Depuis le 15 mars 2019, de violents affrontements opposent une partie des habitants de Hong-Kong aux forces de police. Originellement, ces manifestations font suite à un amendement à la loi d’extradition présenté par le gouvernement de Hong-Kong, qui faciliterait l’intervention du pouvoir de Pékin dans le système juridique indépendant de Hong-Kong. La loi d’extradition menacerait par conséquent la sécurité personnelle de tous les Hong-Kongais, résidents permanents comme touristes de passage, selon ses opposants. En quoi les manifestations de 2019-2020 dans le petit territoire indépendant au sud-est de la Chine créent-elles une situation si particulière ?
Contexte géopolitique
Ancienne colonie britannique, Hong-Kong ne s’est détachée du Royaume-Uni que tardivement, le 1er juillet 1997, date à laquelle la région a été rétrocédée à la Chine. Toutefois, Hong-Kong garde depuis son autonomie politique, en conservant son système légal (la « common law » d’inspiration britannique), sa monnaie (le dollar de Hong-Kong), son système politique multipartiste, ses équipes sportives nationales, ses lois sur l’immigration, etc. Cette autonomie devait perdurer jusqu’en 2047, d’après la promesse de la République populaire de Chine faite à l’occasion d’une déclaration sino-britannique commune.
La loi d’extradition semble compromettre la pérennité des systèmes judiciaire et multipartiste hong-kongais. L’amendement introduit par le gouvernement consiste en une « ordonnance sur les délinquants en fuite relative à l’entraide judiciaire avec les autres pays qui n’ont pas d’arrangement avec Hong-Kong ». Cet amendement survient à peine un an après une difficulté judiciaire engendrée par un simple fait divers : en 2018, un natif de Hong-Kong tue sa petite amie enceinte à Taïwan, puis s’enfuit dans le régime administratif spécial (RAS) de Hong-Kong pour échapper aux poursuites. En effet, le gouvernement hong-kongais ne pouvait ni le juger à Hong-Kong, d’après le principe du territoire de 1987 stipulant que les fugitifs doivent être renvoyés pour jugement sur le lieu de leur crime, ni l’extrader à Taïwan car il n’y a pas de traité d’extradition avec ce pays. La loi d’extradition a censément été amendée pour éviter ce genre de problèmes à l’avenir.
Réactions
L’amendement à la loi d’extradition a provoqué de vives critiques à Hong-Kong et dans le reste du monde. De nombreux juristes, journalistes, groupes d’affaires et gouvernements occidentaux craignent en effet qu’il ne réduise l’indépendance du système judiciaire de Hong-Kong et affecte la stabilité juridique nécessaire aux affaires. Cette loi permettrait ainsi d’extrader de nombreux éléments que le gouvernement de Hong-Kong, dépendant de Pékin, considère comme « nuisibles », « perturbateurs » ou, plus généralement, les opposants politiques, vers la République Populaire de Chine, où le système judiciaire est moins indépendant.
L’extradition pourrait concerner des organisations criminelles influentes qui, d’ailleurs, exercent parfois leurs activités sur l’ensemble du territoire chinois à partir de Hong-Kong, mais aussi les activistes indépendantistes de la région administrative spéciale. Si démanteler une vaste organisation criminelle est un objectif souhaitable pour tous, les opposants politiques ne sont pas considérés comme des hors-la-loi par les Occidentaux et faciliter leur condamnation menacerait les libertés hong-kongaises.
Cette peur d’une « justice politisée », là où auparavant prédominaient le multipartisme et la liberté de penser, de réunion et d’opinion (contrairement au reste de la Chine), a provoqué plusieurs manifestations et rassemblements à Hong-Kong. Le 9 juin 2019, près d’un million de Hong-kongais, soit un huitième de la population, participèrent à une manifestation dans les rues de la capitale contre la loi et pour la démission du chef de l’exécutif à l’origine de l’amendement, Mme Lam.
A ces revendications, s’ajoutent à partir du 12 juin la condamnation de la violence policière hong-kongaise et la demande de libération de manifestants détenus. En effet, certains policiers n’ont pas hésité à utiliser du gaz lacrymogène, des projectiles en sachet et des armes à feu tirant des balles en caoutchouc sur les manifestants, suscitant l’indignation internationale, notamment de l’ONG Amnesty International, pendant que des étudiants étaient arrêtés et enfermés comme émeutiers. Depuis le mois de juillet 2019, les manifestants réclament la création d’un comité indépendant afin d’enquêter sur les violences policières, mais aussi, sur un plan plus politique, la dissolution du conseil législatif et l’introduction du suffrage universel. De manière plus générale, les manifestants exigent davantage de libertés.
Des manifestations se sont également produites dans le reste du monde, notamment là où l’on retrouve d’importantes communautés hong-kongaises, comme à Toronto et Vancouver au Canada, mais aussi aux Etats-Unis (à Times Square, devant la Maison Blanche et à New-York), au Japon, à Taïwan, en Australie et en Europe, surtout au Royaume-Uni, notamment à Londres.
Fondamentalement, ce mouvement populaire semble exprimer le rejet du régime chinois par les Hong-kongais, deux systèmes bien distincts coexistant actuellement, et même un rejet de la Chine elle-même. Selon une enquête de l’Université de Hong-Kong, seuls 11% des habitants se considèrent Chinois.
Ces mouvements protestataires ne peuvent sans doute pas conduire à l’indépendance totale de Hong-Kong. Pour autant, les autorités chinoises se trouvent dans une situation délicate. En effet, les manifestations pro-démocratie ont eu un large écho dans les démocraties occidentales. Or, l’intérêt économique de Hong-Kong, pour la Chine, tient à ses relations étroites avec le reste du monde développé.
Ainsi, le régime chinois paraît vouloir profiter de l’épidémie de coronavirus pour restreindre les libertés, interdire les manifestations et faire avancer ses réformes. Toutefois, les Etats-Unis viennent de menacer la Chine de remettre en cause certaines facilités dont bénéficie Hong-Kong et sans lesquelles elle ne serait pas une des principales places financières asiatiques. La situation demeure complexe à gérer pour Pékin et son évolution, incertaine.


