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La fiscalité du transport aérien en France : entre héritage historique, urgence écologique et réformes à venir

Par Giovanni Diassise, étudiant en parcours recherche à Sciences Po

Pivot des échanges internationaux et de l’intégration des espaces de mondialisation, le transport aérien bénéficie d’un régime fiscal privilégié. Héritées de conventions internationales et d’arbitrages politiques nationaux, ces exonérations fiscales, notamment sur le kérosène et la TVA, apparaissent aujourd’hui de plus en plus anachroniques à l’heure de la crise climatique et des contraintes budgétaires de l’État. La question de la fiscalité aérienne s’impose donc dans le débat public, révélant une tension entre compétitivité économique, justice sociale et transition écologique.

1. Héritage historique et cadre juridique

L’exonération de taxe sur le kérosène trouve ses origines dans la Convention de Chicago de 1944, qui interdit aux États d’imposer des taxes sur le carburant aérien destiné aux vols internationaux. Cette disposition, adoptée dans un contexte d’essor du transport aérien et de volonté d’encourager la coopération internationale, visait à harmoniser les règles et à éviter les distorsions de concurrence entre pays. En Europe, cette orientation a été reprise par une directive de 20031 relative à la taxation de l’énergie, qui interdit en principe toute taxation du kérosène pour les vols internationaux, mais laisse aux États la possibilité de taxer les vols domestiques si ceux-ci le souhaitent2. En France, l’exonération totale des accises sur les carburants pétroliers (ex taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, TICPE) a été maintenue pour l’ensemble de l’aviation civile commerciale, y compris pour les vols intérieurs3

À cela s’ajoute une politique de TVA différenciée : les vols internationaux et intra-européens sont soumis à un taux nul, tandis que les vols domestiques ne supportent qu’un taux réduit de 10 %, bien en deçà du taux normal de 20 % appliqué à la majorité des biens et services4

En parallèle, quelques taxes spécifiques existent. La taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), instituée par la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 et dont le barème a été renforcé par la loi de finances pour 2025, finance notamment les infrastructures de transport et certaines politiques internationales de santé (Unitaid). La taxe de l’aviation civile (TAC), créée par la loi n° 98-1267 du 30 décembre 1998 de finances rectificative pour 1998 et codifiée dans le Code des transports, contribue quant à elle au financement des services publics liés à la sécurité et à la sûreté aérienne5.

2. Un régime fiscal avantageux mais coûteux

L’architecture actuelle confère au secteur aérien des avantages considérables. Le manque à gagner pour les finances publiques est évalué à près de 6,1 milliards d’euros par an en France6. Dans le détail, l’absence de TVA sur la plupart des vols représente environ 2,3 milliards d’euros, l’exonération de TICPE équivaut à 1,9 milliard d’euros, tandis que les mécanismes de quotas carbone sous-évalués ajoutent environ 900 millions d’euros de manque à gagner7. Ce régime fiscal traduit une contradiction au regard des engagements écologiques de la France et de l’UE : alors que le transport aérien est l’un des modes de déplacement les plus polluants en termes d’émissions de CO₂ par passager/kilomètre, il bénéficie d’un régime fiscal bien plus favorable que celui appliqué au transport routier ou ferroviaire. Par exemple, le diesel est taxé en France à hauteur de 0,6075 €/L via les accises, tandis que le kérosène des avions domestiques en est exempté8. Ce système a des conséquences économiques et environnementales importantes. La compétitivité-prix du billet d’avion, dynamise la demande de mobilité aérienne, accentuant l’effet rebond et retardant le transfert modal vers des solutions moins carbonées, comme le train à grande vitesse. La fiscalité aérienne entretient également une inégalité sociale, puisque ce sont principalement les catégories les plus aisées sont celles qui bénéficient du transport aérien. Le neuvième décile de revenus par ménage représente plus de la moitié des passagers aériens en France9, tandis que les coûts environnementaux et fiscaux sont supportés par l’ensemble de la collectivité10.

3. Les réformes envisagées dans le PLF 2026

Dans la loi de finances pour 2025, plusieurs ajustements fiscaux ont déjà été adoptés. La taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), en place depuis 2006, a vu son barème relevé à compter du 1ᵉʳ mars 2025, générant des recettes supplémentaires affectées aux infrastructures de transport et à certaines politiques de santé publique11. Parallèlement, la taxe de l’aviation civile (TAC) a été réévaluée afin de renforcer le financement des services de sécurité et de sûreté aérienne12. Le gouvernement Bayrou avait proposé dans son projet de loi de finances pour 2026 un ensemble de mesures inédites visant à corriger les distorsions les plus importantes13. La première consiste à supprimer l’exonération des accises sur les produits pétroliers pour les vols intérieurs. Cette mesure, rendue possible par le droit européen, permettrait de dégager environ 660 millions d’euros de recettes supplémentaires. Son impact sur les prix est estimé à environ 30 à 35 euros de hausse pour un aller simple sur un vol domestique typique, ce qui pourrait peser sur la demande, notamment dans le segment des voyages de loisirs14. En parallèle, le gouvernement envisage de doubler la TVA sur les vols domestiques, la faisant passer de 10 % à 20 %. Cette mesure rapporterait environ 170 millions d’euros supplémentaires. Pour un aller-retour Paris–Nice, le surcoût serait compris entre 13 et 26 euros selon la classe de voyage, une augmentation relativement limitée , mais symboliquement importante puisqu’elle vise à aligner la fiscalité aérienne sur celle appliquée à d’autres secteurs15. Enfin, une troisième innovation consisterait en la création d’une taxe d’un euro par passager dans les aéroports franciliens, à l’arrivée comme au départ. Ce dispositif, destiné à financer les infrastructures de transport collectif en Île-de-France, générerait environ 88 millions d’euros, fléchés vers le renforcement de l’offre ferroviaire et des interconnexions dans une logique de transition intermodale16.

Enfin, la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) a été triplée dans le cadre de la loi de finances pour 2025. Les nouveaux barèmes, applicables depuis le 1ᵉʳ mars 2025 et fixés par l’arrêté du 24 décembre 2024, portent les recettes attendues à près d’un milliard d’euros, dont environ 850 millions prélevés sur les compagnies régulières et 150 millions sur l’aviation d’affaires. Cette mesure, sans précédent depuis la création de la taxe en 2006, s’inscrit dans un mouvement de rattrapage vis-à-vis d’autres États membres, qui appliquent déjà des barèmes plus élevés sur les vols intra-européens17.

4. Les controverses et oppositions

Ces propositions ont suscité des réactions contrastées. Le secteur des compagnies aériennes et aéroports, dénoncent un « choc fiscal » susceptible de déstabiliser durablement la compétitivité française. La Cour des comptes, tout en reconnaissant la pertinence d’une réforme de la fiscalité énergétique, a néanmoins souligné le risque de pertes de parts de marché des compagnies françaises face à la concurrence internationale, estimant que des ajustements progressifs seraient nécessaires18. Selon une étude du cabinet Deloitte, le triplement de la TSBA pourrait réduire le trafic de 2 %, entraîner la suppression de 11 500 emplois et amputer de 500 millions d’euros les recettes fiscales attendues en raison de la baisse d’activité19. La Fédération nationale de l’aviation marchande (FNAM) alerte également sur le risque d’une désindustrialisation accélérée, rappelant que la part des compagnies françaises dans le trafic international est passée de 60 % à 38 % en vingt ans20. Les syndicats représentatifs du secteur aérien, tels que le SNPL (Syndicat national des pilotes de ligne) et l’UNSA Aérien, dénoncent pour leur part une menace pour l’emploi dans les aéroports régionaux et dans les filières connexes (sûreté, assistance en escale, maintenance)21. À l’opposé, les ONG environnementales saluent ces réformes comme un rattrapage attendu depuis longtemps. Le Réseau Action Climat souligne que la France reste en retard par rapport à des pays comme l’Allemagne, où la taxe sur les billets atteint 15 € pour certains vols intra-européens. Selon leurs estimations, une réforme plus ambitieuse, conforme aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat, pourrait rapporter jusqu’à 3,7 milliards d’euros par an et financer massivement la transition ferroviaire22.

Les économistes favorables à la réforme avancent également l’argument de justice fiscale : faire payer davantage un mode de transport qui profite surtout aux plus riches et qui génère des externalités négatives considérables. Ils insistent sur la nécessité d’affecter les recettes ainsi collectées à des projets visibles, comme le développement du réseau ferroviaire régional ou l’accélération de la production de carburants durables pour l’aviation (SAF)23.

5. Perspectives et scénarios pour l’avenir

Au-delà du PLF 2026, la réflexion sur la fiscalité aérienne ouvre des perspectives à moyen et long terme. L’un des axes les plus discutés concerne la suppression des vols courts lorsqu’une alternative ferroviaire existe. Prévue par la loi Climat et résilience de 2021 et entrée en vigueur avec le décret du 21 mai 2023, cette mesure interdit désormais certaines liaisons aériennes intérieures lorsqu’une alternative en train de moins de deux heures trente est disponible24. Les travaux académiques d’Anne de Bortoli montrent que la substitution de l’avion par le TGV sur des liaisons comme Paris–Bordeaux permettrait de réduire drastiquement l’empreinte carbone, avec un « retour environnemental sur investissement » en moins de dix ans. Ce résultat tranche avec la situation actuelle où, faute de mesures incitatives ou coercitives complémentaires, le retour carbone de la grande vitesse se calcule encore en plusieurs décennies25.

Les perspectives fiscales vont également dans le sens d’une taxation progressive. Plusieurs experts, parmi lesquels l’économiste britannique Andrés Gómez Martín (University College London) et le climatologue Kevin Anderson (University of Manchester), défendent l’idée d’une contribution proportionnelle au nombre de vols annuels effectués par un passager26, inspirée du modèle britannique du « frequent flyer levy » (contribution des voyageurs fréquents). Cette approche vise à cibler plus équitablement les voyageurs fréquents, qui concentrent la majorité des émissions, tout en préservant la possibilité pour les ménages modestes de voyager occasionnellement en avion27

De nouvelles initiatives apparaissent au sein de l’Union européenne. En juin 2025, lors du sommet de Séville, la France et l’Espagne se sont accordées pour mettre en place des taxes spécifiques sur les voyageurs en cabine premium et les jets privés, au nom de la justice sociale et climatique. Ce signal, inédit, s’inscrit dans une tendance plus large de responsabilisation des grands émetteurs et d’harmonisation des pratiques fiscales au sein de l’Union européenne28.

Par ailleurs, le think-tank Transport & Environment rappelle que le manque à gagner fiscal dû aux exonérations du secteur aérien atteint 34,2 milliards d’euros par an à l’échelle de l’Union, dont 4,7 milliards pour la France. Ces ressources pourraient financer l’équivalent de 1 400 km de lignes ferroviaires à grande vitesse, démontrant le potentiel d’une réallocation ambitieuse de ces fonds29

L’Association internationale du transport aérien (IATA) et l’ACI World soulignent que surtaxer le secteur pourrait réduire sa capacité à investir dans des carburants durables ou dans la modernisation des infrastructures. Elles insistent sur le risque d’une perte de compétitivité internationale et d’une fragilisation des aéroports régionaux, déjà vulnérables aux restructurations de compagnies comme Ryanair, qui a annoncé en 2025 la suppression de plusieurs bases en France suite aux à la hausse de la pression fiscale30.

Ces débats révèlent une tension profonde entre les impératifs climatiques et la réalité économique. Plusieurs scénarios sont aujourd’hui discutés dans la littérature institutionnelle et académique. La Cour des comptes, dans son rapport de 2024 sur la fiscalité de l’énergie, insiste sur l’hypothèse d’une transition modale ambitieuse, combinant interdictions ciblées de vols intérieurs et investissements massifs dans le réseau ferroviaire31. L’Observatoire français des conjonctures économiques, de son côté, privilégie une approche de fiscalité progressive, appliquée aux voyageurs fréquents et aux classes premium, couplée à des prélèvements renforcés sur l’aviation d’affaires, afin de concilier équité sociale et efficacité environnementale32. Enfin, plusieurs études commanditées par la Commission européenne avancent un scénario de compromis, fondé sur une hausse maîtrisée de la fiscalité, négociée avec les acteurs économiques, et assortie de mécanismes de compensation pour les territoires régionaux vulnérables33.

La fiscalité aérienne française illustre à quel point les compromis hérités du passé peuvent devenir des anomalies à l’épreuve des défis contemporains. Les exonérations sur le kérosène et la TVA, conçues dans un contexte d’essor du transport aérien et de concurrence internationale, apparaissent désormais difficilement justifiables face à l’urgence climatique et à la nécessité de financer la transition. Plusieurs recommandations se dégagent : aligner progressivement la fiscalité aérienne sur celle appliquée à d’autres secteurs émetteurs, flécher une partie des recettes vers le développement du réseau ferroviaire régional et la production de carburants durables (SAF), et renforcer la coopération européenne afin d’éviter toute distorsion de concurrence.

En définitive, l’avenir du transport aérien ne peut se penser indépendamment de celui des autres modes de transport. La fiscalité, loin d’être un simple instrument budgétaire, apparaît comme un levier stratégique pour orienter les comportements, corriger les inégalités et inscrire la mobilité française dans une trajectoire durable. Plus qu’une contrainte, elle pourrait devenir le catalyseur d’un nouveau pacte entre mobilité, justice sociale et transition écologique.

Notes

  1. Convention de Chicago, 1944 ; Directive 2003/96/CE, art. 14.
  2. Code des douanes, art. 265.
  3. Code général des impôts, art. 279 b quater.
  4. Cour des comptes, Les finances publiques et le transport aérien, rapport 2023.
  5. Transport & Environment, Étude sur la fiscalité aérienne en Europe, 2024.
  6. Ministère de l’Économie, DGFiP, barèmes TICPE 2025.
  7. Le Monde, « Augmenter la fiscalité de l’aérien est nécessaire », 21 oct. 2024.
  8. Air Journal, « Nouvelles taxes dans le PLF 2026 », 28 juin 2025.
  9. Voyages d’Affaires, « Fiscalité aérienne », 10 juil. 2025.
  10. PNC Contact, « PLF 2026 et taxes aériennes », 9 juil. 2025.
  11. Le Monde, « Défenseurs de l’environnement et compagnies aériennes s’écharpent… », 12 nov. 2024.
  12. Deloitte, Impact de la fiscalité aérienne sur l’emploi, 2024.
  13. Fédération nationale de l’aviation marchande, communiqué 2025.
  14. Réseau Action Climat, Note sur la fiscalité du transport aérien, 2024.
  15. Mediapart, « Qui profite de la fiscalité de l’aérien ? », 2025.
  16. De Bortoli, A., Environmental impacts of mode substitution Paris–Bordeaux, 2024.
  17. UK Committee on Climate Change, Frequent Flyer Levy Proposal, 2021.
  18. Reuters, « France, Spain among countries to agree to tax premium flyers, private jets », 30 juin 2025.
  19. Transport & Environment, Ending aviation tax exemptions, 2025.
  20. The Times, « Ryanair drops three French airports in row over tax », 2025 ; The Guardian, « Flight costs from France to rise », 12 fév. 2025.

  1. Directive 2003/96/CE ↩︎
  2. Code général des impôts, art. 279 b quater (TVA à 10 % pour le transport de voyageurs).
    https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000047809321 ↩︎
  3. Directive 2003/96/CE (fiscalité de l’énergie), art. 14 — exemptions et possibilités de taxation du carburant aérien.
    https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32003L0096 ↩︎
  4. Règlement (UE) 2023/958 modifiant la directive ETS pour l’aviation (fin de la gratuité des quotas 2024-2026, plein régime dès 2026).
    https://eur-lex.europa.eu/eli/reg/2023/958/oj ↩︎
  5. Règlement (UE) 2023/2405 « ReFuelEU Aviation » — mandats SAF et calendrier.
    https://eur-lex.europa.eu/eli/reg/2023/2405/oj ↩︎
  6. Le Monde (21 octobre 2024), « Augmenter la fiscalité de l’aérien est nécessaire… », citant les estimations de l’ONG Transport & Environment : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/21/augmenter-la-fiscalite-de-l-aerien-est-necessaire-pour-mettre-l-aviation-sur-la-piste-de-la-decarbonation_6357199_3232.html ↩︎
  7. Décret n° 2023-435 du 21 mai 2023 — interdiction de certaines liaisons aériennes intérieures en présence d’alternatives ferroviaires ≤ 2 h 30.
    https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047627654 ↩︎
  8. Légifrance — CIBS, Taxe sur le transport aérien de passagers (articles L422-20 à L422-25) — base légale de la « taxe sur les billets d’avion ».
    https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000044595989/LEGISCTA000047816124/ ↩︎
  9. Sénat – Rapport “Décarbonation du secteur de l’aéronautique” (2023) ↩︎
  10. Service-public.fr — « Taxe de solidarité sur les billets d’avion » (barèmes 2025, entrée en vigueur 1ᵉʳ mars 2025).
    https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16680 ↩︎
  11. Arrêté du 24 décembre 2024 fixant les montants de la taxe de solidarité sur les billets d’avion applicables à partir du 1ᵉʳ mars 2025, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049902595 ↩︎
  12. DGAC, « Notice sur la taxe d’aviation civile (TAC) – 2025 », disponible sur le site du ministère de la Transition écologique : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Notice_TAC_FR_2025.pdf ↩︎
  13. Air Journal, « Le gouvernement Bayrou envisage de nouvelles taxes aériennes dans son projet de loi de finances pour 2026 », 28 juin 2025, https://www.air-journal.fr/2025-06-28-le-gouvernement-bayrou-envisage-de-nouvelles-taxes-aeriennes-dans-son-projet-de-loi-de-finances-2026-5263741.html ↩︎
  14. Légifrance — Arrêté du 24 décembre 2024 fixant les montants de la taxe de solidarité pour 2025.
    https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049902595 ↩︎
  15. DGAC — Notice « Taxe d’aviation civile (TAC) — 2025 » (document de référence officiel).
    https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Notice_TAC_FR_2025.pdf ↩︎
  16. Cour des comptes — L’économie du transport aérien (rapport 2023).
    https://www.ccomptes.fr/fr/publications/leconomie-du-transport-aerien ↩︎
  17. Cour des comptes — La place de la fiscalité de l’énergie… (septembre 2024) — recommandations sur l’exonération d’accise kérosène.
    https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-09/20240906-S2024-0646-Place-fiscalite-energie-dans-politique-energetique-et-climatique-francaise_0.pdf ↩︎
  18. Ibid. ↩︎
  19. OCDE — Taxing Energy Use 2024 — comparaison internationale et « écarts de taxation » du kérosène aérien.
    https://www.oecd.org/tax/tax-policy/taxing-energy-use.htm ↩︎
  20. Transport & Environment — Ending aviation tax exemptions in Europe (chiffrage des manques à gagner).
    https://www.transportenvironment.org/discover/ending-aviation-tax-exemptions-in-europe/ ↩︎
  21. Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), Communiqué : Impact des hausses fiscales sur l’aviation française, 2025 ; UNSA Aérien, Déclaration au CSE central d’ADP, juillet 2025 ↩︎
  22. Allemagne — Ministère fédéral des Finances (BMF) : hausse de la taxe aérienne au 1ᵉʳ mai 2024 (montants par tranche).
    https://www.bundesfinanzministerium.de/Content/EN/Topics/Taxation/Articles/2024-05-01-aviation-tax.html ↩︎
  23. Pays-Bas — Gouvernement : Vliegbelasting 2024 (montant par passager).
    https://www.rijksoverheid.nl/onderwerpen/luchtvaart ↩︎
  24. Décret n° 2023-435 du 21 mai 2023 pris pour l’application de l’article 145 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique, disponible sur Légifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047627654 ↩︎
  25. De Bortoli A., Feraille A., Banning short-haul flights and investing in high-speed railways for a sustainable future?, arXiv, 27 janvier 2025 (comparaison HSR vs avion Paris–Bordeaux, retour carbone en 10 ans avec interdiction).
    https://arxiv.org/abs/2502.05192 ↩︎
  26. Kevin Anderson & Broderick J., Policies for reducing CO₂ emissions from aviation, Tyndall Centre for Climate Change Research, University of Manchester, 2017 ; voir aussi Gómez Martín A., Frequent Flyer Levy: A fair and effective way to reduce aviation demand, University College London, Policy Brief, 2022. ↩︎
  27. Climate Change Committee (UK), Rich should fly less so others can go on holiday, The Times, 3 avril 2025 (proposition de frequent-flyer levy progressive).
    https://www.thetimes.co.uk/article/rich-should-fly-less-so-others-can-go-on-holiday-says-climate-chief-5fs50q7v8 ↩︎
  28. UK Climate Change Committee, Rising aviation emissions threaten UK climate targets, Financial Times, 24 juin 2025 (émissions aériennes > secteur électricité, suggestion de renforcer ETS).
    https://www.ft.com/content/7e17a8d4-064c-46f0-b4e7-84c2f5086254 ↩︎
  29. Tax on Europe’s frequent flyers could raise €64bn a year – study, The Guardian, 17 octobre 2024 (modèle d’une « jet-setter tax » Europe, baisse −21 % émissions, recettes €64 milliards).
    https://www.theguardian.com/world/2024/oct/17/tax-on-europes-frequent-flyers-could-raise-64bn-a-year-study ↩︎
  30. Can Europe’s trains compete with low-cost airlines?, Financial Times, novembre 2023 (lien HSR face à low-cost, sous-financement du rail TEN-T).
    https://www.ft.com/content/b5591361-7e10-4926-ae90-851fb5c1520d ↩︎
  31.  Cour des comptes, La place de la fiscalité de l’énergie dans la politique énergétique et climatique française, septembre 2024, p. 46-52, disponible à : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-09/20240906-S2024-0646-Place-fiscalite-energie-dans-politique-energetique-et-climatique-francaise_0.pdf ↩︎
  32. Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Rapport annuel sur l’économie française 2024 – Chapitre “Transition énergétique et fiscalité”, disponible à : https://www.ofce.sciences-po.fr/publications ↩︎
  33.  Parlement européen, Service de recherche (EPRS), “Fit for 55”: ReFuelEU Aviation and the revision of the Energy Taxation Directive, étude d’impact, 2021, disponible à : https://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document/EPRS_BRI(2021)699466 ↩︎

THE DEVELOPING RELEVANCE OF ENVIRONMENTAL JUSTICE (PART II: An increasing plethora of responses to Environmental Justice)

By Harrison Cox, University College London

The movement’s organisation

The grassroots movement was effective because of its popularity, but its lack of organisation led to a disjointed approach, meaning that efforts were often unnecessarily duplicated. A more organised approach would have been more coherent and promoted its relevance.

The movement seems to have acknowledged this drawback. Following the upsurge of interest in the issues, the organisations working on EJ seem to have institutionalised themselves[1]. They became “Registered EJ Organisations (REJOs)”. This allowed them to secure consistent financial assistance,[2] and more importantly, the movement gained political legitimacy. These groups also gained legal ability as officially recognised representatives of the discriminated communities.

The US REJOs have also expanded their remit by developing alliances and combining their work with NGOs. This is notable given the historical differences between the EJ movement and NGOs, who have tended not to “engage with communities on the ground dealing with Environmental Justice”[3]. In a similar movement of combining efforts, the EJ Atlas was launched in 2014, offering an invaluable tool for these movements to coordinate to work more effectively. However, one could question how these grassroots movements can fit into an institutional framework in which discriminatory processes have historically dominated. To remain relevant, they must take care not to alienate the social origin of the movement in favour of a globalised broad approach.

The legal evolution

It was not until Clinton’s 1994 Federal Executive Order that legal provisions were implemented to address these issues in the US. This seems relatively late, given that the movement has been at the forefront of environmental demands since 1987. It is also remarkable that international instruments started to discuss this issue before the US addressed it. In 1992, the Rio Declaration recognised the inherent link between social and environmental issues. Principle 6 highlights this recognition by combining “the least developed and those most environmentally vulnerable”. Naturally, this does not refer directly to racial discrimination, but often, the least developed countries are those that suffered from extraction by colonial empires. EJ theories also figure in the Kyoto Protocol[4] by recognising different climate change responsibilities, the Aarhus Convention,[5] which offers solutions to address these issues through procedural rights and the Sustainable Development Goals (SDGs)[6].

Finally, a significant factor in environmental law is environmental impact assessments. These play a valuable role in promoting EJ. By guaranteeing public participation, they are giving local communities a say in the development of their environment and favouring better decision-making in protecting vulnerable communities. However, they are a limited EJ tool because they do not examine environmental effects on specific communities.

EJ is thus addressed throughout international instruments raising its relevance.

An increased relevance through affiliation

EJ has become more relevant through its affiliation with other vital movements in the environmental field.

This has already been evidenced by its legal representations being mainly instruments regarding sustainability (Rio, Kyoto, SDGs). Nationally, this is also the case as in the UK, the 1999 UK Sustainable Development Strategy has a guiding principle of “Ensuring a Strong, Healthy and Just Society”[7] with a focus on combatting poverty and social exclusion, leading to what Agyeman has coined “Just Sustainability”. This gives EJ an important supplement, as it was about distributing harm equally but not limiting harm’s occurrence, which is the objective of sustainability. Interestingly, this also gives an essential political platform as many NGOs and policy decisions focus on sustainability issues.[8] Thus, EJ has developed a form of mission hybridity[9], making itself more relevant in political discourse.

The movement has also been linked to environmental democracy. Firstly, through Procedural Environmental Rights,[10] which emerged following Agenda 21[11] and secondly, through the Aarhus Convention. These two procedures are interlinked, as Aarhus offers procedural rights to deal with environmental issues. This gives vulnerable communities opportunities to access information, allowing them to participate effectively and defend their rights in court. The Aarhus Convention also requires that they can access the courts to defend themselves without being prohibited due to prohibitive costs,[12] which is an essential consideration for vulnerable communities.

Finally, recognising environmental rights in the human rights discourse may give further weight to EJ arguments[13]. This is especially the case if combined with non-discrimination legislation relating to race. Although this gives increased relevance to EJ by allowing communities of colour to claim discrimination in their right to a healthy environment, and given how important environmental human rights are becoming, it is to be seen how this movement will adapt to the rights-based approach, specifically when considering the argument that the ‘human’ in human rights is a white, wealthy male[14] and not the discriminated communities of colour.

To conclude, EJ has evolved since its origins. It has gone from an unorganised movement addressing local issues in the US to a global movement affiliated with various other theoretical and practical approaches to addressing environmental concerns. This has made EJ much more relevant today than in the 1980s.

Bibliography

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Julian Agyeman and Bob Evans, “Just Sustainability’: The Emerging Discourse of EJ in Britain?’ [2004] 170(2) Environment and Development in the UK 155-164

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Robert Bullard, ‘Overcoming Racism in Environmental Decision Making’ [1994] 36(4) <https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00139157.1994.9929997> accessed 1 December 2023

Spencer Banzhaf and others, ‘EJ: The Economics of Race, Place, and Pollution’ [2019] 33(1) The Journal of Economic Perspectives 185-208

United Church of Christ Commission for Racial Justice. ‘Toxic Wastes and Race in the United States’ [1987]


[1] Perez (7), 2      

[2] Perez (7), 5

[3] Perez (7), 7

[4] 1997

[5] 1998

[6] Ideas underpinning EJ are explicitly visible in SDGs, 1, 3, 5, 10 and 16.  

[7] My emphasis

[8] Agyeman (2), 160

[9] Perez (7), 9

[10] Gellers, PERs and EJ, 2018

[11] Ibid

[12] Aarhus Costs protection – CPR 45, Part VII

[13] Harris (3), 467

[14] Ibid

The developing relevance of Environmental Justice (Part I : A developing globalised issue of Environmental ‘Injustice’)

By Harrison Cox, University College London

Harm stemming from environmental causes affects everyone. However, in the 1980s, grassroots activism in the United States argued and effectively proved that communities of colour were disproportionately affected by environmental harm, specifically the siting of pollutant activities. This idea developed into Environmental Justice (EJ). In the context of this essay, I will proceed according to the idea that EJ is “the equal protection and meaningful involvement of all people with respect to”[1] environmental laws. This highlights two key elements. First, it is related to protecting those who have suffered disproportionately under discriminatory pretences. Second, resolving the issue requires the active participation of all involved.

Since the 1980s, the concept has evolved; today, we see a significantly different idea of EJ. This raises the question of whether it is more relevant today than in the 1980s.

It will be shown that it is much more relevant today as the issue of environmental ‘injustice’ has become globally recognised (I), and the responses to this injustice have evolved, introducing themselves into mainstream politics (II).

Part I: A developing globalised issue of Environmental ‘Injustice’

To determine whether EJ is more relevant today, it is necessary to establish how the issue at the heart of EJ has evolved.

EJ’s origins

The discriminatory approach to distributing environmental harms is not contemporary. It can be stretched back to 1492 with Christopher Columbus’ discovery of the Americas[2]. It was later developed during colonialism[3]. This idea, advanced by Harris, is interesting as it provides a basis to analyse modern ‘injustice’. We see through Harris’ approach to law and political economy that the colonial history of discrimination is a structural limitation of society. Quijano suggests that humans have always considered themselves separate from the environment[4] and masters of anything non-human. This idea developed the racist approach to distributing environmental harm. We have preserved the ‘upside-down’ approach in which an anthropocentric view prevails of division between humans and nature — placing a disproportionate burden of environmental extraction on traditionally vulnerable groups.

In the 1980s, various events spearheaded the EJ movement to the forefront of environmental concerns. Notably, the 1987 United Church of Christ Report concluded that “race has been a factor in the location of commercial hazardous waste facilities in the United States”. This led to a considerable grassroots movement in the United States.

For some time, it remained a US-centred movement. This can be seen through the breadth of reports and literature published during that time focusing on US issues. For instance, the 1990 Greenpeace Report ‘Playing with Fire’ discussed by Bullard[5] identified that the demographic in communities with incinerators was 89% more people of colour than the national average. Bullard’s 1994 article further highlights the issues in the US, stating that the “geographic distribution of both minorities and the poor has been found to be highly correlated to the distribution of air pollution”.[6] The issue in the US was clear, and the evidence was strong; this led to a robust grassroots activism movement and numerous court victories[7]. However, the idea of EJ remained constrained – conceptually limited to the siting of high-level polluters near communities of colour and geographically limited to the US – limiting its relevance.

EJ’s development

Despite these constraints, signs of a future expansion are visible from its earliest forms. For instance, ‘The Principles of EJ’[8] states they are gathered to “begin to build a national and international movement”.[9] The issue of a discriminatory approach to environmental harm seems to stem from colonialism. Thus, this movement would rapidly expand beyond the US towards the former European empires.

Around the year 2000, the term ’environmental racism’ was adopted in the United Kingdom to refer to this idea of discrimination. The issue does not seem to have gained as much traction as it did in the US. Grassroots activism was not as strong in the UK, and people seemed unaware of the depth of the issue. Agyeman describes this as the ‘EJ Paradox’.[10] This point also highlights how differently EJ developed in Europe – a much more legal/policy concept – compared to the US.

Nevertheless, recognition of the problem eventually gained traction, as can be seen in the list provided by Agyeman.[11] A vast amount of reports and studies were conducted by various actors, all leading to the same conclusion that there was a profound issue of discrimination in the distribution of environmental harm in the UK. However, these studies did not necessarily investigate the racial factor. For instance, a 2001 Friends of the Earth report revealed that factory pollution disproportionately affected poorer communities[12]. The UK thus started with a broader social approach to EJ, considering ‘justice’ to be for all social issues, not specifically racial. This position has evolved, and the issue is recognised as a global source of concern, raising its relevance.

A global issue

Preserving colonial traditions has led to EJ being relevant across the planet to respond to the imperial, economic idea of extraction and exploitation. This point is illustrated by the finding that “Climate-related disaster losses, as % of GDP, are 4.3 times greater in low-income countries than in the high-income countries”.[13] Since 2010, the correlation between demographics and the location of large polluters has been widely recognised.[14] Recognition of the environmental ‘injustice’ makes EJ more relevant.

Furthermore, EJ’s concerns have expanded beyond pollution and the distribution of environmental harm. For instance, it is now concerned with access to green and blue spaces, as can be seen in the Groundwork UK report showing a clear link with racial disparities – exacerbated during the pandemic.[15] A developing social issue linked to access to green spaces is the idea of eco-gentrification, people being priced out of their homes because of the closeness to green spaces, deepening the ‘injustice’.

Furthermore, EJ plays a more critical role today because the issues it is dealing with have also become vital. As Harris argues, the abundance of fossil fuels has led to the exploitation of specific communities, notably indigenous and lesser developed countries. The exploitation of these is creating climate refugees[16]. EJ is no longer only concerned with limiting pollution but is concerned with the right of these people to have an environment. It is a deeper cause, making EJ more relevant today than in the 1980s.

To conclude, EJ is more relevant today because the issue has been recognised as global, and the movement is concerned with a wider breadth of issues. Furthermore, these issues are more profound.

Article written by Harrison Cox, President of Environnemental Law and Life Science Society (ELLS)


[1] Massachusetts – EJ Policy 2002, 2

[2] Agyeman, Just Sustainability, 2004, 156

[3] Harris, LPE approach to EJ, 2021, 457

[4] Quijano, Coloniality and Modernity/Rationality, 2007, 171

[5] Bullard, Overcoming Racism in Environmental Decision Making,1994

[6] Ibid, 11

[7] Perez, Evolution of the EJM, 2015, 1

[8] Principles of EJ, 1991

[9] My emphasis

[10] Agyeman (2), 157

[11] Ibid, 157-159

[12] FoE 2001

[13] The Messy Challenge of EJ, 2019, 4

[14] Banzhaf, Economics of Race, Place and Pollution, 2019, 186

[15] Groundwork 2021

[16] Harris (3), 466

Urbanisme – Etude comparative de la verticalité urbaine à Paris et New York

Si jusqu’à la fin du 19e siècle, les paysages urbains se composaient essentiellement de maisons ou d’immeubles d’une poignée d’étages, ceux-ci deviennent de nos jours de plus en plus marqués par la présence de bâtiments de très grande hauteur, que l’on nomme plus communément « gratte-ciels ». Les experts définissent un gratte-ciel comme « une tour de grande taille », sans pour autant réussir à s’accorder sur ses caractéristiques plus précisément. La société allemande de recensement des gratte-ciels Emporis émet par exemple l’avis que ceux-ci doivent mesurer au moins 100 mètres de haut et comporter plusieurs étages pour recevoir cette dénomination. D’autres sources avancent des critères plus rigoureux : par exemple, 150 mètres de hauteur pour 40 à 50 étages minimum. Il s’agit donc d’une définition assez subjective et abstraite, dont le sens peut évoluer selon l’époque et le lieu.

La présence – ou non – de tels édifices ne se fait pas n’importe où sur le territoire, comme nous le verrons dans cet article. Elle répond notamment à des attentes économiques, mais également historiques et culturelles. Loin de faire consensus, les gratte-ciels – et l’inexorable élévation des bâtisses modernes de manière générale – scindent l’opinion publique en deux camps. Les gratte ciels jouissent en effet d’une certaine popularité aux Etats-Unis ; un succès contrasté par le constat que la plupart des villes européennes continuent à les bouder. Avec pas moins de 290 gratte-ciels sur son territoire, New-York symbolise sans doute le mieux la confiance américaine dans le progrès technique et dans l’innovation en matière d’urbanisme. A l’opposé, Paris se distingue pour son urbanisme plus traditionnel, ancré dans un contexte historique bien spécifique et reconnu pour ses nombreux monuments encerclés d’immeubles Haussmanniens du 19e siècle. Les quelques grandes tours apparues sur le sol de la capitale ou à proximité le siècle passé ont, à ce titre, fait l’objet d’un traitement et d’un aménagement particuliers de la part des politiques publiques. Je tenterai donc de répondre dans cette étude comparative à la question suivante : comment expliquer la différence de représentation des gratte-ciels entre Paris et New-York ?

La création de Paris remonte aux alentours de 259 avant J.-C., lorsque la tribu des Parisii, un peuple de pêcheurs gaulois, s’installe sur la rive droite de la Seine et commence à y construire des habitations aux environs de l’actuelle île de la Cité. A l’époque, et jusqu’au Moyen-Age, la rive gauche était laissée vierge de toute construction en raison du risque de crue de la Seine, qui aurait pu engendrer des dégâts. Puis, en 52 avant notre ère, Jules César met la main sur la ville à l’occasion de sa campagne militaire en Gaulle et y fonde Lutèce. Cette nouvelle ville suit les grands standards romains de l’époque en matière d’urbanisme : elle est notamment construite autour d’un cardo maximus, désignant l’axe nord-sud majeur qui structure la cité, en l’occurrence la rue Saint-Jacques, et la plaçant au cœur de la vie économique et sociale de la cité. Le forum, placé au centre de la ville, s’étendait de la rue Saint-Jacques au boulevard Saint-Michel, et de la rue Cujas à la rue Malebranche.

Les siècles suivant la chute de l’empire romain, Paris connaît diverses invasions et incendies modifiant plus ou moins durablement sa structure. Néanmoins, la ville continue de se développer ; comme de plus en plus de monde s’y installe, Paris s’expand progressivement, notamment sur la rive droite. Ville résolument chrétienne, des églises et autres édifices religieux y voient le jour (pour la plupart encore visibles aujourd’hui) mais aussi des monuments liés au pouvoir, à la culture ou à la mémoire de Paris et de la France. La construction des habitations ne suit pas de grands plans urbanistiques, mais se fait davantage par improvisation, là où il reste de la place, donnant souvent naissance à des rues étroites et tortueuses. Tous les problèmes engendrés par cette organisation de l’espace et accentués par le temps sont corrigés par le baron Haussmann sous l’impulsion de Napoléon III dans les années 1850. Ses travaux de modernisation de Paris consistent à mettre en place un système d’égouts, faire disparaître de nombreux quartiers insalubres et construire de grandes avenues pour fluidifier la circulation. La capitale intra-muros a globalement assez peu changé depuis, malgré l’intensification des progrès techniques et architecturaux survenus au XXe siècle.

Maintenant, traversons l’Atlantique pour nous intéresser au cas nord-américain. En 1625, alors que le nouveau continent est découvert depuis déjà plus d’un siècle, des émigrés hollandais fondent New Amsterdam sur les terres des Algonquins, des populations autochtones, sur la côte Est des Etats-Unis. Quarante ans plus tard, les Anglais conquièrent la ville et la renomment New-York, en hommage au duc d’York. New-York connaît alors une croissance démographique soutenue jusqu’en 1807, date à laquelle les 123 000 habitants la composant font d’elle la plus importante ville des Etats-Unis, pays devenu indépendant vis-à-vis des Anglais quelques années plus tôt. Puis, aux XIXe et surtout XXe siècles, les Etats-Unis deviennent une destination rêvée pour de nombreux Européens et New-York accueille toujours plus d’immigrés, passant de 500 000 habitants en 1850 à 3,5 millions en 1900.

New-York se développe en réponse à cet afflux de population et les premiers gratte-ciels de l’histoire voient le jour. Entre 1900 et 1920, pas moins de 500 tours sont construites rien que sur l’île de Manhattan, symboles de la croissance économique fulgurante et de la révolution intellectuelle américaines des années folles. Parmi les plus emblématiques, le Flat Iron Building est inauguré en 1902, puis le Chrysler Building en 1930 et l’Empire State Building en 1931 qui, du haut de ses 443 mètres, s’impose comme le plus grand monument au monde de l’époque. La construction de hautes tours a notamment été rendue possible par la mise en place d’un squelette de poutrelles en fer, en lieu et place de la maçonnerie traditionnelle davantage adaptée aux bâtisses de moindre taille. D’autres innovations techniques ont également permis de construire en hauteur à moindre coût, ce qui s’est avéré économiquement profitable pour les constructeurs immobiliers. L’invention de l’ascenseur hydraulique en 1864 a aussi facilité l’attractivité des immeubles avec beaucoup d’étages.

La construction de gratte-ciels s’intensifie à New-York dans les années 60 et 70, poussée notamment par la concurrence entretenue avec Chicago. L’édification de nouveaux gratte-ciels dans le downtown avec par exemple le World Financial Center et ses deux tours jumelles dans la pointe Sud de Manhattan, achève de confirmer la prépondérance new-yorkaise sur le continent américain sur les plans économique et culturel tout au long du XXe siècle. Encore aujourd’hui, de nombreux chantiers de gratte-ciels se poursuivent à New-York, à l’instar du One World Trade Center, actuelle plus haute tour de New-York (541 mètres) ou des nouvelles « tours allumettes », tel le 432 Park Avenue (tour résidentielle).

D’un point de vue général, les villes de Paris et New-York partagent à l’heure actuelle de nombreuses similitudes. Ces deux métropoles globales bénéficient notamment d’une très forte intégration dans les réseaux de la mondialisation, les rendant immensément puissantes et attractives sur la scène internationale, à en croire les résultats du global power city index de la fondation Mori au Japon publiés en 2013. Ainsi, New-York et Paris seraient respectivement les 2e et 4e villes les mieux connectées au monde, grâce à leurs réseaux de transports et de communications (Paris souhaite notamment renforcer sa force dans ce domaine en aménageant le Grand Paris). Également, New-York se hisse à la première place en termes d’image, d’attractivité, de puissance et d’opportunités, tandis que Paris obtient également de très bons classements dans ces domaines (entre la 3e et la 5e place). La métropolisation de ces villes, à savoir la concentration du pouvoir, peut notamment s’expliquer par leur accès direct à un réseau maritime ou fluvial (l’océan Atlantique pour New-York et la Seine pour Paris), mais aussi par le processus historique de création et de développement de ces villes : Paris, la capitale, a hébergé le pouvoir politique du pays pendant des siècles, tandis que New-York constituait la première terre d’accueil des migrants européens après leur passage par Ellis Island.

Néanmoins, de nombreuses divergences apparaissent également entre ces deux « villes-monde », notamment d’un point de vue architectural et urbanistique. Là où Paris se compose majoritairement d’immeubles haussmanniens – conséquence d’une volonté des dirigeants de moderniser la capitale tout en respectant son patrimoine historique – le paysage urbain de New-York est, quant à lui, davantage construit en vertical, en atteste la Skyline, symbole du modernisme et du rêve américain. New-York ayant vu le jour bien plus récemment que Paris, la présence de gratte-ciels lui a permis en un sens de se créer un style urbanistique original, sans pour autant dénaturer une quelconque architecture qui aurait déjà été établie.

Pour autant, la construction de gratte-ciels ne peut pas se résumer à une simple recherche esthétique pour renforcer le soft power new-yorkais. L’engouement pour les gratte-ciels à New-York et aux Etats-Unis dès le début du XXe siècle reflète l’évolution de la société américaine de l’époque. En effet, la mutation d’une grande partie de la classe ouvrière en cols blancs et la place toujours plus importante des entreprises de service dans l’économie new-yorkaise conduisent à la prolifération de gratte-ciels, servant de centres décisionnels des grandes entreprises. Ces tours permettent ainsi de concentrer de nombreux bureaux en très peu d’espace, afin de densifier les lieux économiques stratégiques. La Skyline new-yorkaise, désignant cette nouvelle chaîne de tour au cœur de la ville, reflète alors la compétitivité des entreprises. Le géographe Le Goix définit cet espace urbain comme une « cité du contrôle », composé de CBDs, de bureaux et d’espaces contrôlés et sécurisés.

Abriter des gratte-ciels sur son territoire constitue en effet un enjeu stratégique majeur pour de nombreuses villes contemporaines dans le monde, notamment aux Etats-Unis, mais aussi en Chine, à Taïwan ou aux Emirats Arabes Unis. De tout temps, la course à la hauteur obsède les hommes, non seulement dans un souci de prestige, mais aussi afin de se rapprocher des cieux et donc de Dieu, comme le montre la construction de cathédrales. De nos jours, la conquête du ciel continue et se rapproche de son dessein avec l’édification de tours toujours plus hautes. D’un point de vue pratique, les gratte-ciels répondent au problème du manque d’espace urbain et à l’inflation foncière engendrée dans les villes à forte densité. Cet argument ne peut néanmoins pas nous satisfaire lorsque l’on a conscience du fait que New-York est moins dense que Paris, et ce malgré ses nombreuses tours. New-York est en effet beaucoup plus étalée, notamment parce qu’occuper le centre ne constitue pas une priorité pour les populations, qui ont tendance à s’installer en banlieue et à prendre leur voiture tous les matins pour se rendre au travail dans le centre (migrations pendulaires).

Les gratte-ciels présentent en effet également un enjeu de pouvoir majeur. Leur architecture doit notamment servir de démonstration de richesse et de capacité d’investissement, mais aussi de maîtrise technologique et de dynamisme économique et industriel de la part de leurs constructeurs. L’objectif pour l’entreprise est d’envoyer une image positive d’elle-même, de la ville ou du pays, afin d’attirer les visiteurs et les investisseurs étrangers. Ainsi, à New-York, la Skyline reflète la réussite économique de la ville, boostant l’attractivité de cette dernière et contribuant à la hisser au top des classements internationaux. Cette chaîne de tours mondialement connue, véritable outil de construction identitaire, constitue à ce jour l’une des caractéristiques majeures de New-York attirant chaque année des millions de touristes. Les gratte-ciels peuvent aussi permettre aux entreprises en leur possession de se distinguer de leurs concurrents et de se construire une image de marque. En outre, de nombreuses œuvres cinématographiques, comme King-Kong paru en 1933, ont indirectement mis à l’honneur certains gratte-ciels (ici, l’Empire State Building) et contribué à leur forger une solide réputation.

Malgré les avantages énumérés plus haut apportés par les gratte-ciels, de nombreuses capitales et grandes villes européennes refusent d’en construire sur leur sol. C’est le cas notamment de Paris qui, à cause de sa très forte densité de population, ne dispose plus de l’espace suffisant pour accueillir de gigantesques tours. La seule solution consisterait à détruire certains immeubles ou monuments pour libérer de la place, une action qui rencontrerait naturellement un fort mouvement de protestation des habitants concernés et des défenseurs de l’architecture parisienne. Au contraire de New-York, Paris s’est construite à une époque à laquelle les avancées techniques ne permettaient pas de construire de grandes tours, au risque qu’elles s’effondrent. Également, le besoin d’optimisation d’espace se faisait moins ressentir à l’Antiquité et au Moyen-Age dans la capitale : elle accueillait moins d’habitants et pouvait toujours s’agrandir en cas de besoin. Aujourd’hui à New-York, les locaux et appartements dans les gratte-ciels ont l’avantage de coûter moins cher en raison de leur offre importante dû au gain d’espace. A noter aussi que certains sols parisiens trop friables ne pourraient pas supporter les fondations de colosses de verre ou de béton.

Paris ne souhaite pas non plus de « Bruxellisation » de son territoire, c’est-à-dire de transformation brutale de son patrimoine urbain par la dissémination de grandes tours un peu partout, afin de préserver son paysage et son patrimoine culturel et historique. Ce terme fait référence à l’expérience vécue à Bruxelles où, dans les années 60, le manque de restrictions concernant l’uniformisation de l’architecture a conduit à l’édification de bâtiments modernes, voire de tours, à faible valeur esthétique au milieu d’habitations plus traditionnelles. A une époque où le tourisme se développe à grande échelle grâce à la moyennisation de la société française depuis plusieurs décennies et de la hausse des standards de vie des habitants dans de nombreux pays du monde (par exemple la Chine), il convient pour Paris de rester culturellement attractive. Rien qu’en 2019, Paris et la région Ile-de-France ont accueilli 50,6 millions de visiteurs, principalement venus pour visiter des musées et des monuments (69%), se promener en ville (67%) et faire du shopping (39%), générant 21,9 milliards d’euros de recettes. Paris est la 6e ville la plus touristique du monde grâce à son importante offre culturelle, mais aussi grâce à l’atmosphère qu’elle souhaite véhiculer : celle d’une ville romantique chargée d’histoire. Construire des gratte-ciels en plein centre-ville dénaturerait les lieux, en plus de transmettre une image de modernisme conformiste contraire aux attentes des touristes.

Néanmoins, il serait faux d’affirmer que la capitale a refusé toute construction de gratte-ciels : le quartier de la Défense, en périphérie de Paris, en est le contre-exemple parfait. Chaque matin, l’équivalent de la ville de Reims débarque à la Défense, actuellement le plus grand centre d’affaires d’Europe en termes de superficie, pour y effectuer sa journée de travail. La Défense héberge pas moins de 500 entreprises, dont les sièges sociaux de très grandes comme Total, et 61 tours de plus de 100 mètres de hauteur, ce qui fait de ce centre d’affaires le 4e le plus compétitif du monde derrière ceux de Londres, New-York et Tokyo. Au fur et à mesure du développement du quartier dans la seconde moitié du XXe siècle, les plafonds des hauteurs des bâtiments sont réhaussés par l’EPAD (établissement public visant à aménager la Défense), suscitant la colère d’une partie de l’opinion publique qui juge les tours trop hautes et trop visibles depuis Paris intra-muros. De nombreux projets ont notamment été avortés pour des raisons financières mais également politiques, l’opinion française se montrant souvent défavorable à l’érection d’immeubles de grande hauteur. Finalement, le quartier de la Défense reflète la puissance économique de Paris – développée plus haut – et de la France en général, sans pour autant dénaturer le patrimoine historique de la capitale en s’implantant en plein cœur de la ville.

En fin de compte, les villes de New-York et Paris ont suivi des trajectoires très différentes. Si la première fait des gratte-ciels et de la modernité en général le fer de lance de son développement économique et de son pouvoir d’attraction, la seconde mise davantage sur son héritage historique et son architecture authentique pour séduire autant les touristes que les investisseurs. Un compromis semble cependant avoir été trouvé par la capitale ces dernières décennies entre préservation de son patrimoine millénaire et nécessité de compétitivité des entreprises nationales contemporaines, avec l’élaboration du quartier d’affaires de la Défense. Dans un contexte de réchauffement de la planète, construire en hauteur peut en outre éviter l’étalement urbain et permettre une moindre utilisation des transports (proximité des activités) et donc émettre moins de CO2.

Mener cette recherche m’a permis de mieux comprendre les enjeux contemporains liés à la construction de gratte-ciels. Loin de répondre seulement à une logique de réduction des coûts dans un contexte de forte densité urbaine, les gratte-ciels servent aussi et surtout à impressionner celui qui pourrait potentiellement constituer le client de l’entreprise ou de la ville/du pays. C’est pour cette raison que les architectes redoublent d’imagination pour offrir à notre vue des tours toujours plus hautes, mais aussi plus originales. Il n’est plus rare d’observer de nos jours des gratte-ciels torsadés, construits en bois, en forme de U, d’ADN ou de pointe de stylo plume… La Dynamic Tower de Dubaï, une fois achevée, pourra même tourner sur elle-même ! Cette démarche m’a également appris l’importance du contexte historique dans les choix des politiques publiques en matière d’urbanisme. New-York doit notamment sa forte concentration de gratte-ciels sur son sol en raison de sa création tardive : la construction de tels édifices, loin d’altérer l’essence de la ville, est venue accompagner son évolution économique et démographique vers la voie de la modernité.

Bibliographie :

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  • Ahlfeldt, Gabriel M. et Jason Barr. « The economics of skyscrapers: A synthesis », Journal of urban economics. 2022, vol.129. p. 103-419.
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Devrions-nous juger les espèces sur leurs origines ?

Aujourd’hui, l’introduction d’espèces animales et végétales dans de nouveaux milieux soulève de nombreux débats. Si cette question peut sembler au premier abord purement scientifique, biologistes et écologistes sont pourtant loin d’être les seuls acteurs à s’y intéresser. De nombreux avis, analyses et témoignages contemporains nous éclairent en effet sur les différents enjeux de la question et sur le lien existant entre les décisions scientifiques et la société. Les origines des espèces ainsi que le potentiel effet négatif de l’introduction de l’une d’elles sur un territoire nouveau rappellent inévitablement des thématiques sociétales, plus ou moins anciennes, liées aux flux de populations, comme la colonisation ou, aujourd’hui, l’immigration. L’idéologie voire la politique s’immiscent donc dans la sphère scientifique et embrasent les passions.  D’un côté, les défenseurs du « laissez-faire » de la nature soutiennent le déplacement et mélange des espèces comme le fonctionnement naturel des écosystèmes, l’introduction de nouvelles espèces, souvent opérée sans action humaine, n’entraînant que rarement la disparition d’une autre. De l’autre, certains biologistes et écologistes dénoncent les dégâts provoqués par les espèces non-indigènes sur leurs nouveaux écosystèmes, entraînant parfois un appauvrissement de la biodiversité. Dès lors, les origines des espèces jouent-elles un rôle prépondérant sur leur habitat ? Est-ce un critère pertinent pour établir une distinction entre elles ? J’exposerai dans cet article les différents arguments utilisés par les deux camps, tant pour supporter leur point de vue que pour décrédibiliser leurs adversaires, notamment en remettant en cause leur expertise ou en les affublant de l’étiquette d’idéologues partisans. 

Les débats autour de la question de l’introduction d’espèces étrangères se portent notamment sur les conséquences quantitatives de cette action sur les écosystèmes. En effet, de nombreuses études menées n’aboutissent pas aux mêmes résultats – les auteurs étayant sans doute leurs opinions par les données qui leur conviennent le mieux – ce qui fait régner un climat d’incertitude sur la question. Dans son article « Don’t judge species on their origins » publié en 2011 dans la revue Nature, le collectif Davis et al. avance ainsi que, même si l’introduction de nouvelles espèces par les hommes a pu entraîner parfois des extinctions et des problèmes écologiques et sanitaires divers – comme le paludisme aviaire à Hawaï après l’introduction d’oiseaux européens sur l’île par des colons au début du XXe siècle – « de nombreuses affirmations alimentant la perception des gens selon lesquelles les espèces introduites constituent une menace apocalyptique pour la biodiversité ne sont pas étayées par des données ». Sur cette base, les auteurs contredisent les résultats de l’enquête de 1998 concluant que les espèces invasives constituent la 2e plus forte menace pour les espèces natives (derrière la destruction de leur habitat) et appuient leur point de vue en évoquant d’autres études, plus récentes, suggérant que la plupart des espèces ne sont en réalité généralement pas menacées par l’introduction de nouvelles sur leur territoire. Mieux encore, davantage d’espèces pourraient évoluer et s’adapter dans le milieu naturel concerné grâce à ce mélange. Néanmoins, les auteurs ne délivrent guère de précisions sur ces preuves scientifiques dans ce document.

En réponse à cet article, le collectif Simberlay et al. dénonce son manque de rigueur scientifique et reproche à leurs auteurs de « minimiser l’impact grave des espèces non indigènes qui peuvent ne pas se manifester avant plusieurs décennies – comme cela s’est produit avec le poivrier brésilien en Floride ». Les auteurs ne se montrent toutefois pas réticents à l’introduction sur de nouveaux territoires de certaines espèces animales et végétales, mais seulement de celles considérées comme dangereuses pour les autres espèces, les écosystèmes et les habitats par la Convention sur la Diversité Biologique. Russell JC, quant à lui, dénonce « la montée du déni des espèces envahissantes » dans son article du même nom. Selon l’auteur, un consensus scientifique autour de l’impact globalement négatif des espèces envahissantes existerait bel et bien, mais celui-ci serait de plus en plus mis à l’épreuve par des sceptiques et des adeptes du « déni de la science ». En effet, « des articles d’opinion de revues scientifiques et des livres écrits par des écologistes ont également tenté de recadrer, de minimiser ou même de nier le rôle des EEE (Espèces Exotiques Envahissantes) dans le changement global ». Les faits scientifiques, autrefois considérés comme indiscutables, sont désormais rejetés par les opposants du conservatisme biologique qui tenteraient « de fabriquer de l’incertitude dans le consensus scientifique sur un sujet par ailleurs incontesté […] exploitant le fait que toute connaissance scientifique contient un élément d’incertitude ». Notamment, la création de contenus voulant passer pour scientifique aux conclusions contraires au consensus jusqu’alors établi serait souvent le fait de lobbys, chargés de défendre les intérêts économiques, sanitaires ou environnementaux d’un groupe en particulier (par exemple, le lobby du tabac voulant limiter la généralisation de lois ou de taxes contre la cigarette). 

Afin de décrédibiliser les thèses de leurs adversaires, chaque parti tente de rendre compte au grand public de la partialité et de la politisation de ceux-ci, tout en se présentant eux-mêmes comme le plus neutre et objectif possible, conformément à ce que l’on pourrait attendre d’un vrai scientifique, intéressé davantage par les faits que par leurs interprétations. Ainsi, les opposants à la régulation des espèces condamnent les discours de leurs adversaires qui seraient, selon eux, davantage militants que rationnels. L’écologiste français Jacques Tassin illustre ce point lorsqu’il écrit que le public assistant à ses conférences s’outrage régulièrement que l’on ne puisse ni empêcher la progression des espèces invasives, ni corriger les erreurs commises, et ajoute que nombre d’entre eux entretiennent « la croyance que chaque espèce envahissante introduite quelque part prend nécessairement la place d’une autre espèce ». Cette peur du remplacement justifierait donc le discours anti espèces invasives de certains, comme le développent Mastnak T, Elyachar J et Boellstorff T. dans leur article « Botanical Decolonization: Rethinking Native Plants » : « Beaucoup de débats contemporains autour des espèces indigènes déforment les problèmes qui se posent. Ces fausses déclarations sont particulièrement importantes lorsque la défense des plantes indigènes est placée dans le même horizon conceptuel que le sentiment anti-immigration ». Loin de proposer un point de vue objectif, les opposants aux espèces invasives se trouvent comparés à des nativistes réactionnaires transposant leur vision de la société humaine à la nature, ce qui ne devrait logiquement pas être. Par conséquent, les auteurs expliquent que les décisions prises par les « biologistes de l’invasion » et les « écologistes de la restauration » seraient arbitraires et influencées par leur orientation politique, ceci constituant la preuve irréfutable que l’écologie, comme toutes les sciences, serait « structurée par les valeurs, la politique et le pouvoir ». Se basant sur le phénomène de colonialisme, certains auteurs dressent un parallèle entre les plantes et les immigrés : par exemple, par le passé, le fait que les Amérindiens ne furent pas supposés avoir domestiqué et transformé leurs écosystèmes aurait pu justifier la dépossession de leurs terres et leur extermination par les colons pour s’approprier le tant convoité Far West. A rebours de cette vision dépréciative, certains auteurs mettent de nombreux problèmes écologiques actuels sur le compte du colonialisme, dans une vision, finalement elle-aussi, nativiste de la nature – même si, politiquement, les opposants à l’immigration et les contempteurs du colonialisme appartiennent le plus souvent à des bords opposés.

De leur côté, les biologistes conservateurs fustigent ces parallèles et ces condamnations. Par ailleurs, ils dénoncent les accusations idéologiques de leurs détracteurs, qui, eux aussi, dressent un parallèle entre la science de la nature et la société et sont nécessairement prisonniers d’une subjectivité qu’ils voient partout à l’œuvre. Selon Russell JC, « le désaccord sur les impacts des EEE peut découler à la fois de l’interprétation des preuves et de valeurs motivantes sous-jacentes ». Parmi ces valeurs motivantes, certaines pourraient être d’ordre idéologique : l’auteur avance en effet qu’il existerait un lien fort entre anti-nativistes et libre-échangistes au plan économique, favorables au « laissez-faire ». Tandis que l’urgence consisterait à réguler l’entrée d’espèces potentiellement dangereuses sur de nouveaux territoires, les pro-espèces invasives, « par principe », laisseraient le processus se dérouler normalement, au nom de la relativité de la notion d’ « espèces originelles » : le cycle de la vie ne serait, selon eux, qu’un éternel remplacement, qu’un éternel renouvellement. Pour autant, comme on le voit, ces auteurs quittent eux aussi le terrain scientifique pour dénoncer les aprioris idéologiques de leurs adversaires.

La question de l’ « origine des espèces » continue d’alimenter les débats passionnés, même s’ils ne portent plus sur les mêmes sujets qu’à l’époque de la publication des travaux de Darwin, la théorie de l’évolution n’étant plus guère contestée. Plutôt que de se consacrer exclusivement à l’étude des faits scientifiques, les différents acteurs ne peuvent s’empêcher de comparer l’introduction d’espèces invasives à des thématiques sociétales qui nécessitent pourtant des outils de réflexion et de régulation bien différents. Les sciences naturelles se veulent les plus objectives et rigoureuses possibles ; il n’en reste pas moins que les scientifiques demeurent des citoyens influencés par l’état actuel de leur société et que leurs travaux peuvent avoir des effets idéologiques, comme à l’époque de Darwin, quand se réclamaient de lui aussi bien Marx, rapprochant espèces et classes sociales, que des défenseurs d’un marché sans entrave conduisant à la sélection des meilleurs et l’élimination des plus faibles.

Peut-on produire tout en préservant l’environnement ?

Si la question écologique revient aussi souvent dans les débats publics du XXIe siècle, la protection de l’environnement ne reste pas moins une préoccupation récente dans l’histoire de l’humanité, en atteste le Sommet de la Terre à Rio qui officialise la notion de développement durable en 1992 seulement.  

Le développement durable peut être définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », définition énoncée pour la première fois dans le rapport Brundtland en 1987. L’enjeu pour les politiques actuelles consiste donc à assurer la pérennité des économies en garantissant un certain niveau de production, tout en préservant l’environnement et, plus particulièrement, les ressources naturelles ainsi que les conditions climatiques actuelles. 

L’écologie pose la question de l’intégration de l‘environnement dans l’économie, d’où la notion de développement durable employée pour expliquer le souci de conciliation les trois piliers fondamentaux d’une société que sont l’économie, l’environnement et le social. Nous nous demanderons donc dans cet article si croissance et écologie sont compatibles ou, au contraire, s’il convient de faire un choix difficile entre les deux.

Histoire de la question écologique

Nature et humanité entretiennent une relation changeante au fil des époques. Si certaines croyances, souvent dans des temps reculés, sacralisaient l’environnement, comme chez les Indiens d’Amérique, les Japonais et même les Grecs (Aristote comparait la terre à une nourrice, tandis que beaucoup de dieux grecs symbolisent des éléments de la nature, dont Poséidon et Déméter, entre autres), le christianisme délivre une nouvelle vision de la nature. Cette dernière est perçue en Occident à partir du Moyen-Age comme une espace à exploiter, Dieu ordonnant à l’homme, l’être au centre du monde selon la Bible, de peupler et dominer la terre. 

La désacralisation de la nature est concrétisée par le philosophe Descartes qui, au XVIIe siècle, invite l’homme dans le Discours de la méthode à se rendre maître et possesseur de celle-ci. Les deux révolutions industrielles au XIXe siècle ne se soucient guère de la nature ; au contraire, l’environnement est vu comme un vaste réservoir de matières premières que l’homme doit extraire et exploiter afin de produire l’énergie et les composants nécessaires à la production. Le positivisme, défendu par des philosophes comme Auguste Comte, a pour moteur le progrès scientifique, la connaissance de la nature, mais souvent au détriment de l’environnement.

C’est à partir des années 1970 qu’une conscience de la nécessaire protection de l’environnement émerge peu à peu. La croissance économique s’essouffle avec la fin des Trente Glorieuses suite aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Les premières conséquences négatives du productivisme apparaissent, comme l’illustrent des catastrophes écologiques tels la pollution par du mercure de la baie de Minamata au Japon dans les années 1950, le nuage de dioxine s’échappant d’une usine chimique à Seveso en Italie en 1976, la marée noire dans le Golfe du Mexique en 1979 ou encore l’accident dans la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986.

A cela s’ajoutent l’épuisement progressif des gisements de matières premières, comme le pétrole, dont le stock devrait être écoulé d’ici à 2100 selon certaines prévisions, et la déforestation liée à l’exploitation massive des forêts, entraînant une perte significative de biodiversité.

L’un des principaux effets de l’activité humaine et l’un des plus néfastes pour l’environnement est le réchauffement climatique qui s’opère depuis plus de 150 ans. Depuis 1861, la température mondiale a globalement augmenté de 0,6 degré, entraînant la perte d’écosystèmes entiers, la fonte des glaciers et la montée du niveau de la mer, en plus d’intensifier la fréquence des cyclones et autres tempêtes. Des projections prévoient une hausse de 6 degrés si aucune mesure n’est prise d’ici 2100. Le réchauffement climatique est principalement dû à l’émission massive de gaz à effets de serre comme le dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, en constante hausse. 

Le concept de développement durable s’est donc imposé à nos sociétés post-industrielles. Il s’agit d’un développement consistant à générer une production justement répartie au sein de la population et respectueuse de l’environnement, dans le souci notamment de préserver les générations futures de dégradations irréversibles de ce dernier.

Ces constats alarmants ont permis aux mouvements écologiques, jusqu’alors marginaux, de se consolider. Dans les années 1980, les partis politiques « Verts » se structurent en Allemagne (« Die Grünen ») et en France (aujourd’hui « Europe Ecologie Les Verts ») et se multiplient dans des pays où ils étaient jusque-là inconnus. L’écologie devient une préoccupation de la société relayée par certains politiques mais aussi par des associations internationales indépendantes comme Greenpeace, qui militent pacifiquement pour protéger l’environnement et la biodiversité.

Le modèle économique fondé sur la consommation de masse est-il compatible avec la préservation de l’environnement ?

A cette question, l’avocate spécialisée dans la protection de l’environnement et ancienne ministre de l’environnement entre 1995 et 1997 Corinne Lepage répond positivement. Il serait possible de concilier croissance et écologie, à condition d’investir dans des projets dits « verts ». Par exemple, la Norvège, riche de son exploitation du pétrole et du gaz, « s’inscrit pleinement dans le système capitaliste et passe pourtant pour l’un des plus vertueux par ses choix d’investissements non productivistes ». La croissance devrait surtout être réorientée, en faveur de la transition écologique et au service de l’environnement.

Une autre solution, plus radicale, consisterait pour tous les pays industrialisés à diminuer considérablement leur consommation et leurs investissements productifs afin d’arriver à un stade de « croissance zéro », voire de « décroissance ». En effet, dans un contexte où les ressources sont limitées, parler de croissance infinie serait une aberration pour certains. Au XXe siècle, Kenneth Boulding s’amusait à dire à ce sujet que « celui qui croit à une croissance exponentielle infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». 

Néanmoins, Corinne Lepage indique, à ce sujet, que « prôner la décroissance à l’échelle planétaire paraît compliqué alors que la population mondiale ne cesse d’augmenter – de 7,5 milliards aujourd’hui à 10 milliards en 2050 – et que les pays du Sud ont des besoins colossaux ». La mise en place d’une décroissance permettrait, certes, de mieux préserver la nature mais, en contrepartie, le niveau de vie moyen mondial pourrait même diminuer, compte tenu de l’accroissement démographique. Il serait difficile de se passer de toutes les innovations technologiques des siècles derniers, basées sur l’électricité (produite soit à partir de centrales thermiques émettrices de CO2, soit grâce à des centrales nucléaires dont le stockage des déchets radioactifs pose problème), ou sur le pétrole, encore nécessaire dans bien des secteurs de l’économie. Le respect d’une croissance zéro mettrait fin aux espoirs des pays en développement (PED) et des pays les moins avancés (PMA) d’accéder, un jour, à la société de consommation.

Le PDG de l’entreprise Veolia Antoine Frérot défend, lui aussi, l’idée de la compatibilité entre le développement économique et le respect de l’environnement, « à condition d’être raisonnable et de trouver les bons compromis pour soutenir les deux objectifs ». Il prend les exemples des pluies acides et de l’élargissement du trou dans la couche d’ozone qui inquiétaient le monde entier il y a quelques années. Or, ces problèmes ont été résolus grâce à « une réglementation adaptée et des solutions techniques ». Dans un élan d’optimisme, Antoine Frérot affirme qu’« une régulation efficace, les progrès des connaissances, le développement technique, plus de sobriété et moins de gaspillage permettront de trouver la solution au changement climatique ». 

La réglementation, mentionnée par ce PDG, constitue, avec la fiscalité et les « droits à polluer », l’un des trois grands instruments possibles pour protéger le climat. Il s’agit d’un ensemble de lois votées par les gouvernements afin de freiner les externalités négatives (dégâts causés par la pollution des usines par exemple), comme l’interdiction pure et simple du rejet de certains gaz nocifs, l’obligation de se doter de pots d’échappement catalytiques, etc.

La taxation des externalités négatives (ou subvention des externalités positives, par exemple dans le cadre du principe de bonus-malus économique pour l’achat de véhicules plus ou moins polluants) et la mise en place de marchés de quotas d’émission constituent les deux autres instruments de la politique climatique actuelle. Ce dernier instrument revient à « distribuer » des quotas d’émission aux entreprises nationales, après détermination d’une quantité maximale d’émission de CO2 à l’échelle du pays, quota que ne devra pas dépasser l’entreprise à moins de payer une amende à l’Etat (qui servira en outre à financer la transition énergétique) ou d’acheter d’autres quotas à des entreprises ne « dépensant » pas tous les leurs. 

Les Etats restent en général libres de choisir les instruments destinés à atteindre leurs objectifs. Les quantités maximales d’émissions autorisées ou souhaitables, quant à elles, sont définies lors de grands sommets internationaux du climat, comme celui à Rio en 1992 ou, plus récemment, la COP 21 en 2015, durant laquelle 195 pays se sont réunis à Paris. Les gaz à effet de serre contribuent au réchauffement climatique de la planète, quel que soit leur lieu d’émission. Plus généralement, de plus en plus de pays se rendent compte qu’avec la mondialisation, toute dégradation à un endroit de la Terre peut entraîner des conséquences irréversibles à l’autre bout de la planète ; dès lors, une internationalisation de la préoccupation environnementale s’impose.

Les limites matérielles à la croissance.

Si le problème de la pollution atmosphérique et environnementale pourrait être  réglé par une bonne coordination des politiques à l’échelle internationale, la question de la limitation et de l’épuisement des ressources demeure non résolue. Ce problème n’a pas lieu d’être selon les partisans de la « faible soutenabilité » qui affirment que les différents types de capitaux utilisables dans les processus de production sont substituables. Ainsi, la diminution du capital naturel et l’épuisement des matières premières non-renouvelables pourraient être palliés par l’émergence des nouvelles technologies, du moment qu’il existe des cerveaux pour les imaginer (capital humain), des fond pour les financer (capital financier), des moyens pour les produire (capital physique) et des lois pour encadrer les comportements (capital institutionnel). 

Par ailleurs, le développement économique irait de pair avec la tertiarisation des économies et donc de moindres besoins en ressources naturelles. La courbe de Kuznets illustre ce point de vue : les pays commencent par fortement polluer quand ils s’industrialisent, ce qui aboutit, à terme, au développement du secteur tertiaire et contribue ainsi à diminuer le niveau de pollution. La solution au problème climatique serait donc la croissance, car elle conduit à des économies moins polluantes, que ce soit grâce à la technologie ou parce qu’elle se traduit finalement par le passage à une société post-industrielle ou post-matérialiste.

Cependant, la substituabilité des capitaux ne fait pas consensus chez les économistes. Les partisans de la « forte soutenabilité » émettent l’hypothèse que les quatre capitaux énoncés plus haut ne sont pas substituables, mais complémentaires. Il serait donc indispensable de tous les préserver, surtout le capital naturel. Pour ce faire, il conviendrait de laisser le temps aux ressources renouvelables de se régénérer, tout en en gardant certaines intactes, comme la forêt amazonienne. 

Cette divergence des idées entre défenseurs de forte et de faible soutenabilité peut être illustrée par l’exemple des ressources halieutiques : alors que les premiers insistent sur la nécessité de laisser le temps aux poissons de se reproduire, les seconds rétorquent que, malgré la surpêche, la biodiversité marine pourra être préservée grâce à la pisciculture, une exploitation plus productive mais aussi plus respectueuse de l’environnement. Les partisans de la forte soutenabilité prônent ainsi la décroissance (ou, tout du moins, un arrêt de celle-ci) pour préserver le capital naturel, solution pour l’instant rejetée par la totalité des Etats, tant les conséquences sur l’économie et le bien-être des citoyens se révéleraient catastrophiques. 

De même, les tendances liées à la tertiarisation donnent lieu à des analyses divergentes. De grands Etats extrêmement peuplés, comme la Chine et l’Inde, sont encore en phase d’industrialisation. Il faudrait plusieurs planètes si l’on voulait que tous les habitants de la terre aient les mêmes mode et niveau de vie que les Occidentaux actuels. Il semble donc impossible d’attendre que tous les pays émergents rattrapent leur retard sur les Etats aujourd’hui les plus développés et que leur croissance devienne, comme la leur, moins consommatrice de ressources. En outre, des études plus approfondies ont montré qu’en réalité, la croissance de ces Etats s’accompagnait toujours d’une augmentation de l’utilisation des ressources naturelles, une fois pris en compte leurs importations (notamment en raison de la délocalisation d’industries polluantes).

Les difficultés liées aux différents instruments de préservation de l’environnement.

La réglementation des activités productives par le biais des quotas, des normes techniques et des interdictions peut difficilement être généralisé dans une économie mondialisée. Les normes environnementales et leurs sanctions financières en cas de non-respect qui pèsent sur les industries des pays développées vont, par conséquent, les rendre moins compétitives et les amener à perdre des parts de marché au profit d’entreprises provenant de pays émergents comme la Chine qui, elles, n’ont pas à s’adapter aux normes pour vendre sur le territoire. 

Le système de taxation sur les nuisances environnementales risque soit d’avoir trop peu d’effet sur les agents économiques, soit de décourager l’activité s’il est trop contraignant. Enfin, si les quotas ont un prix trop faible sur le marché des quotas d’émission, ils n’auront aucun effet dissuasif, puisqu’il sera plus rentable pour les entreprises d’acheter des quotas pour polluer davantage plutôt que d’augmenter leurs coûts de production afin de se plier aux règles. 

Chaque instrument, ayant ses avantages, mais aussi ses limites, est donc complémentaire : ainsi, pour l’automobile, les constructeurs dépendent d’une forme de marché de quotas, mais la réglementation leur impose aussi certains matériaux recyclables, alors que les acheteurs voient leur dépense modifiée par le bonus/malus.

Nous en arrivons donc à la conclusion suivante : si une « décroissance » paraît inenvisageable, tout l’enjeu pour les gouvernements en place consiste alors à se concerter lors de sommets annuels afin de définir les grandes lignes de la politique climatique et écologique à mener, qu’ils appliqueront ensuite à l’échelle nationale en combinant les différents instruments mis à leur disposition. Nombreux sont les experts qui s’accordent à dire que la croissance demeure compatible avec la préservation de l’environnement, tant que l’exploitation des ressources est maîtrisée, la pollution limitée et réglementée et les quatre principaux types de capitaux, qu’ils soient complémentaires ou substituables, dans l’ensemble, préservés. 

Le nombre de pays à adhérer à la préoccupation écologique ne cesse de croître, même si le principal pollueur mondial que sont les Etats-Unis de Donald Trump paraissent aujourd’hui moins sensibles à cette cause qu’il y a quelques années et que la Chine, en pleine industrialisation, continue d’émettre une quantité très importante de CO2 dans l’atmosphère depuis ses usines à charbon. 

Il convient enfin de rappeler que le comportement écologique est également individuel et citoyen. Eteindre la lumière en quittant une pièce, ne pas gaspiller l’eau, privilégier les transports publics constituent autant d’actions quotidiennes qui font de nous des éco-citoyens et qui, multipliés à grande échelle, préparent un avenir meilleur pour les générations futures.

Amazonie : la polémique s’enflamme

Juillet 2019. Les feux de forêt s’intensifient en Amazonie, plus particulièrement au Brésil, et ravagent 2 255 kilomètres carrés de forêt. Si les incendies sont un phénomène fréquent en cette période de l’année au Brésil – en raison des fortes chaleurs notamment – ce chiffre dépasse de loin ceux des dernières années (une parcelle de la jungle amazonienne quatre fois plus grande qu’en juillet 2018 est partie en fumée ce mois-ci). L’ampleur du désastre n’est pas passée inaperçue et les incendies ont suscité une importante réaction de la communauté scientifique et internationale en juillet et en août, suite à la publication d’études brésiliennes faisant état de plus de 75 000 départs de feux en huit mois, toujours au Brésil.

Si beaucoup s’indignent de ces événements, notamment en Europe et aux Etats-Unis à cause de l’impact écologique néfaste qui en résulte dans un contexte de réchauffement climatique, d’autres tendent à relativiser et peut-être voient le profit de ces immenses incendies, à l’instar du président brésilien populiste Jair Bolsonaro qui souhaite avant tout moderniser le pays, chose facilitée par le gain d’espaces exploitables au détriment de la forêt. Il en découle alors un débat idéologique entre écologistes du monde entier et productivistes brésiliens soucieux de faire une place au soleil à leur pays.

CAUSES

Chaque année, les températures dans les pays équatoriaux tels que le Brésil atteignent des pics propices aux départs des feux de forêt. Ces incendies spontanés se multiplient ces dernières années à cause du réchauffement climatique. Toutefois, il ne s’agit pas là de la principale cause des incendies en Amazonie. En réalité, de nombreux agriculteurs brésiliens défrichent les territoires occupés par la forêt afin de mieux les exploiter pour l’élevage et pour les cultures. En outre, les terres défrichées permettent de meilleurs rendements agricoles, ce que l’on appelle la « culture sur brûlis ». Il s’agit donc d’une déforestation stratégique et productiviste, dans un pays où une poignée de riches exploitants possède la majorité des terrains tandis qu’une majorité de paysans se retrouve sans terre, ce qui pousse certains d’entre eux à vouloir s’accaparer de nouvelles parcelles en défrichant la forêt. 

Cette méthode n’a rien d’illégal ; au contraire, Jair Bolsonaro, faisant en quelque sorte feu de tout bois, promeut la déforestation, quand bien même l’opinion internationale y est défavorable. Le président brésilien et son gouvernement sont ainsi accusés par les ONG environnementales d’avoir affaibli la protection de la forêt amazonienne, favorisant le développement des incendies. Bolsonaro se défend en insistant sur le caractère nécessaire de cette déforestation pour le développement de l’économie brésilienne. De plus, il dément les chiffres publiés par l’INPE (Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais) répertoriant pas moins de 75 336 feux entre janvier et août 2019, données qui seraient falsifiées par l’institut en vue d’une campagne de désinformation menée contre lui. A la suite de cette polémique, le directeur de l’INPE s’est vu démis de ses fonctions par le président lui-même.

CONSEQUENCES

Sur le plan économique, les résultats pourraient être positifs pour le Brésil. Comme souhaité par Jair Bolsonaro, la forêt amazonienne, jadis un territoire « en réserve », devient désormais de plus en plus un espace productif. Le chômage reculerait et la production augmenterait. Le Brésil, pays émergent, renforcerait sa position sur le marché mondial grâce à sa puissance exportatrice en particulier en matière agricole. Toutefois, l’attitude du gouvernement brésilien sur ce sujet a fragilisé les négociations commerciales en cours avec l’Union Européenne, comme en témoignent les avertissements adressés par le président Macron.

En tout état de cause, la déforestation n’arrange pas tout le monde au Brésil. Les principaux concernés sont les populations amazoniennes. Ces dernières, en marge du reste de la société, vivant dans la forêt, voient leur habitat consumé et réduit jour après jour par les flammes. Certes peu nombreuse, cette population jusqu’alors silencieuse fait depuis peu entendre sa voix lors de manifestations hostiles à la politique presque attentiste de Bolsonaro à l’égard des feux de forêt. Plus qu’un habitat, c’est d’ailleurs tout un patrimoine chargé d’histoire qui disparaît sous le regard impuissant de ses autochtones.

Enfin, les incendies en Amazonie ont des répercussions évidentes sur le déréglement climatique. La combustion des arbres par milliers projette dans l’atmosphère une grande quantité de gaz carbonique auparavant stocké dans la végétation, ce qui contribue au réchauffement de notre planète. La diminution du nombre d’arbres entraîne également un déréglement des pluies, raréfiant leur venue. Sans oublier la perte importante de biodiversité animale et végétale qu’entraîne de gigantesques feux de forêt comme c’est le cas cette année en Amazonie.

CONCLUSION

Les incendies qui sévissent au Brésil depuis janvier 2019 sont exceptionnels de par leur ampleur. Nous pouvons mettre en cause la politique de Jair Bolsonaro qui consacre trop peu de moyens pour lutter contre la progression des feux. Si ces événements peuvent s’avérer économiquement profitables pour le Brésil, il n’en subsiste pas moins des conséquences environnementales catastrophiques sur le long terme, y compris pour le Brésil. Les sociétés occidentales sont les premières à pointer du doigt l’inaction du président brésilien face à ce problème qui affecte le monde entier. Nous pouvons toutefois nous demander s’il est légitime qu’un pays industrialisé de longue date comme le nôtre critique la politique d’un pays émergent sans l’aider activement à trouver une solution acceptable par le Brésil et par tous ses partenaires.