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La dialectique du matérialisme historique dans la pensée de Marx

La pensée matérialiste développée par Karl Marx et Friedrich Engels se caractérise par le rôle très central de l’Histoire. Ce n’est pas tout à fait nouveau à leur époque, alors que de plus en plus de penseurs soulignaient que beaucoup de choses qui avaient été considérées comme «naturelles» et éternelles, étaient sujettes à changement. Néanmoins, selon ces philosophes et économistes allemands du XIXe siècle, les facteurs économiques et les masses populaires sont les deux composantes majeures qui façonnent l’histoire du monde. En réaction aux philosophies idéalistes de l’histoire, comme celle de Hegel, Marx développe et enrichit dans ses nombreux travaux son concept de « matérialisme historique » qui met l’accent sur les origines concrètes et observables du moteur de l’histoire.

Marx développe son analyse de l’histoire à partir de deux points de vue complémentaires. D’une part, il soutient que l’histoire peut être expliquée à travers une dialectique des forces productives et des rapports sociaux de production. D’autre part, il souligne le rôle de la lutte des classes dans le processus historique, y compris dans les domaines politique et idéologique.

Dans leur ouvrage « L’Idéologie allemande » écrit en 1845-1846, les philosophes Marx et Engels développent une toute nouvelle philosophie de l’histoire, le « matérialisme historique », et en énoncent les principes fondamentaux. Pour eux, les événements historiques dans toute leur diversité (guerres, révolutions, etc.) sont déterminés non par des idées ou par l’action d’individus (les fameux « grands hommes ») mais par l’impact de l’évolution des moyens de production sur la société et les mentalités, ainsi que par les relations sociales. Par « relations sociales », Marx entend les interactions qui lient entre eux des individus de classes différentes et qui engendrent des relations de coordination et, en même temps, de domination et de conflit. Ces rapports sociaux ne dépendraient pas de la volonté du peuple (surtout dans le cas de l’exploitation d’une classe par une autre) mais de la forme de propriété des moyens de production, c’est pourquoi ils seraient déterminés, comme le dit Marx : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé ». La conception matérialiste de l’histoire est donc une critique acharnée de l’idéalisme historique : il s’agit de rapporter l’étude de l’histoire à sa base économique, plutôt que d’y voir le simple développement de principes abstraits, contrairement à la théorie de Hegel qui l’interprétait comme la succession de différents esprits ascendants puis déclinants (« Volksgeist »).

Marx a utilisé une méthode dialectique pour comprendre l’histoire, tout comme Hegel, mais d’un point de vue matérialiste, la remettant « sur pied » (matérialisme dialectique). Dans la postface au « Capital », Marx nie partager la même pensée que Hegel : « Ma méthode dialectique n’est pas seulement différente de la méthode hégélienne mais en est l’opposé direct ». Ce sont donc, pour Marx, les conditions matérielles d’existence qui déterminent la conscience des hommes dans l’histoire, et non l’inverse : « Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience » énonce-t-il dans son livre « L’idéologie allemande ». En définitive, ou en dernière instance, les forces productives sont les principaux moteurs du changement et la principale explication des conditions sociales, idéologiques et politiques. Selon lui, l’histoire se compose comme suit : chaque mouvement – ou thèse – produit sa propre contradiction – ou antithèse – et la négation de la négation permet le passage à un stade plus avancé de l’histoire – ou synthèse. Ainsi, la thèse du communisme primitif, à savoir l’organisation politique de la société humaine primitive sans classes telles que nous les connaissons, a été contredite par l’antithèse de la propriété privée des moyens de production, avec la lutte des classes comme issue inévitable. La synthèse dans le futur sera donc, pour Marx, la création nécessaire d’une société sans classes. Comment la société passe-t-elle d’une étape à l’autre ? L’idée de dialectique repose sur la présence de fortes contradictions entre le développement des forces productives d’une part (techniques de production) et les rapports sociaux de production d’autre part. Le lien entre l’homme et la nature joue un rôle crucial dans l’histoire : en créant des outils et des moyens de production, l’humanité modifie la nature et la façonne à son image. Initialement conçu pour répondre à des besoins élémentaires, l’outil devient ensuite aussi un moyen d’exploitation d’une classe par une autre et engendre une lutte déterminant le cours de l’histoire.

De ces thèses, Marx établit que les conditions d’existence des êtres humains et les rapports entre les différentes classes sociales influencent grandement le cours des événements. Ainsi, il développe l’un de ses concepts les plus connus : celui de la lutte des classes comme principal moteur de l’histoire, lutte présente dans toutes les sociétés et ce, depuis que l’homme existe : « L’histoire de toute société jusqu’ici existante est l’histoire de les luttes de classe » écrivait-il dans son « Manifeste du parti communiste » publié en 1848. Autrefois, elle opposait l’homme libre à l’esclave, le patricien au plébéien ou le seigneur au serf ; dans la société capitaliste, cette lutte oppose le prolétaire , qui ne possède que sa force de travail, au bourgeois, propriétaire des moyens de production. Selon Marx, le bourgeois profiterait de sa position de domination en exploitant le prolétariat à son profit, en lui imposant des conditions de travail et de vie inhumaines. et en lui versant un salaire inférieur à la valeur de sa production, à l’origine de son surplus. Ultimement, la révolution prolétarienne est censée constituer la fin de l’histoire telle que nous la connaissons et marquer le début d’une ère nouvelle où le capitalisme, emporté par les forces productives et sociales qu’il a lui-même créées, aboutit à une société sans classe.

Marx a voulu façonner une « science de l’histoire » et les régimes communistes, au cours du XXe siècle, ont prétendu l’avoir mise en pratique. Cependant, le matérialisme historique peut difficilement rendre compte de nombreux événements et développements qui se sont produits depuis la mort de Marx. La lutte des classes n’a peut-être pas évolué comme prévu, produisant une sorte de synthèse que Marx n’avait pas anticipée, et les facteurs économiques n’ont peut-être pas toujours prévalu, même « en dernière instance » et dans le cas des révolutions communistes.

La montée des populismes, syndrome du mal-être de nos démocraties libérales ?

Le défi jeté par le populisme aux démocraties libérales d’un point de vue constitutionnel

Le populisme constitue un défi pour les démocraties libérales d’un point de vue constitutionnel car il se présente comme essentiellement démocratique. Il prétend même incarner un retour à la démocratie dans son expression la plus pure, en ce qu’il aurait pour objectif de rendre la parole et le pouvoir au peuple (c’est-à-dire à la grande majorité des citoyens), alors que ces derniers auraient été confisqués par des élites et des minorités, notamment par le jeu des appareils politiques et des institutions, où les classes populaires sont faiblement représentées. 

Certes, il est fréquent de dénoncer cet usage de la notion de « peuple », qui, implicitement, consisterait en une base homogène, unie et restée « saine », par opposition à des élites « mondialisées », défendant leurs privilèges, les « 20% de diplômés » méprisant le reste de la population. Toutefois, la démocratie est fondée sur la souveraineté populaire et l’idée de peuple est abondamment citée dans la plupart des constitutions. La Constitution française de 1958 parle bien du « peuple français ». C’est sans doute une erreur que de vouloir diaboliser ce terme. On peut également critiquer ce point de vue au nom des libertés individuelles et de la protection des minorités, mais il y a nécessairement une limite à cet argument car une démocratie ne peut pas se réduire à la défense des individus. Elle consiste aussi dans la mise en œuvre de la volonté générale, qui résulte du vote de la majorité des citoyens.

A priori, les partis populistes visent la conquête du pouvoir exclusivement par la voie des urnes, en utilisant des mécanismes démocratiques afin de légitimer leurs acteurs politiques et leur gouvernement, contrairement aux mouvements fascistes, qui alliaient participation aux élections et coups de force, avant ou après la prise du pouvoir (en Italie, marche sur Rome de 1922 ; en Allemagne, loi des pleins pouvoirs en 1934). Les partis fascistes ne cachaient pas leur peu de respect pour les institutions démocratiques et parfois leur intention de les abolir, une fois qu’ils n’en auraient plus besoin. Aujourd’hui, au contraire, ce sont souvent les partis populistes qui se plaignent de l’absence de démocratie – par exemple en raison des pouvoirs d’instances non élues comme la Commission européenne ou des juridictions nationales et internationales, qui vont parfois jusqu’à censurer des lois votées par des Parlements. En particulier, ils s’élèvent contre le fait qu’ils ne bénéficieraient pas eux-mêmes d’un traitement démocratique, dans les médias ou dans les assemblées, où ils seraient sous-représentés au regard du nombre de voix qu’ils recueillent. 

Par ailleurs, dans la mesure où les partis populistes respectent les règles du jeu électoral et s’efforcent d’éviter les dérapages verbaux, il est difficile de lutter contre eux avec les armes de l’Etat de droit qu’il s’agit justement de protéger et dont il serait donc paradoxal de s’affranchir. En Allemagne, un office fédéral de protection de constitution avait mis sous surveillance le parti AfD (Alternativ für Deutschland), un parti allemand eurosceptique, nationaliste et jugé populiste par certains (même si l’AfD rejette cette dernière classification), mais un tribunal a suspendu cette décision, qui, en l’occurrence, autoriserait des mesures effectivement très restrictives au regard des libertés publiques. 

Une fois ces partis au pouvoir, les constitutions et les blocs de constitutionnalité peuvent permettre de contenir et limiter leurs projets de réforme, notamment parce que la protection de ces libertés y a pris une place importante et s’y trouve souvent très détaillée. Le populisme n’en crée pas moins un défi, un défi politique, parce qu’il peut prendre à témoin la population de cette situation, qui l’empêcherait de mettre en œuvre les choix exprimés par son vote. En pratique, en s’appuyant sur ce ressentiment, en profitant du fait que les recours contre les atteintes à l’« Etat de droit » sont longs et compliqués et en utilisant des voies plus détournées, par exemple en nommant des personnes de confiance à des postes-clefs, les partis populistes au pouvoir parviennent en partie à s’affranchir de ces limites. 

Plus encore, certains partis populistes au pouvoir peuvent affaiblir les institutions en place afin de mener leurs politiques plus librement, sans subir de trop forte opposition, en opérant des changements constitutionnels formels ou informels. Ainsi, le 4e amendement constitutionnel soumis par le parti populiste hongrois en 2013 a réduit les pouvoirs de la Cour constitutionnelle du pays. De même, le parti Droit et Justice polonais a procédé à du “Court-packing”, consistant à ajouter des sièges à la Cour dans le but de consolider la majorité conservatrice en son sein. Les tribunaux ordinaires ne peuvent normalement pas reprendre les compétences de contrôle de constitutionnalité des Cours constitutionnelles paralysées.

En Hongrie, Viktor Orban promeut ainsi la « démocratie illibérale » ; dans le cadre de celle-ci, la volonté de la Nation, qu’il estime incarner, compte plus que les libertés individuelles et le respect de règles formelles qui auraient trop longtemps servi à brimer la majorité. V. Orban a ainsi pris des mesures contre l’immigration et les influences étrangères. En Pologne, le parti Droit et Justice mène une politique hostile aux mouvements LGBT, dans un pays toujours très catholique, et tente de prendre la main sur la nomination de certains juges, ce qui pourrait ensuite lui permettre de faire adopter plus facilement d’autres réformes, comme on vient de le voir. La Commission européenne s’est saisie de ces questions, mais elle ne peut agir que sous certaines conditions et seulement devant des tribunaux. Face à cela, les leaders populistes peuvent perturber le fonctionnement des institutions communautaires et dénoncer auprès de leurs électeurs ce qu’ils présentent comme des ingérences extérieures, comme à l’époque de l’URSS dans le cas des pays de l’Est. La doctrine de la « souveraineté limitée » en vigueur avant la Chute du Mur de Berlin n’est évidemment pas une référence démocratique… 

Comment le populisme peut être une réponse à un besoin d’unité

La mondialisation et, sur notre continent, la construction européenne, le déclin des classes sociales et des idéologies, la baisse de la pratique religieuse, l’individualisation des modes de vie ont pu créer le sentiment d’un effacement des différents groupes d’appartenance qui structuraient autrefois les sociétés occidentales. L’augmentation des flux migratoires, notamment l’arrivée de populations d’origine lointaine et de culture très différente, qui ont en partie conservé leurs traditions et leurs langues, a contribué à affaiblir l’équivalence entre la Nation et un groupe ethnique ou historique. Les individus ont parfois l’impression d’être des citoyens et des consommateurs libres mais solitaires. 

Par ailleurs, les processus de décision collective sont devenus plus complexes, faisant intervenir de nombreux niveaux intermédiaires et dépendant de plus en plus d’instances et de négociations internationales, de sorte que les communautés nationales traditionnelles ont perdu de leur autonomie et donc, de facto, existent moins. 

Le peuple peut constituer l’ensemble des individus vivant sur un territoire, partageant une culture commune et se soumettant aux mêmes lois. Toutefois, ce terme peut aussi faire référence aux citoyens des classes populaires, que le communisme nommait autrefois “prolétariat” par opposition aux élites du pays. C’est sur cette double signification de cette notion que les populismes basent principalement leur discours électoral. Ils réaffirment l’existence et la primauté de cette communauté, laquelle désirerait légitimement perdurer dans l’être (cf le « droit à la continuité historique ») tout en revendiquant que des pouvoirs plus importants lui soient restitués.  En outre, ils « mythifient », disent leurs détracteurs, un peuple originel assimilé aux classes populaires et aux gens du commun, resté proche de ses racines, opposé à des élites globalisées qui se seraient détachées d’elles. Un cadre supérieur ou un journaliste parisien se sentiraient, par exemple, plus proches d’un confrère vivant à New York que d’un compatriote habitant de l’autre côté du boulevard périphérique. On met face à face les gens du « nowhere » et du « somewhere ». Ainsi se recrée une forme d’unité, en particulier des classes populaires et moyennes inférieures, très dispersées à la suite des transformations du monde du travail.  

Ce peuple s’oppose aussi aux immigrés et surtout à ceux d’entre eux qui refusent de s’intégrer, restant groupés en communautés. Les populistes fustigent le « communautarisme » et la balkanisation de la société qui mettent à mal la Nation. Ils peuvent aller jusqu’à dénoncer une forme de « préférence pour l’Autre » et de repentance auxquels seraient astreintes les populations de souche, au nom d’injustices liées à l’ancienne ou présente domination occidentale sur le monde. Il conviendrait au contraire, selon eux, de restaurer une forme de fierté nationale, laquelle fait naturellement partie de la satisfaction apportée par le sentiment d’appartenir à un groupe. Les partis populistes qui font le choix de défendre l’unité du peuple sont par définition nationalistes : afin de préserver cette unité, il s’agit essentiellement de limiter l’immigration et de conserver une forte souveraineté nationale. L’identité de l’individu est intrinsèquement liée à celle de sa nation ; si cette dernière perd de son indépendance et surtout de son homogénéité, alors l’individu perd une part de son identité, de son héritage culturel et de ce qui le caractérisait autrefois – alors qu’il s’agissait d’une de ses seules richesses « symboliques ». Dans sa version la plus négative, cette vision va de pair avec le thème du « Grand Remplacement », qui pousse à l’extrême l’opposition d’un « nous » contre un « eux » – le sentiment de ce « nous », menacé de disparition, étant alors particulièrement puissant.

En Italie par exemple, la Ligue du Nord, défenseure de l’Italie du Nord industrieuse et prospère contre le Sud « fainéant », est devenue la Ligue, c’est-à-dire le parti de toute la communauté nationale, victime des abus supposés de l’Union européenne et d’une immigration incontrôlée. Aux Etats-Unis, Donald Trump s’est lui aussi présenté comme le héros d’une Amérique et d’une communauté menacés par le libre-échange et l’immigration, combattant les élites médiatiques et politiciennes. Dans les deux cas, les populistes ont notamment essayé d’incarner la réponse à un besoin d’unité, en réactivant une identité et en désignant des adversaires (« il faut s’opposer pour se poser »). Les populismes nationalistes remportent aussi certains succès dans les pays ethniquement homogènes, comme en Hongrie ou en Pologne, mais fortement attachés à celle-ci et inquiets des conséquences de l’immigration observée en Europe de l’Ouest, et, par ailleurs, très attachés à leur souveraineté nationale, contre les empiètements d’organismes supranationaux. Ils ont ainsi l’impression de défendre leur unité et leur indépendance, chèrement acquise au cours de l’Histoire, en prévenant certaines évolutions.

Etude sur le handicap : pourquoi une politique inclusive est-elle particulièrement bénéfique pour le monde de l’entreprise

Malgré la loi de 2005 cherchant à favoriser l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, le taux de chômage des personnes présentant une forme de handicap reste 50 % plus élevé que la moyenne française. En outre, les entreprises soumises à l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés ont tendance à ne pas respecter le seuil légal selon lequel 6 % des postes doivent être occupés par des personnes en situation de handicap. En effet, les entreprises soumises à cette obligation ont un taux moyen d’emploi des personnes handicapées de 3,5 %.

Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour expliquer ce phénomène. Avant tout, probablement les préjugés dont les personnes en situation de handicap font l’objet. En effet, il est souvent dit que les personnes en situation de handicap seraient moins productives, plus exigeantes en demandant d’être assistée ou encore qu’elles seraient plus difficiles à licencier. Puis, se pose également la question de l’adéquation entre les compétences de l’offre de travail des personnes en situation de handicap et celles requises par la demande du marché, émanant des employeurs. En effet, la part de personnes en situation de handicap détenant des diplômes est trois fois moins élevée par rapport à la population globale. De plus, le taux de chômage au sein de cette population étant plus élevé que la moyenne nationale, les personnes en situation de handicap ont alors tendance à avoir moins d’expérience professionnelle, du fait du peu d’opportunités qui leur sont proposées. Ces deux facteurs limitent alors le capital humain des personnes en situation de handicap. Cette notion forgée par Gary Stanley Becker affirme que les individus construisent leur degré d’employabilité par leur niveau d’étude, leur réseau et leurs expériences dans le monde du travail. Par conséquent, dans la mesure où ces facteurs ont tendance à être moins développés pour les personnes en situation de handicap, s’ensuit alors des difficultés pour ces personnes à trouver un emploi.  

L’objectif n’est pas d’expliquer en détails pourquoi les personnes en situation de handicap rencontrent des difficultés dans le cadre de leur recherche d’emploi mais de démontrer pourquoi il est bénéfique pour les entreprises de recruter des personnes handicapées. En effet, l’impulsion innovante apportée par les personnes en situation de handicap et la législation actuelle ont des effets positifs directs sur la capacité de l’entreprise à réaliser un résultat bénéficiaire. Par ailleurs, les avantages peuvent également avoir un effet indirect, cette fois-ci à plus long-terme sur les résultats de l’entreprise, en particulier grâce à une conciliation entre la performance économique et le développement social, ce qui nécessite de passer outre des préjugés, encore fortement ancrés de nos jours.

Sur la base de quels fondements pouvons-nous affirmer que la présence de personnes handicapées dans l’entreprise est favorable à ses résultats ?

Si le recrutement de personnes en situation de handicap présente des intérêts financiers directs (I), il existe également des intérêts observables à plus long-terme (II).

I- Un intérêt financier aux effets directs

Les effets directs de l’amélioration de la performance financière sont observables par une politique inclusive vectrice d’innovation et par conséquent de hausse de productivité (A) mais également par une législation incitant par des dotation financières les entreprises à embaucher des personnes handicapées (B).

A- Une politique inclusive vectrice de hausse de la productivité

Il convient dans un premier temps de souligner que les personnes handicapées apportent une impulsion novatrice dans l’entreprise pour plusieurs raisons. Dans la mesure où leur handicap influence leur mode de vie, celui-ci peut leur faire voir certaines situations différemment. A titre d’exemple, nous savons aujourd’hui que les personnes ayant une forme d’autisme peuvent témoigner de facultés intellectuelles, mémorielles mais également d’analyse qui se distinguent de la moyenne. Ce fait peut d’ailleurs être vérifiable par la surreprésentation des prix Nobel. Marie Curie, Albert Einstein, John Nash pour ne citer qu’eux ont la particularité d’avoir reçu le prix Nobel et d’être autiste asperger. Trois des six fondateurs des GAFAM (google, amazon, facebook, apple, microsoft) sont autistes asperger : Mark Zuckerberg, Steve Jobs, Bill Gates. Le dernier exemple que nous pourrions prendre est les réalisateurs, Woody Allen, George Lucas, Stanley Kubrick, Alfred Hitchcock ou Steven Spielberg sont autistes. Or, à l’échelle de la population la part d’autiste dans la population entre 0,003 et 0,48 %, selon le spécialiste Tony Atwood, auteur de l’ouvrage « Traité européen de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ». De plus, nous ne tenons pas compte d’un paramètre notable, celui de la marginalisation tendancielle des personnes atteintes d’un syndrome d’autisme, les éloignant en conséquence d’activités à responsabilité, ce qui rend plus complexe la mise en valeur de talents présentant une forme d’autisme. Par conséquent, une personne autiste par sa vision des situations sera souvent capable de produire de meilleurs résultats que la moyenne et d’apporter une nouvelle manière de répondre aux problématiques posées, à condition qu’elle se plaise dans son environnement de travail. Puis, l’innovation peut également être introduite par le matériel mis à disposition pour les salariés en situation de handicap. Nous pourrions prendre l’exemple d’un article paru dans la revue de l’AGEFIPH datant du de mois de septembre 2012. Il s’agit d’une personne salariée d’une grande surface au rayon fromage et charcuterie devenue handicapée à l’issue d’un accident du travail. Son handicap lui empêchait de rester debout continuellement et de faire des gestes trop répétitifs. Pour lui permettre de continuer à exercer son métier, des aménagements ont été réalisés au niveau de son poste de travail. Ainsi, les exemples d’aménagement sont variés : installation d’un tapis de sol antifatigue en caoutchouc (pour amortir les pas et surélever les vendeurs), d’un repose-pied, d’un petit fauteuil assis-debout et d’une nouvelle table de découpe. L’ensemble de ce matériel permet de faciliter les tâches de la personne en situation de handicap mais également celles de l’ensemble du personnel travaillant dans ce rayon, ce qui représente alors un gain de productivité pour l’ensemble du service. L’ensemble de ces aménagements correspondent à des innovations. Or, nous savons notamment grâce aux travaux de Joseph Alois Schumpeter que l’innovation est vectrice de croissance économique. Les entreprises adoptant une politique inclusive à l’égard des personnes en situation de handicap verraient alors d’une manière presque mécanique une hausse de leurs bénéfices.

L’intérêt financier direct repose également sur une législation incitative.

B- Une législation incitative

Les dispositifs actuels encouragent le recrutement des personnes en situation de handicap, par des dotations financières adressées aux entreprises ayant des pratiques vertueuses ou des pénalités à celles refusant de respecter la réglementation. Il conviendrait de classer les aides en trois sortes : les aides à l’embauche, les aides à l’aménagement du poste de travail et les aides conjoncturelles dans le contexte de la pandémie de covid-19. Il existe plusieurs formes d’aides à l’embauche : l’aide à l’accueil, à l’intégration et à l’évolution professionnelle d’un montant de 3000 euros, l’aide à l’embauche en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, au plus entre 3000 et 4000 euros et l’aide exceptionnelle à l’embauche d’un travailleur handicapé, de 3000 euros. Pour ce qui est des aides à l’aménagement du poste de travail, elles sont également diverses : aide à l’emploi des travailleurs handicapés entre 5000 et 11000 euros, aide à la recherche de solutions pour le maintien de l’emploi de 2000 euros, aide à l’adaptation des situations de travail d’un montant variable ou encore celle à la formation pour le maintien dans l’emploi d’un montant qui n’est pas fixé à l’avance. De même que celles citées précédemment, les aides accordées dans le cadre de la pandémie de coronavirus sont nombreuses : aides liées au covid-19 pour soutenir l’embauche en alternance, aide dans le cadre du covid-19 à la mise en place du travail, ou encore l’aide exceptionnelle pour des équipements spécifiques de prévention. Le montant de ces trois aides n’est pas plafonné en principe. L’idée n’est pas d’énumérer en détails l’ensemble des aides mais juste de montrer le vaste panel de dotation financières offert par l’Etat. Pour connaitre précisément les modalités des aides voici un lien qui pourrait vous être utile : https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F15204. Nous pourrions alors sur la base des aides citées prendre l’exemple d’une entreprise et voir ce qu’elle pourrait toucher. Par conséquent, la première année elle pourrait recourir aux aides cumulables, dans la mesure où certaines d’entre elles ne sont pas renouvelables. Par conséquent, le montant qu’elle pourrait toucher serait de 12000 euros si l’on compte les aides à l’embauche et celles des aménagements du travail mais si l’on rajoute les aides liées au contexte sanitaire, la somme perçue pourrait dépasser les 15000 euros. Par la suite, l’année suivante l’entreprise pourrait avoir recours à l’aide à l’emploi des travailleurs handicapés dont la somme peut dépasser les 11000 euros. Le montant de ces aides dépend des surcoûts générés par le recrutement d’une personne en situation de handicap, notamment du fait de l’aménagement de son poste de travail. Par conséquent, lorsqu’une entreprise réalise un investissement dans du matériel adapté aux personnes en situation de handicap, l’innovation est favorable à l’ensemble du service ce qui augmente la productivité globale et favorise la croissance des bénéfices. En outre, l’entreprise ne prend pas de risque dans le sens que son investissement est remboursé par le biais des aides. Ainsi, l’entreprise est gagnante sur tous les tableaux en recrutant des personnes en situation de handicap. A l’inverse, des pénalités sont prévues si l’entreprise ne respecte pas la législation en vigueur. Cette pénalité correspond à une contribution qu’elle doit verser à l’AGEFIPH. Pour une entreprise à l’effectif compris entre 20 et 199 salariés, la somme à verser par personne en situation de handicap qui n’est pas recrutée est de 400 fois le smic horaire soit 4100 euros, pour une entreprise entre 200 et 749 salariés, il s’agit de 500 fois le smic horaire soit 5125 euros, pour une entreprise de 750 salariés ou plus, il s’agit de 600 fois le smic horaire soit 6150 euros. Pour les entreprises sans salarié en situation de handicap et n’ayant pas montré par des démarches de nature administrative depuis plus de trois ans la volonté d’en recruter voit son amende passer à 1500 fois le smic horaire, soit 15375 euros. Le délai auparavant de cinq ans, a été abaissé à trois par la loi Pacte du 22 mai 2019. Par conséquent, si les sommes versées aux entreprises méritantes sont élevées, les pénalités pour les mauvais élèves sont des mêmes conséquentes, d’où l’idée d’une législation incitative.

II- L’influence de l’image sociale de l’entreprise sur sa croissance à long-terme

La politique inclusive améliore l’image sociale de l’entreprise, ce qui a une influence positive sur ses résultats financiers à long-terme. Une conciliation entre la performance économique et le développement social est possible grâce aux investissements socialement responsables (A). Cependant, afin d’assurer cette conciliation, il est nécessaire de dépasser les préjugés (B).

A- Une possible conciliation entre la performance économique et le développement social par des investissements socialement responsables

Selon la définition de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) l’investissement socialement responsable peut être défini comme « un placement qui vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises et les entités publiques qui contribuent au développement durable quel que soit leur secteur d’activité. En influençant la gouvernance et le comportement des acteurs, l’ISR favorise une économie responsable. » Aujourd’hui, les critères permettant le mieux de mesurer l’investissement socialement responsable sont les critères ESG. Pour les groupes nécessitant des apporteurs de capitaux, les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) ont aujourd’hui une importance considérable. Scrutés de près par les investisseurs, ces critères ont pour but d’évaluer la capacité d’une entreprise à prendre des mesures favorables à une gouvernance durable, qui ne tiendraient pas seulement compte de la rentabilité financière à court-terme. Comme le révèle les initiales, ces critères peuvent être classées de trois sortes, selon l’AMF : « les émissions de CO2, la consommation d’électricité, le recyclage des déchets pour le pilier E, la qualité du dialogue social, l’emploi des personnes handicapées, la formation des salariés pour le pilier S, la transparence de la rémunération des dirigeants, la lutte contre la corruption, la féminisation des conseils d’administration pour le pilier G. » L’AMF évoque donc clairement dans le pilier S la nécessité de recruter des personnes en situation de handicap. Par conséquent, l’intérêt de recruter des personnes en situation de handicap permet donc également de soigner le score ESG de l’entreprise et d’attirer les investisseurs.

L’importance croissante des critères ESG s’explique par une évolution de la conception de l’entreprise. En effet, la conception traditionnelle part du principe que la fonction primordiale de l’entreprise est de réaliser des profits financiers. Cependant, un autre paradigme marqué par un versant social rompt avec la pensée traditionnelle, en partant du principe que les résultats financiers ne sont pas l’unique critère pour mesurer la performance de l’entreprise. L’entreprise doit également être vue comme un lieu d’épanouissement pour ses acteurs, la richesse produite est également le bien-être généré par les activités réalisées par le salariat. L’école des relations humaines a alors défendu cette idée. Né après la crise de 1929, ce courant regroupe des psychologues tels que George Elton Mayo, auteur de l’ouvrage paru en 1933 « The human problems of an industrial civilization ». Selon ce courant, les individus dans le cadre professionnel nécessitent une reconnaissance de leur travail. Les salariés veulent avoir le sentiment d’être utiles et ont envie de prendre part aux décisions de l’entreprise. Des techniques de gestion des équipes adaptées et un dialogue social ouvert favorisent le bien-être des salariés, qui se sentent écoutés. Et en améliorant le bien-être des salariés, notamment ceux en situation de handicap, les individus ont le désir de mieux faire leur travail, ce qui augmente la productivité dans l’entreprise et par conséquent ses résultats financiers. Les critères ESG ont donc une influence bénéfique sur les profits de l’entreprise.

Néanmoins, cette conciliation est mise à mal par la présence de préjugés au sujet du handicap.

B- Une persistance des préjugés nuisibles à l’entreprise

Le développement social qu’implique l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde de l’entreprise est compatible avec le développement économique de l’entreprise. Pour cela, il est nécessaire d’aller au-delà des stéréotypes véhiculés au sein de la société en général. Dans le cadre des entretiens d’embauche, il existe des préjugés au sujet du handicap en général, fait démontré par les professeures Eva Louvet et Odile Rohmer dans leur article paru dans « La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation » en 2016, intitulé « Evaluation des personnes en situation de handicap en milieu éducatif et professionnel : approche expérimentale ». De plus, les préjugés peuvent varier selon le type de handicap. En effet, les stéréotypes générés à l’égard des personnes en situation de handicap mental, psychique ou neurologique sont plus ancrés que ceux à l’égard des personnes en situation de handicap physique. Avant de rentrer dans les détails, l’idée qu’il existerait en toute circonstance des situations de handicap physique plus favorables que les autres formes de handicap peut être contestée par l’exemple pris avec l’autisme. En effet, il a été prouvé précédemment que l’autisme pouvait constituer une chance pour l’entreprise. L’idée est ici de prouver que l’existence de préjugés au sujet du handicap en général et qu’il existerait des préjugés qui seraient plus marqués selon le type de handicap est bel et bien une réalité. Les préjugés peuvent être de deux sortes, positifs ou négatifs et sur deux plans, mis en relief par le « Stereotype Content Model » de Susan Fiske : la sociabilité et les compétences. Dans la continuité de ce modèle, Odile Rohmer et Eva Louvet ont réalisé une enquête sur 233 étudiants afin de pouvoir mesurer les stéréotypes au sujet du handicap. Le principe de bi-dimensionalité des stéréotypes a été retenu. Les étudiants ont alors dû se prononcer sur les stéréotypes liés à la sociabilité et aux compétences, et ce en interrogeant sur des caractéristiques uniquement mélioratives, leur objectivité risquant d’être altérée s’ils avaient à répondre sur des caractères négatifs. Les participants avaient pour rôle d’indiquer « comment sont généralement perçues les personnes handicapées (versus les gens en général, les autistes, les sourds…) dans notre société ». Afin de contourner des biais de désirabilité sociale, il était précisé la chose suivante : « Ce qui nous intéresse n’est pas votre opinion personnelle, mais comment vous imaginez que les gens pensent ». Le questionnaire était composé d’une série de 15 questions se référant aux traits de personnalité sélectionnés, présentés par ordre alphabétique. Pour chaque question, les participants disposaient d’une échelle de réponse allant de 1 à 7, 1 étant « pas du tout » et 7 « tout à fait ». L’idée est de comparer les scores entre personnes en situation de handicap et personnes ne présentant pas de handicap mais également entre les différents types de handicap. Les scores s’appliquent sur trois types de préjugés : agréabilité, compétence et courage.

Plusieurs constats peuvent alors être dressés sur la base de ce tableau. D’abord, la moyenne d’agréabilité des personnes handicapées est jugée 30 % supérieure à celle des personnes sans handicap, 5,06 contre 3,88. La moyenne des compétences des personnes handicapées est jugée 15 % inférieure par rapport à celle des personnes sans handicap 3,93 contre 4,52. La moyenne du courage des personnes en situation de handicap est jugée 40 % supérieure à celle des personnes sans handicap. Les préjugés varient également selon le type de handicap. En effet, les personnes en situation de handicap mental sont jugées moins agréables (4,81 contre 4,94), moins compétents (3,16 contre 4) et moins courageuses (4,46 contre 5,49) que les personnes présentant un handicap physique. Par conséquent, si les préjugés dont les personnes en situation de handicap font l’objet en matière d’agréabilité et de courage sont globalement positifs, ceux en matière de compétence sont plutôt négatifs.

L’enquête permet par conséquent de démontrer la présence de préjugés négatifs au sujet des compétences des personnes en situation handicap, ce qui pourrait être une explication à la faible représentation des personnes handicapées dans le monde professionnel. Le dépassement des préjugés, par exemple avec des ateliers de sensibilisation au handicap est une des clés pour la conciliation entre le développement économique et social de l’entreprise.

Ainsi, les intérêts économiques pour le recrutement de personnes en situation de handicap sont divers. Cependant, il est nécessaire de dépasser les préjugés, notamment sur l’idée que les personnes en situation de handicap seraient moins compétentes. Pour clore le sujet, il conviendrait alors de se pencher sur des exemples d’entreprises ayant un nombre d’employés en situation de handicap plus important que la moyenne. Ces entreprises peuvent par exemple avoir recours aux ESAT, les établissements de service d’aide au travail. Dans cette logique, les ESATITUDE, est le service des ESAT de l’ADAPEI des Alpes-Maritimes. Ce service est alors à l’origine de la création d’un hôtel employant uniquement des personnes handicapées, avec une qualité de service valant d’être classé trois étoiles. L’hôtel a d’ailleurs fait l’objet d’un reportage. https://www.youtube.com/watch?v=F1w1vctLLNg

https://www.cairn.info/revue-l-annee-psychologique1-2011-1-page-69.htm

https://www.amf-france.org/fr/espace-epargnants/comprendre-les-produits-financiers/finance-durable/glossaire-de-la-finance-durable

https://travailleur-handicape.ooreka.fr/comprendre/taxe-agefiph

http://science-economique.blogspot.com/2009/05/lecole-des-relations-humaines.html

http://www.handipole.org/IMG/pdf/Agefiph_cahiers_sept12.pdf

Comparaison de différentes situations de pays impliqués dans la crise des dettes souveraines en Europe, à la suite de la crise économique mondiale de 2008

Carricature de Patrick Chappatte

La pandémie actuelle ayant entraîné des mesures drastiques de confinement, a plongé le monde dans une nouvelle période de récession. Des plans de relance ont alors été décidés dans l’urgence. Mais les états sont confrontés à un dilemme : ces plans de relance ont un coût (plusieurs dizaines voire centaines millards d’euros pour la France) et la remontée de la dette dans le bilan des banques centrales aura tôt ou tard une limite. Un accroissement de la dette, en valeur absolue mais également relative au PIB est inévitable, ce qui a tendance notamment à exacerber les divergences des économies entre les pays d’Europe du nord et ceux du sud et ce qui augmente le risque d’insolvabilité de ces derniers, comme à l’issue de la crise des Subprimes. L’idée de cette article est alors de faire un retour sur cette crise, permettant de comprendre les enjeux auxquels nous sommes actuellement confrontés.

Dès octobre 2009, la Grèce – point de départ de la crise des dettes souveraines en Europe – et ses 126,7% du PIB de dette – en augmentation de plus de 17 points par rapport à l’année précédente -, est déclarée « peu solvable » par les agences de notation. Sa note financière est d’autant plus menacée que l’Etat, premièrement, falsifiait ses budgets depuis plusieurs années (enregistrant des déficits budgétaires bien plus importants que ceux déclarés), et deuxièmement, est victime d’une économie souterraine forte – évaluée à 28% du PIB par la Banque Mondiale -, en marge de nombreux problèmes de corruption et d’une faible intégration de son économie dans le commerce mondial, à l’exception de la marine marchande et du secteur du tourisme. Il est alors plus difficile à la Grèce d’emprunter, et lorsque c’est possible, elle emprunte à des taux plus élevés, ce qui mène à l’incapacité de l’Etat à rembourser sa dette. Ses créanciers enregistrent des pertes, voire risquent la faillite. Par exemple pour le cas des banques françaises, elles étaient nombreuses à avoir investi dans la dette grecque, et étaient très menacées par la perte de leurs liquidités. Pour le Crédit Agricole, banque la plus exposée, ce sont 29,5 milliards d’euros qui attendent d’être remboursés par la Grèce. L’Etat français est donc obligé de s’impliquer dans la crise grecque en mettant en place des programmes d’aides.

En parallèle, de multiples autres crises ayant des conséquences socio-économiques néfastes – liées à la crise économique de 2008 et à celle des dettes publiques de 2010 – se déclarent dans l’Eurozone. En Espagne, les prix de l’immobilier chutent fortement dès 2008 : c’est l’explosion de la bulle immobilière espagnole, qui était en forte croissance depuis une décennie, en sus d’un endettement très fort des ménages, qui atteint son maximum de 154,8% du revenu disponible net en 2007. En conséquence de l’explosion de cette bulle, de nombreuses opérations de fusions-acquisitions bancaires se font entre 2010 et 2012 – visant à se protéger de la concurrence et des Offres Publiques d’Achats (OPA) “hostiles”-, en prime de plusieurs nationalisations et d’autres systèmes d’aides aux banques (c’est le système institutionnel de protection, qui passe par la fusion de banques nationalisées) mis en place par le gouvernement espagnol. Finalement, fin 2012, l’Europe refinance à hauteur de 37 milliards d’euros le secteur bancaire espagnol. Cette crise bancaire a provoqué une crise sociale – un nombre considérable de défauts de paiements ayant menés à près de 500 000 expulsions –  mais également migratoire. En effet, le solde migratoire espagnol était négatif entre 2009 et 2016.

Au Portugal, le déficit public augmente jusqu’à frôler les 10% du PIB, et l’endettement public jusqu’à dépasser les 100%. Le 23 mars 2011, le Parlement – où l’opposition est majoritaire – rejette les plans d’austérité du gouvernement, qui visaient à éviter d’avoir recours à l’aide internationale; le premier ministre José Socrates démissionne dans la foulée. Face à cette crise politique, la note financière du Portugal est dégradée par les agences de notation, augmentant, encore une fois, les taux d’emprunt du pays.

En Irlande, où l’économie est basée sur le secteur bancaire, la finance, et est très dépendante du reste du monde, notamment par la présence de nombreuses firmes transnationales américaines, une autre crise se déclare. Entre septembre 2010 et janvier 2011, la banque centrale d’Irlande recapitalise ses banques à hauteur de 50 milliards d’euros; celles-ci avaient souffert de la crise, à partir de 2007 avec l’explosion d’une bulle immobilière. La crise Irlandaise a également abouti à des dégâts sociaux très importants, impliquant la mise en place des plans de rigueur conséquents, avec un taux de chômage qui a augmenté de 10 points entre 2005 et 2010, et l’endettement des ménages qui a lui aussi explosé, atteignant son paroxysme en 2009 avec 240,6% du revenu disponible net, soit une augmentation de presque 130 points depuis 2001. Parallèlement, l’augmentation des dépenses publiques mise en place pour répondre à cette crise et à la dépréciation du secteur bancaire irlandais a conduit à une forte création de dette publique; celle-ci a été multipliée presque 5 fois entre 2007 et 2012. L’Irlande a finalement bénéficié de 85 milliards d’euros d’aides de l’Europe, d’une part pour sauver son déficit public qui atteignait 32,1% en 2010, d’autre part pour sauver son système bancaire.

Dette publique et PIB de l’Irlande

Toutes ces crises ont pour point commun d’être aggravées par un système financier basé sur un endettement mal régulé : souvent, les banques ne demandaient pas suffisamment de garanties à l’obtention de crédits, en s’appuyant sur des systèmes d’hypothèques et de montages financiers spéculatifs. De plus, un aléa moral* joue en leur faveur : trop importantes pour faire faillite, les Etats sont obligés de les refinancer en cas de crise. Ce sont donc une financiarisation spéculative de l’économie et une libéralisation des marchés, tous deux portés à l’extrême, qui – en entraînant une explosion de la dépense publique – sont les principaux facteurs de la crise.

Comprendre le trafic maritime mondial contemporain : MarineTraffic

MarineTraffic est un site Internet qui suit le trafic maritime mondial, et ce en temps réel. La localisation et la direction de tous les navires se trouvant actuellement en mer dans le monde sont répertoriées sur cette carte, en plus de diverses autres caractéristiques les concernant, comme leur taille ou leur lieu de construction. Ce site est, par ailleurs, en grande partie gratuit.

Ce qui frappe tout d’abord est le nombre important de figurés présents sur la carte. La légende un peu à gauche permet de comprendre leur signification. Toutes les flèches représentent les emplacements actuels des navires, tandis que leurs couleurs nous permettent de les différencier et de les classer selon leur nature. Par exemple, les flèches rouges représentent des « Tankers », ou citernes en français, tandis que les flèches roses sont des bateaux de plaisance. Certaines infrastructures maritimes y apparaissent aussi, comme les ports ou même les phares.

Plusieurs styles de cartes sont mis à la disposition de l’utilisateur pour qu’il puisse pleinement profiter du site. Pour ma part, j’ai choisi la « standard map », la plus adaptée selon moi à l’étude du trafic maritime mondial. Les autres sont assez similaires, sauf la « dark map » que je trouve personnellement un peu énigmatique.

J’ai d’abord regardé le trafic maritime mondial avec la plus petite échelle possible, de manière à avoir une vision globale du phénomène. J’ai constaté que tous les océans étaient traversés par de nombreux navires simultanément, sauf les océans Arctique et Antarctique à cause des glaciers. J’ai ensuite agrandi l’échelle pour observer plus précisément le trafic maritime et fluvial autour de la France et dans notre pays, ce qui m’a permis de vérifier que les eaux de la Seine sont les plus empruntées, notamment pour le transport de marchandises.

L’étude de cette carte m’a fait réaliser à quel point les échanges maritimes sont intenses, et ce au moment même où j’écris ces lignes. Je déplore néanmoins le manque de lisibilité de la carte par moments, en plus du fait qu’elle ne soit pas traduite en français.

Si vous aussi, chers lecteurs, vous souhaitez découvrir MarineTraffic, alors n’hésitez pas ! 

Lien vers le site : https://www.marinetraffic.com

Martin Vasseur

Junk Bonds


« Depuis la crise financière mondiale, les réformes structurelles et la politique monétaire ont encouragé l’utilisation des marchés des obligations d’entreprises comme source viable de financement à long terme pour les sociétés non financières« 

Angel Gurría, Secrétaire général de l’OCDE

Nous aborderons dans cet article la financiarisation du financement des entreprises privées et les risques que cela implique, après avoir expliqué le fonctionnement du marché obligataire.

L’importance de la dette des entreprises est depuis plusieurs années déjà désignée comme préoccupante en cas de ralentissement. Or le cirse du coronavirus a justement entrainé ce ralentissement d’activité pour beaucoup d’entreprises.

Tel qu’évoqué dans l’article précédent sur le système monétaire international, les entreprises ont de plus en plus recours au marché obligataire pour se financer.

Afin que chaque lecteur comprenne la suite de ce papier, résumons brièvement le fonctionnement du marché obligataire.

Comment fonctionne le marché obligataire, le ministère de l’économie défini une obligation comme « un morceau de dette émis par une entreprise, une collectivité territoriale ou un État. Lorsque l’un de ceux-ci souhaite se financer, les montants requis peuvent nécessiter l’intervention de nombreux créanciers. Vous pouvez devenir l’un de ces créanciers en « achetant » une obligation, c’est-à-dire une partie de cette dette. En plus du capital qui vous sera restitué à échéance fixe (en général, entre 5 à 30 ans), le débiteur s’engage à vous rémunérer périodiquement (tous les ans, ou tous les trimestres notamment) selon un taux d’intérêt fixe ou variable. ». Le marché obligataire est ainsi un marché financier au près duquel les entreprises peuvent obtenir des liquidités par l’émission de titre de créance qui sont les obligations. C’est donc sur ce marché que les obligations sont émises et échangés. Nous nous intéresserons dans ce papier aux obligations coporates c’est-à-dire émise par des entreprises. L’émetteur sera donc l’entreprise et le créancier l’acquéreur du titre de créance émis. Pour accéder à ces liquidités l’entreprise rémunère le détenteur du titre qu’elle a émis en payant régulièrement des intérêts appelé coupons. Plus la société est en bonne santé moins le risque est important pour le créancier ainsi les coupons sont moins élevés. A l’inverse plus l’émetteur de l’obligation est jeune, en mauvaise santé financière ou exerçant sont activité dans un domaine risqué ou en perte de vitesse plus l’entreprise rémunère le créancier pour son service.

C’est ici que les agences de notation interviennent. Ces agences ont pour d’évaluer puis de noter la capacité de remboursement de l’émetteur de l’obligation. Ces notes vont déterminer la catégorie de l’entreprise sur le marché obligataire de par le risque que le créancier prend lorsqu’il l’obligation. Si l’on schématise il existe de grande catégorie associée aux notes des entreprises : la catégorie Investment Grade (abrégé IG) et la catégorie Non Investment Grade (abrégé Non-IG) que nou simplifierons en l’associant au High Yield. La catégorie IG regroupe les entreprises notées de AAA à BBB et les Junk Bonds à partir de BB.

Après avoir expliqué le fonctionnement et le jargon du marché obligataire corporate nous allons pouvoir aborder le cœur du sujet de ce papier qu’est l’inquiétante augmentation du volume d’obligation et de la dégradation de celles-ci.

Premier constat : les entreprises font de plus en plus appel aux marchés financiers pour se financer en témoigne ces graphiques suivants publiés par l’OCDE dans ses rapports.

La comparaison avec les niveaux de 2008 est d’autant plus flagrante

Ainsi l’OCDE énonce en février 2020 que la dette d’entreprise atteint des niveaux « sans précédent ». En effet le volume de la dette d’entreprise est de 13 500 milliards de dollars fin 2019. Pour l’OCDE cette hausse récente est la conséquence d’« un retour à des politiques monétaires plus expansionnistes en début d’année. ». Le constat est sans appel les politiques extrêmement accommodantes que mène les banques centrales depuis dix ans favorise ce type d’endettement chez les entreprises. Ainsi l’émission de dette d’entreprise a doublé en dix ans.

En outre, cette augmentation d’émission préoccupe car elle s’accompagne d’une dégradation de qualité. En effet, aujourd’hui on assiste à une hausse significative : des sociétés passant de la catégorie IG à Junk bonds et de la dégradation de la note des sociétés au sein de la catégorie IG. Ainsi les obligations des sociétés noté AAA baisse au sein du marché obligataire et occupe environ 0,7% de celui-ci contre environ 8% pour le AA, 41% pour le A et environ 51% pour le BBB. Le graphique ci-dessous révèle la tendance de long terme concernant l’évolution de la qualité des obligations corporates qui se dégrade significativement au sein de l’IG.

Parallèlement à cette dégradation de l’IG, on observe une augmentation du Non-IG au sein de l’émission globale.

D’après l’OCDE cette masse d’obligations corporates de qualité moindre se caractérise par « un durcissement des exigences de remboursement », « un allongement des échéances », « une moindre protection des investisseurs ».

La part d’émission d’obligation non-IG dans les émissions totales des entreprises non financières a augmenté ces dernières années. Elle fut par exemple de 25% l’année dernière.

Selon l’OCDE « La part des émissions d’obligations de la catégorie spéculative n’était jamais restée aussi élevée pendant une période aussi longue depuis 1980 ». En plus du fait que le volume global d’obligation émises par les entreprises non financières a considérablement augmenté, l’augmentation de la part de celles classées spéculatives et BBB s’intensifie depuis 2008 notamment avec des émissions dans les pays émergents.


L’augmentation du recours au marchés obligatoire ne touche pas que les pays développés. En effet, l’augmentation est d’autant plus flagrante depuis une dizaine d’années chez les pays émergents. Une étude du crédit suisse explique qu’ « Au cours de la dernière décennie, le marché des obligations d’entreprises des pays émergents a augmenté de 17% par an. » « Le marché des obligations d’entreprises des pays émergents s’est transformé d’une niche en une classe d’actifs à part entière, mature et variée »

Or l’augmentation du volume de titres de créance signifie augmentation des remboursements nécessaires. Il convient de souligner qu’aujourd’hui plus de 30% de l’ensemble des obligation corporates doit être remboursé sous les trois ans, un record. Et encore une fois, parmi elles de plus en plus sont de BBB ou Non-IG.

Tout ceci pourrait amplifier les conséquences délétères sur l’économie si une contraction de l’activité survenait ou si le contexte de faible taux d’intérêt disparaissait, souligne l’OCDE. Or cette contraction hypothétique qu’évoque l’OCDE en ce début d’année 2020 est présente depuis le début de la crise du coronavirus. C’est pourquoi les Banque Centrale et les Etats ont dû agir si massivement, cependant la crise va entrainer des faillites en cascades à mesure que les banquiers centraux ont de moins en moins de marge de manœuvre et que les Etats s’endettent.

L’on voit bien que les banques centrales ne peuvent faire autrement, les politique monétaire accommodantes ont encouragé les entreprises à avoir recours au marché financier pour se financer avec un effet de levier parfois conséquent.

En effet, une politique si accommodante a permis aux entreprises d’émettre de nombreux titres tout en conservant une certaine capacité de remboursement et a permis aux entreprises en mauvaise santé de survivre.

Les entreprises qui ont accrus leur ratio d’endettement sont maintenant dépendantes de cette politique ultra accommodantes (au même titre que les Etats). C’est pourquoi après avoir voulu normaliser son bilan la Fed y a rapidement renoncé. En cas de crise comme celle que nous traversons les entreprises dépendantes des politiques accommodantes déjà présentes avant la crise ont besoin d’une politique encore plus accommodante. Alors que certains trouvaient que l’action des banques centrales en temps normal était trop importante, aujourd’hui les banquiers centraux doivent faire preuve d’ingéniosité et ne plus compter en milliard. En effet, le risque était déjà très important en 2019 début 2020, il est encore plus aujourd’hui.

En 2019, Bloomberg Scott Mather responsable des investissements de Newport Beach déclarait « Le segment des obligations d’entreprises présente sans doute le niveau de risque le plus élevé de son histoire. …Nous constatons une hausse de l’endettement des entreprises, une baisse de la qualité de crédit, ainsi qu’une diminution des garanties accordées aux prêteurs ». Une situation que Les Echos n’hésite pas à qualifier « typique d’une fin de cycle ». En effet, en mai 2019 les agences de notations commençaient déjà à dégrader les notes des entreprises américaines et selon Les Echos en mai 2019 « Les fonds qui investissent dans cette classe d’actifs aux Etats-Unis ont enregistré près de 3 milliards de dollars de retraits de capitaux en une semaine, d’après les données d’EPFR. Au total 6,5 milliards de dollars sont sortis de ces fonds en mai, souligne Bloomberg. ». Tout comme Les Echos le souligne en mai 2019 https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/dette-dentreprises-lavertissement-dun-poids-lourd-du-marche-1025524 , Capitale évoque également cette dégradation des notes des entreprises américaine en avril 2020 https://www.capital.fr/entreprises-marches/les-faillites-explosent-la-dette-des-entreprises-est-a-surveiller-de-pres-1366580 et précise «Il y a quelques mois, le FMI avertissait qu’en cas de choc économique équivalent à seulement la moitié de celui des subprimes, le montant global de la dette à risque d’entreprises, dans les 8 économies observées (Etats-Unis, Chine, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Espagne et Italie) pourrait atteindre 19.000 milliards de dollars…soit 40% du montant total des dettes d’entreprises. C’est-à-dire 40% des dettes d’entreprises dont les intérêts ne pourraient pas être couverts par les bénéfices, d’après les critères du FMI. »

  Je laisse chacun juger de la situation actuelle tout en sachant qu’il y a un an déjà certains tiraient la sonnette d’alarme. Les agences de notations se sont déjà faite surprendre en 2008, elles seront je pense plus réactive aujourd’hui et commencé déjà à dégrader les notes de certaines entreprises dans le contexte de ralentissement de la croissance ces dernières années. La crise du coronavirus révèle ou révèlera surement ces niveaux de ratio d’endettement et la dépendance qu’ils impliquent vis-à-vis de la politique monétaire. Mais alors que les Banques Centrales font tourner la planche à billets à plein régimes et viole ou suspende les règles pour sauver l’économie, les entreprises déjà très endettées avec la crise se relèveront (pour celles qui survivront) très difficilement or nombreuses sont celles notés BBB. Et tel qu’évoquais ci-dessus les agences de notations ne se feront peut-être pas avoir une seconde fois et commençais déjà à dégrader les notes avant a crise.

C’est ici que le problème suivant se pose. Il convient de rappeler au lecteur que les fonds d’investissement sont eux aussi séparé en catégories, ceux qui investissent dans l’IG et ceux qui investissent dans le High Yield. Ainsi une dégradation de la note attribuée aux entreprises actuellement notées BBB les feraient passer de la catégorie IG à Non-IG ce qui par la même occasion forceraient les fonds d’investissement qui se concentre sur l’investissement dans le IG à vendre l’ensemble des ex-BBB maintenant dégradé et spéculatives. Or les BBB représente plus de la moitié de l’IG et le High Yield représente 25% de l’ensemble du marché obligataire coporate en 2019. Chacun perçoit alors le problème : le IG est trois fois plus importants que le Non-IG, si la moitié du IG venait à être classé Non-IG les fonds de celui-ci auraient peut-être du mal à tout absorber et ce qui est sûr c’est qu’à ce moment précis les entreprises auparavant BBB et maintenant dégradé vont voir leurs couts de financement bondir. Beaucoup pourraient alors ne pas survivre ou bien se transformer en Zombie. Il est évident que si un tel scénario se produisait la banque centrale devrait intervenir. Il est cependant peu probable que l’ensemble des entreprises notées BBB bascule dans le High Yield. Néanmoins l’actuel fort ralentissement en fera basculer plus d’une, mais il serait prétentieux et hasardeux de prédire la proportion d’obligations corporates qui basculeront vers le Non-IG. En tous cas les banques centrales et les états devront sans doute redoubler d’imagination et d’astuces pour contourner les règles, afin de sauver ces entreprises si elles sont trop nombreuses à basculer, car celles-ci rachètent déjà beaucoup d’actifs au point d’aboutir à l’extrême opposé du néolibéralisme qui a été poussé pour certains à son paroxysme.

–FIN –

30 Juin 2020

Charles Roussel

Sources :

www.oecd.org/fr/economie/perspectives/la-resilience-dans-un-contexte-d’endettement-eleve-perspectives-economiques-ocde-novembre-2017.pdf Graphiques : page 10 – page 18 – page 27

http://www.oecd.org/fr/gouvernementdentreprise/corporate-bond-market-trends-emerging-risks-and-monetary-policy.htm ou pour directement visualiser le pdf cliquer sur le line suivant http://www.oecd.org/corporate/ca/Corporate-Bond-Market-Trends-Emerging-Risks-Monetary-Policy.pdf Graphiques : page 13 – page 15 – page 27- page 48- page 14- page 11

Dans quelles mesures la levée de boucliers des banquiers centraux révèle-t-elle les déséquilibres au sein de la zone euro ?

La zone euro, une hétérogénéité source de conflits au sein de ses institutions

Dans quelles mesures la levée de boucliers des banquiers
centraux révèle-t-elle les déséquilibres au sein de la zone
euro ?

Le 12 septembre dernier l’ex-président de la BCE (Banque Centrale Européenne), Mario
Draghi a annoncé notamment l’abaissement du taux de dépôt à -0,5% et la reprise du QE (Quantitative Easing) à un rythme de 20 milliards d’euros par mois. Suite à ces mesures de nombreux banquiers centraux et autres membres des institutions monétaires de la zone euro, se sont révoltés.

Treize jours après cette décision, l’un des membres du directoire de la BCE, Sabine Lautenshcläger, annonce sa démission de l’institution. Malgré l’absence de raisons officielles à son départ, pour certains : il est clair que celle-ci était en désaccord avec ces mesures annoncées le 12 septembre par Mario Draghi, et ce serait notamment cette désapprobation qui motiva son départ.  

En effet les décisions prises par Mario Draghi sont loin de faire l’unanimité au sein du conseil des gouverneurs (c’est-à-dire les 6 membres du directoire ainsi que les 19 banquiers centraux des banques centrales nationales de la zone euro). Les informations des diverses sources diffèrent sur cette question, celles-ci varient d’un tiers à la moitié du conseil des gouverneurs opposé à ces récentes décisions orientées vers une politique monétaire de plus en plus accommodante.

Puis quatre semaines après cette annonce du 12 septembre de Mario Draghi, le 4 octobre 2019 un mémorandum est publié par Hervé Hannoun (ex-vice-président de la BDF de 1999 à 2005), Klaus Liebscher ( ex-président de l’OeNB1 de 1995 à 2008), Helmut Schlesinger (vice-président de la Bundesbank de 1980 à 1991 puis président de celle-ci jusqu’en 1993), Nout Wellink (président de la DNB2 de 1997 à 2011, administrateur de la BRI de 1997 à 2012, gouverneur du FMI ou encore membre du FSB3), Otmar Issing (membre du conseil d’administration de la Buba de 1990 à 1998 puis économiste en chef et membre du directoire de la BCE de 1998 à 2006) et Jürgen Stark (économiste en chef de la BCE de 2006 à 2011). À travers ce mémorandum ces six individus jugent la politique monétaire accommodante menée par la BCE, inadaptée et dangereuse. En outre les six signataires émettent le soupçon que Mario Draghi aurait mené cette politique pour porter secours aux états lourdement endettés (et plus particulièrement à l’un de ces états) contre une hausse éventuelle des taux d’intérêt qui entraînerait d’importantes difficultés de financements pour ces gouvernements. L’impartialité de Mario Draghi pourrait en effet être remise en cause, l’Italie faisant partie de ces états lourdement endettés. Néanmoins la vérifier serait quasiment impossible.

Il est évident que l’opposition face à cette politique monétaire accommodante est exclusivement issue des pays de l’Europe du Nord (l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Hollande et dans une moindre mesure la France avec la critique de Hervé Hannoun mais aussi de Jacques de Larosière directeur général du FMI de 1978 à 1987 puis gouverneur de la BDF).

Les conflits entre la Buba et la BCE ne sont pas récents et date depuis les années 2010 : lorsque les membres de la Bundesbank ont pris conscience que la BCE n’était plus un « clone » de la Buba comme elle l’était à sa création. En effet Hans Tietmeyer, président de la Bundesbank de 1993 à 1999, « a contribué de façon considérable à façonner l’Union économique et monétaire » (selon un communiqué de la Bundesbank à la mort de celui-ci). Ainsi celui-ci façonna la BCE à l’image de la Bundesbank, indépendante des pouvoirs publics et luttant pour la stabilité des prix. Or c’est à travers ce mémorandum que cette indépendance est mise en question. De plus les oppositions se multiplient, ce qui implique leur prise en considération. L’un des inconvénients de la monnaie unique est ainsi énoncé : ce mémorandum signifie que la zone euro (supposé être aux bénéfices de tous ses membres) est aujourd’hui, de par la politique monétaire de la BCE, à l’avantage de l’un et au détriment des autres. La BCE aurait (par cette politique monétaire accommodante) causé des ennuis aux autres membres de la zone euro pour venir en aide à ce gouvernement lourdement endetté. Effectivement, ces décisions du 12 septembre 2019 qui s’inscrivent dans cette politique monétaire accommodante, alimentent directement les taux négatifs* ainsi le taux du Bund à 10 ans est passé de 0,57% à environ -0,76% suite à l’annonce de la BCE ce 12 septembre (selon Investir). En effet les taux négatifs sont facteurs de création de bulles sur le marché obligataire mais aussi des actions et de l’immobilier. Ainsi «  l’indice CAC 40, qui était presque stable juste avant les annonces [de ce 12 septembre 2019], affiche un gain de 0,63% et l’indice européen Stoxx 600 est en hausse de 0,57%. » selon Investir.

En outre, les taux négatifs favorisent la prolifération des entreprises zombies. De surcroît, ils permettent aux entreprises de mener des politiques non-productive et ne bénéficiant qu’aux actionnaires. En effet dans un contexte de taux négatif, emprunter ne coûte rien (même si : le taux d’emprunt n’est pas le seul coût qui intervient lors d’un emprunt, en effet il convient d’additionner tous les coûts tels que ceux d’assurance…), il est ainsi aisé pour une entreprise (rappelons-le, dont l’orientation des politiques est décidée par les actionnaires) de racheter ses propres actions sur le marché de manière à premièrement : soutenir le cours de celle-ci et deuxièmement augmenter les dividendes perçu par chaque actionnaire (car diviser une même proportion des bénéfices de l’entreprise en un moins grand nombre de parts implique que chaque part soit plus rémunérée). Ce mécanisme s’inscrit dans cette déconnexion croissante et à certains égards inquiétante, entre les sphères réelles et financières de l’économie.

De plus, les taux négatifs rendent l’équation qui vise à concilier préservation de la valeur de l’épargne et absence de risque, quasiment sans solution. Ainsi les assureurs, qui garantissent des rendements à leurs clients sont en piteux état, certains s’aventurent vers des produits financiers risqués pour obtenir du rendement, d’autres sont déjà en difficulté. Il s’agit notamment de « Suravenir, la filiale d’assurance-vie et de prévoyance du groupe bancaire Crédit Mutuel Arkéa [qui a] dû être recapitalisée à hauteur de 540 millions d’euros par sa maison mère. » (Les Echos 22 octobre 2019), mais aussi de « AG2R La Mondiale [qui] a placé une émission de dette de 500 millions d’euros pour renforcer sa marge de solvabilité » (Les Echos 22 octobre 2019), ou encore Sogecap ainsi le 6 novembre2019 Les Echos titre « Assurance-vie : Société Général « n’exclut pas » de recapitaliser sa filiale ». Les fonds de pension et assureurs sont en effet dans l’impasse car une partie très importante de leurs placements garanties repose sur les titres d’état dont les rendements sont négatifs or ceux-ci (assureurs et fonds de pensions) garantissent pour certains des rendements bien plus élevés. Il existe en réalité des solutions pour préserver la valeur de son épargne mais celles-ci sont non-productives, les taux négatifs favorisent donc une mauvaise allocation du capital. Ces solutions comprennent notamment les métaux précieux tels que l’or dont la hausse du court s’explique par la forte demande des banques centrales notamment russe et chinoise mais aussi et ce dans une moindre mesure, de par la demande des épargnants soucieux de préserver la valeur de leur épargne sans prendre de risque.

Ce contexte explique la révolte des pays d’Europe du Nord qui remettent en cause la politique monétaire menée par la BCE qui favorise cette destruction de l’épargne par les taux négatifs, protégeant les gouvernements lourdement endettés. Ce sacrifice de la valeur de l’épargne des épargnants de la zone euro (et plus précisément de l’Europe du Nord où l’épargne y est bien plus abondante) actuellement dénoncé, peut être débattu néanmoins Christine Lagarde qui prend la tête de la gouvernance de la BCE en cette fin d’année 2019 a énoncé ce 30 octobre sur RTL «…chaque personne, ceux de vos auditeurs qui sont là, est à la fois : un salarié, un épargnant, un emprunteur et que les impacts des taux d’intérêt vont affecter chacune de leurs dimensions, je pense qu’on sera plus content d’avoir un emploi plutôt que d’avoir une épargne protégée, je pense que c’est dans cet esprit-là que les politiques monétaires ont été déterminés par mes prédécesseurs et je pense que c’est assez salutaire comme choix. ». Ses propos sont suffisamment clairs pour comprendre que ce sacrifice dénoncé semble être vérité, et que la politique monétaire future de la BCE n’ira probablement pas de sitôt vers une rupture avec celle menée ces dernières années.

Pour conclure la BCE mène cette politique accommodante pour :

 – Officiellement : atteindre la cible d’inflation désormais symétrique, de 2%. En effet, la BCE communiquait le 12 septembre 2019 « The Governing Council reiterated the need for a highly accommodative stance of monetary policy for a prolonged period of time and continues to stand ready to adjust all of its instruments, as appropriate, to ensure that inflation moves towards its aim in a sustained manner, in line with its commitment to symmetry. Today’s decisions were taken in response to the continued shortfall of inflation with respect to our aim. In fact, incoming information since the last Governing Council meeting indicates a more protracted weakness of the euro area economy, the persistence of prominent downside risks and muted inflationary pressures. » (Mario Draghi, President of the ECB, Luis de Guindos, Vice-President of the ECB, Frankfurt am Main, 12 September 2019). Or ce sont justement ces pressions inflationnistes qui sont contestées par les pays d’Europe du nord.

Et officieusement (selon ces frondeurs) : à faveur des gouvernements lourdement endettés, ce au détriment de l’épargne.

C’est donc cet objectif officieux poursuivi par la BCE, à la faveur de certains et au détriment des autres et ses conséquences négatives sur l’économie (confer : impacts néfastes des taux négatifs*) que critiquent ces frondeurs des pays d’Europe du Nord.

1 OeNB = Oesterreichische Nationalbank = Banque nationale d’Autriche
2 DNB = De Nederlandsche Bank = Banque des Pays-Bas
3 FSB = Financial Stability Board = Conseil de stabilité financière  

– FIN –

22 Décembre 2019

Charles Roussel

Sources :

Christine Lagarde était l’invitée de RTL https://www.youtube.com/watch?v=vbqzaUeGvmk  Publiée le 30 octobre 2019

https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/assurance-vie-societe-generale-nexclut-pas-de-recapitaliser-sa-filiale-1145979  Publié le 6 nov. 2019 à 15h48

https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/assurance-vie-londe-de-choc-des-taux-negatifs-se-propage-1142077  Publié le 22 oct. 2019 à 19h18

https://www.ecb.europa.eu/press/pressconf/2019/html/ecb.is190912~658eb51d68.en.html Mario Draghi, Président of the ECB, Luis de Guindos, Vice-President of the ECB, Frankfurt am Main, 12 September 2019

https://investir.lesechos.fr/marches/actualites/la-bce-baisse-son-taux-de-depot-et-relance-ses-achats-de-dette-1871727.php  Publié le 12/09/19 à 13h53

https://www.banque-france.fr/statistiques/taux-et-cours/les-taux-monetaires-directeurs

La coupe du monde 2022 au Qatar en débats

La polémique dure depuis presque 10 ans. Depuis que le Qatar, minuscule pays en majeur partie désertique du Moyen-Orient, s’est vu accorder l’organisation de la coupe du monde de football pour 2022, nombre de questions restent en suspens et inquiètent la scène internationale. La mise en accusation de Michel Platini en juin 2019 dans le cadre d’une enquête pour corruption sur l’attribution du Mondial 2022 ravive la polémique et nous amène à nous interroger sur la légitimité qu’a un pays comme le Qatar à accueillir un événement aussi important. Retour sur une affaire controversée.

L’attribution de la coupe au Qatar

Le 2 décembre 2010, lors d’une réunion à Zurich, le comité exécutif de la FIFA et son président Sepp Blatter officialisent l’organisation de la coupe du monde 2022 au Qatar. Cette annonce est une petite surprise puisque le pays pétrolier passe devant la première puissance mondiale, elle aussi candidate, que sont les Etats-Unis. Le lendemain-même, les médias anglo-saxons dénoncent une corruption à grande échelle qui aurait biaisé les conditions d’attribution du plus grand événement footballistique de la planète.

Problèmes engendrés par cette attribution

Le Qatar n’est pas et n’a jamais été un pays à culture footballistique. Il paraît donc étonnant d’attribuer l’organisation du Mondial 2022 à une nation qui n’a jamais réussi à se qualifier à la moindre coupe du monde auparavant, tant le niveau de ses joueurs était insuffisant. Si pour 2022, l’équipe nationale est qualifiée d’office, il n’est pas certain qu’elle brillera pour autant à domicile. Le président américain de l’époque Barack Obama affirme qu’il s’agit d’une « mauvaise décision », tandis que Michel Platini reconnaît lui aussi en mai 2014 que cette attribution était une erreur, mais que « c’était la volonté politique, aussi bien en France, qu’en Allemagne […] De grandes entreprises françaises et allemandes interviennent au Qatar, vous savez ».

L’ambassadeur du Qatar en France, Mohamed Jaham Al Kuwari, a publié une tribune dans le journal Le Monde dans laquelle il tente de justifier cette volonté des autorités qatariennes d’accueillir le mondial 2022. Selon lui, leur pays est en mesure d’organiser un tel événement du point de vue des infrastructures et de la logistique. De plus, cette nécessité d’organiser un mondial de football au Moyen-Orient pour la première fois s’accompagnerait d’une amélioration des relations diplomatiques entre les différents Etats de la région afin de préserver la paix, en plus d’aider à l’intégration des pays arabes dans la mondialisation. C’est cet ensemble de motivations qui aurait poussé le Qatar à postuler – avec succès – à l’organisation du mondial 2022.

Cependant, le climat du Qatar pose problème. Les températures peuvent en effet atteindre 50 degrés en été, situation intenable pour des joueurs devant courir pendant 90 minutes s’ils devaient le faire sans climatisation, ainsi que pour les centaines de milliers de supporters venus du monde entier. En janvier 2011, Sepp Blatter puis Michel Platini se déclarent alors, afin de remédier à ce problème et contre toute attente, favorables à l’organisation du Mondial en hiver pour la première fois de l’histoire de la coupe du monde. On peut s’étonner de la prise de conscience de ce problème seulement après coup. Une telle décision bouleverserait le calendrier des matchs des championnats nationaux, qui devraient s’interrompre plus longtemps que d’habitude pour permettre à leurs joueurs de rejoindre leur équipe nationale pendant plus d’un mois.

Bien que les températures hivernales soient moins extrêmes qu’en été, celles-ci demeurent toujours trop importantes pour permettre aux footballeurs de jouer dans des conditions optimales. C’est pourquoi les autorités qatariennes ont prévu la mise en place de climatiseurs dans tous les stades afin de rafraîchir les lieux. Ces dispositifs font l’objet d’une importante polémique car ils contribuent au réchauffement global de la planète dans un contexte de dérèglement climatique. L’indignation de la communauté internationale vis-à-vis de dispositifs aussi énergivores ne semble toutefois pas faire reculer les autorités qatariennes sur leur décision.

Bien que le Qatar prétende être prêt à héberger l’événement, de nombreux lieux sont encore en construction : parmi les 8 stades qui accueilleront joueurs et supporters en hiver 2022, seuls 3 sont actuellement opérationnels. Tous ces stades, en plus d’autres infrastructures planifiant l’accueil et le transport des nombreux supporters attendus (plus de 1,5 million) comme des hôtels et un métro, nécessitent la mise en oeuvre de travaux pharaoniques et très onéreux. Le Qatar peut de toute évidence financer ces nombreux projets grâce ses importantes recettes perçues de la vente massive de son pétrole, matière première à la fois indispensable pour toute économie développée et abondante sous le désert qatari. Le petit pays subit toutefois un embargo économique de la part de ses propres voisins, puisque l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn et l’Egypte ont, notamment, arrêté d’approvisionner le Qatar en matériaux de construction pour manifester leur colère quant au soutien du Qatar aux Printemps arabes. Néanmoins, les fournisseurs ont changé et les travaux se poursuivent. 

En revanche, les conditions de travail des migrants appelés pour construire tout ces infrastructures presque en urgence continuent de nuire fortement à l’image internationale du pays arabe. Le statut des migrants travaillant en ce moment pour ce vaste projet, principalement originaires du Népal, du Bangladesh et de l’Inde, est en effet dénoncé à travers le monde, notamment par l’ONG Amnesty International dans son rapport alarmant intitulé « The ugly side of the beautiful game » (« le côté hideux du beau jeu »). Leurs conditions de travail sont telles que certains y voient de « l’esclavagisme contemporain » : des horaires à rallonge couplées à un salaire dérisoire et un travail physique parfois dangereux, le tout sous un soleil de plomb, ont coûté la vie à 2 700 ouvriers entre 2012 et 2018 selon le journal The Guardian. L’ONG Human Rights Watch dénonce le manque de transparence du Qatar, qui refuse de publier des chiffres officiels. Leurs passeports sont confisqués dès leur arrivée, les empêchant de voyager ou même d’échapper au travail forcé en changeant d’emploi. Les migrants, privés de leurs droits, ne se plaignent pas par crainte de représailles.

Enfin, dès 2010, des soupçons de corruption pèsent sur cette attribution. Le président du comité qatari aurait en effet versé 1,5 million de dollars à trois membres africains du comité exécutif de la FIFA chargé de l’attribution de la coupe du monde en échange de leurs votes. Le lendemain de l’annonce officielle, le journal anglo-saxon The Sun publie pour Une « Truqué ! » (« Fixed » en anglais). Un nouveau scandale survient en 2013 après la publication dans France Football d’une enquête intitulée « Qatargate » (en référence à l’affaire du « Watergate ») où la FIFA est désignée comme une « petite mafia » et où le journaliste sportif français Eric Champel pointe les failles du système en déclarant que « l’éthique a été plusieurs fois bafouée par le Qatar dans la façon dont il a obtenu la Coupe du Monde 2022 ». S’ajoute à cela une supposée réunion secrète qui se serait tenue à l’Elysée le 23 novembre 2010, soit une dizaine de jours avant le vote de la FIFA, entre le Président français Nicolas Sarkozy, le prince du Qatar Tamim ben Hamad Al Thani, le président de l’UEFA Michel Platini et le propriétaire du Paris Saint-Germain Sébastien Bazin. Le journal France Football avance en 2013 que le Qatar aurait promis de racheter le PSG – ce qu’il a fait – en plus de monter leur actionnariat au sein du groupe Lagarde et de créer une chaîne rivalisant avec Canal + (que Sarkozy voulait fragiliser), à savoir BeIn Sports, le tout en échange de la voix de Platini en faveur du Qatar et non des Etats-Unis. L’ancien footballeur français démentira certaines informations, et en minimisera d’autres. Il sera mis en garde à vue le 18 juin 2019.

Le Qatar semblait ainsi déterminé à accueillir le Mondial de football 2022, quitte à user de moyens illégaux comme la corruption ou à bafouer les droits de l’Homme pour construire rapidement les stades. S’il a longtemps été question, en raison des nombreuses polémiques, d’attribuer l’organisation du Mondial 2022 à un autre pays, il n’en est finalement rien. Espérons seulement que le contexte particulier de la mise en place de cette coupe du monde n’entachera en rien la qualité du football attendu et la joie de ce qui doit être une fête.

Martin Vasseur

La « stagnation séculaire » : vers la fin de la croissance ?

Depuis 50 ans, l’augmentation annuelle des gains de productivité n’a cessé de ralentir en France. Supérieure à 5% dans les années 1960, elle n’était plus que de 4 à 5% dans les années 1970, puis de 2 à 3% dans les années 80 et de 1,5 à 2% dans les années 1990. Même en mettant à part la crise financière de 2008 et les années difficiles qui ont suivi, on observe que ces gains sont désormais inférieurs à 1% par an. 

Cette tendance concerne tous les pays développés et certains économistes prédisent une « stagnation séculaire ». En ces temps d’accélération du progrès technique et de sa diffusion, du fait de la mondialisation, ceci peut paraître surprenant. Sommes-nous condamnés à la stagnation ? 

Nous verrons d’abord que ces chiffres donnent une image exagérée des tendances récentes et qu’il existe des motifs d’espoir pour les décennies à venir. Pour autant, si on prend du recul pour comparer l’époque actuelle à celle qui l’a précédée, il apparaît que ce ralentissement constitue bien un phénomène « structurel » que nous allons devoir prendre en compte dans toutes nos réflexions. 

Un ralentissement, temporaire, qui ne serait pas si inquiétant.

Tout d’abord, la baisse des gains de productivité en France s’explique en bonne partie, depuis la fin des « Trente Glorieuses » par le fait que la France ne peut plus se contenter d’imiter le modèle américain, comme elle l’avait fait pendant toute cette période. En effet, à la fin de la deuxième guerre mondiale, notre pays avait accumulé beaucoup de retard, technologique ou dans l’organisation du travail. Il lui suffisait donc de se moderniser en important les méthodes et les connaissances américaines, ce qui explique que la croissance française a même été supérieure à celle des Etats-Unis pendant un temps. On ne devrait pas s’inquiéter trop fortement d’un ralentissement en partie dû au fait que ce rattrapage est terminé. 

Il est vrai que les gains de productivité ont aussi diminué aux Etats-Unis. L’économiste Robert Solow s’étonnait dans les années 1980 de « voir les ordinateurs partout sauf dans les statistiques ». Il a été démenti depuis, puisque les Etats-Unis ont enregistré un rebond de ces gains dans les années 1990, clairement liés à la production et à l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication. 

Pour les « techno-optimistes », il devrait en aller de même au XXIème siècle. On assistera à une nouvelle phase d’accroissement des gains de productivité, quand la révolution digitale produira tous ses effets, en se diffusant largement dans l’économie et la société. En effet, ceci demande du temps, parce que les entreprises et les travailleurs doivent s’adapter et que les nouvelles possibilités techniques ne se traduisent pas tout de suite par des innovations. De nouveaux produits et services apparaîtront progressivement. 

Enfin, certains mettent en avant que les données de la comptabilité nationale mesurent mal certains progrès, par exemple une plus grande rapidité ou une amélioration du confort, sans que cela ne se toujours dans le calcul du PIB. A des prix qui peuvent être constants, on va beaucoup plus vite en TGV et on a une image de meilleure qualité grâce aux nouveaux téléviseurs et à la TNT. Il est également difficile de prendre en compte correctement les progrès apportés par des biens et services complètement nouveaux, comme internet – il permet de communiquer plus vite que le courrier, mais aussi de faire beaucoup plus de choses. 

Donc, pour certains spécialistes, on n’aurait pas le droit de parler de « stagnation séculaire ». D’ailleurs, cette expression n’a-t-elle pas été inventée dans les années 1930, au moment de la Grande Dépression, c’est-à-dire à la veille de la plus formidable période de croissance qu’aient connue nos pays ? 

Nous serions bien en train de vivre un inévitable « retour à la normale ». 

Les « techno-pessimistes » ne contestent pas ces arguments, mais ils estiment que les gains de productivité rendus possibles par la digitalisation n’atteindront jamais durablement les niveaux du XXème siècle. On ne peut pas inventer deux fois l’électricité, le moteur à explosion, etc. qui ont permis des économies de temps et d’énergie considérables pour les humains. 

L’économiste Robert Gordon reconnaît que la révolution numérique a modifié en profondeur de nombreuses activités, mais sans s’accompagner d’économies de temps importantes dans la satisfaction de besoins fondamentaux et dans l’accomplissement de tâches répétitives très répandues. Pour souligner la différence avec le passé, il prend l’exemple de l’arrivée de l’eau courante au domicile, à partir de la fin du XIXème siècle – un progrès d’une technicité limitée, mais qui a apporté un gain de temps considérable dans la vie quotidienne (avant, il fallait aller chercher l’eau à l’extérieur).  

De plus, il soutient que les effets de la révolution numérique seraient déjà derrière nous. Les principaux effets de la numérisation remonteraient à l’époque où l’automatisation a fait disparaître de nombreux postes d’employés, de secrétaires, etc. Les principales pistes de progrès connues aujourd’hui ne seraient pas à la hauteur des révolutions passées et si les dépenses de recherche ont augmenté, leur rendement a aussi beaucoup diminué. 

Il existe d’autres raisons possibles à un ralentissement durable : la fin de l’augmentation de la qualification moyenne des travailleurs (après une période sans précédent de démocratisation de l’enseignement), le vieillissement de la population, un excès d’épargne au niveau mondial qui pèserait sur la demande, donc finalement aussi sur l’investissement et l’innovation. La transition écologique va également entraîner des « coûts », en tout cas économiques. Plus généralement, la priorité pourrait être désormais donnée à la préservation de l’environnement plutôt qu’à la croissance. 

Même si l’idée d’une stagnation paraît exagérée, il semble bien que la conjonction de facteurs favorables à la croissance de la productivité ait disparu. Ceci met fin à une période de prospérité qui était en réalité exceptionnelle. Si cette nouvelle situation peut avoir des avantages et être en partie voulue, en particulier à cause de l’impératif écologique, elle a aussi des conséquences économiques, sociales et financières, qu’il faudra bien évaluer.  

Peut-on produire tout en préservant l’environnement ?

Si la question écologique revient aussi souvent dans les débats publics du XXIe siècle, la protection de l’environnement ne reste pas moins une préoccupation récente dans l’histoire de l’humanité, en atteste le Sommet de la Terre à Rio qui officialise la notion de développement durable en 1992 seulement.  

Le développement durable peut être définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », définition énoncée pour la première fois dans le rapport Brundtland en 1987. L’enjeu pour les politiques actuelles consiste donc à assurer la pérennité des économies en garantissant un certain niveau de production, tout en préservant l’environnement et, plus particulièrement, les ressources naturelles ainsi que les conditions climatiques actuelles. 

L’écologie pose la question de l’intégration de l‘environnement dans l’économie, d’où la notion de développement durable employée pour expliquer le souci de conciliation les trois piliers fondamentaux d’une société que sont l’économie, l’environnement et le social. Nous nous demanderons donc dans cet article si croissance et écologie sont compatibles ou, au contraire, s’il convient de faire un choix difficile entre les deux.

Histoire de la question écologique

Nature et humanité entretiennent une relation changeante au fil des époques. Si certaines croyances, souvent dans des temps reculés, sacralisaient l’environnement, comme chez les Indiens d’Amérique, les Japonais et même les Grecs (Aristote comparait la terre à une nourrice, tandis que beaucoup de dieux grecs symbolisent des éléments de la nature, dont Poséidon et Déméter, entre autres), le christianisme délivre une nouvelle vision de la nature. Cette dernière est perçue en Occident à partir du Moyen-Age comme une espace à exploiter, Dieu ordonnant à l’homme, l’être au centre du monde selon la Bible, de peupler et dominer la terre. 

La désacralisation de la nature est concrétisée par le philosophe Descartes qui, au XVIIe siècle, invite l’homme dans le Discours de la méthode à se rendre maître et possesseur de celle-ci. Les deux révolutions industrielles au XIXe siècle ne se soucient guère de la nature ; au contraire, l’environnement est vu comme un vaste réservoir de matières premières que l’homme doit extraire et exploiter afin de produire l’énergie et les composants nécessaires à la production. Le positivisme, défendu par des philosophes comme Auguste Comte, a pour moteur le progrès scientifique, la connaissance de la nature, mais souvent au détriment de l’environnement.

C’est à partir des années 1970 qu’une conscience de la nécessaire protection de l’environnement émerge peu à peu. La croissance économique s’essouffle avec la fin des Trente Glorieuses suite aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Les premières conséquences négatives du productivisme apparaissent, comme l’illustrent des catastrophes écologiques tels la pollution par du mercure de la baie de Minamata au Japon dans les années 1950, le nuage de dioxine s’échappant d’une usine chimique à Seveso en Italie en 1976, la marée noire dans le Golfe du Mexique en 1979 ou encore l’accident dans la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986.

A cela s’ajoutent l’épuisement progressif des gisements de matières premières, comme le pétrole, dont le stock devrait être écoulé d’ici à 2100 selon certaines prévisions, et la déforestation liée à l’exploitation massive des forêts, entraînant une perte significative de biodiversité.

L’un des principaux effets de l’activité humaine et l’un des plus néfastes pour l’environnement est le réchauffement climatique qui s’opère depuis plus de 150 ans. Depuis 1861, la température mondiale a globalement augmenté de 0,6 degré, entraînant la perte d’écosystèmes entiers, la fonte des glaciers et la montée du niveau de la mer, en plus d’intensifier la fréquence des cyclones et autres tempêtes. Des projections prévoient une hausse de 6 degrés si aucune mesure n’est prise d’ici 2100. Le réchauffement climatique est principalement dû à l’émission massive de gaz à effets de serre comme le dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, en constante hausse. 

Le concept de développement durable s’est donc imposé à nos sociétés post-industrielles. Il s’agit d’un développement consistant à générer une production justement répartie au sein de la population et respectueuse de l’environnement, dans le souci notamment de préserver les générations futures de dégradations irréversibles de ce dernier.

Ces constats alarmants ont permis aux mouvements écologiques, jusqu’alors marginaux, de se consolider. Dans les années 1980, les partis politiques « Verts » se structurent en Allemagne (« Die Grünen ») et en France (aujourd’hui « Europe Ecologie Les Verts ») et se multiplient dans des pays où ils étaient jusque-là inconnus. L’écologie devient une préoccupation de la société relayée par certains politiques mais aussi par des associations internationales indépendantes comme Greenpeace, qui militent pacifiquement pour protéger l’environnement et la biodiversité.

Le modèle économique fondé sur la consommation de masse est-il compatible avec la préservation de l’environnement ?

A cette question, l’avocate spécialisée dans la protection de l’environnement et ancienne ministre de l’environnement entre 1995 et 1997 Corinne Lepage répond positivement. Il serait possible de concilier croissance et écologie, à condition d’investir dans des projets dits « verts ». Par exemple, la Norvège, riche de son exploitation du pétrole et du gaz, « s’inscrit pleinement dans le système capitaliste et passe pourtant pour l’un des plus vertueux par ses choix d’investissements non productivistes ». La croissance devrait surtout être réorientée, en faveur de la transition écologique et au service de l’environnement.

Une autre solution, plus radicale, consisterait pour tous les pays industrialisés à diminuer considérablement leur consommation et leurs investissements productifs afin d’arriver à un stade de « croissance zéro », voire de « décroissance ». En effet, dans un contexte où les ressources sont limitées, parler de croissance infinie serait une aberration pour certains. Au XXe siècle, Kenneth Boulding s’amusait à dire à ce sujet que « celui qui croit à une croissance exponentielle infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». 

Néanmoins, Corinne Lepage indique, à ce sujet, que « prôner la décroissance à l’échelle planétaire paraît compliqué alors que la population mondiale ne cesse d’augmenter – de 7,5 milliards aujourd’hui à 10 milliards en 2050 – et que les pays du Sud ont des besoins colossaux ». La mise en place d’une décroissance permettrait, certes, de mieux préserver la nature mais, en contrepartie, le niveau de vie moyen mondial pourrait même diminuer, compte tenu de l’accroissement démographique. Il serait difficile de se passer de toutes les innovations technologiques des siècles derniers, basées sur l’électricité (produite soit à partir de centrales thermiques émettrices de CO2, soit grâce à des centrales nucléaires dont le stockage des déchets radioactifs pose problème), ou sur le pétrole, encore nécessaire dans bien des secteurs de l’économie. Le respect d’une croissance zéro mettrait fin aux espoirs des pays en développement (PED) et des pays les moins avancés (PMA) d’accéder, un jour, à la société de consommation.

Le PDG de l’entreprise Veolia Antoine Frérot défend, lui aussi, l’idée de la compatibilité entre le développement économique et le respect de l’environnement, « à condition d’être raisonnable et de trouver les bons compromis pour soutenir les deux objectifs ». Il prend les exemples des pluies acides et de l’élargissement du trou dans la couche d’ozone qui inquiétaient le monde entier il y a quelques années. Or, ces problèmes ont été résolus grâce à « une réglementation adaptée et des solutions techniques ». Dans un élan d’optimisme, Antoine Frérot affirme qu’« une régulation efficace, les progrès des connaissances, le développement technique, plus de sobriété et moins de gaspillage permettront de trouver la solution au changement climatique ». 

La réglementation, mentionnée par ce PDG, constitue, avec la fiscalité et les « droits à polluer », l’un des trois grands instruments possibles pour protéger le climat. Il s’agit d’un ensemble de lois votées par les gouvernements afin de freiner les externalités négatives (dégâts causés par la pollution des usines par exemple), comme l’interdiction pure et simple du rejet de certains gaz nocifs, l’obligation de se doter de pots d’échappement catalytiques, etc.

La taxation des externalités négatives (ou subvention des externalités positives, par exemple dans le cadre du principe de bonus-malus économique pour l’achat de véhicules plus ou moins polluants) et la mise en place de marchés de quotas d’émission constituent les deux autres instruments de la politique climatique actuelle. Ce dernier instrument revient à « distribuer » des quotas d’émission aux entreprises nationales, après détermination d’une quantité maximale d’émission de CO2 à l’échelle du pays, quota que ne devra pas dépasser l’entreprise à moins de payer une amende à l’Etat (qui servira en outre à financer la transition énergétique) ou d’acheter d’autres quotas à des entreprises ne « dépensant » pas tous les leurs. 

Les Etats restent en général libres de choisir les instruments destinés à atteindre leurs objectifs. Les quantités maximales d’émissions autorisées ou souhaitables, quant à elles, sont définies lors de grands sommets internationaux du climat, comme celui à Rio en 1992 ou, plus récemment, la COP 21 en 2015, durant laquelle 195 pays se sont réunis à Paris. Les gaz à effet de serre contribuent au réchauffement climatique de la planète, quel que soit leur lieu d’émission. Plus généralement, de plus en plus de pays se rendent compte qu’avec la mondialisation, toute dégradation à un endroit de la Terre peut entraîner des conséquences irréversibles à l’autre bout de la planète ; dès lors, une internationalisation de la préoccupation environnementale s’impose.

Les limites matérielles à la croissance.

Si le problème de la pollution atmosphérique et environnementale pourrait être  réglé par une bonne coordination des politiques à l’échelle internationale, la question de la limitation et de l’épuisement des ressources demeure non résolue. Ce problème n’a pas lieu d’être selon les partisans de la « faible soutenabilité » qui affirment que les différents types de capitaux utilisables dans les processus de production sont substituables. Ainsi, la diminution du capital naturel et l’épuisement des matières premières non-renouvelables pourraient être palliés par l’émergence des nouvelles technologies, du moment qu’il existe des cerveaux pour les imaginer (capital humain), des fond pour les financer (capital financier), des moyens pour les produire (capital physique) et des lois pour encadrer les comportements (capital institutionnel). 

Par ailleurs, le développement économique irait de pair avec la tertiarisation des économies et donc de moindres besoins en ressources naturelles. La courbe de Kuznets illustre ce point de vue : les pays commencent par fortement polluer quand ils s’industrialisent, ce qui aboutit, à terme, au développement du secteur tertiaire et contribue ainsi à diminuer le niveau de pollution. La solution au problème climatique serait donc la croissance, car elle conduit à des économies moins polluantes, que ce soit grâce à la technologie ou parce qu’elle se traduit finalement par le passage à une société post-industrielle ou post-matérialiste.

Cependant, la substituabilité des capitaux ne fait pas consensus chez les économistes. Les partisans de la « forte soutenabilité » émettent l’hypothèse que les quatre capitaux énoncés plus haut ne sont pas substituables, mais complémentaires. Il serait donc indispensable de tous les préserver, surtout le capital naturel. Pour ce faire, il conviendrait de laisser le temps aux ressources renouvelables de se régénérer, tout en en gardant certaines intactes, comme la forêt amazonienne. 

Cette divergence des idées entre défenseurs de forte et de faible soutenabilité peut être illustrée par l’exemple des ressources halieutiques : alors que les premiers insistent sur la nécessité de laisser le temps aux poissons de se reproduire, les seconds rétorquent que, malgré la surpêche, la biodiversité marine pourra être préservée grâce à la pisciculture, une exploitation plus productive mais aussi plus respectueuse de l’environnement. Les partisans de la forte soutenabilité prônent ainsi la décroissance (ou, tout du moins, un arrêt de celle-ci) pour préserver le capital naturel, solution pour l’instant rejetée par la totalité des Etats, tant les conséquences sur l’économie et le bien-être des citoyens se révéleraient catastrophiques. 

De même, les tendances liées à la tertiarisation donnent lieu à des analyses divergentes. De grands Etats extrêmement peuplés, comme la Chine et l’Inde, sont encore en phase d’industrialisation. Il faudrait plusieurs planètes si l’on voulait que tous les habitants de la terre aient les mêmes mode et niveau de vie que les Occidentaux actuels. Il semble donc impossible d’attendre que tous les pays émergents rattrapent leur retard sur les Etats aujourd’hui les plus développés et que leur croissance devienne, comme la leur, moins consommatrice de ressources. En outre, des études plus approfondies ont montré qu’en réalité, la croissance de ces Etats s’accompagnait toujours d’une augmentation de l’utilisation des ressources naturelles, une fois pris en compte leurs importations (notamment en raison de la délocalisation d’industries polluantes).

Les difficultés liées aux différents instruments de préservation de l’environnement.

La réglementation des activités productives par le biais des quotas, des normes techniques et des interdictions peut difficilement être généralisé dans une économie mondialisée. Les normes environnementales et leurs sanctions financières en cas de non-respect qui pèsent sur les industries des pays développées vont, par conséquent, les rendre moins compétitives et les amener à perdre des parts de marché au profit d’entreprises provenant de pays émergents comme la Chine qui, elles, n’ont pas à s’adapter aux normes pour vendre sur le territoire. 

Le système de taxation sur les nuisances environnementales risque soit d’avoir trop peu d’effet sur les agents économiques, soit de décourager l’activité s’il est trop contraignant. Enfin, si les quotas ont un prix trop faible sur le marché des quotas d’émission, ils n’auront aucun effet dissuasif, puisqu’il sera plus rentable pour les entreprises d’acheter des quotas pour polluer davantage plutôt que d’augmenter leurs coûts de production afin de se plier aux règles. 

Chaque instrument, ayant ses avantages, mais aussi ses limites, est donc complémentaire : ainsi, pour l’automobile, les constructeurs dépendent d’une forme de marché de quotas, mais la réglementation leur impose aussi certains matériaux recyclables, alors que les acheteurs voient leur dépense modifiée par le bonus/malus.

Nous en arrivons donc à la conclusion suivante : si une « décroissance » paraît inenvisageable, tout l’enjeu pour les gouvernements en place consiste alors à se concerter lors de sommets annuels afin de définir les grandes lignes de la politique climatique et écologique à mener, qu’ils appliqueront ensuite à l’échelle nationale en combinant les différents instruments mis à leur disposition. Nombreux sont les experts qui s’accordent à dire que la croissance demeure compatible avec la préservation de l’environnement, tant que l’exploitation des ressources est maîtrisée, la pollution limitée et réglementée et les quatre principaux types de capitaux, qu’ils soient complémentaires ou substituables, dans l’ensemble, préservés. 

Le nombre de pays à adhérer à la préoccupation écologique ne cesse de croître, même si le principal pollueur mondial que sont les Etats-Unis de Donald Trump paraissent aujourd’hui moins sensibles à cette cause qu’il y a quelques années et que la Chine, en pleine industrialisation, continue d’émettre une quantité très importante de CO2 dans l’atmosphère depuis ses usines à charbon. 

Il convient enfin de rappeler que le comportement écologique est également individuel et citoyen. Eteindre la lumière en quittant une pièce, ne pas gaspiller l’eau, privilégier les transports publics constituent autant d’actions quotidiennes qui font de nous des éco-citoyens et qui, multipliés à grande échelle, préparent un avenir meilleur pour les générations futures.