépréciative, certains auteurs mettent de nombreux problèmes écologiques actuels sur le compte du colonialisme, dans une vision, finalement elle-aussi, nativiste de la nature – même si, politiquement, les opposants à l’immigration et les contempteurs du colonialisme appartiennent le plus souvent à des bords opposés.

De leur côté, les biologistes conservateurs fustigent ces parallèles et ces condamnations. Par ailleurs, ils dénoncent les accusations idéologiques de leurs détracteurs, qui, eux aussi, dressent un parallèle entre la science de la nature et la société et sont nécessairement prisonniers d’une subjectivité qu’ils voient partout à l’œuvre. Selon Russell JC, « le désaccord sur les impacts des EEE peut découler à la fois de l’interprétation des preuves et de valeurs motivantes sous-jacentes ». Parmi ces valeurs motivantes, certaines pourraient être d’ordre idéologique : l’auteur avance en effet qu’il existerait un lien fort entre anti-nativistes et libre-échangistes au plan économique, favorables au « laissez-faire ». Tandis que l’urgence consisterait à réguler l’entrée d’espèces potentiellement dangereuses sur de nouveaux territoires, les pro-espèces invasives, « par principe », laisseraient le processus se dérouler normalement, au nom de la relativité de la notion d’ « espèces originelles » : le cycle de la vie ne serait, selon eux, qu’un éternel remplacement, qu’un éternel renouvellement. Pour autant, comme on le voit, ces auteurs quittent eux aussi le terrain scientifique pour dénoncer les aprioris idéologiques de leurs adversaires.

La question de l’ « origine des espèces » continue d’alimenter les débats passionnés, même s’ils ne portent plus sur les mêmes sujets qu’à l’époque de la publication des travaux de Darwin, la théorie de l’évolution n’étant plus guère contestée. Plutôt que de se consacrer exclusivement à l’étude des faits scientifiques, les différents acteurs ne peuvent s’empêcher de comparer l’introduction d’espèces invasives à des thématiques sociétales qui nécessitent pourtant des outils de réflexion et de régulation bien différents. Les sciences naturelles se veulent les plus objectives et rigoureuses possibles ; il n’en reste pas moins que les scientifiques demeurent des citoyens influencés par l’état actuel de leur société et que leurs travaux peuvent avoir des effets idéologiques, comme à l’époque de Darwin, quand se réclamaient de lui aussi bien Marx, rapprochant espèces et classes sociales, que des défenseurs d’un marché sans entrave conduisant à la sélection des meilleurs et l’élimination des plus faibles.

La dialectique du matérialisme historique dans la pensée de Marx

La pensée matérialiste développée par Karl Marx et Friedrich Engels se caractérise par le rôle très central de l’Histoire. Ce n’est pas tout à fait nouveau à leur époque, alors que de plus en plus de penseurs soulignaient que beaucoup de choses qui avaient été considérées comme «naturelles» et éternelles, étaient sujettes à changement. Néanmoins, selon ces philosophes et économistes allemands du XIXe siècle, les facteurs économiques et les masses populaires sont les deux composantes majeures qui façonnent l’histoire du monde. En réaction aux philosophies idéalistes de l’histoire, comme celle de Hegel, Marx développe et enrichit dans ses nombreux travaux son concept de « matérialisme historique » qui met l’accent sur les origines concrètes et observables du moteur de l’histoire.

Marx développe son analyse de l’histoire à partir de deux points de vue complémentaires. D’une part, il soutient que l’histoire peut être expliquée à travers une dialectique des forces productives et des rapports sociaux de production. D’autre part, il souligne le rôle de la lutte des classes dans le processus historique, y compris dans les domaines politique et idéologique.

Dans leur ouvrage « L’Idéologie allemande » écrit en 1845-1846, les philosophes Marx et Engels développent une toute nouvelle philosophie de l’histoire, le « matérialisme historique », et en énoncent les principes fondamentaux. Pour eux, les événements historiques dans toute leur diversité (guerres, révolutions, etc.) sont déterminés non par des idées ou par l’action d’individus (les fameux « grands hommes ») mais par l’impact de l’évolution des moyens de production sur la société et les mentalités, ainsi que par les relations sociales. Par « relations sociales », Marx entend les interactions qui lient entre eux des individus de classes différentes et qui engendrent des relations de coordination et, en même temps, de domination et de conflit. Ces rapports sociaux ne dépendraient pas de la volonté du peuple (surtout dans le cas de l’exploitation d’une classe par une autre) mais de la forme de propriété des moyens de production, c’est pourquoi ils seraient déterminés, comme le dit Marx : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé ». La conception matérialiste de l’histoire est donc une critique acharnée de l’idéalisme historique : il s’agit de rapporter l’étude de l’histoire à sa base économique, plutôt que d’y voir le simple développement de principes abstraits, contrairement à la théorie de Hegel qui l’interprétait comme la succession de différents esprits ascendants puis déclinants (« Volksgeist »).

Marx a utilisé une méthode dialectique pour comprendre l’histoire, tout comme Hegel, mais d’un point de vue matérialiste, la remettant « sur pied » (matérialisme dialectique). Dans la postface au « Capital », Marx nie partager la même pensée que Hegel : « Ma méthode dialectique n’est pas seulement différente de la méthode hégélienne mais en est l’opposé direct ». Ce sont donc, pour Marx, les conditions matérielles d’existence qui déterminent la conscience des hommes dans l’histoire, et non l’inverse : « Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience » énonce-t-il dans son livre « L’idéologie allemande ». En définitive, ou en dernière instance, les forces productives sont les principaux moteurs du changement et la principale explication des conditions sociales, idéologiques et politiques. Selon lui, l’histoire se compose comme suit : chaque mouvement – ou thèse – produit sa propre contradiction – ou antithèse – et la négation de la négation permet le passage à un stade plus avancé de l’histoire – ou synthèse. Ainsi, la thèse du communisme primitif, à savoir l’organisation politique de la société humaine primitive sans classes telles que nous les connaissons, a été contredite par l’antithèse de la propriété privée des moyens de production, avec la lutte des classes comme issue inévitable. La synthèse dans le futur sera donc, pour Marx, la création nécessaire d’une société sans classes. Comment la société passe-t-elle d’une étape à l’autre ? L’idée de dialectique repose sur la présence de fortes contradictions entre le développement des forces productives d’une part (techniques de production) et les rapports sociaux de production d’autre part. Le lien entre l’homme et la nature joue un rôle crucial dans l’histoire : en créant des outils et des moyens de production, l’humanité modifie la nature et la façonne à son image. Initialement conçu pour répondre à des besoins élémentaires, l’outil devient ensuite aussi un moyen d’exploitation d’une classe par une autre et engendre une lutte déterminant le cours de l’histoire.

De ces thèses, Marx établit que les conditions d’existence des êtres humains et les rapports entre les différentes classes sociales influencent grandement le cours des événements. Ainsi, il développe l’un de ses concepts les plus connus : celui de la lutte des classes comme principal moteur de l’histoire, lutte présente dans toutes les sociétés et ce, depuis que l’homme existe : « L’histoire de toute société jusqu’ici existante est l’histoire de les luttes de classe » écrivait-il dans son « Manifeste du parti communiste » publié en 1848. Autrefois, elle opposait l’homme libre à l’esclave, le patricien au plébéien ou le seigneur au serf ; dans la société capitaliste, cette lutte oppose le prolétaire , qui ne possède que sa force de travail, au bourgeois, propriétaire des moyens de production. Selon Marx, le bourgeois profiterait de sa position de domination en exploitant le prolétariat à son profit, en lui imposant des conditions de travail et de vie inhumaines. et en lui versant un salaire inférieur à la valeur de sa production, à l’origine de son surplus. Ultimement, la révolution prolétarienne est censée constituer la fin de l’histoire telle que nous la connaissons et marquer le début d’une ère nouvelle où le capitalisme, emporté par les forces productives et sociales qu’il a lui-même créées, aboutit à une société sans classe.

Marx a voulu façonner une « science de l’histoire » et les régimes communistes, au cours du XXe siècle, ont prétendu l’avoir mise en pratique. Cependant, le matérialisme historique peut difficilement rendre compte de nombreux événements et développements qui se sont produits depuis la mort de Marx. La lutte des classes n’a peut-être pas évolué comme prévu, produisant une sorte de synthèse que Marx n’avait pas anticipée, et les facteurs économiques n’ont peut-être pas toujours prévalu, même « en dernière instance » et dans le cas des révolutions communistes.

La montée des populismes, syndrome du mal-être de nos démocraties libérales ?

Le défi jeté par le populisme aux démocraties libérales d’un point de vue constitutionnel

Le populisme constitue un défi pour les démocraties libérales d’un point de vue constitutionnel car il se présente comme essentiellement démocratique. Il prétend même incarner un retour à la démocratie dans son expression la plus pure, en ce qu’il aurait pour objectif de rendre la parole et le pouvoir au peuple (c’est-à-dire à la grande majorité des citoyens), alors que ces derniers auraient été confisqués par des élites et des minorités, notamment par le jeu des appareils politiques et des institutions, où les classes populaires sont faiblement représentées. 

Certes, il est fréquent de dénoncer cet usage de la notion de « peuple », qui, implicitement, consisterait en une base homogène, unie et restée « saine », par opposition à des élites « mondialisées », défendant leurs privilèges, les « 20% de diplômés » méprisant le reste de la population. Toutefois, la démocratie est fondée sur la souveraineté populaire et l’idée de peuple est abondamment citée dans la plupart des constitutions. La Constitution française de 1958 parle bien du « peuple français ». C’est sans doute une erreur que de vouloir diaboliser ce terme. On peut également critiquer ce point de vue au nom des libertés individuelles et de la protection des minorités, mais il y a nécessairement une limite à cet argument car une démocratie ne peut pas se réduire à la défense des individus. Elle consiste aussi dans la mise en œuvre de la volonté générale, qui résulte du vote de la majorité des citoyens.

A priori, les partis populistes visent la conquête du pouvoir exclusivement par la voie des urnes, en utilisant des mécanismes démocratiques afin de légitimer leurs acteurs politiques et leur gouvernement, contrairement aux mouvements fascistes, qui alliaient participation aux élections et coups de force, avant ou après la prise du pouvoir (en Italie, marche sur Rome de 1922 ; en Allemagne, loi des pleins pouvoirs en 1934). Les partis fascistes ne cachaient pas leur peu de respect pour les institutions démocratiques et parfois leur intention de les abolir, une fois qu’ils n’en auraient plus besoin. Aujourd’hui, au contraire, ce sont souvent les partis populistes qui se plaignent de l’absence de démocratie – par exemple en raison des pouvoirs d’instances non élues comme la Commission européenne ou des juridictions nationales et internationales, qui vont parfois jusqu’à censurer des lois votées par des Parlements. En particulier, ils s’élèvent contre le fait qu’ils ne bénéficieraient pas eux-mêmes d’un traitement démocratique, dans les médias ou dans les assemblées, où ils seraient sous-représentés au regard du nombre de voix qu’ils recueillent. 

Par ailleurs, dans la mesure où les partis populistes respectent les règles du jeu électoral et s’efforcent d’éviter les dérapages verbaux, il est difficile de lutter contre eux avec les armes de l’Etat de droit qu’il s’agit justement de protéger et dont il serait donc paradoxal de s’affranchir. En Allemagne, un office fédéral de protection de constitution avait mis sous surveillance le parti AfD (Alternativ für Deutschland), un parti allemand eurosceptique, nationaliste et jugé populiste par certains (même si l’AfD rejette cette dernière classification), mais un tribunal a suspendu cette décision, qui, en l’occurrence, autoriserait des mesures effectivement très restrictives au regard des libertés publiques. 

Une fois ces partis au pouvoir, les constitutions et les blocs de constitutionnalité peuvent permettre de contenir et limiter leurs projets de réforme, notamment parce que la protection de ces libertés y a pris une place importante et s’y trouve souvent très détaillée. Le populisme n’en crée pas moins un défi, un défi politique, parce qu’il peut prendre à témoin la population de cette situation, qui l’empêcherait de mettre en œuvre les choix exprimés par son vote. En pratique, en s’appuyant sur ce ressentiment, en profitant du fait que les recours contre les atteintes à l’« Etat de droit » sont longs et compliqués et en utilisant des voies plus détournées, par exemple en nommant des personnes de confiance à des postes-clefs, les partis populistes au pouvoir parviennent en partie à s’affranchir de ces limites. 

Plus encore, certains partis populistes au pouvoir peuvent affaiblir les institutions en place afin de mener leurs politiques plus librement, sans subir de trop forte opposition, en opérant des changements constitutionnels formels ou informels. Ainsi, le 4e amendement constitutionnel soumis par le parti populiste hongrois en 2013 a réduit les pouvoirs de la Cour constitutionnelle du pays. De même, le parti Droit et Justice polonais a procédé à du “Court-packing”, consistant à ajouter des sièges à la Cour dans le but de consolider la majorité conservatrice en son sein. Les tribunaux ordinaires ne peuvent normalement pas reprendre les compétences de contrôle de constitutionnalité des Cours constitutionnelles paralysées.

En Hongrie, Viktor Orban promeut ainsi la « démocratie illibérale » ; dans le cadre de celle-ci, la volonté de la Nation, qu’il estime incarner, compte plus que les libertés individuelles et le respect de règles formelles qui auraient trop longtemps servi à brimer la majorité. V. Orban a ainsi pris des mesures contre l’immigration et les influences étrangères. En Pologne, le parti Droit et Justice mène une politique hostile aux mouvements LGBT, dans un pays toujours très catholique, et tente de prendre la main sur la nomination de certains juges, ce qui pourrait ensuite lui permettre de faire adopter plus facilement d’autres réformes, comme on vient de le voir. La Commission européenne s’est saisie de ces questions, mais elle ne peut agir que sous certaines conditions et seulement devant des tribunaux. Face à cela, les leaders populistes peuvent perturber le fonctionnement des institutions communautaires et dénoncer auprès de leurs électeurs ce qu’ils présentent comme des ingérences extérieures, comme à l’époque de l’URSS dans le cas des pays de l’Est. La doctrine de la « souveraineté limitée » en vigueur avant la Chute du Mur de Berlin n’est évidemment pas une référence démocratique… 

Comment le populisme peut être une réponse à un besoin d’unité

La mondialisation et, sur notre continent, la construction européenne, le déclin des classes sociales et des idéologies, la baisse de la pratique religieuse, l’individualisation des modes de vie ont pu créer le sentiment d’un effacement des différents groupes d’appartenance qui structuraient autrefois les sociétés occidentales. L’augmentation des flux migratoires, notamment l’arrivée de populations d’origine lointaine et de culture très différente, qui ont en partie conservé leurs traditions et leurs langues, a contribué à affaiblir l’équivalence entre la Nation et un groupe ethnique ou historique. Les individus ont parfois l’impression d’être des citoyens et des consommateurs libres mais solitaires. 

Par ailleurs, les processus de décision collective sont devenus plus complexes, faisant intervenir de nombreux niveaux intermédiaires et dépendant de plus en plus d’instances et de négociations internationales, de sorte que les communautés nationales traditionnelles ont perdu de leur autonomie et donc, de facto, existent moins. 

Le peuple peut constituer l’ensemble des individus vivant sur un territoire, partageant une culture commune et se soumettant aux mêmes lois. Toutefois, ce terme peut aussi faire référence aux citoyens des classes populaires, que le communisme nommait autrefois “prolétariat” par opposition aux élites du pays. C’est sur cette double signification de cette notion que les populismes basent principalement leur discours électoral. Ils réaffirment l’existence et la primauté de cette communauté, laquelle désirerait légitimement perdurer dans l’être (cf le « droit à la continuité historique ») tout en revendiquant que des pouvoirs plus importants lui soient restitués.  En outre, ils « mythifient », disent leurs détracteurs, un peuple originel assimilé aux classes populaires et aux gens du commun, resté proche de ses racines, opposé à des élites globalisées qui se seraient détachées d’elles. Un cadre supérieur ou un journaliste parisien se sentiraient, par exemple, plus proches d’un confrère vivant à New York que d’un compatriote habitant de l’autre côté du boulevard périphérique. On met face à face les gens du « nowhere » et du « somewhere ». Ainsi se recrée une forme d’unité, en particulier des classes populaires et moyennes inférieures, très dispersées à la suite des transformations du monde du travail.  

Ce peuple s’oppose aussi aux immigrés et surtout à ceux d’entre eux qui refusent de s’intégrer, restant groupés en communautés. Les populistes fustigent le « communautarisme » et la balkanisation de la société qui mettent à mal la Nation. Ils peuvent aller jusqu’à dénoncer une forme de « préférence pour l’Autre » et de repentance auxquels seraient astreintes les populations de souche, au nom d’injustices liées à l’ancienne ou présente domination occidentale sur le monde. Il conviendrait au contraire, selon eux, de restaurer une forme de fierté nationale, laquelle fait naturellement partie de la satisfaction apportée par le sentiment d’appartenir à un groupe. Les partis populistes qui font le choix de défendre l’unité du peuple sont par définition nationalistes : afin de préserver cette unité, il s’agit essentiellement de limiter l’immigration et de conserver une forte souveraineté nationale. L’identité de l’individu est intrinsèquement liée à celle de sa nation ; si cette dernière perd de son indépendance et surtout de son homogénéité, alors l’individu perd une part de son identité, de son héritage culturel et de ce qui le caractérisait autrefois – alors qu’il s’agissait d’une de ses seules richesses « symboliques ». Dans sa version la plus négative, cette vision va de pair avec le thème du « Grand Remplacement », qui pousse à l’extrême l’opposition d’un « nous » contre un « eux » – le sentiment de ce « nous », menacé de disparition, étant alors particulièrement puissant.

En Italie par exemple, la Ligue du Nord, défenseure de l’Italie du Nord industrieuse et prospère contre le Sud « fainéant », est devenue la Ligue, c’est-à-dire le parti de toute la communauté nationale, victime des abus supposés de l’Union européenne et d’une immigration incontrôlée. Aux Etats-Unis, Donald Trump s’est lui aussi présenté comme le héros d’une Amérique et d’une communauté menacés par le libre-échange et l’immigration, combattant les élites médiatiques et politiciennes. Dans les deux cas, les populistes ont notamment essayé d’incarner la réponse à un besoin d’unité, en réactivant une identité et en désignant des adversaires (« il faut s’opposer pour se poser »). Les populismes nationalistes remportent aussi certains succès dans les pays ethniquement homogènes, comme en Hongrie ou en Pologne, mais fortement attachés à celle-ci et inquiets des conséquences de l’immigration observée en Europe de l’Ouest, et, par ailleurs, très attachés à leur souveraineté nationale, contre les empiètements d’organismes supranationaux. Ils ont ainsi l’impression de défendre leur unité et leur indépendance, chèrement acquise au cours de l’Histoire, en prévenant certaines évolutions.

Etude sur le handicap : pourquoi une politique inclusive est-elle particulièrement bénéfique pour le monde de l’entreprise

Malgré la loi de 2005 cherchant à favoriser l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, le taux de chômage des personnes présentant une forme de handicap reste 50 % plus élevé que la moyenne française. En outre, les entreprises soumises à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés ont tendance à ne pas respecter le seuil légal selon lequel 6 % des postes doivent être occupés par des personnes en situation de handicap. En effet, les entreprises soumises à cette obligation ont un taux moyen d’emploi des personnes handicapées de 3,5 %.

Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour expliquer ce phénomène. Avant tout, probablement les préjugés dont les personnes en situation de handicap font l’objet. En effet, il est souvent dit que les personnes en situation de handicap seraient moins productives, plus exigeantes en demandant d’être assistée ou encore qu’elles seraient plus difficiles à licencier. Puis, se pose également la question de l’adéquation entre les compétences de l’offre de travail des personnes en situation de handicap et celles requises par la demande du marché, émanant des employeurs. En effet, la part de personnes en situation de handicap détenant des diplômes est trois fois moins élevée par rapport à la population globale. De plus, le taux de chômage au sein de cette population étant plus élevé que la moyenne nationale, les personnes en situation de handicap ont alors tendance à avoir moins d’expérience professionnelle, du fait du peu d’opportunités qui leur sont proposées. Ces deux facteurs limitent alors le capital humain des personnes en situation de handicap. Cette notion forgée par Gary Stanley Becker affirme que les individus construisent leur degré d’employabilité par leur niveau d’étude, leur réseau et leurs expériences dans le monde du travail. Par conséquent, dans la mesure où ces facteurs ont tendance à être moins développés pour les personnes en situation de handicap, s’ensuit alors des difficultés pour ces personnes à trouver un emploi.  

L’objectif n’est pas d’expliquer en détails pourquoi les personnes en situation de handicap rencontrent des difficultés dans le cadre de leur recherche d’emploi mais de démontrer pourquoi il est bénéfique pour les entreprises de recruter des personnes handicapées. En effet, l’impulsion innovante apportée par les personnes en situation de handicap et la législation actuelle ont des effets positifs directs sur la capacité de l’entreprise à réaliser un résultat bénéficiaire. Par ailleurs, les avantages peuvent également avoir un effet indirect, cette fois-ci à plus long-terme sur les résultats de l’entreprise, en particulier grâce à une conciliation entre la performance économique et le développement social, ce qui nécessite de passer outre des préjugés, encore fortement ancrés de nos jours.

Sur la base de quels fondements pouvons-nous affirmer que la présence de personnes handicapées dans l’entreprise est favorable à ses résultats ?

Si le recrutement de personnes en situation de handicap présente des intérêts financiers directs (I), il existe également des intérêts observables à plus long-terme (II).

I- Un intérêt financier aux effets directs

Les effets directs de l’amélioration de la performance financière sont observables par une politique inclusive vectrice d’innovation et par conséquent de hausse de productivité (A) mais également par une législation incitant par des dotation financières les entreprises à embaucher des personnes handicapées (B).

A- Une politique inclusive vectrice de hausse de la productivité

Il convient dans un premier temps de souligner que les personnes handicapées apportent une impulsion novatrice dans l’entreprise pour plusieurs raisons. Dans la mesure où leur handicap influence leur mode de vie, celui-ci peut leur faire voir certaines situations différemment. A titre d’exemple, nous savons aujourd’hui que les personnes ayant une forme d’autisme peuvent témoigner de facultés intellectuelles, mémorielles mais également d’analyse qui se distinguent de la moyenne. Ce fait peut d’ailleurs être vérifiable par la surreprésentation des prix Nobel. Marie Curie, Albert Einstein, John Nash pour ne citer qu’eux ont la particularité d’avoir reçu le prix Nobel et d’être autiste asperger. Trois des six fondateurs des GAFAM (google, amazon, facebook, apple, microsoft) sont autistes asperger : Mark Zuckerberg, Steve Jobs, Bill Gates. Le dernier exemple que nous pourrions prendre est les réalisateurs, Woody Allen, George Lucas, Stanley Kubrick, Alfred Hitchcock ou Steven Spielberg sont autistes. Or, à l’échelle de la population la part d’autiste dans la population entre 0,003 et 0,48 %, selon le spécialiste Tony Atwood, auteur de l’ouvrage « Traité européen de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ». De plus, nous ne tenons pas compte d’un paramètre notable, celui de la marginalisation tendancielle des personnes atteintes d’un syndrome d’autisme, les éloignant en conséquence d’activités à responsabilité, ce qui rend plus complexe la mise en valeur de talents présentant une forme d’autisme. Par conséquent, une personne autiste par sa vision des situations sera souvent capable de produire de meilleurs résultats que la moyenne et d’apporter une nouvelle manière de répondre aux problématiques posées, à condition qu’elle se plaise dans son environnement de travail. Puis, l’innovation peut également être introduite par le matériel mis à disposition pour les salariés en situation de handicap. Nous pourrions prendre l’exemple d’un article paru dans la revue de l’AGEFIPH datant du de mois de septembre 2012. Il s’agit d’une personne salariée d’une grande surface au rayon fromage et charcuterie devenue handicapée à l’issue d’un accident du travail. Son handicap lui empêchait de rester debout continuellement et de faire des gestes trop répétitifs. Pour lui permettre de continuer à exercer son métier, des aménagements ont été réalisés au niveau de son poste de travail. Ainsi, les exemples d’aménagement sont variés : installation d’un tapis de sol antifatigue en caoutchouc (pour amortir les pas et surélever les vendeurs), d’un repose-pied, d’un petit fauteuil assis-debout et d’une nouvelle table de découpe. L’ensemble de ce matériel permet de faciliter les tâches de la personne en situation de handicap mais également celles de l’ensemble du personnel travaillant dans ce rayon, ce qui représente alors un gain de productivité pour l’ensemble du service. L’ensemble de ces aménagements correspondent à des innovations. Or, nous savons notamment grâce aux travaux de Joseph Alois Schumpeter que l’innovation est vectrice de croissance économique. Les entreprises adoptant une politique inclusive à l’égard des personnes en situation de handicap verraient alors d’une manière presque mécanique une hausse de leurs bénéfices.

L’intérêt financier direct repose également sur une législation incitative.

B- Une législation incitative

Les dispositifs actuels encouragent le recrutement des personnes en situation de handicap, par des dotations financières adressées aux entreprises ayant des pratiques vertueuses ou des pénalités à celles refusant de respecter la réglementation. Il conviendrait de classer les aides en trois sortes : les aides à l’embauche, les aides à l’aménagement du poste de travail et les aides conjoncturelles dans le contexte de la pandémie de covid-19. Il existe plusieurs formes d’aides à l’embauche : l’aide à l’accueil, à l’intégration et à l’évolution professionnelle d’un montant de 3000 euros, l’aide à l’embauche en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, au plus entre 3000 et 4000 euros et l’aide exceptionnelle à l’embauche d’un travailleur handicapé, de 3000 euros. Pour ce qui est des aides à l’aménagement du poste de travail, elles sont également diverses : aide à l’emploi des travailleurs handicapés entre 5000 et 11000 euros, aide à la recherche de solutions pour le maintien de l’emploi de 2000 euros, aide à l’adaptation des situations de travail d’un montant variable ou encore celle à la formation pour le maintien dans l’emploi d’un montant qui n’est pas fixé à l’avance. De même que celles citées précédemment, les aides accordées dans le cadre de la pandémie de coronavirus sont nombreuses : aides liées au covid-19 pour soutenir l’embauche en alternance, aide dans le cadre du covid-19 à la mise en place du travail, ou encore l’aide exceptionnelle pour des équipements spécifiques de prévention. Le montant de ces trois aides n’est pas plafonné en principe. L’idée n’est pas d’énumérer en détails l’ensemble des aides mais juste de montrer le vaste panel de dotation financières offert par l’Etat. Pour connaitre précisément les modalités des aides voici un lien qui pourrait vous être utile : https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F15204. Nous pourrions alors sur la base des aides citées prendre l’exemple d’une entreprise et voir ce qu’elle pourrait toucher. Par conséquent, la première année elle pourrait recourir aux aides cumulables, dans la mesure où certaines d’entre elles ne sont pas renouvelables. Par conséquent, le montant qu’elle pourrait toucher serait de 12000 euros si l’on compte les aides à l’embauche et celles des aménagements du travail mais si l’on rajoute les aides liées au contexte sanitaire, la somme perçue pourrait dépasser les 15000 euros. Par la suite, l’année suivante l’entreprise pourrait avoir recours à l’aide à l’emploi des travailleurs handicapés dont la somme peut dépasser les 11000 euros. Le montant de ces aides dépend des surcoûts générés par le recrutement d’une personne en situation de handicap, notamment du fait de l’aménagement de son poste de travail. Par conséquent, lorsqu’une entreprise réalise un investissement dans du matériel adapté aux personnes en situation de handicap, l’innovation est favorable à l’ensemble du service ce qui augmente la productivité globale et favorise la croissance des bénéfices. En outre, l’entreprise ne prend pas de risque dans le sens que son investissement est remboursé par le biais des aides. Ainsi, l’entreprise est gagnante sur tous les tableaux en recrutant des personnes en situation de handicap. A l’inverse, des pénalités sont prévues si l’entreprise ne respecte pas la législation en vigueur. Cette pénalité correspond à une contribution qu’elle doit verser à l’AGEFIPH. Pour une entreprise à l’effectif compris entre 20 et 199 salariés, la somme à verser par personne en situation de handicap qui n’est pas recrutée est de 400 fois le smic horaire soit 4100 euros, pour une entreprise entre 200 et 749 salariés, il s’agit de 500 fois le smic horaire soit 5125 euros, pour une entreprise de 750 salariés ou plus, il s’agit de 600 fois le smic horaire soit 6150 euros. Pour les entreprises sans salarié en situation de handicap et n’ayant pas montré par des démarches de nature administrative depuis plus de trois ans la volonté d’en recruter voit son amende passer à 1500 fois le smic horaire, soit 15375 euros. Le délai auparavant de cinq ans, a été abaissé à trois par la loi Pacte du 22 mai 2019. Par conséquent, si les sommes versées aux entreprises méritantes sont élevées, les pénalités pour les mauvais élèves sont des mêmes conséquentes, d’où l’idée d’une législation incitative.

II- L’influence de l’image sociale de l’entreprise sur sa croissance à long-terme

La politique inclusive améliore l’image sociale de l’entreprise, ce qui a une influence positive sur ses résultats financiers à long-terme. Une conciliation entre la performance économique et le développement social est possible grâce aux investissements socialement responsables (A). Cependant, afin d’assurer cette conciliation, il est nécessaire de dépasser les préjugés (B).

A- Une possible conciliation entre la performance économique et le développement social par des investissements socialement responsables

Selon la définition de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) l’investissement socialement responsable peut être défini comme « un placement qui vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises et les entités publiques qui contribuent au développement durable quel que soit leur secteur d’activité. En influençant la gouvernance et le comportement des acteurs, l’ISR favorise une économie responsable. » Aujourd’hui, les critères permettant le mieux de mesurer l’investissement socialement responsable sont les critères ESG. Pour les groupes nécessitant des apporteurs de capitaux, les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) ont aujourd’hui une importance considérable. Scrutés de près par les investisseurs, ces critères ont pour but d’évaluer la capacité d’une entreprise à prendre des mesures favorables à une gouvernance durable, qui ne tiendraient pas seulement compte de la rentabilité financière à court-terme. Comme le révèle les initiales, ces critères peuvent être classées de trois sortes, selon l’AMF : « les émissions de CO2, la consommation d’électricité, le recyclage des déchets pour le pilier E, la qualité du dialogue social, l’emploi des personnes handicapées, la formation des salariés pour le pilier S, la transparence de la rémunération des dirigeants, la lutte contre la corruption, la féminisation des conseils d’administration pour le pilier G. » L’AMF évoque donc clairement dans le pilier S la nécessité de recruter des personnes en situation de handicap. Par conséquent, l’intérêt de recruter des personnes en situation de handicap permet donc également de soigner le score ESG de l’entreprise et d’attirer les investisseurs.

L’importance croissante des critères ESG s’explique par une évolution de la conception de l’entreprise. En effet, la conception traditionnelle part du principe que la fonction primordiale de l’entreprise est de réaliser des profits financiers. Cependant, un autre paradigme marqué par un versant social rompt avec la pensée traditionnelle, en partant du principe que les résultats financiers ne sont pas l’unique critère pour mesurer la performance de l’entreprise. L’entreprise doit également être vue comme un lieu d’épanouissement pour ses acteurs, la richesse produite est également le bien-être généré par les activités réalisées par le salariat. L’école des relations humaines a alors défendu cette idée. Né après la crise de 1929, ce courant regroupe des psychologues tels que George Elton Mayo, auteur de l’ouvrage paru en 1933 « The human problems of an industrial civilization ». Selon ce courant, les individus dans le cadre professionnel nécessitent une reconnaissance de leur travail. Les salariés veulent avoir le sentiment d’être utiles et ont envie de prendre part aux décisions de l’entreprise. Des techniques de gestion des équipes adaptées et un dialogue social ouvert favorisent le bien-être des salariés, qui se sentent écoutés. Et en améliorant le bien-être des salariés, notamment ceux en situation de handicap, les individus ont le désir de mieux faire leur travail, ce qui augmente la productivité dans l’entreprise et par conséquent ses résultats financiers. Les critères ESG ont donc une influence bénéfique sur les profits de l’entreprise.

Néanmoins, cette conciliation est mise à mal par la présence de préjugés au sujet du handicap.

B- Une persistance des préjugés nuisibles à l’entreprise

Le développement social qu’implique l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde de l’entreprise est compatible avec le développement économique de l’entreprise. Pour cela, il est nécessaire d’aller au-delà des stéréotypes véhiculés au sein de la société en général. Dans le cadre des entretiens d’embauche, il existe des préjugés au sujet du handicap en général, fait démontré par les professeures Eva Louvet et Odile Rohmer dans leur article paru dans « La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation » en 2016, intitulé « Evaluation des personnes en situation de handicap en milieu éducatif et professionnel : approche expérimentale ». De plus, les préjugés peuvent varier selon le type de handicap. En effet, les stéréotypes générés à l’égard des personnes en situation de handicap mental, psychique ou neurologique sont plus ancrés que ceux à l’égard des personnes en situation de handicap physique. Avant de rentrer dans les détails, l’idée qu’il existerait en toute circonstance des situations de handicap physique plus favorables que les autres formes de handicap peut être contestée par l’exemple pris avec l’autisme. En effet, il a été prouvé précédemment que l’autisme pouvait constituer une chance pour l’entreprise. L’idée est ici de prouver que l’existence de préjugés au sujet du handicap en général et qu’il existerait des préjugés qui seraient plus marqués selon le type de handicap est bel et bien une réalité. Les préjugés peuvent être de deux sortes, positifs ou négatifs et sur deux plans, mis en relief par le « Stereotype Content Model » de Susan Fiske : la sociabilité et les compétences. Dans la continuité de ce modèle, Odile Rohmer et Eva Louvet ont réalisé une enquête sur 233 étudiants afin de pouvoir mesurer les stéréotypes au sujet du handicap. Le principe de bi-dimensionalité des stéréotypes a été retenu. Les étudiants ont alors dû se prononcer sur les stéréotypes liés à la sociabilité et aux compétences, et ce en interrogeant sur des caractéristiques uniquement mélioratives, leur objectivité risquant d’être altérée s’ils avaient à répondre sur des caractères négatifs. Les participants avaient pour rôle d’indiquer « comment sont généralement perçues les personnes handicapées (versus les gens en général, les autistes, les sourds…) dans notre société ». Afin de contourner des biais de désirabilité sociale, il était précisé la chose suivante : « Ce qui nous intéresse n’est pas votre opinion personnelle, mais comment vous imaginez que les gens pensent ». Le questionnaire était composé d’une série de 15 questions se référant aux traits de personnalité sélectionnés, présentés par ordre alphabétique. Pour chaque question, les participants disposaient d’une échelle de réponse allant de 1 à 7, 1 étant « pas du tout » et 7 « tout à fait ». L’idée est de comparer les scores entre personnes en situation de handicap et personnes ne présentant pas de handicap mais également entre les différents types de handicap. Les scores s’appliquent sur trois types de préjugés : agréabilité, compétence et courage.

Plusieurs constats peuvent alors être dressés sur la base de ce tableau. D’abord, la moyenne d’agréabilité des personnes handicapées est jugée 30 % supérieure à celle des personnes sans handicap, 5,06 contre 3,88. La moyenne des compétences des personnes handicapées est jugée 15 % inférieure par rapport à celle des personnes sans handicap 3,93 contre 4,52. La moyenne du courage des personnes en situation de handicap est jugée 40 % supérieure à celle des personnes sans handicap. Les préjugés varient également selon le type de handicap. En effet, les personnes en situation de handicap mental sont jugées moins agréables (4,81 contre 4,94), moins compétents (3,16 contre 4) et moins courageuses (4,46 contre 5,49) que les personnes présentant un handicap physique. Par conséquent, si les préjugés dont les personnes en situation de handicap font l’objet en matière d’agréabilité et de courage sont globalement positifs, ceux en matière de compétence sont plutôt négatifs.

L’enquête permet par conséquent de démontrer la présence de préjugés négatifs au sujet des compétences des personnes en situation handicap, ce qui pourrait être une explication à la faible représentation des personnes handicapées dans le monde professionnel. Le dépassement des préjugés, par exemple avec des ateliers de sensibilisation au handicap est une des clés pour la conciliation entre le développement économique et social de l’entreprise.

Ainsi, les intérêts économiques pour le recrutement de personnes en situation de handicap sont divers. Cependant, il est nécessaire de dépasser les préjugés, notamment sur l’idée que les personnes en situation de handicap seraient moins compétentes. Pour clore le sujet, il conviendrait alors de se pencher sur des exemples d’entreprises ayant un nombre d’employés en situation de handicap plus important que la moyenne. Ces entreprises peuvent par exemple avoir recours aux ESAT, les établissements de service d’aide au travail. Dans cette logique, les ESATITUDE, est le service des ESAT de l’ADAPEI des Alpes-Maritimes. Ce service est alors à l’origine de la création d’un hôtel employant uniquement des personnes handicapées, avec une qualité de service valant d’être classé trois étoiles. L’hôtel a d’ailleurs fait l’objet d’un reportage. https://www.youtube.com/watch?v=F1w1vctLLNg

https://www.cairn.info/revue-l-annee-psychologique1-2011-1-page-69.htm

https://www.amf-france.org/fr/espace-epargnants/comprendre-les-produits-financiers/finance-durable/glossaire-de-la-finance-durable

https://travailleur-handicape.ooreka.fr/comprendre/taxe-agefiph

http://science-economique.blogspot.com/2009/05/lecole-des-relations-humaines.html

http://www.handipole.org/IMG/pdf/Agefiph_cahiers_sept12.pdf

Comparaison de différentes situations de pays impliqués dans la crise des dettes souveraines en Europe, à la suite de la crise économique mondiale de 2008

Carricature de Patrick Chappatte

La pandémie actuelle ayant entraîné des mesures drastiques de confinement, a plongé le monde dans une nouvelle période de récession. Des plans de relance ont alors été décidés dans l’urgence. Mais les états sont confrontés à un dilemme : ces plans de relance ont un coût (plusieurs dizaines voire centaines millards d’euros pour la France) et la remontée de la dette dans le bilan des banques centrales aura tôt ou tard une limite. Un accroissement de la dette, en valeur absolue mais également relative au PIB est inévitable, ce qui a tendance notamment à exacerber les divergences des économies entre les pays d’Europe du nord et ceux du sud et ce qui augmente le risque d’insolvabilité de ces derniers, comme à l’issue de la crise des Subprimes. L’idée de cette article est alors de faire un retour sur cette crise, permettant de comprendre les enjeux auxquels nous sommes actuellement confrontés.

Dès octobre 2009, la Grèce – point de départ de la crise des dettes souveraines en Europe – et ses 126,7% du PIB de dette – en augmentation de plus de 17 points par rapport à l’année précédente -, est déclarée « peu solvable » par les agences de notation. Sa note financière est d’autant plus menacée que l’Etat, premièrement, falsifiait ses budgets depuis plusieurs années (enregistrant des déficits budgétaires bien plus importants que ceux déclarés), et deuxièmement, est victime d’une économie souterraine forte – évaluée à 28% du PIB par la Banque Mondiale -, en marge de nombreux problèmes de corruption et d’une faible intégration de son économie dans le commerce mondial, à l’exception de la marine marchande et du secteur du tourisme. Il est alors plus difficile à la Grèce d’emprunter, et lorsque c’est possible, elle emprunte à des taux plus élevés, ce qui mène à l’incapacité de l’Etat à rembourser sa dette. Ses créanciers enregistrent des pertes, voire risquent la faillite. Par exemple pour le cas des banques françaises, elles étaient nombreuses à avoir investi dans la dette grecque, et étaient très menacées par la perte de leurs liquidités. Pour le Crédit Agricole, banque la plus exposée, ce sont 29,5 milliards d’euros qui attendent d’être remboursés par la Grèce. L’Etat français est donc obligé de s’impliquer dans la crise grecque en mettant en place des programmes d’aides.

En parallèle, de multiples autres crises ayant des conséquences socio-économiques néfastes – liées à la crise économique de 2008 et à celle des dettes publiques de 2010 – se déclarent dans l’Eurozone. En Espagne, les prix de l’immobilier chutent fortement dès 2008 : c’est l’explosion de la bulle immobilière espagnole, qui était en forte croissance depuis une décennie, en sus d’un endettement très fort des ménages, qui atteint son maximum de 154,8% du revenu disponible net en 2007. En conséquence de l’explosion de cette bulle, de nombreuses opérations de fusions-acquisitions bancaires se font entre 2010 et 2012 – visant à se protéger de la concurrence et des Offres Publiques d’Achats (OPA) “hostiles”-, en prime de plusieurs nationalisations et d’autres systèmes d’aides aux banques (c’est le système institutionnel de protection, qui passe par la fusion de banques nationalisées) mis en place par le gouvernement espagnol. Finalement, fin 2012, l’Europe refinance à hauteur de 37 milliards d’euros le secteur bancaire espagnol. Cette crise bancaire a provoqué une crise sociale – un nombre considérable de défauts de paiements ayant menés à près de 500 000 expulsions –  mais également migratoire. En effet, le solde migratoire espagnol était négatif entre 2009 et 2016.

Au Portugal, le déficit public augmente jusqu’à frôler les 10% du PIB, et l’endettement public jusqu’à dépasser les 100%. Le 23 mars 2011, le Parlement – où l’opposition est majoritaire – rejette les plans d’austérité du gouvernement, qui visaient à éviter d’avoir recours à l’aide internationale; le premier ministre José Socrates démissionne dans la foulée. Face à cette crise politique, la note financière du Portugal est dégradée par les agences de notation, augmentant, encore une fois, les taux d’emprunt du pays.

En Irlande, où l’économie est basée sur le secteur bancaire, la finance, et est très dépendante du reste du monde, notamment par la présence de nombreuses firmes transnationales américaines, une autre crise se déclare. Entre septembre 2010 et janvier 2011, la banque centrale d’Irlande recapitalise ses banques à hauteur de 50 milliards d’euros; celles-ci avaient souffert de la crise, à partir de 2007 avec l’explosion d’une bulle immobilière. La crise Irlandaise a également abouti à des dégâts sociaux très importants, impliquant la mise en place des plans de rigueur conséquents, avec un taux de chômage qui a augmenté de 10 points entre 2005 et 2010, et l’endettement des ménages qui a lui aussi explosé, atteignant son paroxysme en 2009 avec 240,6% du revenu disponible net, soit une augmentation de presque 130 points depuis 2001. Parallèlement, l’augmentation des dépenses publiques mise en place pour répondre à cette crise et à la dépréciation du secteur bancaire irlandais a conduit à une forte création de dette publique; celle-ci a été multipliée presque 5 fois entre 2007 et 2012. L’Irlande a finalement bénéficié de 85 milliards d’euros d’aides de l’Europe, d’une part pour sauver son déficit public qui atteignait 32,1% en 2010, d’autre part pour sauver son système bancaire.

Dette publique et PIB de l’Irlande

Toutes ces crises ont pour point commun d’être aggravées par un système financier basé sur un endettement mal régulé : souvent, les banques ne demandaient pas suffisamment de garanties à l’obtention de crédits, en s’appuyant sur des systèmes d’hypothèques et de montages financiers spéculatifs. De plus, un aléa moral* joue en leur faveur : trop importantes pour faire faillite, les Etats sont obligés de les refinancer en cas de crise. Ce sont donc une financiarisation spéculative de l’économie et une libéralisation des marchés, tous deux portés à l’extrême, qui – en entraînant une explosion de la dépense publique – sont les principaux facteurs de la crise.

Comprendre le trafic maritime mondial contemporain : MarineTraffic

MarineTraffic est un site Internet qui suit le trafic maritime mondial, et ce en temps réel. La localisation et la direction de tous les navires se trouvant actuellement en mer dans le monde sont répertoriées sur cette carte, en plus de diverses autres caractéristiques les concernant, comme leur taille ou leur lieu de construction. Ce site est, par ailleurs, en grande partie gratuit.

Ce qui frappe tout d’abord est le nombre important de figurés présents sur la carte. La légende un peu à gauche permet de comprendre leur signification. Toutes les flèches représentent les emplacements actuels des navires, tandis que leurs couleurs nous permettent de les différencier et de les classer selon leur nature. Par exemple, les flèches rouges représentent des « Tankers », ou citernes en français, tandis que les flèches roses sont des bateaux de plaisance. Certaines infrastructures maritimes y apparaissent aussi, comme les ports ou même les phares.

Plusieurs styles de cartes sont mis à la disposition de l’utilisateur pour qu’il puisse pleinement profiter du site. Pour ma part, j’ai choisi la « standard map », la plus adaptée selon moi à l’étude du trafic maritime mondial. Les autres sont assez similaires, sauf la « dark map » que je trouve personnellement un peu énigmatique.

J’ai d’abord regardé le trafic maritime mondial avec la plus petite échelle possible, de manière à avoir une vision globale du phénomène. J’ai constaté que tous les océans étaient traversés par de nombreux navires simultanément, sauf les océans Arctique et Antarctique à cause des glaciers. J’ai ensuite agrandi l’échelle pour observer plus précisément le trafic maritime et fluvial autour de la France et dans notre pays, ce qui m’a permis de vérifier que les eaux de la Seine sont les plus empruntées, notamment pour le transport de marchandises.

L’étude de cette carte m’a fait réaliser à quel point les échanges maritimes sont intenses, et ce au moment même où j’écris ces lignes. Je déplore néanmoins le manque de lisibilité de la carte par moments, en plus du fait qu’elle ne soit pas traduite en français.

Si vous aussi, chers lecteurs, vous souhaitez découvrir MarineTraffic, alors n’hésitez pas ! 

Lien vers le site : https://www.marinetraffic.com

Martin Vasseur

Junk Bonds


« Depuis la crise financière mondiale, les réformes structurelles et la politique monétaire ont encouragé l’utilisation des marchés des obligations d’entreprises comme source viable de financement à long terme pour les sociétés non financières« 

Angel Gurría, Secrétaire général de l’OCDE

Nous aborderons dans cet article la financiarisation du financement des entreprises privées et les risques que cela implique, après avoir expliqué le fonctionnement du marché obligataire.

L’importance de la dette des entreprises est depuis plusieurs années déjà désignée comme préoccupante en cas de ralentissement. Or le cirse du coronavirus a justement entrainé ce ralentissement d’activité pour beaucoup d’entreprises.

Tel qu’évoqué dans l’article précédent sur le système monétaire international, les entreprises ont de plus en plus recours au marché obligataire pour se financer.

Afin que chaque lecteur comprenne la suite de ce papier, résumons brièvement le fonctionnement du marché obligataire.

Comment fonctionne le marché obligataire, le ministère de l’économie défini une obligation comme « un morceau de dette émis par une entreprise, une collectivité territoriale ou un État. Lorsque l’un de ceux-ci souhaite se financer, les montants requis peuvent nécessiter l’intervention de nombreux créanciers. Vous pouvez devenir l’un de ces créanciers en « achetant » une obligation, c’est-à-dire une partie de cette dette. En plus du capital qui vous sera restitué à échéance fixe (en général, entre 5 à 30 ans), le débiteur s’engage à vous rémunérer périodiquement (tous les ans, ou tous les trimestres notamment) selon un taux d’intérêt fixe ou variable. ». Le marché obligataire est ainsi un marché financier au près duquel les entreprises peuvent obtenir des liquidités par l’émission de titre de créance qui sont les obligations. C’est donc sur ce marché que les obligations sont émises et échangés. Nous nous intéresserons dans ce papier aux obligations coporates c’est-à-dire émise par des entreprises. L’émetteur sera donc l’entreprise et le créancier l’acquéreur du titre de créance émis. Pour accéder à ces liquidités l’entreprise rémunère le détenteur du titre qu’elle a émis en payant régulièrement des intérêts appelé coupons. Plus la société est en bonne santé moins le risque est important pour le créancier ainsi les coupons sont moins élevés. A l’inverse plus l’émetteur de l’obligation est jeune, en mauvaise santé financière ou exerçant sont activité dans un domaine risqué ou en perte de vitesse plus l’entreprise rémunère le créancier pour son service.

C’est ici que les agences de notation interviennent. Ces agences ont pour d’évaluer puis de noter la capacité de remboursement de l’émetteur de l’obligation. Ces notes vont déterminer la catégorie de l’entreprise sur le marché obligataire de par le risque que le créancier prend lorsqu’il l’obligation. Si l’on schématise il existe de grande catégorie associée aux notes des entreprises : la catégorie Investment Grade (abrégé IG) et la catégorie Non Investment Grade (abrégé Non-IG) que nou simplifierons en l’associant au High Yield. La catégorie IG regroupe les entreprises notées de AAA à BBB et les Junk Bonds à partir de BB.

Après avoir expliqué le fonctionnement et le jargon du marché obligataire corporate nous allons pouvoir aborder le cœur du sujet de ce papier qu’est l’inquiétante augmentation du volume d’obligation et de la dégradation de celles-ci.

Premier constat : les entreprises font de plus en plus appel aux marchés financiers pour se financer en témoigne ces graphiques suivants publiés par l’OCDE dans ses rapports.

La comparaison avec les niveaux de 2008 est d’autant plus flagrante

Ainsi l’OCDE énonce en février 2020 que la dette d’entreprise atteint des niveaux « sans précédent ». En effet le volume de la dette d’entreprise est de 13 500 milliards de dollars fin 2019. Pour l’OCDE cette hausse récente est la conséquence d’« un retour à des politiques monétaires plus expansionnistes en début d’année. ». Le constat est sans appel les politiques extrêmement accommodantes que mène les banques centrales depuis dix ans favorise ce type d’endettement chez les entreprises. Ainsi l’émission de dette d’entreprise a doublé en dix ans.

En outre, cette augmentation d’émission préoccupe car elle s’accompagne d’une dégradation de qualité. En effet, aujourd’hui on assiste à une hausse significative : des sociétés passant de la catégorie IG à Junk bonds et de la dégradation de la note des sociétés au sein de la catégorie IG. Ainsi les obligations des sociétés noté AAA baisse au sein du marché obligataire et occupe environ 0,7% de celui-ci contre environ 8% pour le AA, 41% pour le A et environ 51% pour le BBB. Le graphique ci-dessous révèle la tendance de long terme concernant l’évolution de la qualité des obligations corporates qui se dégrade significativement au sein de l’IG.

Parallèlement à cette dégradation de l’IG, on observe une augmentation du Non-IG au sein de l’émission globale.

D’après l’OCDE cette masse d’obligations corporates de qualité moindre se caractérise par « un durcissement des exigences de remboursement », « un allongement des échéances », « une moindre protection des investisseurs ».

La part d’émission d’obligation non-IG dans les émissions totales des entreprises non financières a augmenté ces dernières années. Elle fut par exemple de 25% l’année dernière.

Selon l’OCDE « La part des émissions d’obligations de la catégorie spéculative n’était jamais restée aussi élevée pendant une période aussi longue depuis 1980 ». En plus du fait que le volume global d’obligation émises par les entreprises non financières a considérablement augmenté, l’augmentation de la part de celles classées spéculatives et BBB s’intensifie depuis 2008 notamment avec des émissions dans les pays émergents.


L’augmentation du recours au marchés obligatoire ne touche pas que les pays développés. En effet, l’augmentation est d’autant plus flagrante depuis une dizaine d’années chez les pays émergents. Une étude du crédit suisse explique qu’ « Au cours de la dernière décennie, le marché des obligations d’entreprises des pays émergents a augmenté de 17% par an. » « Le marché des obligations d’entreprises des pays émergents s’est transformé d’une niche en une classe d’actifs à part entière, mature et variée »

Or l’augmentation du volume de titres de créance signifie augmentation des remboursements nécessaires. Il convient de souligner qu’aujourd’hui plus de 30% de l’ensemble des obligation corporates doit être remboursé sous les trois ans, un record. Et encore une fois, parmi elles de plus en plus sont de BBB ou Non-IG.

Tout ceci pourrait amplifier les conséquences délétères sur l’économie si une contraction de l’activité survenait ou si le contexte de faible taux d’intérêt disparaissait, souligne l’OCDE. Or cette contraction hypothétique qu’évoque l’OCDE en ce début d’année 2020 est présente depuis le début de la crise du coronavirus. C’est pourquoi les Banque Centrale et les Etats ont dû agir si massivement, cependant la crise va entrainer des faillites en cascades à mesure que les banquiers centraux ont de moins en moins de marge de manœuvre et que les Etats s’endettent.

L’on voit bien que les banques centrales ne peuvent faire autrement, les politique monétaire accommodantes ont encouragé les entreprises à avoir recours au marché financier pour se financer avec un effet de levier parfois conséquent.

En effet, une politique si accommodante a permis aux entreprises d’émettre de nombreux titres tout en conservant une certaine capacité de remboursement et a permis aux entreprises en mauvaise santé de survivre.

Les entreprises qui ont accrus leur ratio d’endettement sont maintenant dépendantes de cette politique ultra accommodantes (au même titre que les Etats). C’est pourquoi après avoir voulu normaliser son bilan la Fed y a rapidement renoncé. En cas de crise comme celle que nous traversons les entreprises dépendantes des politiques accommodantes déjà présentes avant la crise ont besoin d’une politique encore plus accommodante. Alors que certains trouvaient que l’action des banques centrales en temps normal était trop importante, aujourd’hui les banquiers centraux doivent faire preuve d’ingéniosité et ne plus compter en milliard. En effet, le risque était déjà très important en 2019 début 2020, il est encore plus aujourd’hui.

En 2019, Bloomberg Scott Mather responsable des investissements de Newport Beach déclarait « Le segment des obligations d’entreprises présente sans doute le niveau de risque le plus élevé de son histoire. …Nous constatons une hausse de l’endettement des entreprises, une baisse de la qualité de crédit, ainsi qu’une diminution des garanties accordées aux prêteurs ». Une situation que Les Echos n’hésite pas à qualifier « typique d’une fin de cycle ». En effet, en mai 2019 les agences de notations commençaient déjà à dégrader les notes des entreprises américaines et selon Les Echos en mai 2019 « Les fonds qui investissent dans cette classe d’actifs aux Etats-Unis ont enregistré près de 3 milliards de dollars de retraits de capitaux en une semaine, d’après les données d’EPFR. Au total 6,5 milliards de dollars sont sortis de ces fonds en mai, souligne Bloomberg. ». Tout comme Les Echos le souligne en mai 2019 https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/dette-dentreprises-lavertissement-dun-poids-lourd-du-marche-1025524 , Capitale évoque également cette dégradation des notes des entreprises américaine en avril 2020 https://www.capital.fr/entreprises-marches/les-faillites-explosent-la-dette-des-entreprises-est-a-surveiller-de-pres-1366580 et précise «Il y a quelques mois, le FMI avertissait qu’en cas de choc économique équivalent à seulement la moitié de celui des subprimes, le montant global de la dette à risque d’entreprises, dans les 8 économies observées (Etats-Unis, Chine, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Espagne et Italie) pourrait atteindre 19.000 milliards de dollars…soit 40% du montant total des dettes d’entreprises. C’est-à-dire 40% des dettes d’entreprises dont les intérêts ne pourraient pas être couverts par les bénéfices, d’après les critères du FMI. »

  Je laisse chacun juger de la situation actuelle tout en sachant qu’il y a un an déjà certains tiraient la sonnette d’alarme. Les agences de notations se sont déjà faite surprendre en 2008, elles seront je pense plus réactive aujourd’hui et commencé déjà à dégrader les notes de certaines entreprises dans le contexte de ralentissement de la croissance ces dernières années. La crise du coronavirus révèle ou révèlera surement ces niveaux de ratio d’endettement et la dépendance qu’ils impliquent vis-à-vis de la politique monétaire. Mais alors que les Banques Centrales font tourner la planche à billets à plein régimes et viole ou suspende les règles pour sauver l’économie, les entreprises déjà très endettées avec la crise se relèveront (pour celles qui survivront) très difficilement or nombreuses sont celles notés BBB. Et tel qu’évoquais ci-dessus les agences de notations ne se feront peut-être pas avoir une seconde fois et commençais déjà à dégrader les notes avant a crise.

C’est ici que le problème suivant se pose. Il convient de rappeler au lecteur que les fonds d’investissement sont eux aussi séparé en catégories, ceux qui investissent dans l’IG et ceux qui investissent dans le High Yield. Ainsi une dégradation de la note attribuée aux entreprises actuellement notées BBB les feraient passer de la catégorie IG à Non-IG ce qui par la même occasion forceraient les fonds d’investissement qui se concentre sur l’investissement dans le IG à vendre l’ensemble des ex-BBB maintenant dégradé et spéculatives. Or les BBB représente plus de la moitié de l’IG et le High Yield représente 25% de l’ensemble du marché obligataire coporate en 2019. Chacun perçoit alors le problème : le IG est trois fois plus importants que le Non-IG, si la moitié du IG venait à être classé Non-IG les fonds de celui-ci auraient peut-être du mal à tout absorber et ce qui est sûr c’est qu’à ce moment précis les entreprises auparavant BBB et maintenant dégradé vont voir leurs couts de financement bondir. Beaucoup pourraient alors ne pas survivre ou bien se transformer en Zombie. Il est évident que si un tel scénario se produisait la banque centrale devrait intervenir. Il est cependant peu probable que l’ensemble des entreprises notées BBB bascule dans le High Yield. Néanmoins l’actuel fort ralentissement en fera basculer plus d’une, mais il serait prétentieux et hasardeux de prédire la proportion d’obligations corporates qui basculeront vers le Non-IG. En tous cas les banques centrales et les états devront sans doute redoubler d’imagination et d’astuces pour contourner les règles, afin de sauver ces entreprises si elles sont trop nombreuses à basculer, car celles-ci rachètent déjà beaucoup d’actifs au point d’aboutir à l’extrême opposé du néolibéralisme qui a été poussé pour certains à son paroxysme.

–FIN –

30 Juin 2020

Charles Roussel

Sources :

www.oecd.org/fr/economie/perspectives/la-resilience-dans-un-contexte-d’endettement-eleve-perspectives-economiques-ocde-novembre-2017.pdf Graphiques : page 10 – page 18 – page 27

http://www.oecd.org/fr/gouvernementdentreprise/corporate-bond-market-trends-emerging-risks-and-monetary-policy.htm ou pour directement visualiser le pdf cliquer sur le line suivant http://www.oecd.org/corporate/ca/Corporate-Bond-Market-Trends-Emerging-Risks-Monetary-Policy.pdf Graphiques : page 13 – page 15 – page 27- page 48- page 14- page 11