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ARTICLE – L’ESPACE EUROPÉEN DES DONNÉES DE SANTÉ (EEDS) : QUELS ENJEUX ET QUELS BÉNÉFICES POUR LES SYSTÈMES DE SANTÉ EUROPÉENS  ? 

Par Andrea Le Nigen, étudiant en droit public à Paris Saclay

Malgré les avancées de la santé numérique en Europe, les données de santé demeurent fragmentées, cloisonnées entre États membres et parfois difficilement exploitables par les professionnels, les patients ou les chercheurs. Cette fragmentation génère une perte d’efficacité et un frein à l’innovation médicale et pharmaceutique.  

C’est pour répondre à cet ensemble de limites que l’Union européenne a adopté en février 2025 le règlement instituant l’Espace européen des données de santé (EEDS), première déclinaison sectorielle de la stratégie européenne des données, entré en vigueur le 26 mars dernier. 

Le règlement sur l’espace européen des données de santé s’applique s’applique dans le cadre de l’utilisation primaire comme secondaire des données :

  • D’une part, l’utilisation primaire des données de santé s’applique aux données personnelles. Ces données relèvent de deux catégories définies par le règlement général sur la protection des données (RGPD) : (i) les données concernant la santé (santé physique ou mentale d’une personne physique) (ii) les données génétiques (relatives aux caractéristiques génétiques héréditaires ou acquises d’une personne physique qui communiquent des informations sur sa physiologie ou sur son état de santé). 
  • D’autre part, l’utilisation secondaire des données de santé relève d’un partage à des fins d’intérêt général (recherche scientifique, innovation, développement technologique), tout en excluant certaines utilisations (activités de publicité ou de marketing). Ce régime couvre un large spectre de données : données à caractère personnel et non-personnel, données protégées par le secret des affaires…  

Le règlement EEDS poursuit les objectifs de garantie aux citoyens un accès transfrontalier effectif à leurs données de santé électroniques et d’harmonisation au niveau européen les règles de partage des données de santé. Ce règlement nécessitera en France un certain nombre d’adaptations législatives et règlementaires, dans la mesure où il laisse des marges de manœuvre aux États membres de l’Union européenne, tout en prévoyant certaines obligations, nécessitant des ajustements avant le printemps 2027.   

La mise en œuvre intégrale du règlement s’effectuera en plusieurs étapes, jusqu’en mars 2034 :  

  • Mars 2025 : entrée en vigueur et début de la période de transition 
  • Mars 2027 : la Commission doit avoir adopté plusieurs actes d’exécution clés fixant des règles détaillées pour la mise en œuvre opérationnelle du règlement 
  • Mars 2029 : des parties importantes du règlement EDHS entrent en application, y compris, pour une utilisation primaire, l’échange du premier groupe de catégories prioritaires de données de santé au sein des États membres de l’UE (dossiers de patients, ordonnances électroniques…) 
  • Mars 2031 : pour une utilisation primaire, l’échange du deuxième groupe de catégories prioritaires de données de santé sera normalement opérationnel au sein des États membres de l’UE (images médicales, résultats de laboratoire, rapports de sortie d’hôpital). Les règles relatives à l’utilisation secondaire s’appliqueront à d’autres catégories de données (données génomiques) 
  • Mars 2034 : les pays tiers et les organisations internationales pourront demander à participer à HealthData@EU pour une utilisation secondaire.  

L’édification d’un espace européen des données de santé est l’aboutissement d’une volonté affichée par l’Union européenne depuis l’adoption le 19 février 2020 d’une stratégie européenne sur les données visant à faire de l’Union la première puissance mondiale dans l’exploitation des données à caractère personnel et non-personnel générées par les secteurs économiques et sociaux européens. Les buts d’une telle initiative sont doubles : 

  • D’une part, renforcer l’économie européenne en favorisant l’innovation et la création de valeur fondée sur le partage de données. 
  • D’autre part, développer l’IA pour favoriser l’autonomie numérique de l’Union européenne. 

Cependant, la mise en œuvre soulève des enjeux de gouvernance, de financement et de confiance citoyenne. En outre, ce règlement nécessitera en France et dans les autres États membres un certain nombre d’adaptations législatives et règlementaires, dans la mesure où il laisse des marges de manœuvre, tout en prévoyant certaines obligations, nécessitant de réaliser des ajustements avant le printemps 2027.  

Dès lors sur quels fondements peut-on affirmer que l’établissement d’un espace européen des données de santé est bénéfique à l’Union européenne et pour ses acteurs (patients, entreprises, chercheurs) ? 

Si l’espace européen repose sur des objectifs d’efficience et d’harmonisation du système de santé (I), son déploiement nécessite une adaptation à l’échelon national (II).

I. DES OBJECTIFS D’EFFICIENCE ET D’HARMONISATION DU SYSTÈME DE SANTÉ 

L’EEDS génère des bénéfices dans les systèmes de santé à la fois au service du médecin européen et du patient européen (A), mais aussi grâce à un cadre réglementaire incitatif et sécurisé qui soutient l’innovation (B). 

A) UNE POLITIQUE NUMÉRIQUE FAVORISANT À LA FOIS L’EFFICACITÉ DES MÉDECINS ET L’AUTONOMIE DES PATIENTS 

L’espace européen des données de santé, tel que défini par le règlement européen adopté en 2025, vise à « transformer les soins de santé grâce aux données ». Il aura également pour effet de permettre un usage secondaire des données à plusieurs fins : recherche, innovation, politique publique.  

La Commission estime qu’il permettra une économie d’environ 11 milliards d’euros en dix ans, grâce à l’accès et à l’échange accrus de données médicales. Ces économies se répartissent en deux volets : 5,5 milliards via l’amélioration de la consultation et de la transmission des données de soins, et 5,4 milliards grâce à la valorisation des données pour la recherche et l’innovation. Les hôpitaux devraient notamment réaliser d’importantes économies en évitant des examens redondants et en optimisant les parcours de soins. À titre d’exemple, la Commission souligne qu’avec l’EEDS la réduction des examens doublons « allègera la charge des patients et réduira les coûts des soins » et que l’efficacité des services de santé s’en trouvera améliorée. 

Pour ce qui relève des professionnels de santé et des patients, les médecins disposeront d’un accès plus rapide et plus facile aux dossiers médicaux de leurs patients, y compris transfrontaliers, réduisant ainsi « considérablement la charge administrative ». Par exemple, un ressortissant d’un État membre de l’Union européenne qui tomberait malade sera habilité à consulter en temps réel son dossier médical (vaccinations, ordonnances, antécédents) via l’infrastructure MaSanté@UE (MyHealth@EU). En France, l’Agence du Numérique en Santé a déjà déployé le service Sesali.fr qui permet aux professionnels d’accéder à la synthèse médicale européenne d’un patient (via les points de contact nationaux). 

Ces mesures accroissent la continuité des soins et évitent aux médecins de requérir des examens ou anamnèses répétitifs. Les patients eux-mêmes gagnent en autonomie : ils auront un accès gratuit et direct à leurs données électroniques, avec la possibilité d’ajouter des informations, de restreindre ou de suivre l’accès à certaines données, et même de s’opposer à l’utilisation secondaire de leurs données. 

B) UNE POLITIQUE NUMÉRIQUE ENCOURAGEANT LA RECHERCHE ET D’INNOVATION MÉDICALE 

L’accès à de grands volumes de données harmonisées bénéficiera aux chercheurs et aux industries pharmaceutiques/biotech. Un registre européen centralisé (« HealthData@EU ») sera mis en place pour les données pseudonymisées et anonymisées, facilité par un catalogue européen unifié. Les chercheurs disposeront ainsi d’un accès « plus économique » à des données de haute qualité pour des études multicentriques. 

Le projet pilote HealthData@EU (cofinancé par EU4Health et coordonné par le Health Data Hub) a d’ores et déjà testé trois cas d’usage internationaux :  

  • Résistance antimicrobienne par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC)  
  • Signatures génomiques des cancers par ELIXIR 
  • IA pour les maladies métaboliques par les universités d’Helsinki et Bordeaux, etc. 

Ces expérimentations confirment que l’accès harmonisé aux données accélérera la recherche. Le Health Data Hub note d’ailleurs une dynamique de +60% du nombre de projets aidés en 2024, incluant hôpitaux, laboratoires universitaires et industriels, grâce à la simplification des démarches d’accès. La France est pionnière en la matière avec son système national des données de santé (SNDS), créé en 2016 avec la loi de modernisation de notre système de santé, qui visait à permettre de chaîner : 

  • Données de l’assurance maladie (données déjà disponibles) 
  • Données des hôpitaux (données déjà disponibles) 
  • Causes médicales de décès (données en cours d’alimentation) 
  • Données relatives au handicap (commencent à être reçues par la Caisse nationale d’assurance maladie) 
  • Échantillon de données en provenance des organismes d’assurance maladie complémentaire 

De plus, l’espace européen des données de santé impose aux éditeurs de dossiers médicaux électroniques et aux fabricants de dispositifs médicaux connectés d’obtenir un marquage CE, marquage sur lequel le fabricant engage sa responsabilité sur la conformité aux exigences essentielles du produit et peut le faire commercialiser, fondé sur des critères stricts d’interopérabilité et de traçabilité. Cette certification harmonisée offre aux entreprises un « accès à de nouveaux marchés » au sein d’une Europe à standards unifiés.  

Les industriels de technnologie en santé (MedTech), ainsi que les portails numériques, pourront concevoir leurs produits sur des bases de données paneuropéennes anonymisées, accélérant R&D et validation clinique. Par exemple, cet ensemble de mesures permettrait une croissance de 20 à 30%. En France, l’essor des plateformes de téléconsultation, dont le marché est estimé à 7,5 milliards de dollars d’ici 2025, dépendra désormais du respect des normes EEDS (interopérabilité, cybersécurité). 

L’espace européen des données de santé crée ainsi simultanément une obligation de conformité accrue pour les entreprises (modules DMP « dossier médical partagé », génériques bien-être labellisés, ORAD « organismes responsables de l’accès aux données de santé » contrôlant les accès) et des opportunités de marché nouvelles (données cliniques à grande échelle, expansion européenne) 

Plusieurs initiatives illustrent déjà ces effets. Outre HealthData@EU, la France pilote MaSanté@UE par le service Sesali. Le Health Data Hub, dans le cadre de l’appel à projets,  fait participer à des projets d’IA appliquée en santé (projet Partages) mobilisant des données massives pour l’analyse prédictive plusieurs partenaires nationaux, comme l’Institut Curie, qui met en œuvre des outils d’IA afin de répondre aux enjeux de la recherche et plus spécifiquement en oncologie.  

De même, le système national de données de santé (SNDS) a élargi son catalogue avec 12 nouvelles bases en 2024, améliorant les possibilités d’analyse intégrée. Au niveau européen, les dispositions interopérables de l’EEDS faciliteront le partage sécurisé des données de soins (dossier patient, ordonnance, imagerie) entre 27 pays. Au total, l’EEDS optimise l’utilisation directe des données pour la prise en charge des patients et la planification des soins, tout en créant des gains mesurables d’efficacité pour les systèmes de santé. 

II. LES OBLIGATIONS TECHNIQUES ET JURIDIQUES IMPOSÉES AUX ÉTATS MEMBRES 

A) DES MODIFICATIONS IMPOSÉES (SERVICES NATIONAUX D’ACCÈS AUX DONNÉES DE SANTÉ ET RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DES DONNÉES) ET DES MARGES DE MANŒUVRE LAISSÉES AUX ÉTATS (ORGANISATION INTERNE ET MODALITÉS D’APPLICATION) 

Le règlement sur l’espace européen des données de santé impose aux États membres un ensemble d’obligations techniques et juridiques nouvelles. Il est directement applicable, mais introduit des dispositions novatrices nécessitant des adaptations du droit et des systèmes nationaux. Il convient à cet égard de rappeler la distinction classique en droit de l’Union européenne entre les règlements, directement applicables dans les États membres après leur entrée en vigueur et ayant donc force immédiate, et les directives, qui doivent d’abord faire l’objet d’une transposition en droit national avant de devenir applicable au sein des États membres.  

En France, cela implique d’entreprendre un certain nombre de modifications dans le droit interne, notamment législatives (Code de la santé publique, RGPD, bioéthique, etc.) et les infrastructures numériques existantes (par exemple « Mon Espace Santé »/DMP) pour les aligner sur les normes européennes. 

L’espace européen des données de santé impose l’adoption de formats normalisés communs (techniques et sémantiques) pour les dossiers médicaux électroniques (DME) et autres données de santé, afin d’assurer un échange sécurisé et harmonisé entre États. Les éditeurs de logiciels de santé devront notamment obtenir un marquage CE spécifique et se soumettre à des procédures d’auto-certification pour garantir l’interopérabilité et la traçabilité des accès. 

Chaque État doit mettre en place un service national d’accès aux données de santé électroniques (article 4 EHDS). En France, ce service existe partiellement sous le nom « Mon Espace Santé », qu’il faut faire évoluer pour répondre aux exigences de l’EHDS. Par exemple, la participation de la France à l’infrastructure européenne MaSanté@UE (MyHealth@EU) deviendra obligatoire pour l’échange transfrontalier des données prioritaires (synthèses médicales, prescriptions, etc.) via les points de contact nationaux. 

De plus, avec ce règlement la gouvernance numérique apparaît comme renforcée. Ainsi, Chaque État doit désigner une Autorité nationale de santé numérique et une Autorité de surveillance du marché pour garantir l’application du règlement. Ces organismes seront chargés de contrôler la conformité des systèmes d’information de santé (interopérabilité des DME, sécurité des données) et d’organiser la certification CE des logiciels et dispositifs médicaux interconnectés. 

Par ailleurs, le cadre européen harmonise la réutilisation des données de santé à des fins de recherche. Il impose aux détenteurs de données (hôpitaux, laboratoires, etc.) de mettre à disposition certaines données anonymisées ou pseudonymisées dans un environnement sécurisé. Les États doivent aussi instituer un ou plusieurs Organismes Responsables de l’Accès aux Données (ORAD, ou Health Data Access Body) pour instruire les demandes (« data permits ») et autoriser les accès. 

Le règlement renforce les droits des citoyens sur leurs données de santé (accès, portabilité, contrôle, etc.), au-delà des dispositions du RGPD. Les États doivent garantir l’exercice de ces droits (possibilités d’opt-out, accès d’urgence « break the glass », informations sur l’utilisation des données) et prévoir les sanctions en cas de non-respect, en cohérence avec le nouveau cadre européen. 

S’il est vrai que le règlement EEDS insiste lourdement sur l’interopérabilité et sur la sécurité, il insiste moins sur l’éthique du recours secondaire aux données.  

Des inquiétudes relatives à l’éthique médicale émanent des citoyens mais également des médecins des États membres de l’Union européenne : le 9 novembre 2022, le Comité permanent des médecins européens, représentant de toutes les associations médicales des États membres, a donné son avis sur la proposition de la Commission européenne relative à l’EEDS, en soulignant l’importance de l’éthique médicale et de la compétence nationale.  

Le Comité permanent des médecins européens (CPME), tout en se félicitant que les citoyens européens aient désormais un meilleur contrôle sur leurs données de santé, a donc appelé la Commission à laisser une marge de manœuvre nationale aux structures existantes dans les États-membres en ce qui concerne les garanties éthiques : exigences quant à l’utilisation « secondaire » des données de santé, obligation d’obtention du consentement des patients avant utilisation des données, appel systématique à ces comités d’éthique.  

Le règlement relatif à l’espace européen des données de santé comporte néanmoins des options laissées aux États membres pour ce qui relève de sa mise en œuvre concrète. Autrement dit, si le socle européen fixe des principes contraignants, chaque pays conserve des choix sur l’organisation interne, l’étendue des obligations et les modalités d’application. 

Chaque État décide librement de la structure de ses organismes d’accès aux données de santé. Le règlement autorise la désignation de plusieurs ORAD (guichets uniques nationaux) si nécessaire, avec l’obligation de nommer un ORAD « coordinateur » lorsque plusieurs entités sont créées. La France doit encore arbitrer la question (CNIL, Plateforme de données de santé ou nouvelle entité), mais ce choix relève du niveau national. 

Le texte fixe des catégories minimales de détenteurs et de données concernées, mais les États peuvent étendre leur champ. Par exemple, l’espace européen des données de santé ne rend pas obligatoires les obligations de partage pour les individus et microentreprises, mais un pays peut décider d’inclure ces acteurs dans le dispositif. De même, chaque État a la liberté d’ouvrir la liste des catégories de données éligibles à la réutilisation au-delà du socle défini. En France, la concertation prévoit pour l’instant de rester sur la liste de base, mais la marge existe. 

En effet, l’article 99 du règlement laisse aux États membres le soin de définir les sanctions et procédures en cas de non-conformité. En pratique, la France pourra fixer, par son droit interne, les peines (ex. montants) et l’autorité compétente (CNIL, Agence du numérique en santé…) pour sanctionner les manquements au règlement, dans les limites du cadre européen. De même, le texte précise simplement que la CNIL et l’ORAD (organisme responsable de l’accès aux données) coopéreront : leur coordination opérationnelle reste à organiser au niveau national. 

B) QUELQUES PISTES D’AMÉLIORATION DU RÈGLEMENT EEDS 

Un enjeu pourtant extrêmement important, n’a pas été abordé par le règlement prévoyant la création de l’EEDS. En effet, il s’agit de la souveraineté des serveurs d’hébergement des données, partagés à des fins d’utilisation secondaire (recherche, innovation, santé publique). 

La France impose d’obtenir, y compris pour les acteurs du marché étranger désireux de proposer leurs services d’hébergement (exemple des acteurs Cloud américains comme Microsoft Corporation qui héberge la plateforme de données de santé Health Data Hub et Amazon), pour une période de 3 ans renouvelable, une certification HDS (hébergeur de données de santé), afin de renforcer la protection des données de santé et d’accentuer la confiance autour de l’E-Santé et des modalités du suivi des patients.  

La Commission européenne classifie certains pays comme ayant un niveau de protection « adéquat », c’est-à-dire avec un niveau de protection équivalent au RGPD. Le 10 juillet 2023, la Commission a classifié les États-Unis comme faisant partie des pays adéquats, malgré un fort risque d’ingérence. Il est reproché aux hébergeurs Cloud américains de permettre aux autorités de leur pays d’accéder et de capter les données de santé des citoyens européens (lois américaines FISA et Cloud ACT). Cette décision pose donc la question de la préservation de la souveraineté dans un contexte où les citoyens se sentent de plus en plus concernés par la défense de leurs données de santé et par leur droit à la protection. 

Ce constat doit appeler une position plus vigilante de la part de la Commission. Pourrait être envisagée une proposition allant dans le sens des préoccupations des populations sur l’usage fait de leurs données à caractère personnel. Cette proposition à l’encontre des prestataires extra-européens qui se rendraient coupables d’ingérences alors même qu’elles bénéficieraient en France d’une certification HDS (ou équivalent dans les autres États membres) pourrait être formulée en tant qu’extension du règlement EEDS en conseil de l’Union européenne en vertu de l’article 114 du TFUE, afin d’harmoniser les législations des États membres et permettre le bon fonctionnement du marché intérieur.  

À l’échelle européenne, la CNIL a souligné, dans un article du 19 juillet 2024, les risques d’une certification européenne permettant l’accès des autorités étrangères aux données sensibles. Elle ne permettrait plus aux fournisseurs de démontrer qu’ils protègent les données stockées contre tout accès par une puissance étrangère, contrairement à la qualification SecNumCloud en France.  

La CNIL estime qu’une protection renforcée s’impose pour le traitement des données les plus sensibles (données de santé) pour lesquels les données de l’Union européenne ne devraient pas être soumises à un risque d’accès non autorisée, et s’inquiète que la possibilité de s’assurer que l’hébergeur des données n’est pas soumis à une législation extra-européenne ne figure plus dans le projet de certification européenne de cybersécurité du cloud EUCS piloté par l’Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité (ENISA), même dans les niveaux de certification les plus élevés, et même à titre optionnel. Face à cette absence de cadre visant à protéger les droits et libertés fondamentaux, la CNIL recommande de recourir à un prestataire fiable uniquement soumis au droit européen.  

Il serait pertinent de prendre comme base sa proposition pour suggérer une extension du règlement EEDS : inclusion optionnelle de critères d’immunité aux lois extra européennes au sein du schéma de certification européen EUCS dans le but de garantir la plus haute protection possible des traitements de données personnelles les plus sensibles pour les acteurs industriels européens.  

Comment lutter efficacement contre la précarité étudiante ?

Par Pierre Geraud, étudiant en Master Stratégies territoriales à Sciences Po

D’après une étude de la fédération des associations générales étudiantes (FAGE) de janvier 2024, un étudiant sur cinq ne mangerait pas à sa faim en France1. Les fragilités structurelles des politiques de soutien de la vie étudiante (3,2 Md d’euros pour la LF 2025) ont été particulièrement visibles pendant la crise sanitaire, alors que de nombreux étudiants ont été dépendants de l’assistance alimentaire d’associations, dans un contexte de suppression d’emplois étudiants liés à l’épidémie.

La politique de soutien à la vie étudiante mobilise différents acteurs en particulier l’Etat avec le programme 231 qui finance cette politique les universités avec des dispositifs d’accueil et d’accompagnement, les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) pour le logement et la restauration principalement, dont le réseau est piloté par le centre national (Cnous), et d’autres organismes ponctuels (associations par exemple). La complexité des multiples outils de soutien et la mauvaise coordination des acteurs engagés sur cette politique représentent des freins à l’efficacité des politiques de soutien à la vie étudiante. 

Plusieurs dispositifs concourent à résorber les difficultés qui se posent pour les étudiants et ont été renforcés :

Pour limiter la précarité étudiante, différents leviers ont été mis en place par l’État et ses opérateurs. Au premier rang de ces mécanismes figurent les bourses sur critères sociaux (BCS), qui concernent environ 700 000 étudiants sur une population globale de 3 millions en 2023. Versées sous conditions de ressources, elles constituent souvent la première source de soutien financier pour les étudiants issus de milieux modestes.  

Afin de compléter cette aide directe, des dispositifs spécifiques visent à améliorer les conditions de vie au quotidien. Le soutien au logement étudiant s’illustre avec la construction et la gestion de résidences universitaires par les Crous, tandis que la restauration universitaire (RU) propose des repas complets à tarifs subventionnés (1 € pour les boursiers et 3,30 pour les non-boursiers). L’objectif est de réduire le poids des dépenses courantes (loyer, nourriture), qui constituent l’essentiel du budget d’un étudiant. Ces dispositifs (dotations aux bourses, subventions versées aux Crous) sont financés par le programme 231.  

Depuis 2018, une évolution majeure est intervenue avec la création de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Payée chaque année par les étudiants non boursiers, elle a pour vocation de financer des actions destinées à améliorer la qualité de vie sur les campus (culture, activités sportives, accompagnement social).  

L’instauration de cette contribution a par ailleurs coïncidé avec le rattachement des étudiants au régime général de sécurité sociale, permettant aux intéressés de réaliser des économies notables sur leurs cotisations (auparavant destinées aux mutuelles étudiantes). Selon la Cour des comptes2, cette réforme a globalement accru le pouvoir d’achat des étudiants et facilité leur accès aux soins.  

Enfin, il peut être souligné que les étudiants peuvent également bénéficier d’autres prestations sociales, non spécifiques (i.e qui ne sont pas seulement pour les étudiants), à l’instar des aides personnalisées au logement (APL) versées par les caisses d’allocations familiales (CAF).  

À la faveur de la crise sanitaire, la lutte contre la précarité étudiante est devenue un objectif central, en particulier avec des mesures d’urgence :

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière la vulnérabilité particulière des étudiants, qu’il s’agisse de leur situation financière, de leur logement ou encore de leur santé mentale. Les pouvoirs publics ont déployé des mesures d’urgence visant à soutenir les besoins les plus immédiats :

  • Logement : Le loyer des logements universitaires gérés par les Crous a fait l’objet de gels successifs du 1/01/2020 au 1/09/2024, empêchant une hausse de 6% des loyers et limitant ainsi les charges auxquelles doivent faire face les étudiants.
  • Restauration : Pendant la crise sanitaire, la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) avait été partiellement réaffectée pour financer l’aide alimentaire, et le repas à 1 € initialement réservé aux seuls boursiers à partir d’août 2020 avait été étendu à l’ensemble des étudiants de janvier à août 2021, allégeant fortement le poste de dépenses des étudiants lié à l’alimentation.
  • Pouvoir d’achat : Des aides d’urgence ont été accordées, notamment une aide exceptionnelle de 200 euros versée une fois en mai-juin 2020 en cas de perte d’emploi ou de stage étudiant
  • Santé et bien-être  : Des  dispositifs d’accompagnement psychologique  ont été instaurés par exemple le « chèque psy » en février 2021 permettant aux étudiants de consulter gratuitement un psychologue en libéral, sans avancer de frais afin de pallier l’isolement et la détresse mentale aggravés par les restrictions sanitaires.

La situation des étudiants demeure particulièrement problématique :  

Malgré l’essor récent de dispositifs destinés à soutenir les étudiants, des difficultés et des  inégalités d’accès persistent sur le plan territorial, en particulier en matière de logement. En Ile de France, l’offre de résidences CROUS est largement inférieure à la demande : sur les 25 000 demandes pour la rentrée 2023 à Paris, seuls 1 000 logements CROUS ont été attribués. A l’échelle nationale, l’offre de logements Crous ne répond qu’à 7% des besoins en logements étudiants (Conseil national de l’habitat, janvier 20253). Cette situation constitue un vecteur d’angoisse et de risque de décrochage scolaire pour les étudiants. 

Par ailleurs, plusieurs signaux préoccupants témoignent d’un manque d’adaptation des dispositifs : 

  • Le biais inflationniste des APL sur les loyers a été souligné par l’INSEE, tandis que le calcul des BCS sur les revenus de l’année N-2 ne permet pas d’adapter les aides à la situation réelle de l’étudiant, en particulier en période de crise. Ainsi, le nombre de boursiers avait baissé de 7 % entre 2022 et 20234, alors que la précarité étudiante tend à s’aggraver (FAGE, Baromètre de la précarité étudiante 2024) : 36 % des étudiants déclarent avoir déjà sauté souvent ou de temps en temps des repas par manque d’argent5 (IFOP, octobre 2024). Aussi, en 2022, la hausse du coût de la vie pour les étudiants (de 6,47 %) était supérieure à l’inflation (6,1%) (enquête UNEF sur le coût de la vie étudiante, août 20226). 
  • Les capacités d’accueil psychologique restent insuffisantes. Ainsi, on compte en 2025 environ 1 psychologue spécialisé en équivalent temps plein pour 15 000 étudiants, soit un ratio deux fois supérieur à celui de 2020 (un pour 33000), mais néanmoins dix fois inférieur à la recommandation internationale (1 pour 1 500 étudiants7). À titre de comparaison, les Etats-Unis disposent de ressources de santé mentale pour les étudiants bien plus importantes (1 psychologue pour 1588 étudiants en 20218).  
  • L’offre de dispositifs d’aide est souvent hétéroclite, mal coordonnée et mal connue des principaux intéressés : il peut arriver que plusieurs organismes (associations, universités, Crous) proposent des aides similaires, sans coordination, ce qui limite leur efficacité

Mieux coordonner les acteurs concernés et améliorer l’efficacité des dispositifs :

Pour répondre aux défis de la précarité étudiante, une réforme en profondeur requiert d’abord un renforcement de la coordination entre les multiples acteurs (universités, Crous, collectivités, État, associations).

  • Sur la mobilisation des acteurs :
  • La connaissance du phénomène de la précarité étudiante pourrait être portée plus efficacement dans le débat public grâce à un Observatoire de la vie étudiante (OVE) plus robuste, capable de proposer des données fiabilisées et des analyses régulières. 
  • L’organisation du réseau Crous/Cnous, gagnerait à être revue en particulier pour corriger la pénurie et les déséquilibres territoriaux : l’accélération de la construction de logements Crous doit constituer une priorité. Aussi, la mutualisation des logements Crous via la colocation pourrait être encouragée à Paris, comme c’est déjà le cas à Montpellier ou à Lyon où celle-ci est nettement plus développée. Le rapport pour l’année 2023 sur le réseau Cnous/Crous avait également mis en évidence la nécessité de clarifier le partage des compétences entre les universités, les Crous et l’État9.  

Sur le renforcement des dispositifs :

Les services de santé universitaires pourraient bénéficier de moyens renforcés, afin de réduire la pénurie d’accompagnement psychologique et d’offrir des parcours de soins adaptés. En ce sens, le renforcement des effectifs de psychologues apparait nécessaire. Aussi, des dispositifs comme le chèque psy doivent gagner en pertinence et les difficultés d’accès doivent être traitées (Christophe Ferveur, Fondation Santé des étudiants de France, 202510). 

La réforme des bourses, lancée par le ministère de l’Enseignement supérieur en 2024, a revalorisé le barème revenus-points de charges permettant à de nouveaux étudiants d’être éligibles. Les effectifs d’étudiants boursiers ont alors augmenté de 2,1 % pour l’année universitaire 2023-2024 (Ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, septembre 202411). Cette politique de revalorisation des bourses doit être poursuivie en prenant mieux en compte dans les critères d’octroi la diversité des situations (parcours professionnels précoces, étudiants en reprise d’études, etc.). Aussi, une réflexion sur l’évolution des modalités de calcul des BCS doit être entreprise afin de ne plus les faire reposer sur les revenus de l’année N-2. 

  • Enfin, il apparait nécessaire de dynamiser la CVEC afin d’en faire un outil structurant de la « vie étudiante ». Au-delà de son rôle de financement, il s’agirait de renforcer la participation des étudiants aux décisions relatives à l’utilisation de cette contribution (création ou rénovation d’infrastructures, soutien d’initiatives étudiantes…), favorisant ainsi leur capacité d’agir au sein des instances universitaires.

  1. https://www.fage.org/news/actualites-fage-federations/2024-01-10,DP_Consultation_BougeTonCROUS_2024.htm ↩︎
  2. Les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur, novembre 2018 ↩︎
  3. https://www.habitatjeunes.org/2025/01/31/le-logement-des-jeunes-une-urgence-sociale/ ↩︎
  4. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-boursiers-sur-criteres-sociaux-en-2022-2023-92745#:~:text=Durant%20l%E2%80%99ann%C3%A9e%20universitaire%202022-2023%2C%20derni%C3%A8re%20ann%C3%A9e%20avant%20la,une%20baisse%20de%207%2C6%20%25%20en%20un%20an. ↩︎
  5. enquête IFOP menée sur un panel 812 étudiants et publiée en octobre 2024 ↩︎
  6. https://unef.fr/wp-content/uploads/2022/08/Enquete-sur-le-Cout-de-la-vie-etudiante-2022.pdf ↩︎
  7. recommandations de l’OMS concernant la santé mentale, novembre 2023  ↩︎
  8. https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ210120276.html ↩︎
  9. https://www.lescrous.fr/2024/07/le-cnous-publie-son-rapport-dactivite-pour-lannee-2023/?export_format=pdf ↩︎
  10. https://www.lemonde.fr/campus/article/2025/02/26/cinq-ans-apres-la-crise-due-au-covid-19-les-cheques-psy-pour-les-etudiants-ont-ete-utiles-mais-insuffisants_6564951_4401467.html ↩︎
  11. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-boursiers-sur-criteres-sociaux-en-2023-2024-97464 ↩︎

Crise du logement en France : quel diagnostic et quelles réponses ?  

Par Pierre Geraud, étudiant en Master Stratégies territoriales à Sciences Po

En France, le droit au logement est un objectif à valeur constitutionnelle (OVC) découlant de la rédaction des 10e et 11e alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (94-359 DC, 19 janv. 1995, Loi relative à la diversité de l’habitat ; 98-403 DC 29 juill. 1998, Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions)1. La mise en œuvre de cet OVC par le législateur résulte alors de la loi du 5 mars 2007, consacrant le droit au logement opposable (DALO).   

Toutefois, plus de quatre millions de personnes sont considérées comme mal logées, près d’un million n’ont pas de domicile personnel et 100 000 vivent dans une habitation de fortune toute l’année (Fondation pour le Logement des Défavorisés, 30e rapport sur le mal-logement, 2025)2. Cette situation illustre une situation de crise du logement en France, alors que les aides publiques se sont élevées à 44 milliards d’euros en 2023 (Ministère du logement et de la rénovation urbaine, octobre 2024)3. La baisse des constructions et des transactions engendre un blocage du parcours résidentiel et en conséquence dégradation des conditions d’accès à des locations ou à la propriété, malgré les mesures prises par les pouvoirs publics. En outre, les défis de long-terme liés à la démographie, à l’accès à tous au logement et à la transition écologique contraignent fortement la politique publique liée. Enfin les réponses publiques – qui visent tantôt à favoriser (accession à la propriété), tantôt l’accueil des publics plus modestes (parc social), tantôt le logement à un prix abordable (locatif par exemple) – peuvent souffrir d’un déficit de lisibilité.  

La crise du logement en France, qui se traduit par une baisse des transactions et des constructions, concerne aussi bien l’offre que la demande :  

La période récente a été marquée par une baisse des constructions et des transactions. En effet, le nombre de permis de construire en France, est passé de 500.000 logements en 2022 à environ 350.000 en 2025, soit une baisse de 30%, tandis que le nombre de transactions est passé d’1,2 millions à 780000 entre septembre 2022 et 2024, soit une baisse de 35%. Aussi, le rythme des constructions neuves reste freiné par une insuffisante mise en d’œuvre des autorisations : le nombre effectif de logements construits reste significativement inférieur à celui des logements autorisés (Cour des comptes, Note thématique, Assurer la cohérence de la politique du logement face à ses nouveaux défis, 7 juillet 2023)4. La contraction des transactions et des constructions neuves engendre un blocage du parcours résidentiel (diminution du nombre de primo-accédants, faible rotation dans le parc social) et un mal-logement conséquent.    

Les facteurs d’explication se trouvent à la fois du côté de l’offre et de la demande. Au niveau de l’offre, la période inflationniste en 2022 et 2023 (5%/an) a augmenté les coûts de production qui pèse sur la construction et la rénovation. Ces coûts ont même augmenté plus que l’inflation. Outre, l’inflation le BTP est confronté à une profonde transformation en cours avec les acteurs de la rénovation qui ne sont pas encore structurés. Au niveau de la demande, si le parc de logements s’est agrandi (25 millions en 1984, contre 37,5 millions en 2020), la pression démographique dans certains territoires – comme à Paris et sa proche banlieue – ainsi que des moindres aménagements en couple  (moins de 70 % des personnes de 32 ans vivent en couple en 2021, contre quasiment 80 % en 1990, INSEE, France, portrait social, ménages, couples et familles, novembre 2024)5 contribuent à accroître la demande de logements, se traduisant notamment par une forte tension locative. En outre, les périodes de hausse des taux d’intérêt ont réduit la capacité d’emprunt des ménages pour un achat et favorisé ainsi la tension locative. Le logement représente ainsi environ un tiers des dépenses pré-engagées des ménages (France Stratégie, Note d’analyse n°102, août 2021)6, faisant de celui-ci le poste le plus difficilement compressible.   

Sur le temps long, si les pouvoirs publics sont progressivement intervenus dans le secteur du logement, en agissant sur l’offre comme la demande, les choix opérés n’ont pas toujours eu les effets escomptés :  

D’une part, en matière d’offre, si loi Siegfried de 1894 établit les comités d’Habitations à Bon Marché (HBM) et la loi Loucheur de 1928 fixe des objectifs quantitatifs de construction de logements, c’est surtout après la Seconde guerre mondiale que l’Etat devient un acteur clé de la construction de logements, en particulier sociaux, qui se traduit notamment par les « grands ensembles » et à partir des années 1980 une politique de développement social dans les quartiers aujourd’hui dits « prioritaires ». Aussi, la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) impose aux communes de disposer d’au moins 20% de logements sociaux, renforçant ainsi la production de logements accessibles dans les zones tendues. Par ailleurs, des instruments fiscaux ciblant les logements vacants ou les résidences secondaires visent également à agir sur l’offre de logements, en favorisant la remise sur le marché de biens inoccupés ou faiblement utilisés.  

D’autre part, les pouvoirs publics agissent également sur la demande. Le développement d’aides aux logements (allocation de logement familiale créée en 1948, allocation de logement sociale en 1972, aide personnalisée au logement en 1977) vise alors à « solvabiliser » la demande (des locataires comme des accédants à la propriété) et à donner aux ménages plus de choix dans leur logement via un soutien financier direct. La suppression de la taxe d’habitation depuis 2020 dont devait s’acquitter l’occupant du logement, solvabilise également la demande.   

Aussi, la volonté des pouvoirs publics de solvabiliser la demande, en particulier des propriétaires, se traduit par des dispositifs tels que MaPrimeRénov’ ou Ma Prime Adapt mais également des crédits d’impôts ou des prêts garantis. La demande est également soutenue par un cadre juridique structurant la relation entre locataires et bailleurs, le régime en France étant protecteur des premiers (ex : loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) de 2014 encadrant les loyers et fixant la période de la trêve hivernale, du 1er novembre au 31 mars, durant laquelle les procédures d’expulsion d’un locataire sont suspendues).  

Toutefois, les choix opérés ne parviennent pas à enrayer la crise actuelle. Le soutien à la demande a des effets limités : la suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales à partir de 2020 a en réalité été captée en grande partie par les prix de l’immobilier (Institut des politiques publiques, Evaluation de la réforme de la taxe d’habitation, décembre 2023)7, tandis que le biais inflationniste des APL sur les loyers a été démontré (INSEE, L’impact des aides au logement sur le secteur locatif privé, novembre 2014)8. En parallèle, l’Etat a réduit son appui aux bailleurs sociaux alors que les nombre de demandeurs de logement social est passé de 2 à 2,6 millions entre 2016 et 2023 et que la rotation est faible. Aussi, la politique d’adaptation des logements à l’évolution démographique, notamment face au vieillissement de la population française reste insuffisante aujourd’hui. L’enveloppe concernée, notamment avec « Ma Prime Adapt », reste faible, en comparaison à la rénovation énergétique (Cour des comptes, Le soutien aux logements, face aux évolutions climatiques et au vieillissement de la population, octobre 2023)9.  

En outre, la politique du logement est confrontée aux ambitions des politiques environnementales. En effet, la loi Climat Résilience de 2021 a fixé l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) – qui vise à cesser toute progression nette de l’artificialisation des sols d’ici 2050 – ou encore l’interdiction à la location des « passoires thermiques » (G au 1/01 2025, F en 2028). Ces mesures de sobriété foncière et énergétique conduisent alors à augmenter indirectement la pression sur l’offre de logements.   

Il apparait nécessaire de mieux adapter la politique du logement aux enjeux sociaux et écologiques, tout en encourageant la mobilité résidentielle :  

Cette adaptation nécessite en premier lieu des réponses matière de fiscale. En ce sens, le conseil des prélèvement obligatoires (CPO, Pour une fiscalité du logement plus cohérente, décembre 2023)10 préconise de taxer davantage la détention, principalement via la taxe foncière, à condition toutefois de rendre cette imposition moins régressive et plus juste notamment par la mise en œuvre de la réforme des valeurs locatives cadastrales (VLC), dont le système peut apparaitre injuste à l’heure actuelle (Insee, Mathias André, Olivier Meslin décembre 2023)11. En effet, si la taxe foncière payée par les ménages ayant le patrimoine immobilier brut le plus faible représente 0,5 %, ce taux est proche de 0,4 % pour les ménages entre les centiles 60 et 90 et s’établit à 0,22 % pour les 1 % aux patrimoines immobiliers les plus élevés (André, Meslin, 2021)12.   

Aussi, il apparait nécessaire de revoir les incitations inopérantes. A titre d’exemple, le dispositif Pinel présentait un effet d’aubaine, en soutenant des investissements réalisés dans des zones peu tendues, ou à destination de ménages qui auraient investi sans incitation fiscale, il était donc pertinent de le supprimer (Cour des comptes, L’aide fiscale à l’investissement locatif Pinel, 2024)13.  

Par ailleurs, pour que les outils réglementaires comme l’interdiction de location des passoires thermiques soient pleinement efficaces, plusieurs rapports (association NégaWatt en 2018, Convention citoyenne pour le climat en 2020, Assemblée nationale et Sénat en 2022)14 recommandent de confirmer ces interdictions tout en levant les freins techniques et juridiques. Cela implique d’adapter les règles d’urbanisme, de réviser certains règlements de copropriété et de faciliter les travaux de rénovation dans les secteurs patrimoniaux ou les immeubles collectifs.  

Enfin, pour atteindre les objectifs de sobriété foncière, il apparait nécessaire de changer de paradigme économique : aujourd’hui, les projets immobiliers sur des terrains nus sont souvent plus rentables, car leur valeur augmente fortement ensuite. À l’inverse, recycler des terrains déjà construits, comme des friches, est plus coûteux (Plan Urbanisme Construction Architecture, mars 2024)15. A ce sujet, le développement de « foncières de renaturation »16 chargées d’acquérir, porter et renaturer des terrains déjà artificialisés doit être encouragé. Cet outil permettrait de maîtriser les prix et d’orienter les projets vers les zones déjà construites, pour mieux encadrer le marché et éviter la spéculation.  

  1. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1995/94359DC.htm
    https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1998/98403DC.htm ↩︎
  2. https://www.fondationpourlelogement.fr/30e-rapport-sur-letat-du-mal-logement-en-france-2025/ ↩︎
  3. https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/295731.pdf ↩︎
  4. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20230707-note-thematique-Assurer-coherence-politique-logement-face-nouveaux-defis.pdf ↩︎
  5. https://www.insee.fr/fr/statistiques/8242327?sommaire=8242421#figure1_radio1 https://www.insee.fr/fr/statistiques/8242327?sommaire=8242421#figure1_radio2 ↩︎
  6. https://www.strategie-plan.gouv.fr/files/files/Publications/2021/0831%20dépenses%20préengagées/fs-2021-na_102-depenses_pre-engagees.pdf ↩︎
  7. https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2023/12/TH_CPO_vIPP_vdef_compressed.pdf ↩︎
  8. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1521337 ↩︎
  9. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20231026-CEC-Soutien-aux-logements-face-aux-evolutions-climatiques.pdf ↩︎
  10. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/pour-une-fiscalite-du-logement-plus-coherente ↩︎
  11. https://www.insee.fr/fr/statistiques/7735076#tableau-figure1 ↩︎
  12. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5893223 ↩︎
  13. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-08/20240905-Aide-fiscale-investissement-locatif-Pinel.pdf ↩︎
  14. https://www.precarite-energie.org/IMG/pdf/nw_etude_juin_2018_resorber_la_pre_carite_energetique_et_renover_les_passoires_thermiques.pdf
    https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/rf/ccc-rapport-final-seloger.pdf
    https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-eco/l16b0482_rapport-fond.pdf
    https://www.senat.fr/rap/r22-129/r22-1290.html ↩︎
  15. https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/actes_tpsf_epernay_web.pdf ↩︎
  16. outil public comparable aux SAFER agricoles ↩︎

La discrimination positive réduit-elle correctement les inégalités ?

Après la mort de George Floyd, un homme noir tué par deux policiers blancs lors de son interpellation le 25 mai 2020, l’ampleur du mouvement antiraciste Black Lives Matter a en grande partie convaincu la Banque d’Amérique d’investir un milliard de dollars pour « combattre les inégalités économiques et raciales ».  Cet événement ranime le débat qui fracture les Etats-Unis depuis plusieurs années : celui de la discrimination positive. Cette politique très controversée consiste à favoriser certains groupes de personnes jugées victimes de discriminations systématiques, en vue de rétablir l’égalité des chances. La discrimination positive entend surtout lutter contre les inégalités raciales, fortement ancrées dans la société américaine depuis des siècles. Si son application permettrait d’améliorer les perspectives socio-professionnelles des minorités, elle créerait cependant des contradictions devant la loi, de même qu’un sentiment d’injustice chez les groupes n’en profitant pas. Dès lors, nous pouvons questionner la légitimité de la discrimination positive aux Etats-Unis.

Tout d’abord, l’égalité des droits reste souvent théorique et recouvre des inégalités dans les faits. Certes, la discrimination basée sur la race, la couleur de peau, le sexe, la religion, les origines, la grossesse ou encore l’orientation sexuelle est légalement interdite aux Etats-Unis. Néanmoins, les comportements discriminatoires ont loin d’avoir disparu dans la pratique. Les inégalités économiques, culturelles et sociales pénalisent ainsi des groupes bien identifiés, tout en revêtant un caractère durable et systémique.

Aux Etats-Unis, les populations noires font partie des plus touchées par les inégalités : elles seraient en effet victimes de discriminations à cause du racisme parfois inconscient qui habite certaines instances et personnes américaines. Les noirs sont victimes de discrimination lorsqu’ils sont intentionnellement – ou non – traités différemment des autres : par exemple, si les lois anti-ségrégation interdisent de leur fermer l’accès à certains commerces, ils peuvent être en pratique traités moins bien que les autres clients. Différentes méthodes, comme le « testing », mettent en évidence le fait que certaines inégalités sont dues à des jugements négatifs, c’est-à-dire à du racisme, contre lesquels la lutte s’avère longue et ardue. Le testing est une expérimentation sociale qui permet de déceler de potentiels comportements discriminatoires. Cette méthode consiste à comparer l’attitude d’un individu à l’égard de deux types de personnes de même profil, mais avec une variable précise différente (la race, si l’on veut étudier les discriminations fondées sur elle). Le testing a notamment permis déceler les discriminations à l’embauche.

Ce racisme ancré dans la société américaine trouverait son origine dans la pratique de l’esclavage jusqu’à la seconde moitié du XIXème siècle (banni depuis par le 18e amendement), un système dans lequel le blanc dominait et exploitait le noir, qu’il considérait comme inférieur et parfois plus proche de l’animal que de l’homme. Plus tard, le principe égalitaire de la république américaine n’a pas fait disparaître la notion de race aux Etats-Unis, au sein d’une structure très hiérarchisée : ce critère définissait le degré de respect mérité. C’est pourquoi certains noirs tentaient de se faire passer pour des blancs (phénomène de « passing ») pour jouir de leurs privilèges.

De nos jours, la discrimination positive est censée compenser les préjudices subis par le passé et de restaurer un statu-quo entre les races, en redistribuant les ressources, en fonction de ce que les individus auraient pu acquérir sans ces entraves. Il pourrait donc sembler logique que les noirs reçoivent des aides de l’Etat proportionnelles à leurs désavantages et, d’une certaine manière, à l’ampleur de leurs souffrances pendant les années d’esclavage. Les blancs seraient les débiteurs et les noirs, les créditeurs, en quelque sorte.

En parallèle, d’après la théorie utilitariste développée par les philosophes et économistes britanniques du 19e siècle Bentham et Stuart Mill, le rôle principal de l’Etat consiste à maximiser le bien-être de ses citoyens tout en diminuant leur souffrance le plus possible. Pour les utilitaristes également, tous les individus sont égaux. En ce sens, réduire les inégalités peut contribuer à maximiser l’utilité, en permettant à tout le monde de vivre décemment et de pouvoir évoluer dans la société sans rencontrer d’obstacles dont ils ne sont pas responsables. Par exemple, il serait plus utile de donner 1 000 euros à un ménage modeste, qui pourrait les dépenser pour se procurer des biens dont il a vraiment besoin (comme des biens de première nécessité), qu’à une famille déjà fortunée. De plus, les inégalités sont souvent perçues comme néfastes pour la société, car elles génèrent du mécontentement, de la défiance et de la jalousie chez les classes populaires vis-à-vis des élites. Réduire les inégalités raciales atténuerait donc cette colère et stabiliserait la situation sociale du pays.

La lutte contre les inégalités est ainsi une préoccupation centrale aux Etats-Unis, de même que dans la plupart des pays développées occidentaux. En ce sens, la distribution des différentes ressources (matérielles, culturelles, symboliques, institutionnelles…) est régulée par l’Etat, la seule instance légitimement habilitée à intervenir pour lutter contre les discriminations. Par exemple, dans le domaine de l’emploi, la discrimination positive devrait permettre de faire respecter « le principe de la juste égalité des chances » selon lequel les individus avec les mêmes talents et aptitudes devraient tous avoir accès aux mêmes récompenses professionnelles. L’Etat s’assure qu’aucune catégorie de la population ne soit discriminée à cause de ses caractères innés et inaliénables : sans ce principe, les choix des employeurs affecteraient négativement les minorités en interagissant moins avec elles, ce qui les ferait moins travailler et les priverait d’opportunités pour le reste de leur vie.

La discrimination positive, c’est-à-dire l’octroi de places et droits spécifiques, permet donc de remédier à ces inégalités de fait, que les lois contre la ségrégation se sont révélées impuissantes à faire reculer suffisamment. Elle permet également de remettre en cause certaines représentations, en promouvant des élites issues des minorités. Avec la mise en place de quotas dans les universités, les minorités ont la chance de pouvoir étudier, cela contribuant à réduire les inégalités. Si davantage de noirs occupent des postes élevés, comme docteur ou avocat, cela peut modifier les représentations et la conscience raciale américaine, facilitant l’accès des noirs à des emplois et des fonctions politiques. Ce changement dans les mentalités pourrait à terme faire disparaître les préjugés et la nécessité des mesures de discrimination positive, une fois atteints les objectifs qu’elle poursuivait : l’égalité réelle des chances.

Néanmoins, la discrimination positive reste largement contestée, soit par question de principe, soit à cause des effets pervers que sa mise en place peut engendrer et qui ont parfois suscité de fortes oppositions. Par referendum, les habitants de Californie ont par exemple voté à 57% en 2020 contre le retour de la discrimination positive dans leur Etat – plus précisément contre la proposition de revenir sur l’interdiction d’une discrimination positive basée sur la race, qui avait été établie en 1996 (une telle interdiction existant dans 9 autres Etats). Ce scrutin illustre bien le rejet d’une bonne partie des Américains de ce genre de politique ; mais quelles en sont les raisons ?

De nombreuses inégalités imputées à certaines apparences, comme l’origine, la couleur de peau ou la religion, peuvent en réalité s’expliquer par d’autres facteurs. En ce cas, les injustices peuvent être partialement corrigées par la discrimination positive, mais cela en créera d’autres. Ainsi, les blancs « pauvres » se sentent désavantagés par rapport aux noirs, alors que les difficultés des populations noires sont en grande partie dus à leur statut social et leur lieu d’habitation, au même titre que ces blancs. Des individus aux positions économiques et sociales similaires au sein de la société ne bénéficient donc pas tous d’une aide systématique de la part de l’Etat, selon qu’ils soient noirs ou blancs, ce qui crée des inégalités raciales inversées. 

Les préjugés et des différences de perception en fonction de l’origine ethnique devraient sans doute être identifiés précisément et combattus en tant que tels, dans le souci de garantir une égalité de traitement à tous. Cependant, répartir des places pour les emplois selon le critère d’origine ethnique renforce en réalité les divisions entre les races, au lieu d’effacer cette grille de lecture et d’arriver à une société égalitaire. L’objectif serait d’arriver à terme à une « société déracisée » dans laquelle la race ne jouerait plus aucun rôle dans l’allocation des ressources et des récompenses.

Comment déterminer qui a le droit de bénéficier de la discrimination positive et dans quelle mesure ? Certains individus, exclus de ces aides, revendiquent leur appartenance à une minorité qui aurait été discriminée par le passé, comme les asiatiques ou les Juifs. Au contraire, les individus aujourd’hui éligibles à ces aides ne sont pas toujours des victimes. De plus, toutes les anciennes victimes n’ont pas souffert à un degré similaire.

Certaines minorités réussissent mieux que d’autres. Ainsi, aux Etats-Unis, le revenu médian des asiatiques est devenu supérieur à celui des blancs ; le revenu des femmes asiatiques s’avère même plus élevé que celui des hommes blancs. Ce constat met à mal l’idée de « privilège blanc » et indique que l’origine ou la race ne constituent pas nécessairement les principales causes des inégalités. Elles pourraient aussi être expliquées culturellement : beaucoup d’asiatiques réussissent professionnellement car leur famille les aurait éduqués en leur transmettant les valeurs du travail et de la discipline nécessaires pour s’assimiler, faire de longues études et décrocher des diplômes. Les cas de mères célibataires sont beaucoup plus fréquents chez les Noirs, par exemple, ce qui ne facilite pas la réussite scolaire des enfants.

Faut-il dès lors pénaliser les asiatiques pour leur réussite ? Une partie de leur communauté implantée aux Etats-Unis s’indigne et s’élève contre l’injustice, selon eux, des règles de discrimination positive. En conséquence, les procès se multiplient contre les universités qui la pratiquent, et certains représentants de la communauté asiatique viennent de saisir la Cour suprême pour qu’elle examine ce type de dispositions au regard du 14ème amendement de la Constitution qui garantit l’égalité des citoyens devant la loi.  

La discrimination positive peut parfois être justifiée en théorie ; mais pour autant, est-elle aussi justifiée en pratique, lorsqu’elle génère des effets pervers, comme dans le cas des rentes de situation ? De même, est-ce moralement louable de porter atteinte à l’efficacité et au mérite ? Les professions nécessitent des aptitudes et des qualifications propres pour être correctement exercées. Dès lors, il semble très dangereux d’instaurer des quotas et de décerner des diplômes de chirurgien ou juge, des métiers impliquant de grandes responsabilités, sur la base essentielle des attributs physiques des individus. Instaurer des quotas raciaux dans les universités, les entreprises et l’administration fera également diminuer le niveau de qualification général des individus, puisque la compétence ne demeurera plus le premier critère de sélection. A terme, cela pourrait avoir un impact négatif sur l’état du pays et de l’économie, qui deviendraient moins efficace et productif. Ce système ne semble pas non plus très juste pour les individus jugés « privilégiés » mais qui ne se font pas recruter au profit de personnes issues de minorités et, dans certains cas, moins qualifiées.

La discrimination positive pose également un problème d’un point de vue moral. Sa mise en place implique en effet d’avoir une vision binaire, voire manichéenne de la société américaine. D’un côté, il y aurait les minorités opprimées, comme les noirs, victimes de leur passé et qu’il faut absolument aider et protéger, tandis que de l’autre, se trouveraient les populations blanches, majoritaires, coupables et qu’il faudrait presque punir en conséquence (on en arrive à des séances d’auto-critique). La dimension morale indissociable de la politique de discrimination positive tente de distinguer ce qui est bien de ce qui est mal, or ces concepts sont souvent subjectifs. De plus, les groupes raciaux ne forment pas des unités sujettes à des jugements moraux et à des responsabilités. Pourquoi un individu devrait-il payer aujourd’hui le tribut lié aux méfaits que l’on impute à son ancêtre ?

Il conviendrait donc peut-être de s’attaquer plutôt aux causes réelles de ces inégalités, comme l’état déplorable du système éducatif et les grandes disparités selon les quartiers et les territoires aux Etats-Unis, ou l’insuffisance des politiques familiales. Plutôt que d’attendre que les inégalités se reproduisent et de prendre des mesures compensatoires en conséquence, il pourrait être judicieux d’agir en amont afin de les prévenir. En France par exemple, les ZEP (Zones d’Education Prioritaire) sont des territoires économiquement et socialement défavorisés dans lesquels l’Etat investit afin de lutter contre l’échec scolaire. A cet égard, se focaliser sur la couleur de la peau pourrait apparaître comme une solution simpliste et inadaptée. Introduire des quotas de noirs pour compenser leur faible nombre rétablirait une égalité apparente dans certains secteurs, comme dans les universités, les médias ou la politique, sans remédier pour autant aux difficultés de la majorité des noirs. De fait, la discrimination positive est pratiquée depuis une cinquantaine d’années et n’a abouti malheureusement qu’à des résultats limités.

La discrimination positive doit profiter aux populations jugées « défavorisées » par leur héritage historique et culturel et par la perception négative à leur égard chez les Américains « favorisés ». Si cet objectif peut paraître justifié, il n’en reste pas moins qu’en voulant supprimer des inégalités, la discrimination positive risque d’en créer de nouvelles. Il convient donc de l’appliquer avec circonspection, dans des cas où l’identité constitue en elle-même un facteur d’injustice évident, et de privilégier d’autres méthodes, comme la détection et la répression des pratiques discriminatoires ou encore la mise en place de CV anonymisés basés sur des critères de sélection les plus objectifs possibles, afin de ne pas induire de biais raciaux dans les choix des recruteurs, par exemple.

La montée des populismes, syndrome du mal-être de nos démocraties libérales ?

Le défi jeté par le populisme aux démocraties libérales d’un point de vue constitutionnel

Le populisme constitue un défi pour les démocraties libérales d’un point de vue constitutionnel car il se présente comme essentiellement démocratique. Il prétend même incarner un retour à la démocratie dans son expression la plus pure, en ce qu’il aurait pour objectif de rendre la parole et le pouvoir au peuple (c’est-à-dire à la grande majorité des citoyens), alors que ces derniers auraient été confisqués par des élites et des minorités, notamment par le jeu des appareils politiques et des institutions, où les classes populaires sont faiblement représentées. 

Certes, il est fréquent de dénoncer cet usage de la notion de « peuple », qui, implicitement, consisterait en une base homogène, unie et restée « saine », par opposition à des élites « mondialisées », défendant leurs privilèges, les « 20% de diplômés » méprisant le reste de la population. Toutefois, la démocratie est fondée sur la souveraineté populaire et l’idée de peuple est abondamment citée dans la plupart des constitutions. La Constitution française de 1958 parle bien du « peuple français ». C’est sans doute une erreur que de vouloir diaboliser ce terme. On peut également critiquer ce point de vue au nom des libertés individuelles et de la protection des minorités, mais il y a nécessairement une limite à cet argument car une démocratie ne peut pas se réduire à la défense des individus. Elle consiste aussi dans la mise en œuvre de la volonté générale, qui résulte du vote de la majorité des citoyens.

A priori, les partis populistes visent la conquête du pouvoir exclusivement par la voie des urnes, en utilisant des mécanismes démocratiques afin de légitimer leurs acteurs politiques et leur gouvernement, contrairement aux mouvements fascistes, qui alliaient participation aux élections et coups de force, avant ou après la prise du pouvoir (en Italie, marche sur Rome de 1922 ; en Allemagne, loi des pleins pouvoirs en 1934). Les partis fascistes ne cachaient pas leur peu de respect pour les institutions démocratiques et parfois leur intention de les abolir, une fois qu’ils n’en auraient plus besoin. Aujourd’hui, au contraire, ce sont souvent les partis populistes qui se plaignent de l’absence de démocratie – par exemple en raison des pouvoirs d’instances non élues comme la Commission européenne ou des juridictions nationales et internationales, qui vont parfois jusqu’à censurer des lois votées par des Parlements. En particulier, ils s’élèvent contre le fait qu’ils ne bénéficieraient pas eux-mêmes d’un traitement démocratique, dans les médias ou dans les assemblées, où ils seraient sous-représentés au regard du nombre de voix qu’ils recueillent. 

Par ailleurs, dans la mesure où les partis populistes respectent les règles du jeu électoral et s’efforcent d’éviter les dérapages verbaux, il est difficile de lutter contre eux avec les armes de l’Etat de droit qu’il s’agit justement de protéger et dont il serait donc paradoxal de s’affranchir. En Allemagne, un office fédéral de protection de constitution avait mis sous surveillance le parti AfD (Alternativ für Deutschland), un parti allemand eurosceptique, nationaliste et jugé populiste par certains (même si l’AfD rejette cette dernière classification), mais un tribunal a suspendu cette décision, qui, en l’occurrence, autoriserait des mesures effectivement très restrictives au regard des libertés publiques. 

Une fois ces partis au pouvoir, les constitutions et les blocs de constitutionnalité peuvent permettre de contenir et limiter leurs projets de réforme, notamment parce que la protection de ces libertés y a pris une place importante et s’y trouve souvent très détaillée. Le populisme n’en crée pas moins un défi, un défi politique, parce qu’il peut prendre à témoin la population de cette situation, qui l’empêcherait de mettre en œuvre les choix exprimés par son vote. En pratique, en s’appuyant sur ce ressentiment, en profitant du fait que les recours contre les atteintes à l’« Etat de droit » sont longs et compliqués et en utilisant des voies plus détournées, par exemple en nommant des personnes de confiance à des postes-clefs, les partis populistes au pouvoir parviennent en partie à s’affranchir de ces limites. 

Plus encore, certains partis populistes au pouvoir peuvent affaiblir les institutions en place afin de mener leurs politiques plus librement, sans subir de trop forte opposition, en opérant des changements constitutionnels formels ou informels. Ainsi, le 4e amendement constitutionnel soumis par le parti populiste hongrois en 2013 a réduit les pouvoirs de la Cour constitutionnelle du pays. De même, le parti Droit et Justice polonais a procédé à du “Court-packing”, consistant à ajouter des sièges à la Cour dans le but de consolider la majorité conservatrice en son sein. Les tribunaux ordinaires ne peuvent normalement pas reprendre les compétences de contrôle de constitutionnalité des Cours constitutionnelles paralysées.

En Hongrie, Viktor Orban promeut ainsi la « démocratie illibérale » ; dans le cadre de celle-ci, la volonté de la Nation, qu’il estime incarner, compte plus que les libertés individuelles et le respect de règles formelles qui auraient trop longtemps servi à brimer la majorité. V. Orban a ainsi pris des mesures contre l’immigration et les influences étrangères. En Pologne, le parti Droit et Justice mène une politique hostile aux mouvements LGBT, dans un pays toujours très catholique, et tente de prendre la main sur la nomination de certains juges, ce qui pourrait ensuite lui permettre de faire adopter plus facilement d’autres réformes, comme on vient de le voir. La Commission européenne s’est saisie de ces questions, mais elle ne peut agir que sous certaines conditions et seulement devant des tribunaux. Face à cela, les leaders populistes peuvent perturber le fonctionnement des institutions communautaires et dénoncer auprès de leurs électeurs ce qu’ils présentent comme des ingérences extérieures, comme à l’époque de l’URSS dans le cas des pays de l’Est. La doctrine de la « souveraineté limitée » en vigueur avant la Chute du Mur de Berlin n’est évidemment pas une référence démocratique… 

Comment le populisme peut être une réponse à un besoin d’unité

La mondialisation et, sur notre continent, la construction européenne, le déclin des classes sociales et des idéologies, la baisse de la pratique religieuse, l’individualisation des modes de vie ont pu créer le sentiment d’un effacement des différents groupes d’appartenance qui structuraient autrefois les sociétés occidentales. L’augmentation des flux migratoires, notamment l’arrivée de populations d’origine lointaine et de culture très différente, qui ont en partie conservé leurs traditions et leurs langues, a contribué à affaiblir l’équivalence entre la Nation et un groupe ethnique ou historique. Les individus ont parfois l’impression d’être des citoyens et des consommateurs libres mais solitaires. 

Par ailleurs, les processus de décision collective sont devenus plus complexes, faisant intervenir de nombreux niveaux intermédiaires et dépendant de plus en plus d’instances et de négociations internationales, de sorte que les communautés nationales traditionnelles ont perdu de leur autonomie et donc, de facto, existent moins. 

Le peuple peut constituer l’ensemble des individus vivant sur un territoire, partageant une culture commune et se soumettant aux mêmes lois. Toutefois, ce terme peut aussi faire référence aux citoyens des classes populaires, que le communisme nommait autrefois “prolétariat” par opposition aux élites du pays. C’est sur cette double signification de cette notion que les populismes basent principalement leur discours électoral. Ils réaffirment l’existence et la primauté de cette communauté, laquelle désirerait légitimement perdurer dans l’être (cf le « droit à la continuité historique ») tout en revendiquant que des pouvoirs plus importants lui soient restitués.  En outre, ils « mythifient », disent leurs détracteurs, un peuple originel assimilé aux classes populaires et aux gens du commun, resté proche de ses racines, opposé à des élites globalisées qui se seraient détachées d’elles. Un cadre supérieur ou un journaliste parisien se sentiraient, par exemple, plus proches d’un confrère vivant à New York que d’un compatriote habitant de l’autre côté du boulevard périphérique. On met face à face les gens du « nowhere » et du « somewhere ». Ainsi se recrée une forme d’unité, en particulier des classes populaires et moyennes inférieures, très dispersées à la suite des transformations du monde du travail.  

Ce peuple s’oppose aussi aux immigrés et surtout à ceux d’entre eux qui refusent de s’intégrer, restant groupés en communautés. Les populistes fustigent le « communautarisme » et la balkanisation de la société qui mettent à mal la Nation. Ils peuvent aller jusqu’à dénoncer une forme de « préférence pour l’Autre » et de repentance auxquels seraient astreintes les populations de souche, au nom d’injustices liées à l’ancienne ou présente domination occidentale sur le monde. Il conviendrait au contraire, selon eux, de restaurer une forme de fierté nationale, laquelle fait naturellement partie de la satisfaction apportée par le sentiment d’appartenir à un groupe. Les partis populistes qui font le choix de défendre l’unité du peuple sont par définition nationalistes : afin de préserver cette unité, il s’agit essentiellement de limiter l’immigration et de conserver une forte souveraineté nationale. L’identité de l’individu est intrinsèquement liée à celle de sa nation ; si cette dernière perd de son indépendance et surtout de son homogénéité, alors l’individu perd une part de son identité, de son héritage culturel et de ce qui le caractérisait autrefois – alors qu’il s’agissait d’une de ses seules richesses « symboliques ». Dans sa version la plus négative, cette vision va de pair avec le thème du « Grand Remplacement », qui pousse à l’extrême l’opposition d’un « nous » contre un « eux » – le sentiment de ce « nous », menacé de disparition, étant alors particulièrement puissant.

En Italie par exemple, la Ligue du Nord, défenseure de l’Italie du Nord industrieuse et prospère contre le Sud « fainéant », est devenue la Ligue, c’est-à-dire le parti de toute la communauté nationale, victime des abus supposés de l’Union européenne et d’une immigration incontrôlée. Aux Etats-Unis, Donald Trump s’est lui aussi présenté comme le héros d’une Amérique et d’une communauté menacés par le libre-échange et l’immigration, combattant les élites médiatiques et politiciennes. Dans les deux cas, les populistes ont notamment essayé d’incarner la réponse à un besoin d’unité, en réactivant une identité et en désignant des adversaires (« il faut s’opposer pour se poser »). Les populismes nationalistes remportent aussi certains succès dans les pays ethniquement homogènes, comme en Hongrie ou en Pologne, mais fortement attachés à celle-ci et inquiets des conséquences de l’immigration observée en Europe de l’Ouest, et, par ailleurs, très attachés à leur souveraineté nationale, contre les empiètements d’organismes supranationaux. Ils ont ainsi l’impression de défendre leur unité et leur indépendance, chèrement acquise au cours de l’Histoire, en prévenant certaines évolutions.

Etude sur le handicap : pourquoi une politique inclusive est-elle particulièrement bénéfique pour le monde de l’entreprise

Malgré la loi de 2005 cherchant à favoriser l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, le taux de chômage des personnes présentant une forme de handicap reste 50 % plus élevé que la moyenne française. En outre, les entreprises soumises à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés ont tendance à ne pas respecter le seuil légal selon lequel 6 % des postes doivent être occupés par des personnes en situation de handicap. En effet, les entreprises soumises à cette obligation ont un taux moyen d’emploi des personnes handicapées de 3,5 %.

Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour expliquer ce phénomène. Avant tout, probablement les préjugés dont les personnes en situation de handicap font l’objet. En effet, il est souvent dit que les personnes en situation de handicap seraient moins productives, plus exigeantes en demandant d’être assistée ou encore qu’elles seraient plus difficiles à licencier. Puis, se pose également la question de l’adéquation entre les compétences de l’offre de travail des personnes en situation de handicap et celles requises par la demande du marché, émanant des employeurs. En effet, la part de personnes en situation de handicap détenant des diplômes est trois fois moins élevée par rapport à la population globale. De plus, le taux de chômage au sein de cette population étant plus élevé que la moyenne nationale, les personnes en situation de handicap ont alors tendance à avoir moins d’expérience professionnelle, du fait du peu d’opportunités qui leur sont proposées. Ces deux facteurs limitent alors le capital humain des personnes en situation de handicap. Cette notion forgée par Gary Stanley Becker affirme que les individus construisent leur degré d’employabilité par leur niveau d’étude, leur réseau et leurs expériences dans le monde du travail. Par conséquent, dans la mesure où ces facteurs ont tendance à être moins développés pour les personnes en situation de handicap, s’ensuit alors des difficultés pour ces personnes à trouver un emploi.  

L’objectif n’est pas d’expliquer en détails pourquoi les personnes en situation de handicap rencontrent des difficultés dans le cadre de leur recherche d’emploi mais de démontrer pourquoi il est bénéfique pour les entreprises de recruter des personnes handicapées. En effet, l’impulsion innovante apportée par les personnes en situation de handicap et la législation actuelle ont des effets positifs directs sur la capacité de l’entreprise à réaliser un résultat bénéficiaire. Par ailleurs, les avantages peuvent également avoir un effet indirect, cette fois-ci à plus long-terme sur les résultats de l’entreprise, en particulier grâce à une conciliation entre la performance économique et le développement social, ce qui nécessite de passer outre des préjugés, encore fortement ancrés de nos jours.

Sur la base de quels fondements pouvons-nous affirmer que la présence de personnes handicapées dans l’entreprise est favorable à ses résultats ?

Si le recrutement de personnes en situation de handicap présente des intérêts financiers directs (I), il existe également des intérêts observables à plus long-terme (II).

I- Un intérêt financier aux effets directs

Les effets directs de l’amélioration de la performance financière sont observables par une politique inclusive vectrice d’innovation et par conséquent de hausse de productivité (A) mais également par une législation incitant par des dotation financières les entreprises à embaucher des personnes handicapées (B).

A- Une politique inclusive vectrice de hausse de la productivité

Il convient dans un premier temps de souligner que les personnes handicapées apportent une impulsion novatrice dans l’entreprise pour plusieurs raisons. Dans la mesure où leur handicap influence leur mode de vie, celui-ci peut leur faire voir certaines situations différemment. A titre d’exemple, nous savons aujourd’hui que les personnes ayant une forme d’autisme peuvent témoigner de facultés intellectuelles, mémorielles mais également d’analyse qui se distinguent de la moyenne. Ce fait peut d’ailleurs être vérifiable par la surreprésentation des prix Nobel. Marie Curie, Albert Einstein, John Nash pour ne citer qu’eux ont la particularité d’avoir reçu le prix Nobel et d’être autiste asperger. Trois des six fondateurs des GAFAM (google, amazon, facebook, apple, microsoft) sont autistes asperger : Mark Zuckerberg, Steve Jobs, Bill Gates. Le dernier exemple que nous pourrions prendre est les réalisateurs, Woody Allen, George Lucas, Stanley Kubrick, Alfred Hitchcock ou Steven Spielberg sont autistes. Or, à l’échelle de la population la part d’autiste dans la population entre 0,003 et 0,48 %, selon le spécialiste Tony Atwood, auteur de l’ouvrage « Traité européen de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ». De plus, nous ne tenons pas compte d’un paramètre notable, celui de la marginalisation tendancielle des personnes atteintes d’un syndrome d’autisme, les éloignant en conséquence d’activités à responsabilité, ce qui rend plus complexe la mise en valeur de talents présentant une forme d’autisme. Par conséquent, une personne autiste par sa vision des situations sera souvent capable de produire de meilleurs résultats que la moyenne et d’apporter une nouvelle manière de répondre aux problématiques posées, à condition qu’elle se plaise dans son environnement de travail. Puis, l’innovation peut également être introduite par le matériel mis à disposition pour les salariés en situation de handicap. Nous pourrions prendre l’exemple d’un article paru dans la revue de l’AGEFIPH datant du de mois de septembre 2012. Il s’agit d’une personne salariée d’une grande surface au rayon fromage et charcuterie devenue handicapée à l’issue d’un accident du travail. Son handicap lui empêchait de rester debout continuellement et de faire des gestes trop répétitifs. Pour lui permettre de continuer à exercer son métier, des aménagements ont été réalisés au niveau de son poste de travail. Ainsi, les exemples d’aménagement sont variés : installation d’un tapis de sol antifatigue en caoutchouc (pour amortir les pas et surélever les vendeurs), d’un repose-pied, d’un petit fauteuil assis-debout et d’une nouvelle table de découpe. L’ensemble de ce matériel permet de faciliter les tâches de la personne en situation de handicap mais également celles de l’ensemble du personnel travaillant dans ce rayon, ce qui représente alors un gain de productivité pour l’ensemble du service. L’ensemble de ces aménagements correspondent à des innovations. Or, nous savons notamment grâce aux travaux de Joseph Alois Schumpeter que l’innovation est vectrice de croissance économique. Les entreprises adoptant une politique inclusive à l’égard des personnes en situation de handicap verraient alors d’une manière presque mécanique une hausse de leurs bénéfices.

L’intérêt financier direct repose également sur une législation incitative.

B- Une législation incitative

Les dispositifs actuels encouragent le recrutement des personnes en situation de handicap, par des dotations financières adressées aux entreprises ayant des pratiques vertueuses ou des pénalités à celles refusant de respecter la réglementation. Il conviendrait de classer les aides en trois sortes : les aides à l’embauche, les aides à l’aménagement du poste de travail et les aides conjoncturelles dans le contexte de la pandémie de covid-19. Il existe plusieurs formes d’aides à l’embauche : l’aide à l’accueil, à l’intégration et à l’évolution professionnelle d’un montant de 3000 euros, l’aide à l’embauche en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, au plus entre 3000 et 4000 euros et l’aide exceptionnelle à l’embauche d’un travailleur handicapé, de 3000 euros. Pour ce qui est des aides à l’aménagement du poste de travail, elles sont également diverses : aide à l’emploi des travailleurs handicapés entre 5000 et 11000 euros, aide à la recherche de solutions pour le maintien de l’emploi de 2000 euros, aide à l’adaptation des situations de travail d’un montant variable ou encore celle à la formation pour le maintien dans l’emploi d’un montant qui n’est pas fixé à l’avance. De même que celles citées précédemment, les aides accordées dans le cadre de la pandémie de coronavirus sont nombreuses : aides liées au covid-19 pour soutenir l’embauche en alternance, aide dans le cadre du covid-19 à la mise en place du travail, ou encore l’aide exceptionnelle pour des équipements spécifiques de prévention. Le montant de ces trois aides n’est pas plafonné en principe. L’idée n’est pas d’énumérer en détails l’ensemble des aides mais juste de montrer le vaste panel de dotation financières offert par l’Etat. Pour connaitre précisément les modalités des aides voici un lien qui pourrait vous être utile : https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F15204. Nous pourrions alors sur la base des aides citées prendre l’exemple d’une entreprise et voir ce qu’elle pourrait toucher. Par conséquent, la première année elle pourrait recourir aux aides cumulables, dans la mesure où certaines d’entre elles ne sont pas renouvelables. Par conséquent, le montant qu’elle pourrait toucher serait de 12000 euros si l’on compte les aides à l’embauche et celles des aménagements du travail mais si l’on rajoute les aides liées au contexte sanitaire, la somme perçue pourrait dépasser les 15000 euros. Par la suite, l’année suivante l’entreprise pourrait avoir recours à l’aide à l’emploi des travailleurs handicapés dont la somme peut dépasser les 11000 euros. Le montant de ces aides dépend des surcoûts générés par le recrutement d’une personne en situation de handicap, notamment du fait de l’aménagement de son poste de travail. Par conséquent, lorsqu’une entreprise réalise un investissement dans du matériel adapté aux personnes en situation de handicap, l’innovation est favorable à l’ensemble du service ce qui augmente la productivité globale et favorise la croissance des bénéfices. En outre, l’entreprise ne prend pas de risque dans le sens que son investissement est remboursé par le biais des aides. Ainsi, l’entreprise est gagnante sur tous les tableaux en recrutant des personnes en situation de handicap. A l’inverse, des pénalités sont prévues si l’entreprise ne respecte pas la législation en vigueur. Cette pénalité correspond à une contribution qu’elle doit verser à l’AGEFIPH. Pour une entreprise à l’effectif compris entre 20 et 199 salariés, la somme à verser par personne en situation de handicap qui n’est pas recrutée est de 400 fois le smic horaire soit 4100 euros, pour une entreprise entre 200 et 749 salariés, il s’agit de 500 fois le smic horaire soit 5125 euros, pour une entreprise de 750 salariés ou plus, il s’agit de 600 fois le smic horaire soit 6150 euros. Pour les entreprises sans salarié en situation de handicap et n’ayant pas montré par des démarches de nature administrative depuis plus de trois ans la volonté d’en recruter voit son amende passer à 1500 fois le smic horaire, soit 15375 euros. Le délai auparavant de cinq ans, a été abaissé à trois par la loi Pacte du 22 mai 2019. Par conséquent, si les sommes versées aux entreprises méritantes sont élevées, les pénalités pour les mauvais élèves sont des mêmes conséquentes, d’où l’idée d’une législation incitative.

II- L’influence de l’image sociale de l’entreprise sur sa croissance à long-terme

La politique inclusive améliore l’image sociale de l’entreprise, ce qui a une influence positive sur ses résultats financiers à long-terme. Une conciliation entre la performance économique et le développement social est possible grâce aux investissements socialement responsables (A). Cependant, afin d’assurer cette conciliation, il est nécessaire de dépasser les préjugés (B).

A- Une possible conciliation entre la performance économique et le développement social par des investissements socialement responsables

Selon la définition de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) l’investissement socialement responsable peut être défini comme « un placement qui vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises et les entités publiques qui contribuent au développement durable quel que soit leur secteur d’activité. En influençant la gouvernance et le comportement des acteurs, l’ISR favorise une économie responsable. » Aujourd’hui, les critères permettant le mieux de mesurer l’investissement socialement responsable sont les critères ESG. Pour les groupes nécessitant des apporteurs de capitaux, les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) ont aujourd’hui une importance considérable. Scrutés de près par les investisseurs, ces critères ont pour but d’évaluer la capacité d’une entreprise à prendre des mesures favorables à une gouvernance durable, qui ne tiendraient pas seulement compte de la rentabilité financière à court-terme. Comme le révèle les initiales, ces critères peuvent être classées de trois sortes, selon l’AMF : « les émissions de CO2, la consommation d’électricité, le recyclage des déchets pour le pilier E, la qualité du dialogue social, l’emploi des personnes handicapées, la formation des salariés pour le pilier S, la transparence de la rémunération des dirigeants, la lutte contre la corruption, la féminisation des conseils d’administration pour le pilier G. » L’AMF évoque donc clairement dans le pilier S la nécessité de recruter des personnes en situation de handicap. Par conséquent, l’intérêt de recruter des personnes en situation de handicap permet donc également de soigner le score ESG de l’entreprise et d’attirer les investisseurs.

L’importance croissante des critères ESG s’explique par une évolution de la conception de l’entreprise. En effet, la conception traditionnelle part du principe que la fonction primordiale de l’entreprise est de réaliser des profits financiers. Cependant, un autre paradigme marqué par un versant social rompt avec la pensée traditionnelle, en partant du principe que les résultats financiers ne sont pas l’unique critère pour mesurer la performance de l’entreprise. L’entreprise doit également être vue comme un lieu d’épanouissement pour ses acteurs, la richesse produite est également le bien-être généré par les activités réalisées par le salariat. L’école des relations humaines a alors défendu cette idée. Né après la crise de 1929, ce courant regroupe des psychologues tels que George Elton Mayo, auteur de l’ouvrage paru en 1933 « The human problems of an industrial civilization ». Selon ce courant, les individus dans le cadre professionnel nécessitent une reconnaissance de leur travail. Les salariés veulent avoir le sentiment d’être utiles et ont envie de prendre part aux décisions de l’entreprise. Des techniques de gestion des équipes adaptées et un dialogue social ouvert favorisent le bien-être des salariés, qui se sentent écoutés. Et en améliorant le bien-être des salariés, notamment ceux en situation de handicap, les individus ont le désir de mieux faire leur travail, ce qui augmente la productivité dans l’entreprise et par conséquent ses résultats financiers. Les critères ESG ont donc une influence bénéfique sur les profits de l’entreprise.

Néanmoins, cette conciliation est mise à mal par la présence de préjugés au sujet du handicap.

B- Une persistance des préjugés nuisibles à l’entreprise

Le développement social qu’implique l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde de l’entreprise est compatible avec le développement économique de l’entreprise. Pour cela, il est nécessaire d’aller au-delà des stéréotypes véhiculés au sein de la société en général. Dans le cadre des entretiens d’embauche, il existe des préjugés au sujet du handicap en général, fait démontré par les professeures Eva Louvet et Odile Rohmer dans leur article paru dans « La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation » en 2016, intitulé « Evaluation des personnes en situation de handicap en milieu éducatif et professionnel : approche expérimentale ». De plus, les préjugés peuvent varier selon le type de handicap. En effet, les stéréotypes générés à l’égard des personnes en situation de handicap mental, psychique ou neurologique sont plus ancrés que ceux à l’égard des personnes en situation de handicap physique. Avant de rentrer dans les détails, l’idée qu’il existerait en toute circonstance des situations de handicap physique plus favorables que les autres formes de handicap peut être contestée par l’exemple pris avec l’autisme. En effet, il a été prouvé précédemment que l’autisme pouvait constituer une chance pour l’entreprise. L’idée est ici de prouver que l’existence de préjugés au sujet du handicap en général et qu’il existerait des préjugés qui seraient plus marqués selon le type de handicap est bel et bien une réalité. Les préjugés peuvent être de deux sortes, positifs ou négatifs et sur deux plans, mis en relief par le « Stereotype Content Model » de Susan Fiske : la sociabilité et les compétences. Dans la continuité de ce modèle, Odile Rohmer et Eva Louvet ont réalisé une enquête sur 233 étudiants afin de pouvoir mesurer les stéréotypes au sujet du handicap. Le principe de bi-dimensionalité des stéréotypes a été retenu. Les étudiants ont alors dû se prononcer sur les stéréotypes liés à la sociabilité et aux compétences, et ce en interrogeant sur des caractéristiques uniquement mélioratives, leur objectivité risquant d’être altérée s’ils avaient à répondre sur des caractères négatifs. Les participants avaient pour rôle d’indiquer « comment sont généralement perçues les personnes handicapées (versus les gens en général, les autistes, les sourds…) dans notre société ». Afin de contourner des biais de désirabilité sociale, il était précisé la chose suivante : « Ce qui nous intéresse n’est pas votre opinion personnelle, mais comment vous imaginez que les gens pensent ». Le questionnaire était composé d’une série de 15 questions se référant aux traits de personnalité sélectionnés, présentés par ordre alphabétique. Pour chaque question, les participants disposaient d’une échelle de réponse allant de 1 à 7, 1 étant « pas du tout » et 7 « tout à fait ». L’idée est de comparer les scores entre personnes en situation de handicap et personnes ne présentant pas de handicap mais également entre les différents types de handicap. Les scores s’appliquent sur trois types de préjugés : agréabilité, compétence et courage.

Plusieurs constats peuvent alors être dressés sur la base de ce tableau. D’abord, la moyenne d’agréabilité des personnes handicapées est jugée 30 % supérieure à celle des personnes sans handicap, 5,06 contre 3,88. La moyenne des compétences des personnes handicapées est jugée 15 % inférieure par rapport à celle des personnes sans handicap 3,93 contre 4,52. La moyenne du courage des personnes en situation de handicap est jugée 40 % supérieure à celle des personnes sans handicap. Les préjugés varient également selon le type de handicap. En effet, les personnes en situation de handicap mental sont jugées moins agréables (4,81 contre 4,94), moins compétents (3,16 contre 4) et moins courageuses (4,46 contre 5,49) que les personnes présentant un handicap physique. Par conséquent, si les préjugés dont les personnes en situation de handicap font l’objet en matière d’agréabilité et de courage sont globalement positifs, ceux en matière de compétence sont plutôt négatifs.

L’enquête permet par conséquent de démontrer la présence de préjugés négatifs au sujet des compétences des personnes en situation handicap, ce qui pourrait être une explication à la faible représentation des personnes handicapées dans le monde professionnel. Le dépassement des préjugés, par exemple avec des ateliers de sensibilisation au handicap est une des clés pour la conciliation entre le développement économique et social de l’entreprise.

Ainsi, les intérêts économiques pour le recrutement de personnes en situation de handicap sont divers. Cependant, il est nécessaire de dépasser les préjugés, notamment sur l’idée que les personnes en situation de handicap seraient moins compétentes. Pour clore le sujet, il conviendrait alors de se pencher sur des exemples d’entreprises ayant un nombre d’employés en situation de handicap plus important que la moyenne. Ces entreprises peuvent par exemple avoir recours aux ESAT, les établissements de service d’aide au travail. Dans cette logique, les ESATITUDE, est le service des ESAT de l’ADAPEI des Alpes-Maritimes. Ce service est alors à l’origine de la création d’un hôtel employant uniquement des personnes handicapées, avec une qualité de service valant d’être classé trois étoiles. L’hôtel a d’ailleurs fait l’objet d’un reportage. https://www.youtube.com/watch?v=F1w1vctLLNg

https://www.cairn.info/revue-l-annee-psychologique1-2011-1-page-69.htm

https://www.amf-france.org/fr/espace-epargnants/comprendre-les-produits-financiers/finance-durable/glossaire-de-la-finance-durable

https://travailleur-handicape.ooreka.fr/comprendre/taxe-agefiph

http://science-economique.blogspot.com/2009/05/lecole-des-relations-humaines.html

http://www.handipole.org/IMG/pdf/Agefiph_cahiers_sept12.pdf

Crédit social chinois : garant de l’ordre public ou de la soumission politique ?

Depuis maintenant quelques années, les caméras de vidéosurveillance envahissent les villes chinoises. Ces outils, dotés d’une reconnaissance faciale ultra-développée, permettent aux autorités de mieux repérer les éventuelles infractions des citoyens sur la voie publique et de poursuivre les malfaiteurs en fuite. La mise en place de ces caméras s’insère dans le projet de « crédit social » du gouvernement chinois, visant à élaborer un système national de réputation des citoyens. Chacun reçoit une note, échelonnée entre 350 et 950 points, dite « crédit social », fondée sur les données dont dispose le gouvernement à propos de leur comportement en société. Ainsi, les individus repérés par les caméras en train d’enfreindre la loi obtiennent une mauvaise note et subissent des pénalités, tandis qu’à l’inverse, les citoyens à l’origine de bonnes actions bénéficient d’avantages sociaux et fiscaux. Si un tel système se révèle très efficace pour maintenir l’ordre public en surveillant au mieux les actions des citoyens, les défenseurs des libertés individuelles s’alarment d’un système de « contrôle social ». N’y aurait-il, pour autant, rien à garder d’un tel projet pour un pays comme la France ?


Le cas chinois

À l’origine, l’idée d’un « crédit social » vient répondre à la demande d’entreprises américaines souhaitant mieux connaître les entreprises chinoises avec lesquelles elles s’apprêtent à faire des affaires. Cet outil, proposé dans les années 2000 par l’ingénieur en chef Lin Junyue, a pris une dimension plus vaste lorsque son théoricien a décidé qu’il évaluerait la solvabilité de toutes les entreprises chinoises. Ainsi, les investisseurs étrangers pourront avoir connaissance de la fiabilité des entreprises chinoises et y investir sans crainte. Le système de crédit social est donc présenté comme une solution à un problème de manque de confiance possible sur le marché chinois. En même temps a été décidé que tous les citoyens feraient l’objet d’une évaluation. Selon Lin Junye, le but de ce système, qui répond à une volonté d' »atteindre le même niveau de civilité que les pays développés » est « la reconstruction de la morale ».

Actuellement réparties dans une quarantaine de villes chinoises, les caméras, dont la résolution atteint les 400 millions de pixels (quatre fois plus que l’oeil humain), ont été créées par des chercheurs chinois et baptisées « super caméras » en raison de leur capacité exceptionnelle à distinguer et identifier des visages humains. Environ 349 millions de caméras surveillent en ce moment chaque recoin de la Chine, selon un rapport d’IHS Markit Technology, une entreprise américaine d’information économique. L’objectif fixé par le gouvernement chinois est d’installer 400 millions de caméras partout sur le territoire d’ici fin 2020.

Grâce au crédit social, chaque citoyen est sujet à une note, qu’il peut se procurer et partager avec ses proches ou sur les réseaux sociaux. Afin de garantir la fiabilité de chaque individu, toutes ses activités publiques sont surveillées, notamment en ligne. Sur Internet, critiquer ouvertement le gouvernement ou montrer des signes extérieurs de richesse sur les réseaux sociaux sont passibles de sanctions. À l’inverse, les citoyens disant du bien du parti sont ici récompensés.

Dans la ville, une multitude de caméras filment et enregistrent à toute heure de la journée et de la nuit les agissements des citadins. Par exemple, grâce au système de reconnaissance faciale, le visage et l’identité des piétons traversant hors des passages cloutés sont affichés publiquement sur un écran géant jusqu’au paiement de leur amende. Ici, la punition est triple pour les personnes en infraction : à la sanction économique que l’on connaît en occident (l’amende), s’ajoutent le retrait de points sur sa note et l’humiliation d’être étiqueté comme un délinquant. De même, répandre des supposées « fake news », ne pas valider son titre de transport ou fumer dans les trains font l’objet de sanctions.

Les citoyens avec une trop mauvaise note peuvent, par exemple, être privés d’utilisation de transports en commun (avions, trains) ; plus encore, il sont systématiquement refusés dans les restaurants, les cafés et les boîtes de nuit. Leur famille peut aussi en subir les conséquences, comme la possible interdiction de scolarisation des enfants dans des écoles privées. Les noms, visages et adresses de pas moins de 23 millions de Chinois particulièrement désobéissants sont ainsi inscrits sur les listes noires du gouvernement.
Les citoyens modèles bénéficient, eux, de réductions sur les billets de transports, sur les places de cinéma et de musée, à la bibliothèque… De quoi entraîner, selon les autorités, une émulation positive dans la société, qui doit tendre vers un idéal d’ordre et de respect d’autrui.

La plupart des Chinois se déclareraient satisfaits de ce système. Dans un pays où le strict respect des lois et des autorités fait partie intégrante de la culture et de l’éducation, il apparaîtrait légitime pour les citoyens d’encourager les bonnes actions et de punir les mauvaises au nom de la justice. De plus, beaucoup de Chinois auraient constaté que la société est devenue meilleure depuis la mise en place du crédit social : les rues sont plus propres, les gens plus civilisés… Néanmoins, dans le cadre d’une société constamment contrôlée, pouvons-nous être absolument certains de la sincérité de leurs réponses ?

Les dangers du crédit social

Les systèmes de reconnaissance faciale et de notation des citoyens sont actuellement vivement critiqués par les Occidentaux. La première crainte concerne la possible stigmatisation des  » mauvais citoyens » par le reste de la société pour des méfaits mineurs. Les sanctions infligées évoquées plus haut peuvent d’ailleurs, au lieu d’encourager l’individu à changer son comportement en vue de sa réinsertion, le décourager et même cultiver en lui une haine du système en place. De plus, cette surveillance généralisée paraît disproportionnée par rapport aux objectifs fixés.

L’interdiction de fréquenter de nombreux espaces publics et d’emprunter des transports en commun contribue en outre à marginaliser l’individu et pourrait, à terme, grandement affecter l’insertion sociale de certains Chinois. Par exemple, un message préenregistré avertit les Chinois qui tenteraient de joindre des individus placés sur liste noire. De même, de tels individus deviendraient les cibles privilégiées de l’appareil policier qui, préventivement, les contrôlerait davantage.

Les défenseurs des libertés individuelles s’indignent de l’implication étouffante des autorités dans la vie privée des individus et des restrictions accablantes qui menacent chacun. Leurs moindres faits et gestes sont scrupuleusement observés, enregistrés et matière à jugement moral. Si acheter des cigarettes ou de l’alcool au supermarché ou même avoir un chien peut paraître anodin en France, de telles actions sont pourtant sanctionnées par le gouvernement chinois, les considérant comme néfastes pour ses citoyens même s’il ne les a pas interdites. Ces derniers perdent alors grandement en autonomie puisque toutes leurs actions sont dirigées, voire dictées par une autorité supérieure, un système à la fois protecteur et répressif, rassurant et sévère, prenant le contrôle de ses citoyens à la manière de Big Brother dans le roman de fiction 1984 de George Orwell.

Réprimer des comportements jugés peu civiques mais aussi l’expression des opinions constitue naturellement une atteinte grave à la démocratie. C’est ce que dénonce le journaliste chinois Yourou, placé sur liste noire et privé de voyage après qu’il a enquêté d’un peu trop près sur les affaires de possible corruption de hauts responsables du parti. La liberté d’opinion est bafouée puisqu’aucune critique envers les hauts dirigeants n’est tolérée par le gouvernement. Autre exemple : celui du maître chinois de MMA Xu Xiaodong qui, en prônant la supériorité d’un sport de combat occidental vis-à-vis des arts martiaux traditionnels chinois (qu’il qualifie de « faux kung-fu »), s’est attiré les foudres du parti, ce dernier lui ayant infligé la sévère note de D (équivalent à être placé sur liste noire). Loin de seulement veiller au respect de la loi, le système de crédit social chinois semble donc dicter ce que les citoyens doivent faire et penser au quotidien.

Un pareil système est-il envisageable en France ?

Selon le chercheur spécialisé dans l’intelligence artificielle et président du comité d’éthique du CNRS Jean-Gabriel Ganascia, le système de notation des citoyens chinois, réducteur et permanent, existerait déjà en France. Comme en Chine, les citoyens sont notés sur Internet : Ganascia cite ainsi l’exemple des vendeurs sur Ebay dont la qualité de leurs produits et de leur livraison sont notés par les clients. Ce système de notation se retrouve aussi dans les institutions financières, comme lorsque les assurances ou les banques « notent » leurs clients selon certains critères pour s’assurer de leur fiabilité. De même, les grandes entreprises françaises peuvent disposer librement des informations que nous leur donnons, comme les photos de nous que nous partageons sur les réseaux sociaux.

Le système de reconnaissance faciale est, lui aussi, déjà présent en France. Par exemple, il permet d’authentifier efficacement les voyageurs dans les aéroports. Néanmoins, il pourrait, en parallèle, permettre l’identification de n’importe qui dans la rue, ce qui constituerait une atteinte à la vie privée. C’est déjà le cas à Nice, où des caméras à reconnaissance faciale participent à la sécurité de la ville. Ces nouvelles technologies appellent à de nouvelles loi, qui devront encadrer leur utilisation et protéger l’intimité des individus, sans pour autant compromettre leur sécurité.


Aussi louables peuvent être certains objectifs, à savoir l’efficacité économique et surtout le maintien de l’ordre public, les méthodes déployées pour y parvenir demeurent une question sensible. Le système de crédit social, en plus de porter atteinte à la vie privée des citoyens en les épiant constamment via des caméras à reconnaissance faciale, peut engendrer des effets pervers, comme en témoignent les sanctions abusives restreignant les libertés fondamentales ou confortant le pouvoir en place, voire la stigmatisation des « mauvais citoyens ». Dans un pays démocratique comme la France s’évertuant à garantir les libertés individuelles de ses citoyens, il semble aujourd’hui inconcevable que le gouvernement applique un système de crédit social aussi stricte qu’en Chine.

Les manifestations à Hong-Kong de 2019-2020

Depuis le 15 mars 2019, de violents affrontements opposent une partie des habitants de Hong-Kong aux forces de police. Originellement, ces manifestations font suite à un amendement à la loi d’extradition présenté par le gouvernement de Hong-Kong, qui faciliterait l’intervention du pouvoir de Pékin dans le système juridique indépendant de Hong-Kong. La loi d’extradition menacerait par conséquent la sécurité personnelle de tous les Hong-Kongais, résidents permanents comme touristes de passage, selon ses opposants. En quoi les manifestations de 2019-2020 dans le petit territoire indépendant au sud-est de la Chine créent-elles une situation si particulière ?

Contexte géopolitique

Ancienne colonie britannique, Hong-Kong ne s’est détachée du Royaume-Uni que tardivement, le 1er juillet 1997, date à laquelle la région a été rétrocédée à la Chine. Toutefois, Hong-Kong garde depuis son autonomie politique, en conservant son système légal (la « common law » d’inspiration britannique), sa monnaie (le dollar de Hong-Kong), son système politique multipartiste, ses équipes sportives nationales, ses lois sur l’immigration, etc. Cette autonomie devait perdurer jusqu’en 2047, d’après la promesse de la République populaire de Chine faite à l’occasion d’une déclaration sino-britannique commune.

La loi d’extradition semble compromettre la pérennité des systèmes judiciaire et multipartiste hong-kongais. L’amendement introduit par le gouvernement consiste en une « ordonnance sur les délinquants en fuite relative à l’entraide judiciaire avec les autres pays qui n’ont pas d’arrangement avec Hong-Kong ». Cet amendement survient à peine un an après une difficulté judiciaire engendrée par un simple fait divers : en 2018, un natif de Hong-Kong tue sa petite amie enceinte à Taïwan, puis s’enfuit dans le régime administratif spécial (RAS) de Hong-Kong pour échapper aux poursuites. En effet, le gouvernement hong-kongais ne pouvait ni le juger à Hong-Kong, d’après le principe du territoire de 1987 stipulant que les fugitifs doivent être renvoyés pour jugement sur le lieu de leur crime, ni l’extrader à Taïwan car il n’y a pas de traité d’extradition avec ce pays. La loi d’extradition a censément été amendée pour éviter ce genre de problèmes à l’avenir.

Réactions

L’amendement à la loi d’extradition a provoqué de vives critiques à Hong-Kong et dans le reste du monde. De nombreux juristes, journalistes, groupes d’affaires et gouvernements occidentaux craignent en effet qu’il ne réduise l’indépendance du système judiciaire de Hong-Kong et affecte la stabilité juridique nécessaire aux affaires. Cette loi permettrait ainsi d’extrader de nombreux éléments que le gouvernement de Hong-Kong, dépendant de Pékin, considère comme « nuisibles », « perturbateurs » ou, plus généralement, les opposants politiques, vers la République Populaire de Chine, où le système judiciaire est moins indépendant. 

L’extradition pourrait concerner des organisations criminelles influentes qui, d’ailleurs, exercent parfois leurs activités sur l’ensemble du territoire chinois à partir de Hong-Kong, mais aussi les activistes indépendantistes de la région administrative spéciale. Si démanteler une vaste organisation criminelle est un objectif souhaitable pour tous, les opposants politiques ne sont pas considérés comme des hors-la-loi par les Occidentaux et faciliter leur condamnation menacerait les libertés hong-kongaises.

Cette peur d’une « justice politisée », là où auparavant prédominaient le multipartisme et la liberté de penser, de réunion et d’opinion (contrairement au reste de la Chine), a provoqué plusieurs manifestations et rassemblements à Hong-Kong. Le 9 juin 2019, près d’un million de Hong-kongais, soit un huitième de la population, participèrent à une manifestation dans les rues de la capitale contre la loi et pour la démission du chef de l’exécutif à l’origine de l’amendement, Mme Lam. 

A ces revendications, s’ajoutent à partir du 12 juin la condamnation de la violence policière hong-kongaise et la demande de libération de manifestants détenus. En effet, certains policiers n’ont pas hésité à utiliser du gaz lacrymogène, des projectiles en sachet et des armes à feu tirant des balles en caoutchouc sur les manifestants, suscitant l’indignation internationale, notamment de l’ONG Amnesty International, pendant que des étudiants étaient arrêtés et enfermés comme émeutiers. Depuis le mois de juillet 2019, les manifestants réclament la création d’un comité indépendant afin d’enquêter sur les violences policières, mais aussi, sur un plan plus politique, la dissolution du conseil législatif et l’introduction du suffrage universel. De manière plus générale, les manifestants exigent davantage de libertés.

Des manifestations se sont également produites dans le reste du monde, notamment là où l’on retrouve d’importantes communautés hong-kongaises, comme à Toronto et Vancouver au Canada, mais aussi aux Etats-Unis (à Times Square, devant la Maison Blanche et à New-York), au Japon, à Taïwan, en Australie et en Europe, surtout au Royaume-Uni, notamment à Londres.

Fondamentalement, ce mouvement populaire semble exprimer le rejet du régime chinois par les Hong-kongais, deux systèmes bien distincts coexistant actuellement, et même un rejet de la Chine elle-même. Selon une enquête de l’Université de Hong-Kong, seuls 11% des habitants se considèrent Chinois. 

Ces mouvements protestataires ne peuvent sans doute pas conduire à l’indépendance totale de Hong-Kong. Pour autant, les autorités chinoises se trouvent dans une situation délicate. En effet, les manifestations pro-démocratie ont eu un large écho dans les démocraties occidentales. Or, l’intérêt économique de Hong-Kong, pour la Chine, tient à ses relations étroites avec le reste du monde développé. 

Ainsi, le régime chinois paraît vouloir profiter de l’épidémie de coronavirus pour restreindre les libertés, interdire les manifestations et faire avancer ses réformes. Toutefois, les Etats-Unis viennent de menacer la Chine de remettre en cause certaines facilités dont bénéficie Hong-Kong et sans lesquelles elle ne serait pas une des principales places financières asiatiques. La situation demeure complexe à gérer pour Pékin et son évolution, incertaine. 

Réformes des retraites : Une nécessité vitale pour la viabilité de notre protection sociale ?

La question de la réforme des retraites évoquée dans le programme d’Emmanuel Macron en 2017, a entrainé un mouvement de contestation aboutissant à des grèves et une paralysie du Traffic ferroviaire au mois de décembre 2019. En effet, les fonctionnaires de la SNCF souligne leur scepticisme quant à cette réforme, marquée par la suppression des régimes spéciaux et par conséquent la réduction de leurs avantages. Le projet défendu par le gouvernement a pour vocation de transformer en profondeur les structures du système de retraite, et ne correspond pas à des ajustements comme les réformes précédentes de 1993 ou de 2010. Initialement, le projet a été confié à Jean-Paul Delevoye qui avait été nommé haut-commissaire à la réforme des retraites en septembre 2017 et qui transmet son rapport en juillet 2019.

Le régime actuel :

A l’heure actuelle, il existe 42 régimes de retraites, pour les fonctionnaires, pour les indépendants ou les agriculteurs notamment . Cependant, selon la direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques, 80 % des retraités sont couverts par le régime général. De plus, la complexité de ce système est renforcée avec le principe de régime polypensionné, dont bénéficient des retraités ayant connu des reconversions professionnelles. Ce régime concerne un emploi sur trois. Certains individus ayant souvent changé d’activité au cours de leur carrière professionnelle peuvent donc avoir quatre ou cinq formes de régimes de retraite. Par la suite, dans le cas du régime général, l’âge légal de départ à la retraite est de 62 ans, mais il existe une distinction entre l’âge légal de départ et celui à taux plein. En effet, un actif partant à la retraite à 62 ans n’est pas du tout assuré d’avoir une retraite maximale, pour avoir une pension complète, l’actif doit travailler 43 ans pour ceux nés après 1973 et 41 ans et neuf mois pour ceux nés après 1958.

Les modifications du gouvernement :

L’objectif de cette réforme est de rendre le système moins complexe par la mise en place d’un régime unique mais également par une volonté de rendre le régime plus flexible face à l’évolution de la conjoncture économique. Emmanuel Macron avait d’abord évoqué un système proche du modèle suédois. Dans cette situation, le point évolue en fonction de la croissance économique, dans un souci de régulation du poids du déficit. En effet, lorsque la croissance économique diminue et que les dépenses publiques d’un état restent inchangées, le poids de son déficit augmente mécaniquement. Cependant, les annonces d’Edouard Philippe le 9 décembre, ont été marquées par la promesse que le point n’évoluerait pas en fonction de la conjoncture. Désormais, le régime de retraite sera fondé sur des points. Ces derniers seront accumulés par les travailleurs tout au long de leur vie. Par conséquent, leurs retraites ne seront plus calculées sur leurs 25 dernières années pour les salariés du privé ou 6 mois pour le public, mais tout au long de leurs carrières. De manière mécanique, ce système par point est un vecteur de baisse des pensions puisque les jeunes actifs, moins expérimentés, ont des salaires plus bas et voient leurs salaires augmenter au fil de leur carrière. Par conséquent, dans ce régime universel à point les grands perdants sont les professeurs. En effet, ces derniers débutaient leurs carrières avec des salaires bas mais avaient l’avantage de voir une hausse régulière de leurs revenus et d’avoir une retraite, calculée sur les six derniers mois de cotisation. Si l’on prend des chiffres précis, un professeur gagne 1640 euros mensuel en début de carrière contre 2639 en fin. L’écart entre le début et la fin de carrière est par conséquent de 60 %. Le gouvernement compte également mettre en place un âge pivot, l’actif doit alors accepter de travailler deux ans de plus afin que sa retraite ne soit pas impactée. L’âge de départ à taux plein augmente donc avec cette réforme. Cependant, l’actif peut toujours faire le choix de partir à 62 ans mais subira une décote de sa retraite.

Des nécessités d’instaurer un équilibre budgétaire, et une volonté d’instaurer de l’égalité :

Le gouvernement a souligné leur intention de mettre fin au déficit des retraites et de contrer une éventuelle explosion de ce déficit dans les années à venir. En effet, avec l’augmentation de l’espérance de vie, le nombre de retraités augmentent plus rapidement que le nombre de cotisants. Ce déséquilibre peut alors s’interpréter de deux manières : dans un état d’esprit plutôt libéral (celui du gouvernement), l’Etat doit obligatoirement équilibrer son système tandis que dans un paradigme plutôt keynésien, où le régime de retraite est   considéré comme une dépense publique  classique, le déficit n’est pas vu comme un problème. Dans ce cas, la retraite est vue comme une dépense de protection sociale à part entière. L’idée du gouvernement est de créer plus d’équité entre les Français, un euro cotisé donnera en théorie exactement les mêmes droits à tous. Le gouvernement a également souligné sa volonté de tenir compte de la pénibilité de certains métiers. En plus de ces promesses, le minimum de retraite devrait passer de 500 à 1000 euros, afin de réduire les écarts de pension, et le maximum de retraite est fixé à 10000 euros par mois, ce qui est inédit en France.

Les conséquences de cette réforme selon les détracteurs :

La conséquence immédiate est la réaction des citoyens qui se mobilisent, ayant l’impression qu’à l’issue de cette réforme, ils travailleront plus pour gagner moins. Des syndicats se sont  mobilisés, la CGT appelle alors à la grève générale et celle-ci est suivie depuis le début du mois de décembre par la RATP et la SNCF. Sur un plan économique, la réforme des retraites qui pénalisent de manière indéniable la fonction publique, peut entraîner une précarisation du secteur public. En effet, le retrait d’avantages pour les professeurs peut inciter moins de jeunes à devenir professeur, ce qui risque de dégrader la qualité de l’enseignement en France (avec des professeurs à la retraite non remplacés). Or, l’éducation est un élément fondamental au développement socio-économique d’une nation. L’éducation est vectrice d’externalité positive puisqu’une population formée permet aux entreprises d’économiser des coûts de formation. Avec cette réforme, cette externalité positive, source de croissance intensive est remise en question, ce qui peut entrainer à terme un cercle vicieux : la croissance intensive diminue, ce qui crée des difficultés dans le cadre de la régulation du déficit public, obligeant l’Etat à intensifier sa politique de rigueur budgétaire. Puis, cette réforme a tendance à pénaliser les pensions des ménages français, ce qui peut les inciter à se tourner vers des fonds de pension qui offre des conditions attractives mais risquées. Cette réforme permettrait une ouverture d’un marché de fonds de pension en France, qui n’irait pas forcément dans les intérêts des salariés en période de crise financière. En effet, à l’issue de la crise des Subprimes des fonds de pension américains tels que ceux rattachés à Lehman Brothers ont fait faillite, entrainant la perte de capitaux de ménages qui étaient placés en vue de leur future retraite.

Cette réforme fait débat au sein de la classe politique et suscite l’indignation des représentants des régimes spéciaux : si certains, partisans d’Emmanuel Macron voit ces changements comme un moyen d’équilibrer le régime, d’autre estime qu’elle est le symbole de la politique de recul de l’intervention de l’état-providence menée par le président.

Venezuela : une crise sociale et politique

La crise économique au Venezuela a été vecteur d’instabilité politique. En effet, la politique économique de Nicolas Maduro se révèle désastreuse du fait du manque de diversification des secteurs d’activité. Cette situation entraine alors des contestations grandissantes au sein de la classe moyenne venezuelienne.

File:Caracas 02 febrero 2019 Juan Guaido Presidente Interino Venezuela Por fotógrafo Venezolano AlexCocoPro.jpg
Juan Guaido nouveau président auto-proclamé

La crise économique a constitué un vecteur d’impopularité de Nicolas Maduro. Au début de l’année 2019, seulement 25 pour cent des citoyens avait une opinion favorable à son égard. La situation de la population est très compliquée, leur quotidien est marqué par des longues heures d’attente pour récuperer des denrées alimentaires dans les points de vente, devenues si précieuses au Venezuela. Les services et infrastructures publics, marqués par des coupes budgétaires drastiques sont aujourd’hui, en trèsmauvais état, avec des hôpitaux à court de médicaments ou d’électricité. A la suite des élections présidentielles en mai 2018, le président sortant l’a emporté, avec 68 pour cent des voix. Mais face à son impopularité, connue aux yeux de la communauté internationale, de nombreux pays étrangers ont contesté la légitimité de ces élections et ont alors dénoncé des fraudes. Dans ce contexte tendu, une personnalié presque inconnue il y a quelques années, s’est déclarée président par intérim : Juan Guaido.

Des conditions de vie dramatiques :

Le Venezuela vit aujourd’hui la plus grave crise économique de son histoire. Face au manque de ressources (lié à la chute de la valeur de sa production pétrolière), le pays est incapable de financer les services publics ou de faire venir des denrées alimentaires de l’étranger. Le manque de médicaments, entraine des difficultés pour soigner des maladies graves ou des cancers, les machines telles que les radiothérapies sont obsolètes ou hors-service. Dans les hôpitaux publics, les médecins sont rémunérés l’équivalent de 10 dollars par mois, ce qui entraine un départ massif du pays de cette profession. La pénurie d’électricité engendre des dysfonctionnements des pompes à eau, ce qui entraine des pénuries d’eau potable et des problèmes de contamination qui sont source de problèmes de santé notamment chez les enfants et les personnes fragiles. Ce manque d’eau combiné à une inflation démentielle entraine une disproportion du prix de l’eau: il faut désormais plusieurs centaines de milliers de bolivars soit plusieurs mois de salaire pour se procurer un litre d’eau. Face à cela, beaucoup de venezueliens préfèrent aller chercher de l’eau directement à une source naturelle, faisant parfois plusieurs heures de marche. La pénurie alimentaire est visible par le biais de sondages montrant que 90 pour cent de la population n’a pas les moyens de manger correctement. En effet, les aides de l’Etat, se réduisant à un paquet de riz et de pâte par mois ne sont pas suffisants pour nourrir une famille. La population essaye alors de se procurer de la viande sur la marché noir mais celle-ci est à plus de dix dollars le kilo quand le salaire moyen est de 30 dollars.

Des élections contestées :

Dans ce contexte, il est logique que la grande majorité des venezueliens veuille en finir avec le régime en place. Pourtant, les élections ont donné la victoire au président sortant. Face à cette situation si la Chine, la Russie, Cuba ou le Nicaragua ont félicité Nicolas Maduro, l’Union Européenne, les Etats-Unis ou encore l’opposition vénezuelienne ont contesté la légitimité et la légalité de ces élections. Cette contestation émane de plusieurs décisions jugées par ces pays comme anti-démocratiques. Le grand rival de Nicolas Maduro, Henrique Capriles Radonski avait été déclaré inéligiblble en avril 2017 par la Cour Suprême dans le cadre d’irrégalurités administratives dans l’affaire Odebrecht. Celui-ci avait d’ailleurs récolté 49 pour cent de voix durant la précédente élection de 2013. Par la suite, Nicolas Maduro aurait indirectement acheté des voix. En janvier 2017, celui-ci avait instauré les carnets de la patrie. Ses détenteurs avaient alors des avantages sociaux, comme des tarifs préférentiels pour acheter des biens de première nécessité. Durant les élections, tous les citoyens ayant votés pour le président sortant avait alors eu le droit à des recharges de ces cartes, dans un contexte de situation alimentaire excessivement tendue. De plus, l’opposition déplore également le fort taux d’abstention qui est de 54 pour cent.

L’auto-proclamation de Juan Guaido :

Le 5 janvier 2019, Juan Guaido est élu président de l’Assemblée Nationale, dans un contexte où le pouvoir législatif de l’Assemblée avait été fortement réduit et transféré depuis juillet 2018 à une Assemblée constituante, sous le contrôle de Nicolas Maduro. Lorsque Juan Guaido s’auto-proclame président du Venezuela le 23 janvier, il n’est donc pas en position de force, puisque initialement il est président d’une chambre dont le pouvoir a été réduit d’une manière considérable. Cette Assemblée avait déclaré en parallèle ne pas reconnaître l’élection de Nicolas Maduro. La montée en puissance de Juan Guaido débute réellement après le 10 janvier, date à laquelle Nicolas Maduro est reconduit à ses fonctions pour un second mandat. Il instaure alors une série de « calbido » (l’idée de réunir le peuple dans des situations urgentes) liés à des manifestations pacifiques dans le but de faire céder le pouvoir en place. Le 23 janvier, il prête serment et s’auto-proclame officiellement président du Venezuela, au cours d’une manifestation organisée dans la capitale. L’Union Européenne ou les Etats-Unis reconnaissent la légitimité de Juan Guaido.

Depuis lors, le gouvernement de Maduro fait pression sur Juan Guaido notamment par le biais de manoeuvres d’intimidation ou d’accusation. En mars 2019, dans le contexte de la panne électrique qui touche le pays, la justice venezuelienne accuse Juan Guaido de « complicité de sabotage avec les Etats-Unis ». En octobre 2019, Iris Varela, la ministre du service pénitentiaire avait traité Juan Guaido de délinquant et de criminel.