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ARTICLE – L’ESPACE EUROPÉEN DES DONNÉES DE SANTÉ (EEDS) : QUELS ENJEUX ET QUELS BÉNÉFICES POUR LES SYSTÈMES DE SANTÉ EUROPÉENS  ? 

Par Andrea Le Nigen, étudiant en droit public à Paris Saclay

Malgré les avancées de la santé numérique en Europe, les données de santé demeurent fragmentées, cloisonnées entre États membres et parfois difficilement exploitables par les professionnels, les patients ou les chercheurs. Cette fragmentation génère une perte d’efficacité et un frein à l’innovation médicale et pharmaceutique.  

C’est pour répondre à cet ensemble de limites que l’Union européenne a adopté en février 2025 le règlement instituant l’Espace européen des données de santé (EEDS), première déclinaison sectorielle de la stratégie européenne des données, entré en vigueur le 26 mars dernier. 

Le règlement sur l’espace européen des données de santé s’applique s’applique dans le cadre de l’utilisation primaire comme secondaire des données :

  • D’une part, l’utilisation primaire des données de santé s’applique aux données personnelles. Ces données relèvent de deux catégories définies par le règlement général sur la protection des données (RGPD) : (i) les données concernant la santé (santé physique ou mentale d’une personne physique) (ii) les données génétiques (relatives aux caractéristiques génétiques héréditaires ou acquises d’une personne physique qui communiquent des informations sur sa physiologie ou sur son état de santé). 
  • D’autre part, l’utilisation secondaire des données de santé relève d’un partage à des fins d’intérêt général (recherche scientifique, innovation, développement technologique), tout en excluant certaines utilisations (activités de publicité ou de marketing). Ce régime couvre un large spectre de données : données à caractère personnel et non-personnel, données protégées par le secret des affaires…  

Le règlement EEDS poursuit les objectifs de garantie aux citoyens un accès transfrontalier effectif à leurs données de santé électroniques et d’harmonisation au niveau européen les règles de partage des données de santé. Ce règlement nécessitera en France un certain nombre d’adaptations législatives et règlementaires, dans la mesure où il laisse des marges de manœuvre aux États membres de l’Union européenne, tout en prévoyant certaines obligations, nécessitant des ajustements avant le printemps 2027.   

La mise en œuvre intégrale du règlement s’effectuera en plusieurs étapes, jusqu’en mars 2034 :  

  • Mars 2025 : entrée en vigueur et début de la période de transition 
  • Mars 2027 : la Commission doit avoir adopté plusieurs actes d’exécution clés fixant des règles détaillées pour la mise en œuvre opérationnelle du règlement 
  • Mars 2029 : des parties importantes du règlement EDHS entrent en application, y compris, pour une utilisation primaire, l’échange du premier groupe de catégories prioritaires de données de santé au sein des États membres de l’UE (dossiers de patients, ordonnances électroniques…) 
  • Mars 2031 : pour une utilisation primaire, l’échange du deuxième groupe de catégories prioritaires de données de santé sera normalement opérationnel au sein des États membres de l’UE (images médicales, résultats de laboratoire, rapports de sortie d’hôpital). Les règles relatives à l’utilisation secondaire s’appliqueront à d’autres catégories de données (données génomiques) 
  • Mars 2034 : les pays tiers et les organisations internationales pourront demander à participer à HealthData@EU pour une utilisation secondaire.  

L’édification d’un espace européen des données de santé est l’aboutissement d’une volonté affichée par l’Union européenne depuis l’adoption le 19 février 2020 d’une stratégie européenne sur les données visant à faire de l’Union la première puissance mondiale dans l’exploitation des données à caractère personnel et non-personnel générées par les secteurs économiques et sociaux européens. Les buts d’une telle initiative sont doubles : 

  • D’une part, renforcer l’économie européenne en favorisant l’innovation et la création de valeur fondée sur le partage de données. 
  • D’autre part, développer l’IA pour favoriser l’autonomie numérique de l’Union européenne. 

Cependant, la mise en œuvre soulève des enjeux de gouvernance, de financement et de confiance citoyenne. En outre, ce règlement nécessitera en France et dans les autres États membres un certain nombre d’adaptations législatives et règlementaires, dans la mesure où il laisse des marges de manœuvre, tout en prévoyant certaines obligations, nécessitant de réaliser des ajustements avant le printemps 2027.  

Dès lors sur quels fondements peut-on affirmer que l’établissement d’un espace européen des données de santé est bénéfique à l’Union européenne et pour ses acteurs (patients, entreprises, chercheurs) ? 

Si l’espace européen repose sur des objectifs d’efficience et d’harmonisation du système de santé (I), son déploiement nécessite une adaptation à l’échelon national (II).

I. DES OBJECTIFS D’EFFICIENCE ET D’HARMONISATION DU SYSTÈME DE SANTÉ 

L’EEDS génère des bénéfices dans les systèmes de santé à la fois au service du médecin européen et du patient européen (A), mais aussi grâce à un cadre réglementaire incitatif et sécurisé qui soutient l’innovation (B). 

A) UNE POLITIQUE NUMÉRIQUE FAVORISANT À LA FOIS L’EFFICACITÉ DES MÉDECINS ET L’AUTONOMIE DES PATIENTS 

L’espace européen des données de santé, tel que défini par le règlement européen adopté en 2025, vise à « transformer les soins de santé grâce aux données ». Il aura également pour effet de permettre un usage secondaire des données à plusieurs fins : recherche, innovation, politique publique.  

La Commission estime qu’il permettra une économie d’environ 11 milliards d’euros en dix ans, grâce à l’accès et à l’échange accrus de données médicales. Ces économies se répartissent en deux volets : 5,5 milliards via l’amélioration de la consultation et de la transmission des données de soins, et 5,4 milliards grâce à la valorisation des données pour la recherche et l’innovation. Les hôpitaux devraient notamment réaliser d’importantes économies en évitant des examens redondants et en optimisant les parcours de soins. À titre d’exemple, la Commission souligne qu’avec l’EEDS la réduction des examens doublons « allègera la charge des patients et réduira les coûts des soins » et que l’efficacité des services de santé s’en trouvera améliorée. 

Pour ce qui relève des professionnels de santé et des patients, les médecins disposeront d’un accès plus rapide et plus facile aux dossiers médicaux de leurs patients, y compris transfrontaliers, réduisant ainsi « considérablement la charge administrative ». Par exemple, un ressortissant d’un État membre de l’Union européenne qui tomberait malade sera habilité à consulter en temps réel son dossier médical (vaccinations, ordonnances, antécédents) via l’infrastructure MaSanté@UE (MyHealth@EU). En France, l’Agence du Numérique en Santé a déjà déployé le service Sesali.fr qui permet aux professionnels d’accéder à la synthèse médicale européenne d’un patient (via les points de contact nationaux). 

Ces mesures accroissent la continuité des soins et évitent aux médecins de requérir des examens ou anamnèses répétitifs. Les patients eux-mêmes gagnent en autonomie : ils auront un accès gratuit et direct à leurs données électroniques, avec la possibilité d’ajouter des informations, de restreindre ou de suivre l’accès à certaines données, et même de s’opposer à l’utilisation secondaire de leurs données. 

B) UNE POLITIQUE NUMÉRIQUE ENCOURAGEANT LA RECHERCHE ET D’INNOVATION MÉDICALE 

L’accès à de grands volumes de données harmonisées bénéficiera aux chercheurs et aux industries pharmaceutiques/biotech. Un registre européen centralisé (« HealthData@EU ») sera mis en place pour les données pseudonymisées et anonymisées, facilité par un catalogue européen unifié. Les chercheurs disposeront ainsi d’un accès « plus économique » à des données de haute qualité pour des études multicentriques. 

Le projet pilote HealthData@EU (cofinancé par EU4Health et coordonné par le Health Data Hub) a d’ores et déjà testé trois cas d’usage internationaux :  

  • Résistance antimicrobienne par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC)  
  • Signatures génomiques des cancers par ELIXIR 
  • IA pour les maladies métaboliques par les universités d’Helsinki et Bordeaux, etc. 

Ces expérimentations confirment que l’accès harmonisé aux données accélérera la recherche. Le Health Data Hub note d’ailleurs une dynamique de +60% du nombre de projets aidés en 2024, incluant hôpitaux, laboratoires universitaires et industriels, grâce à la simplification des démarches d’accès. La France est pionnière en la matière avec son système national des données de santé (SNDS), créé en 2016 avec la loi de modernisation de notre système de santé, qui visait à permettre de chaîner : 

  • Données de l’assurance maladie (données déjà disponibles) 
  • Données des hôpitaux (données déjà disponibles) 
  • Causes médicales de décès (données en cours d’alimentation) 
  • Données relatives au handicap (commencent à être reçues par la Caisse nationale d’assurance maladie) 
  • Échantillon de données en provenance des organismes d’assurance maladie complémentaire 

De plus, l’espace européen des données de santé impose aux éditeurs de dossiers médicaux électroniques et aux fabricants de dispositifs médicaux connectés d’obtenir un marquage CE, marquage sur lequel le fabricant engage sa responsabilité sur la conformité aux exigences essentielles du produit et peut le faire commercialiser, fondé sur des critères stricts d’interopérabilité et de traçabilité. Cette certification harmonisée offre aux entreprises un « accès à de nouveaux marchés » au sein d’une Europe à standards unifiés.  

Les industriels de technnologie en santé (MedTech), ainsi que les portails numériques, pourront concevoir leurs produits sur des bases de données paneuropéennes anonymisées, accélérant R&D et validation clinique. Par exemple, cet ensemble de mesures permettrait une croissance de 20 à 30%. En France, l’essor des plateformes de téléconsultation, dont le marché est estimé à 7,5 milliards de dollars d’ici 2025, dépendra désormais du respect des normes EEDS (interopérabilité, cybersécurité). 

L’espace européen des données de santé crée ainsi simultanément une obligation de conformité accrue pour les entreprises (modules DMP « dossier médical partagé », génériques bien-être labellisés, ORAD « organismes responsables de l’accès aux données de santé » contrôlant les accès) et des opportunités de marché nouvelles (données cliniques à grande échelle, expansion européenne) 

Plusieurs initiatives illustrent déjà ces effets. Outre HealthData@EU, la France pilote MaSanté@UE par le service Sesali. Le Health Data Hub, dans le cadre de l’appel à projets,  fait participer à des projets d’IA appliquée en santé (projet Partages) mobilisant des données massives pour l’analyse prédictive plusieurs partenaires nationaux, comme l’Institut Curie, qui met en œuvre des outils d’IA afin de répondre aux enjeux de la recherche et plus spécifiquement en oncologie.  

De même, le système national de données de santé (SNDS) a élargi son catalogue avec 12 nouvelles bases en 2024, améliorant les possibilités d’analyse intégrée. Au niveau européen, les dispositions interopérables de l’EEDS faciliteront le partage sécurisé des données de soins (dossier patient, ordonnance, imagerie) entre 27 pays. Au total, l’EEDS optimise l’utilisation directe des données pour la prise en charge des patients et la planification des soins, tout en créant des gains mesurables d’efficacité pour les systèmes de santé. 

II. LES OBLIGATIONS TECHNIQUES ET JURIDIQUES IMPOSÉES AUX ÉTATS MEMBRES 

A) DES MODIFICATIONS IMPOSÉES (SERVICES NATIONAUX D’ACCÈS AUX DONNÉES DE SANTÉ ET RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DES DONNÉES) ET DES MARGES DE MANŒUVRE LAISSÉES AUX ÉTATS (ORGANISATION INTERNE ET MODALITÉS D’APPLICATION) 

Le règlement sur l’espace européen des données de santé impose aux États membres un ensemble d’obligations techniques et juridiques nouvelles. Il est directement applicable, mais introduit des dispositions novatrices nécessitant des adaptations du droit et des systèmes nationaux. Il convient à cet égard de rappeler la distinction classique en droit de l’Union européenne entre les règlements, directement applicables dans les États membres après leur entrée en vigueur et ayant donc force immédiate, et les directives, qui doivent d’abord faire l’objet d’une transposition en droit national avant de devenir applicable au sein des États membres.  

En France, cela implique d’entreprendre un certain nombre de modifications dans le droit interne, notamment législatives (Code de la santé publique, RGPD, bioéthique, etc.) et les infrastructures numériques existantes (par exemple « Mon Espace Santé »/DMP) pour les aligner sur les normes européennes. 

L’espace européen des données de santé impose l’adoption de formats normalisés communs (techniques et sémantiques) pour les dossiers médicaux électroniques (DME) et autres données de santé, afin d’assurer un échange sécurisé et harmonisé entre États. Les éditeurs de logiciels de santé devront notamment obtenir un marquage CE spécifique et se soumettre à des procédures d’auto-certification pour garantir l’interopérabilité et la traçabilité des accès. 

Chaque État doit mettre en place un service national d’accès aux données de santé électroniques (article 4 EHDS). En France, ce service existe partiellement sous le nom « Mon Espace Santé », qu’il faut faire évoluer pour répondre aux exigences de l’EHDS. Par exemple, la participation de la France à l’infrastructure européenne MaSanté@UE (MyHealth@EU) deviendra obligatoire pour l’échange transfrontalier des données prioritaires (synthèses médicales, prescriptions, etc.) via les points de contact nationaux. 

De plus, avec ce règlement la gouvernance numérique apparaît comme renforcée. Ainsi, Chaque État doit désigner une Autorité nationale de santé numérique et une Autorité de surveillance du marché pour garantir l’application du règlement. Ces organismes seront chargés de contrôler la conformité des systèmes d’information de santé (interopérabilité des DME, sécurité des données) et d’organiser la certification CE des logiciels et dispositifs médicaux interconnectés. 

Par ailleurs, le cadre européen harmonise la réutilisation des données de santé à des fins de recherche. Il impose aux détenteurs de données (hôpitaux, laboratoires, etc.) de mettre à disposition certaines données anonymisées ou pseudonymisées dans un environnement sécurisé. Les États doivent aussi instituer un ou plusieurs Organismes Responsables de l’Accès aux Données (ORAD, ou Health Data Access Body) pour instruire les demandes (« data permits ») et autoriser les accès. 

Le règlement renforce les droits des citoyens sur leurs données de santé (accès, portabilité, contrôle, etc.), au-delà des dispositions du RGPD. Les États doivent garantir l’exercice de ces droits (possibilités d’opt-out, accès d’urgence « break the glass », informations sur l’utilisation des données) et prévoir les sanctions en cas de non-respect, en cohérence avec le nouveau cadre européen. 

S’il est vrai que le règlement EEDS insiste lourdement sur l’interopérabilité et sur la sécurité, il insiste moins sur l’éthique du recours secondaire aux données.  

Des inquiétudes relatives à l’éthique médicale émanent des citoyens mais également des médecins des États membres de l’Union européenne : le 9 novembre 2022, le Comité permanent des médecins européens, représentant de toutes les associations médicales des États membres, a donné son avis sur la proposition de la Commission européenne relative à l’EEDS, en soulignant l’importance de l’éthique médicale et de la compétence nationale.  

Le Comité permanent des médecins européens (CPME), tout en se félicitant que les citoyens européens aient désormais un meilleur contrôle sur leurs données de santé, a donc appelé la Commission à laisser une marge de manœuvre nationale aux structures existantes dans les États-membres en ce qui concerne les garanties éthiques : exigences quant à l’utilisation « secondaire » des données de santé, obligation d’obtention du consentement des patients avant utilisation des données, appel systématique à ces comités d’éthique.  

Le règlement relatif à l’espace européen des données de santé comporte néanmoins des options laissées aux États membres pour ce qui relève de sa mise en œuvre concrète. Autrement dit, si le socle européen fixe des principes contraignants, chaque pays conserve des choix sur l’organisation interne, l’étendue des obligations et les modalités d’application. 

Chaque État décide librement de la structure de ses organismes d’accès aux données de santé. Le règlement autorise la désignation de plusieurs ORAD (guichets uniques nationaux) si nécessaire, avec l’obligation de nommer un ORAD « coordinateur » lorsque plusieurs entités sont créées. La France doit encore arbitrer la question (CNIL, Plateforme de données de santé ou nouvelle entité), mais ce choix relève du niveau national. 

Le texte fixe des catégories minimales de détenteurs et de données concernées, mais les États peuvent étendre leur champ. Par exemple, l’espace européen des données de santé ne rend pas obligatoires les obligations de partage pour les individus et microentreprises, mais un pays peut décider d’inclure ces acteurs dans le dispositif. De même, chaque État a la liberté d’ouvrir la liste des catégories de données éligibles à la réutilisation au-delà du socle défini. En France, la concertation prévoit pour l’instant de rester sur la liste de base, mais la marge existe. 

En effet, l’article 99 du règlement laisse aux États membres le soin de définir les sanctions et procédures en cas de non-conformité. En pratique, la France pourra fixer, par son droit interne, les peines (ex. montants) et l’autorité compétente (CNIL, Agence du numérique en santé…) pour sanctionner les manquements au règlement, dans les limites du cadre européen. De même, le texte précise simplement que la CNIL et l’ORAD (organisme responsable de l’accès aux données) coopéreront : leur coordination opérationnelle reste à organiser au niveau national. 

B) QUELQUES PISTES D’AMÉLIORATION DU RÈGLEMENT EEDS 

Un enjeu pourtant extrêmement important, n’a pas été abordé par le règlement prévoyant la création de l’EEDS. En effet, il s’agit de la souveraineté des serveurs d’hébergement des données, partagés à des fins d’utilisation secondaire (recherche, innovation, santé publique). 

La France impose d’obtenir, y compris pour les acteurs du marché étranger désireux de proposer leurs services d’hébergement (exemple des acteurs Cloud américains comme Microsoft Corporation qui héberge la plateforme de données de santé Health Data Hub et Amazon), pour une période de 3 ans renouvelable, une certification HDS (hébergeur de données de santé), afin de renforcer la protection des données de santé et d’accentuer la confiance autour de l’E-Santé et des modalités du suivi des patients.  

La Commission européenne classifie certains pays comme ayant un niveau de protection « adéquat », c’est-à-dire avec un niveau de protection équivalent au RGPD. Le 10 juillet 2023, la Commission a classifié les États-Unis comme faisant partie des pays adéquats, malgré un fort risque d’ingérence. Il est reproché aux hébergeurs Cloud américains de permettre aux autorités de leur pays d’accéder et de capter les données de santé des citoyens européens (lois américaines FISA et Cloud ACT). Cette décision pose donc la question de la préservation de la souveraineté dans un contexte où les citoyens se sentent de plus en plus concernés par la défense de leurs données de santé et par leur droit à la protection. 

Ce constat doit appeler une position plus vigilante de la part de la Commission. Pourrait être envisagée une proposition allant dans le sens des préoccupations des populations sur l’usage fait de leurs données à caractère personnel. Cette proposition à l’encontre des prestataires extra-européens qui se rendraient coupables d’ingérences alors même qu’elles bénéficieraient en France d’une certification HDS (ou équivalent dans les autres États membres) pourrait être formulée en tant qu’extension du règlement EEDS en conseil de l’Union européenne en vertu de l’article 114 du TFUE, afin d’harmoniser les législations des États membres et permettre le bon fonctionnement du marché intérieur.  

À l’échelle européenne, la CNIL a souligné, dans un article du 19 juillet 2024, les risques d’une certification européenne permettant l’accès des autorités étrangères aux données sensibles. Elle ne permettrait plus aux fournisseurs de démontrer qu’ils protègent les données stockées contre tout accès par une puissance étrangère, contrairement à la qualification SecNumCloud en France.  

La CNIL estime qu’une protection renforcée s’impose pour le traitement des données les plus sensibles (données de santé) pour lesquels les données de l’Union européenne ne devraient pas être soumises à un risque d’accès non autorisée, et s’inquiète que la possibilité de s’assurer que l’hébergeur des données n’est pas soumis à une législation extra-européenne ne figure plus dans le projet de certification européenne de cybersécurité du cloud EUCS piloté par l’Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité (ENISA), même dans les niveaux de certification les plus élevés, et même à titre optionnel. Face à cette absence de cadre visant à protéger les droits et libertés fondamentaux, la CNIL recommande de recourir à un prestataire fiable uniquement soumis au droit européen.  

Il serait pertinent de prendre comme base sa proposition pour suggérer une extension du règlement EEDS : inclusion optionnelle de critères d’immunité aux lois extra européennes au sein du schéma de certification européen EUCS dans le but de garantir la plus haute protection possible des traitements de données personnelles les plus sensibles pour les acteurs industriels européens.  

La fiscalité du transport aérien en France : entre héritage historique, urgence écologique et réformes à venir

Par Giovanni Diassise, étudiant en parcours recherche à Sciences Po

Pivot des échanges internationaux et de l’intégration des espaces de mondialisation, le transport aérien bénéficie d’un régime fiscal privilégié. Héritées de conventions internationales et d’arbitrages politiques nationaux, ces exonérations fiscales, notamment sur le kérosène et la TVA, apparaissent aujourd’hui de plus en plus anachroniques à l’heure de la crise climatique et des contraintes budgétaires de l’État. La question de la fiscalité aérienne s’impose donc dans le débat public, révélant une tension entre compétitivité économique, justice sociale et transition écologique.

1. Héritage historique et cadre juridique

L’exonération de taxe sur le kérosène trouve ses origines dans la Convention de Chicago de 1944, qui interdit aux États d’imposer des taxes sur le carburant aérien destiné aux vols internationaux. Cette disposition, adoptée dans un contexte d’essor du transport aérien et de volonté d’encourager la coopération internationale, visait à harmoniser les règles et à éviter les distorsions de concurrence entre pays. En Europe, cette orientation a été reprise par une directive de 20031 relative à la taxation de l’énergie, qui interdit en principe toute taxation du kérosène pour les vols internationaux, mais laisse aux États la possibilité de taxer les vols domestiques si ceux-ci le souhaitent2. En France, l’exonération totale des accises sur les carburants pétroliers (ex taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, TICPE) a été maintenue pour l’ensemble de l’aviation civile commerciale, y compris pour les vols intérieurs3

À cela s’ajoute une politique de TVA différenciée : les vols internationaux et intra-européens sont soumis à un taux nul, tandis que les vols domestiques ne supportent qu’un taux réduit de 10 %, bien en deçà du taux normal de 20 % appliqué à la majorité des biens et services4

En parallèle, quelques taxes spécifiques existent. La taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), instituée par la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 et dont le barème a été renforcé par la loi de finances pour 2025, finance notamment les infrastructures de transport et certaines politiques internationales de santé (Unitaid). La taxe de l’aviation civile (TAC), créée par la loi n° 98-1267 du 30 décembre 1998 de finances rectificative pour 1998 et codifiée dans le Code des transports, contribue quant à elle au financement des services publics liés à la sécurité et à la sûreté aérienne5.

2. Un régime fiscal avantageux mais coûteux

L’architecture actuelle confère au secteur aérien des avantages considérables. Le manque à gagner pour les finances publiques est évalué à près de 6,1 milliards d’euros par an en France6. Dans le détail, l’absence de TVA sur la plupart des vols représente environ 2,3 milliards d’euros, l’exonération de TICPE équivaut à 1,9 milliard d’euros, tandis que les mécanismes de quotas carbone sous-évalués ajoutent environ 900 millions d’euros de manque à gagner7. Ce régime fiscal traduit une contradiction au regard des engagements écologiques de la France et de l’UE : alors que le transport aérien est l’un des modes de déplacement les plus polluants en termes d’émissions de CO₂ par passager/kilomètre, il bénéficie d’un régime fiscal bien plus favorable que celui appliqué au transport routier ou ferroviaire. Par exemple, le diesel est taxé en France à hauteur de 0,6075 €/L via les accises, tandis que le kérosène des avions domestiques en est exempté8. Ce système a des conséquences économiques et environnementales importantes. La compétitivité-prix du billet d’avion, dynamise la demande de mobilité aérienne, accentuant l’effet rebond et retardant le transfert modal vers des solutions moins carbonées, comme le train à grande vitesse. La fiscalité aérienne entretient également une inégalité sociale, puisque ce sont principalement les catégories les plus aisées sont celles qui bénéficient du transport aérien. Le neuvième décile de revenus par ménage représente plus de la moitié des passagers aériens en France9, tandis que les coûts environnementaux et fiscaux sont supportés par l’ensemble de la collectivité10.

3. Les réformes envisagées dans le PLF 2026

Dans la loi de finances pour 2025, plusieurs ajustements fiscaux ont déjà été adoptés. La taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), en place depuis 2006, a vu son barème relevé à compter du 1ᵉʳ mars 2025, générant des recettes supplémentaires affectées aux infrastructures de transport et à certaines politiques de santé publique11. Parallèlement, la taxe de l’aviation civile (TAC) a été réévaluée afin de renforcer le financement des services de sécurité et de sûreté aérienne12. Le gouvernement Bayrou avait proposé dans son projet de loi de finances pour 2026 un ensemble de mesures inédites visant à corriger les distorsions les plus importantes13. La première consiste à supprimer l’exonération des accises sur les produits pétroliers pour les vols intérieurs. Cette mesure, rendue possible par le droit européen, permettrait de dégager environ 660 millions d’euros de recettes supplémentaires. Son impact sur les prix est estimé à environ 30 à 35 euros de hausse pour un aller simple sur un vol domestique typique, ce qui pourrait peser sur la demande, notamment dans le segment des voyages de loisirs14. En parallèle, le gouvernement envisage de doubler la TVA sur les vols domestiques, la faisant passer de 10 % à 20 %. Cette mesure rapporterait environ 170 millions d’euros supplémentaires. Pour un aller-retour Paris–Nice, le surcoût serait compris entre 13 et 26 euros selon la classe de voyage, une augmentation relativement limitée , mais symboliquement importante puisqu’elle vise à aligner la fiscalité aérienne sur celle appliquée à d’autres secteurs15. Enfin, une troisième innovation consisterait en la création d’une taxe d’un euro par passager dans les aéroports franciliens, à l’arrivée comme au départ. Ce dispositif, destiné à financer les infrastructures de transport collectif en Île-de-France, générerait environ 88 millions d’euros, fléchés vers le renforcement de l’offre ferroviaire et des interconnexions dans une logique de transition intermodale16.

Enfin, la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) a été triplée dans le cadre de la loi de finances pour 2025. Les nouveaux barèmes, applicables depuis le 1ᵉʳ mars 2025 et fixés par l’arrêté du 24 décembre 2024, portent les recettes attendues à près d’un milliard d’euros, dont environ 850 millions prélevés sur les compagnies régulières et 150 millions sur l’aviation d’affaires. Cette mesure, sans précédent depuis la création de la taxe en 2006, s’inscrit dans un mouvement de rattrapage vis-à-vis d’autres États membres, qui appliquent déjà des barèmes plus élevés sur les vols intra-européens17.

4. Les controverses et oppositions

Ces propositions ont suscité des réactions contrastées. Le secteur des compagnies aériennes et aéroports, dénoncent un « choc fiscal » susceptible de déstabiliser durablement la compétitivité française. La Cour des comptes, tout en reconnaissant la pertinence d’une réforme de la fiscalité énergétique, a néanmoins souligné le risque de pertes de parts de marché des compagnies françaises face à la concurrence internationale, estimant que des ajustements progressifs seraient nécessaires18. Selon une étude du cabinet Deloitte, le triplement de la TSBA pourrait réduire le trafic de 2 %, entraîner la suppression de 11 500 emplois et amputer de 500 millions d’euros les recettes fiscales attendues en raison de la baisse d’activité19. La Fédération nationale de l’aviation marchande (FNAM) alerte également sur le risque d’une désindustrialisation accélérée, rappelant que la part des compagnies françaises dans le trafic international est passée de 60 % à 38 % en vingt ans20. Les syndicats représentatifs du secteur aérien, tels que le SNPL (Syndicat national des pilotes de ligne) et l’UNSA Aérien, dénoncent pour leur part une menace pour l’emploi dans les aéroports régionaux et dans les filières connexes (sûreté, assistance en escale, maintenance)21. À l’opposé, les ONG environnementales saluent ces réformes comme un rattrapage attendu depuis longtemps. Le Réseau Action Climat souligne que la France reste en retard par rapport à des pays comme l’Allemagne, où la taxe sur les billets atteint 15 € pour certains vols intra-européens. Selon leurs estimations, une réforme plus ambitieuse, conforme aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat, pourrait rapporter jusqu’à 3,7 milliards d’euros par an et financer massivement la transition ferroviaire22.

Les économistes favorables à la réforme avancent également l’argument de justice fiscale : faire payer davantage un mode de transport qui profite surtout aux plus riches et qui génère des externalités négatives considérables. Ils insistent sur la nécessité d’affecter les recettes ainsi collectées à des projets visibles, comme le développement du réseau ferroviaire régional ou l’accélération de la production de carburants durables pour l’aviation (SAF)23.

5. Perspectives et scénarios pour l’avenir

Au-delà du PLF 2026, la réflexion sur la fiscalité aérienne ouvre des perspectives à moyen et long terme. L’un des axes les plus discutés concerne la suppression des vols courts lorsqu’une alternative ferroviaire existe. Prévue par la loi Climat et résilience de 2021 et entrée en vigueur avec le décret du 21 mai 2023, cette mesure interdit désormais certaines liaisons aériennes intérieures lorsqu’une alternative en train de moins de deux heures trente est disponible24. Les travaux académiques d’Anne de Bortoli montrent que la substitution de l’avion par le TGV sur des liaisons comme Paris–Bordeaux permettrait de réduire drastiquement l’empreinte carbone, avec un « retour environnemental sur investissement » en moins de dix ans. Ce résultat tranche avec la situation actuelle où, faute de mesures incitatives ou coercitives complémentaires, le retour carbone de la grande vitesse se calcule encore en plusieurs décennies25.

Les perspectives fiscales vont également dans le sens d’une taxation progressive. Plusieurs experts, parmi lesquels l’économiste britannique Andrés Gómez Martín (University College London) et le climatologue Kevin Anderson (University of Manchester), défendent l’idée d’une contribution proportionnelle au nombre de vols annuels effectués par un passager26, inspirée du modèle britannique du « frequent flyer levy » (contribution des voyageurs fréquents). Cette approche vise à cibler plus équitablement les voyageurs fréquents, qui concentrent la majorité des émissions, tout en préservant la possibilité pour les ménages modestes de voyager occasionnellement en avion27

De nouvelles initiatives apparaissent au sein de l’Union européenne. En juin 2025, lors du sommet de Séville, la France et l’Espagne se sont accordées pour mettre en place des taxes spécifiques sur les voyageurs en cabine premium et les jets privés, au nom de la justice sociale et climatique. Ce signal, inédit, s’inscrit dans une tendance plus large de responsabilisation des grands émetteurs et d’harmonisation des pratiques fiscales au sein de l’Union européenne28.

Par ailleurs, le think-tank Transport & Environment rappelle que le manque à gagner fiscal dû aux exonérations du secteur aérien atteint 34,2 milliards d’euros par an à l’échelle de l’Union, dont 4,7 milliards pour la France. Ces ressources pourraient financer l’équivalent de 1 400 km de lignes ferroviaires à grande vitesse, démontrant le potentiel d’une réallocation ambitieuse de ces fonds29

L’Association internationale du transport aérien (IATA) et l’ACI World soulignent que surtaxer le secteur pourrait réduire sa capacité à investir dans des carburants durables ou dans la modernisation des infrastructures. Elles insistent sur le risque d’une perte de compétitivité internationale et d’une fragilisation des aéroports régionaux, déjà vulnérables aux restructurations de compagnies comme Ryanair, qui a annoncé en 2025 la suppression de plusieurs bases en France suite aux à la hausse de la pression fiscale30.

Ces débats révèlent une tension profonde entre les impératifs climatiques et la réalité économique. Plusieurs scénarios sont aujourd’hui discutés dans la littérature institutionnelle et académique. La Cour des comptes, dans son rapport de 2024 sur la fiscalité de l’énergie, insiste sur l’hypothèse d’une transition modale ambitieuse, combinant interdictions ciblées de vols intérieurs et investissements massifs dans le réseau ferroviaire31. L’Observatoire français des conjonctures économiques, de son côté, privilégie une approche de fiscalité progressive, appliquée aux voyageurs fréquents et aux classes premium, couplée à des prélèvements renforcés sur l’aviation d’affaires, afin de concilier équité sociale et efficacité environnementale32. Enfin, plusieurs études commanditées par la Commission européenne avancent un scénario de compromis, fondé sur une hausse maîtrisée de la fiscalité, négociée avec les acteurs économiques, et assortie de mécanismes de compensation pour les territoires régionaux vulnérables33.

La fiscalité aérienne française illustre à quel point les compromis hérités du passé peuvent devenir des anomalies à l’épreuve des défis contemporains. Les exonérations sur le kérosène et la TVA, conçues dans un contexte d’essor du transport aérien et de concurrence internationale, apparaissent désormais difficilement justifiables face à l’urgence climatique et à la nécessité de financer la transition. Plusieurs recommandations se dégagent : aligner progressivement la fiscalité aérienne sur celle appliquée à d’autres secteurs émetteurs, flécher une partie des recettes vers le développement du réseau ferroviaire régional et la production de carburants durables (SAF), et renforcer la coopération européenne afin d’éviter toute distorsion de concurrence.

En définitive, l’avenir du transport aérien ne peut se penser indépendamment de celui des autres modes de transport. La fiscalité, loin d’être un simple instrument budgétaire, apparaît comme un levier stratégique pour orienter les comportements, corriger les inégalités et inscrire la mobilité française dans une trajectoire durable. Plus qu’une contrainte, elle pourrait devenir le catalyseur d’un nouveau pacte entre mobilité, justice sociale et transition écologique.

Notes

  1. Convention de Chicago, 1944 ; Directive 2003/96/CE, art. 14.
  2. Code des douanes, art. 265.
  3. Code général des impôts, art. 279 b quater.
  4. Cour des comptes, Les finances publiques et le transport aérien, rapport 2023.
  5. Transport & Environment, Étude sur la fiscalité aérienne en Europe, 2024.
  6. Ministère de l’Économie, DGFiP, barèmes TICPE 2025.
  7. Le Monde, « Augmenter la fiscalité de l’aérien est nécessaire », 21 oct. 2024.
  8. Air Journal, « Nouvelles taxes dans le PLF 2026 », 28 juin 2025.
  9. Voyages d’Affaires, « Fiscalité aérienne », 10 juil. 2025.
  10. PNC Contact, « PLF 2026 et taxes aériennes », 9 juil. 2025.
  11. Le Monde, « Défenseurs de l’environnement et compagnies aériennes s’écharpent… », 12 nov. 2024.
  12. Deloitte, Impact de la fiscalité aérienne sur l’emploi, 2024.
  13. Fédération nationale de l’aviation marchande, communiqué 2025.
  14. Réseau Action Climat, Note sur la fiscalité du transport aérien, 2024.
  15. Mediapart, « Qui profite de la fiscalité de l’aérien ? », 2025.
  16. De Bortoli, A., Environmental impacts of mode substitution Paris–Bordeaux, 2024.
  17. UK Committee on Climate Change, Frequent Flyer Levy Proposal, 2021.
  18. Reuters, « France, Spain among countries to agree to tax premium flyers, private jets », 30 juin 2025.
  19. Transport & Environment, Ending aviation tax exemptions, 2025.
  20. The Times, « Ryanair drops three French airports in row over tax », 2025 ; The Guardian, « Flight costs from France to rise », 12 fév. 2025.

  1. Directive 2003/96/CE ↩︎
  2. Code général des impôts, art. 279 b quater (TVA à 10 % pour le transport de voyageurs).
    https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000047809321 ↩︎
  3. Directive 2003/96/CE (fiscalité de l’énergie), art. 14 — exemptions et possibilités de taxation du carburant aérien.
    https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32003L0096 ↩︎
  4. Règlement (UE) 2023/958 modifiant la directive ETS pour l’aviation (fin de la gratuité des quotas 2024-2026, plein régime dès 2026).
    https://eur-lex.europa.eu/eli/reg/2023/958/oj ↩︎
  5. Règlement (UE) 2023/2405 « ReFuelEU Aviation » — mandats SAF et calendrier.
    https://eur-lex.europa.eu/eli/reg/2023/2405/oj ↩︎
  6. Le Monde (21 octobre 2024), « Augmenter la fiscalité de l’aérien est nécessaire… », citant les estimations de l’ONG Transport & Environment : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/21/augmenter-la-fiscalite-de-l-aerien-est-necessaire-pour-mettre-l-aviation-sur-la-piste-de-la-decarbonation_6357199_3232.html ↩︎
  7. Décret n° 2023-435 du 21 mai 2023 — interdiction de certaines liaisons aériennes intérieures en présence d’alternatives ferroviaires ≤ 2 h 30.
    https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047627654 ↩︎
  8. Légifrance — CIBS, Taxe sur le transport aérien de passagers (articles L422-20 à L422-25) — base légale de la « taxe sur les billets d’avion ».
    https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000044595989/LEGISCTA000047816124/ ↩︎
  9. Sénat – Rapport “Décarbonation du secteur de l’aéronautique” (2023) ↩︎
  10. Service-public.fr — « Taxe de solidarité sur les billets d’avion » (barèmes 2025, entrée en vigueur 1ᵉʳ mars 2025).
    https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16680 ↩︎
  11. Arrêté du 24 décembre 2024 fixant les montants de la taxe de solidarité sur les billets d’avion applicables à partir du 1ᵉʳ mars 2025, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049902595 ↩︎
  12. DGAC, « Notice sur la taxe d’aviation civile (TAC) – 2025 », disponible sur le site du ministère de la Transition écologique : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Notice_TAC_FR_2025.pdf ↩︎
  13. Air Journal, « Le gouvernement Bayrou envisage de nouvelles taxes aériennes dans son projet de loi de finances pour 2026 », 28 juin 2025, https://www.air-journal.fr/2025-06-28-le-gouvernement-bayrou-envisage-de-nouvelles-taxes-aeriennes-dans-son-projet-de-loi-de-finances-2026-5263741.html ↩︎
  14. Légifrance — Arrêté du 24 décembre 2024 fixant les montants de la taxe de solidarité pour 2025.
    https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049902595 ↩︎
  15. DGAC — Notice « Taxe d’aviation civile (TAC) — 2025 » (document de référence officiel).
    https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Notice_TAC_FR_2025.pdf ↩︎
  16. Cour des comptes — L’économie du transport aérien (rapport 2023).
    https://www.ccomptes.fr/fr/publications/leconomie-du-transport-aerien ↩︎
  17. Cour des comptes — La place de la fiscalité de l’énergie… (septembre 2024) — recommandations sur l’exonération d’accise kérosène.
    https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-09/20240906-S2024-0646-Place-fiscalite-energie-dans-politique-energetique-et-climatique-francaise_0.pdf ↩︎
  18. Ibid. ↩︎
  19. OCDE — Taxing Energy Use 2024 — comparaison internationale et « écarts de taxation » du kérosène aérien.
    https://www.oecd.org/tax/tax-policy/taxing-energy-use.htm ↩︎
  20. Transport & Environment — Ending aviation tax exemptions in Europe (chiffrage des manques à gagner).
    https://www.transportenvironment.org/discover/ending-aviation-tax-exemptions-in-europe/ ↩︎
  21. Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), Communiqué : Impact des hausses fiscales sur l’aviation française, 2025 ; UNSA Aérien, Déclaration au CSE central d’ADP, juillet 2025 ↩︎
  22. Allemagne — Ministère fédéral des Finances (BMF) : hausse de la taxe aérienne au 1ᵉʳ mai 2024 (montants par tranche).
    https://www.bundesfinanzministerium.de/Content/EN/Topics/Taxation/Articles/2024-05-01-aviation-tax.html ↩︎
  23. Pays-Bas — Gouvernement : Vliegbelasting 2024 (montant par passager).
    https://www.rijksoverheid.nl/onderwerpen/luchtvaart ↩︎
  24. Décret n° 2023-435 du 21 mai 2023 pris pour l’application de l’article 145 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique, disponible sur Légifrance : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047627654 ↩︎
  25. De Bortoli A., Feraille A., Banning short-haul flights and investing in high-speed railways for a sustainable future?, arXiv, 27 janvier 2025 (comparaison HSR vs avion Paris–Bordeaux, retour carbone en 10 ans avec interdiction).
    https://arxiv.org/abs/2502.05192 ↩︎
  26. Kevin Anderson & Broderick J., Policies for reducing CO₂ emissions from aviation, Tyndall Centre for Climate Change Research, University of Manchester, 2017 ; voir aussi Gómez Martín A., Frequent Flyer Levy: A fair and effective way to reduce aviation demand, University College London, Policy Brief, 2022. ↩︎
  27. Climate Change Committee (UK), Rich should fly less so others can go on holiday, The Times, 3 avril 2025 (proposition de frequent-flyer levy progressive).
    https://www.thetimes.co.uk/article/rich-should-fly-less-so-others-can-go-on-holiday-says-climate-chief-5fs50q7v8 ↩︎
  28. UK Climate Change Committee, Rising aviation emissions threaten UK climate targets, Financial Times, 24 juin 2025 (émissions aériennes > secteur électricité, suggestion de renforcer ETS).
    https://www.ft.com/content/7e17a8d4-064c-46f0-b4e7-84c2f5086254 ↩︎
  29. Tax on Europe’s frequent flyers could raise €64bn a year – study, The Guardian, 17 octobre 2024 (modèle d’une « jet-setter tax » Europe, baisse −21 % émissions, recettes €64 milliards).
    https://www.theguardian.com/world/2024/oct/17/tax-on-europes-frequent-flyers-could-raise-64bn-a-year-study ↩︎
  30. Can Europe’s trains compete with low-cost airlines?, Financial Times, novembre 2023 (lien HSR face à low-cost, sous-financement du rail TEN-T).
    https://www.ft.com/content/b5591361-7e10-4926-ae90-851fb5c1520d ↩︎
  31.  Cour des comptes, La place de la fiscalité de l’énergie dans la politique énergétique et climatique française, septembre 2024, p. 46-52, disponible à : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-09/20240906-S2024-0646-Place-fiscalite-energie-dans-politique-energetique-et-climatique-francaise_0.pdf ↩︎
  32. Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Rapport annuel sur l’économie française 2024 – Chapitre “Transition énergétique et fiscalité”, disponible à : https://www.ofce.sciences-po.fr/publications ↩︎
  33.  Parlement européen, Service de recherche (EPRS), “Fit for 55”: ReFuelEU Aviation and the revision of the Energy Taxation Directive, étude d’impact, 2021, disponible à : https://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document/EPRS_BRI(2021)699466 ↩︎

Comment lutter efficacement contre la précarité étudiante ?

Par Pierre Geraud, étudiant en Master Stratégies territoriales à Sciences Po

D’après une étude de la fédération des associations générales étudiantes (FAGE) de janvier 2024, un étudiant sur cinq ne mangerait pas à sa faim en France1. Les fragilités structurelles des politiques de soutien de la vie étudiante (3,2 Md d’euros pour la LF 2025) ont été particulièrement visibles pendant la crise sanitaire, alors que de nombreux étudiants ont été dépendants de l’assistance alimentaire d’associations, dans un contexte de suppression d’emplois étudiants liés à l’épidémie.

La politique de soutien à la vie étudiante mobilise différents acteurs en particulier l’Etat avec le programme 231 qui finance cette politique les universités avec des dispositifs d’accueil et d’accompagnement, les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) pour le logement et la restauration principalement, dont le réseau est piloté par le centre national (Cnous), et d’autres organismes ponctuels (associations par exemple). La complexité des multiples outils de soutien et la mauvaise coordination des acteurs engagés sur cette politique représentent des freins à l’efficacité des politiques de soutien à la vie étudiante. 

Plusieurs dispositifs concourent à résorber les difficultés qui se posent pour les étudiants et ont été renforcés :

Pour limiter la précarité étudiante, différents leviers ont été mis en place par l’État et ses opérateurs. Au premier rang de ces mécanismes figurent les bourses sur critères sociaux (BCS), qui concernent environ 700 000 étudiants sur une population globale de 3 millions en 2023. Versées sous conditions de ressources, elles constituent souvent la première source de soutien financier pour les étudiants issus de milieux modestes.  

Afin de compléter cette aide directe, des dispositifs spécifiques visent à améliorer les conditions de vie au quotidien. Le soutien au logement étudiant s’illustre avec la construction et la gestion de résidences universitaires par les Crous, tandis que la restauration universitaire (RU) propose des repas complets à tarifs subventionnés (1 € pour les boursiers et 3,30 pour les non-boursiers). L’objectif est de réduire le poids des dépenses courantes (loyer, nourriture), qui constituent l’essentiel du budget d’un étudiant. Ces dispositifs (dotations aux bourses, subventions versées aux Crous) sont financés par le programme 231.  

Depuis 2018, une évolution majeure est intervenue avec la création de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Payée chaque année par les étudiants non boursiers, elle a pour vocation de financer des actions destinées à améliorer la qualité de vie sur les campus (culture, activités sportives, accompagnement social).  

L’instauration de cette contribution a par ailleurs coïncidé avec le rattachement des étudiants au régime général de sécurité sociale, permettant aux intéressés de réaliser des économies notables sur leurs cotisations (auparavant destinées aux mutuelles étudiantes). Selon la Cour des comptes2, cette réforme a globalement accru le pouvoir d’achat des étudiants et facilité leur accès aux soins.  

Enfin, il peut être souligné que les étudiants peuvent également bénéficier d’autres prestations sociales, non spécifiques (i.e qui ne sont pas seulement pour les étudiants), à l’instar des aides personnalisées au logement (APL) versées par les caisses d’allocations familiales (CAF).  

À la faveur de la crise sanitaire, la lutte contre la précarité étudiante est devenue un objectif central, en particulier avec des mesures d’urgence :

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière la vulnérabilité particulière des étudiants, qu’il s’agisse de leur situation financière, de leur logement ou encore de leur santé mentale. Les pouvoirs publics ont déployé des mesures d’urgence visant à soutenir les besoins les plus immédiats :

  • Logement : Le loyer des logements universitaires gérés par les Crous a fait l’objet de gels successifs du 1/01/2020 au 1/09/2024, empêchant une hausse de 6% des loyers et limitant ainsi les charges auxquelles doivent faire face les étudiants.
  • Restauration : Pendant la crise sanitaire, la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) avait été partiellement réaffectée pour financer l’aide alimentaire, et le repas à 1 € initialement réservé aux seuls boursiers à partir d’août 2020 avait été étendu à l’ensemble des étudiants de janvier à août 2021, allégeant fortement le poste de dépenses des étudiants lié à l’alimentation.
  • Pouvoir d’achat : Des aides d’urgence ont été accordées, notamment une aide exceptionnelle de 200 euros versée une fois en mai-juin 2020 en cas de perte d’emploi ou de stage étudiant
  • Santé et bien-être  : Des  dispositifs d’accompagnement psychologique  ont été instaurés par exemple le « chèque psy » en février 2021 permettant aux étudiants de consulter gratuitement un psychologue en libéral, sans avancer de frais afin de pallier l’isolement et la détresse mentale aggravés par les restrictions sanitaires.

La situation des étudiants demeure particulièrement problématique :  

Malgré l’essor récent de dispositifs destinés à soutenir les étudiants, des difficultés et des  inégalités d’accès persistent sur le plan territorial, en particulier en matière de logement. En Ile de France, l’offre de résidences CROUS est largement inférieure à la demande : sur les 25 000 demandes pour la rentrée 2023 à Paris, seuls 1 000 logements CROUS ont été attribués. A l’échelle nationale, l’offre de logements Crous ne répond qu’à 7% des besoins en logements étudiants (Conseil national de l’habitat, janvier 20253). Cette situation constitue un vecteur d’angoisse et de risque de décrochage scolaire pour les étudiants. 

Par ailleurs, plusieurs signaux préoccupants témoignent d’un manque d’adaptation des dispositifs : 

  • Le biais inflationniste des APL sur les loyers a été souligné par l’INSEE, tandis que le calcul des BCS sur les revenus de l’année N-2 ne permet pas d’adapter les aides à la situation réelle de l’étudiant, en particulier en période de crise. Ainsi, le nombre de boursiers avait baissé de 7 % entre 2022 et 20234, alors que la précarité étudiante tend à s’aggraver (FAGE, Baromètre de la précarité étudiante 2024) : 36 % des étudiants déclarent avoir déjà sauté souvent ou de temps en temps des repas par manque d’argent5 (IFOP, octobre 2024). Aussi, en 2022, la hausse du coût de la vie pour les étudiants (de 6,47 %) était supérieure à l’inflation (6,1%) (enquête UNEF sur le coût de la vie étudiante, août 20226). 
  • Les capacités d’accueil psychologique restent insuffisantes. Ainsi, on compte en 2025 environ 1 psychologue spécialisé en équivalent temps plein pour 15 000 étudiants, soit un ratio deux fois supérieur à celui de 2020 (un pour 33000), mais néanmoins dix fois inférieur à la recommandation internationale (1 pour 1 500 étudiants7). À titre de comparaison, les Etats-Unis disposent de ressources de santé mentale pour les étudiants bien plus importantes (1 psychologue pour 1588 étudiants en 20218).  
  • L’offre de dispositifs d’aide est souvent hétéroclite, mal coordonnée et mal connue des principaux intéressés : il peut arriver que plusieurs organismes (associations, universités, Crous) proposent des aides similaires, sans coordination, ce qui limite leur efficacité

Mieux coordonner les acteurs concernés et améliorer l’efficacité des dispositifs :

Pour répondre aux défis de la précarité étudiante, une réforme en profondeur requiert d’abord un renforcement de la coordination entre les multiples acteurs (universités, Crous, collectivités, État, associations).

  • Sur la mobilisation des acteurs :
  • La connaissance du phénomène de la précarité étudiante pourrait être portée plus efficacement dans le débat public grâce à un Observatoire de la vie étudiante (OVE) plus robuste, capable de proposer des données fiabilisées et des analyses régulières. 
  • L’organisation du réseau Crous/Cnous, gagnerait à être revue en particulier pour corriger la pénurie et les déséquilibres territoriaux : l’accélération de la construction de logements Crous doit constituer une priorité. Aussi, la mutualisation des logements Crous via la colocation pourrait être encouragée à Paris, comme c’est déjà le cas à Montpellier ou à Lyon où celle-ci est nettement plus développée. Le rapport pour l’année 2023 sur le réseau Cnous/Crous avait également mis en évidence la nécessité de clarifier le partage des compétences entre les universités, les Crous et l’État9.  

Sur le renforcement des dispositifs :

Les services de santé universitaires pourraient bénéficier de moyens renforcés, afin de réduire la pénurie d’accompagnement psychologique et d’offrir des parcours de soins adaptés. En ce sens, le renforcement des effectifs de psychologues apparait nécessaire. Aussi, des dispositifs comme le chèque psy doivent gagner en pertinence et les difficultés d’accès doivent être traitées (Christophe Ferveur, Fondation Santé des étudiants de France, 202510). 

La réforme des bourses, lancée par le ministère de l’Enseignement supérieur en 2024, a revalorisé le barème revenus-points de charges permettant à de nouveaux étudiants d’être éligibles. Les effectifs d’étudiants boursiers ont alors augmenté de 2,1 % pour l’année universitaire 2023-2024 (Ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, septembre 202411). Cette politique de revalorisation des bourses doit être poursuivie en prenant mieux en compte dans les critères d’octroi la diversité des situations (parcours professionnels précoces, étudiants en reprise d’études, etc.). Aussi, une réflexion sur l’évolution des modalités de calcul des BCS doit être entreprise afin de ne plus les faire reposer sur les revenus de l’année N-2. 

  • Enfin, il apparait nécessaire de dynamiser la CVEC afin d’en faire un outil structurant de la « vie étudiante ». Au-delà de son rôle de financement, il s’agirait de renforcer la participation des étudiants aux décisions relatives à l’utilisation de cette contribution (création ou rénovation d’infrastructures, soutien d’initiatives étudiantes…), favorisant ainsi leur capacité d’agir au sein des instances universitaires.

  1. https://www.fage.org/news/actualites-fage-federations/2024-01-10,DP_Consultation_BougeTonCROUS_2024.htm ↩︎
  2. Les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur, novembre 2018 ↩︎
  3. https://www.habitatjeunes.org/2025/01/31/le-logement-des-jeunes-une-urgence-sociale/ ↩︎
  4. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-boursiers-sur-criteres-sociaux-en-2022-2023-92745#:~:text=Durant%20l%E2%80%99ann%C3%A9e%20universitaire%202022-2023%2C%20derni%C3%A8re%20ann%C3%A9e%20avant%20la,une%20baisse%20de%207%2C6%20%25%20en%20un%20an. ↩︎
  5. enquête IFOP menée sur un panel 812 étudiants et publiée en octobre 2024 ↩︎
  6. https://unef.fr/wp-content/uploads/2022/08/Enquete-sur-le-Cout-de-la-vie-etudiante-2022.pdf ↩︎
  7. recommandations de l’OMS concernant la santé mentale, novembre 2023  ↩︎
  8. https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ210120276.html ↩︎
  9. https://www.lescrous.fr/2024/07/le-cnous-publie-son-rapport-dactivite-pour-lannee-2023/?export_format=pdf ↩︎
  10. https://www.lemonde.fr/campus/article/2025/02/26/cinq-ans-apres-la-crise-due-au-covid-19-les-cheques-psy-pour-les-etudiants-ont-ete-utiles-mais-insuffisants_6564951_4401467.html ↩︎
  11. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-boursiers-sur-criteres-sociaux-en-2023-2024-97464 ↩︎

Les transports publics franciliens : promesse d’intégration, épreuve du quotidien et recompositions socio-spatiales

Par Giovanni Diassise, étudiant en Parcours recherche à Sciences Po, avec la contribution de Rostom Guedouar et Pierre Geraud

Introduction : une métropole tenue par ses mobilités

Avec 14 lignes de métro, 5 lignes de RER, 8 lignes de tramway, 1500 lignes de bus, la région francilienne dispose du réseau le plus vaste et le plus fréquenté de transports publics en France. En permettant le transport quotidien de 9,4 millions de voyageurs, ce réseau soutient l’accès à l’emploi, à l’étude et aux services, relie les périphéries aux centralités et façonne l’économie urbaine. Ils concentrent aussi des tensions qui fragilisent la confiance des usagers : retards, annonces contradictoires, stationnements improvisés, sentiment d’insécurité, décalage entre grandes promesses d’infrastructure et qualité de service réellement perçue. Ils rendent possibles des millions de trajets quotidiens, soutiennent l’accès à l’emploi, à l’étude et aux services, relient les périphéries aux centralités et façonnent l’économie urbaine. Ils concentrent aussi des tensions qui fragilisent la confiance des usagers : retards, annonces contradictoires, stationnements improvisés, sentiment d’insécurité, décalage entre grandes promesses d’infrastructure et qualité de service réellement perçue. 

Du fait de sa position géographique avantageuse, au centre du réseau en étoile francilien, la station Châtelet–Les Halles traduit les enjeux de déplacements dans une méga région dense. Les entretiens courts menés par Connexions1 révèlent un répertoire d’expériences récurrentes:

– Des usagers disent partir systématiquement en avance pour absorber une incertitude jugée ordinaire.

– D’autres expliquent renoncer à certaines activités en soirée, non par manque d’offre mais par peur d’attendre sur des quais peu fréquentés.

– Plusieurs décrivent la gêne occasionnée par les rames surchargées et à des correspondances ratées, notamment sur le RER A et B. Des voyageurs racontent aussi des bagarres, des vols à la tire, des portes maintenues ouvertes qui aggravent la saturation.

– Le résultat n’est pas seulement une perte de temps mais une érosion de la dignité dans l’acte de se déplacer.

Ces récits montrent que la disponibilité d’une ligne ou d’une fréquence ne garantit pas l’habitabilité du déplacement. La mobilité est une compétence socialement distribuée, et la capacité à composer avec l’aléa, à diversifier les itinéraires ou à s’extraire des heures de pointe dépend de ressources inégales. La notion de motilité, avancée par Vincent Kaufmann, permet de qualifier cette différence2. Deux personnes exposées à la même infrastructure ne disposent pas de la même liberté effective de mouvement, car la mobilité combine connaissances pratiques, capacités économiques, dispositions culturelles et sentiment de sécurité. Les ménages plus précaires cumulent temps perdu, fatigue et exposition à l’insécurité, tandis que d’autres, mieux dotés, transforment l’accessibilité en opportunités supplémentaires. 

Les paragraphes suivants proposeront des pistes de réflexion et de débat pour analyser ces tensions et envisager des leviers d’action à même de répondre aux enjeux soulevés dans cette introduction.

I. Les transports comme opportunité d’intégration institutionnelle : gares, tramways et systèmes de transport

Au-delà de leur fonction technique, les transports structurent la ville et hiérarchisent les centralités. Une gare n’est pas seulement un point de passage : elle peut devenir un pôle d’emplois, de services et de commerces, capable de redistribuer les opportunités. Mais cet effet intégrateur n’est pas automatique. Sans stratégie foncière et sans gouvernance urbaine, une gare se réduit à un point de congestion. Les comparaisons européennes confirment ce contraste. À Kassel, dans le Land de Hesse en Allemagne, l’extension du RegioTram à l’échelle régionale a montré qu’un maillage pertinent peut connecter des communes périphériques et stabiliser des tendances démographiques qui, autrement, seraient défavorables. La fréquentation a dépassé les projections initiales, signe que l’offre, si elle est lisible et fiable, modifie les pratiques. En revanche, des villes comme Rennes et Amiens illustrent une difficulté lorsque le développement résidentiel reste indifférent au corridor ferroviaire et que l’automobile continue d’organiser la vie quotidienne. Dans ce cas, l’offre de transport n’irrigue pas le territoire, elle coexiste avec lui en parallèle. Cette divergence entre corridors et habitat rappelle que l’intégration spatiale ne se décrète pas et qu’elle demande une gouvernance exigeante3.

L’intégration, dans le domaine des transports métropolitains, ne renvoie pas seulement à la dimension technique de l’offre, mais recouvre plusieurs registres : institutionnel, territorial, économique et social. La comparaison entre la Métropole du Grand Paris et la Greater London Authority l’illustre bien. À Londres, la création de Transport for London (TfL) en 2000 a permis de centraliser la gouvernance de la mobilité4. Cette intégration a concerné la tarification (introduction de l’Oyster card), la planification des extensions du métro et la gestion des bus. Avec un budget annuel dépassant les 11 milliards de livres avant la pandémie de Covid5,  et un périmètre couvrant l’ensemble du Grand Londres, TfL a pu coordonner l’aménagement de Canary Wharf avec l’extension de la Jubilee Line et le développement de la DLR (Docklands Light Railway). Résultat : entre 2000 et 2018, la part des transports collectifs dans les déplacements est passée de 29 % à près de 40 %, tandis que la congestion automobile a diminué d’environ 20 %6

En Île-de-France, la situation est différente. Île-de-France Mobilités (IDFM) coordonne l’offre de transport, mais la maîtrise du foncier et la planification urbaine restent largement aux mains des communes et des intercommunalités. Cette fragmentation limite l’efficacité des investissements. Plusieurs gares rénovées du RER A ou du RER B concentrent aujourd’hui des flux considérables, mais faute de stratégie foncière en amont, elles se transforment en points de saturation sans générer de dynamiques urbaines. À l’inverse, des cas comme la Plaine Saint-Denis montrent qu’une articulation réussie entre transport et aménagement peut produire un effet d’intégration territoriale : la desserte renforcée par les RER B et D, combinée à une stratégie foncière active, a permis de faire émerger l’un des principaux pôles tertiaires de la région francilienne, avec plus de 20 000 emplois créés et 5 000 logements construits depuis les années 20007, tout en évitant un exode massif des habitants vers les périphéries plus lointaines. Ce développement est soutenu par des projets structurants comme le réaménagement du pôle-gare de Saint-Denis8 et la création d’un centre de commandement unique pour les lignes RER B et D9, qui renforcent l’intermodalité et la qualité de service dans ce secteur stratégique.

L’intégration est aussi économique. Comme le souligne Pierre Veltz avec son modèle assurantiel, les entreprises se localisent là où elles sont assurées de trouver les compétences, et les travailleurs s’installent là où ils sont assurés d’accéder à un bassin d’emplois10. Cette logique ne fonctionne que si la qualité et la fiabilité des transports rendent crédible cette double assurance. Les enquêtes d’Île-de-France Mobilités montrent par exemple que 70 % des actifs franciliens considèrent la proximité d’une gare ou d’une ligne de métro comme un critère décisif de localisation résidentielle11. La valeur immobilière en témoigne : autour des gares du Grand Paris Express, les prix ont déjà progressé de 10 à 15 % avant même l’ouverture des lignes12.

Enfin, l’intégration peut être sociale. En réduisant les distances-temps et en élargissant l’horizon d’accessibilité, les réseaux de transport favorisent la mixité urbaine et l’accès aux ressources métropolitaines. Mais lorsque les gains d’accessibilité profitent surtout aux ménages les plus solvables, l’effet peut se retourner en mécanisme de gentrification. C’est pourquoi l’intégration sociale suppose non seulement des infrastructures performantes, mais aussi des politiques foncières et tarifaires capables de garantir un accès équitable aux opportunités créées par la mobilité13.

II. Un système sous pression : sécurité, qualité perçue et gouvernance intégrée

La France et l’Île-de-France ont engagé des investissements massifs dans les transports publics, notamment à travers le Grand Paris Express et la modernisation des lignes RER. Ces projets visent à dessiner une métropole polycentrique, à réduire la dépendance au schéma radial hérité du XIXe siècle et à améliorer la résilience du réseau. Le protocole mobilités 2023–2027 du contrat de plan État–Région prévoit 8,4 milliards d’euros d’investissement, dont 3 milliards apportés par l’État et la Société du Grand Paris, et 3,7 milliards par la Région Île-de-France14. Les priorités incluent l’automatisation des RER B et D, la transformation de treize gares stratégiques, et l’interconnexion des lignes du Grand Paris Express avec les réseaux existants15. Pourtant, le sentiment dominant parmi les usagers reste celui d’un présent contraint. Le décalage entre les annonces stratégiques et l’expérience vécue alimente une forme de lassitude, voire de défiance. Les enquêtes menées par Île-de-France Mobilités en 2024 montrent que la satisfaction globale des usagers reste inférieure à 60 %, malgré les efforts de modernisation16. Cette tension n’invalide pas les projets, mais elle en révèle l’incomplétude : si la gouvernance se concentre sur demain, l’acceptabilité se joue aujourd’hui. Il existe ainsi une contradiction entre horizon d’aménagement et quotidien des pratiques, entre promesse d’intégration et perception d’un service sous pression.

Parmi les préoccupations exprimées par les voyageurs, la sécurité occupe une place centrale. Elle ne relève pas uniquement de la prévention des actes délictueux, mais de la capacité du système à garantir des conditions de déplacement compatibles avec la dignité et la confiance. La sécurité ressentie est devenue un indicateur structurant de la qualité perçue, au même titre que la ponctualité ou la fréquence. Les résultats issus des interviews menées par l’équipe de Connexions  sont confirmés par l’enquête MobiObserver menée par Transdev où 43 % des usagers considèrent la sécurité comme le principal point à améliorer dans les transports en commun. La présence humaine visible sur les quais et dans les rames est largement plébiscitée, tout comme l’amélioration de l’éclairage, la propreté et la médiation sociale17.

La RATP a renforcé les effectifs du Groupe de Protection et de Sécurité des Réseaux (GPSR), avec plus de 1 000 agents déployés sur le terrain en 202418. En parallèle, le déploiement de caméras de surveillance, parfois dotées d’intelligence artificielle à titre expérimental pendant les Jeux Olympiques19, témoigne d’une volonté d’innovation sécuritaire. La loi du 28 avril 2025, dite “loi Tabarot”, a élargi les prérogatives des agents de sûreté de la RATP et de la SNCF, leur permettant notamment de procéder à des palpations de sécurité sans autorisation préfectorale préalable20.

Ces mesures visant à renforcer la sécurité ont eu des effets positifs. Selon les données du ministère de l’Intérieur, les actes de délinquance dans les transports franciliens ont diminué de 8 % entre 2023 et 2024, atteignant leur niveau le plus bas depuis 2016. Toutefois, cette baisse ne suffit pas à dissiper le sentiment d’insécurité, notamment chez les femmes et les jeunes, qui restent les publics les plus exposés aux violences sexistes et sexuelles21. Ce décalage entre sécurité réelle et sécurité perçue appelle une réponse multidimensionnelle, qui dépasse les dispositifs technologiques pour inclure les ambiances, la médiation sociale, la lisibilité des espaces et la qualité de l’accueil22.

La qualité perçue ne peut être dissociée de la sécurité. Elle repose sur une combinaison d’éléments tangibles et intangibles, qui conditionnent l’usage, la motilité et la confiance. Une gouvernance fragmentée, où les responsabilités sont dispersées entre opérateurs, collectivités et État, limite la capacité à coordonner les investissements et à mutualiser les ressources. À l’inverse, une gouvernance intégrée permet de calibrer les efforts là où ils sont les plus nécessaires, en articulant sécurité, qualité de service et justice sociale23.

Le financement des transports publics interroge quant à sa soutenabilité à long-terme. Le financement par le versement mobilité, les contributions publiques et la tarification aux usagers rendent délicat tout arbitrage entre accessibilité tarifaire et régularité de l’offre. La structure sociale des usagers franciliens fait que les hausses de prix pèsent plus lourdement sur les ménages captifs du réseau, en particulier ceux dont les horaires sont peu flexibles et qui n’ont pas d’alternative modale. Selon les données de l’Observatoire des mobilités, les ménages appartenant aux trois premiers déciles de revenus consacrent entre 8,6 % et 11,9 % de leur budget mensuel aux déplacements domicile-travail, contre moins de 3,8 % pour les déciles supérieurs24. Cette disparité pose directement la question d’une justice sociale des mobilités, notamment dans les territoires périphériques ou mal desservis.

À l’inverse, des baisses tarifaires non ciblées  (comme la gratuité pour les moins de 18 ans ou les réductions forfaitaires sans condition de ressources) peuvent produire des effets limités si elles ne sont pas accompagnées d’investissements suffisants dans la fiabilité et la sécurité du réseau. En Île-de-France, l’élargissement du tarif Navigo à tarif unique a certes simplifié l’accès, mais les investissements prioritaires (renouvellement du matériel roulant, automatisation des lignes, renforcement des effectifs de sécurité) ont été différés dans plusieurs corridors saturés25. Ce décalage entre tarification et qualité perçue peut accroître la fréquentation sans résoudre les goulets d’étranglement, notamment aux heures de pointe sur les lignes B et D du RER. Une politique tarifaire équitable ne peut donc être dissociée d’une stratégie d’investissement ciblée.  L’équilibre juste ne consiste pas à opposer prix et service, mais à concevoir un ensemble d’instruments tarifaires et budgétaires qui protège les mobilités contraintes tout en finançant ce qui compte pour la qualité perçue26.

La sécurité, dans cette perspective, n’est pas un coût additionnel mais une condition d’usage. Elle est le socle sur lequel repose la promesse de mobilité27. Les dispositifs expérimentés lors des Jeux Olympiques (comme la vidéosurveillance algorithmique ou les caméras-piétons) illustrent une volonté d’innovation, mais leur pérennisation dépendra de leur acceptabilité sociale et de leur capacité à renforcer la confiance sans porter atteinte aux libertés28. La gouvernance se mesure ici à sa capacité à maintenir l’ordinaire à un niveau de qualité compatible avec les ambitions d’aménagement. C’est dans cette articulation entre sécurité ressentie, qualité perçue et intégration territoriale que se joue l’avenir des transports métropolitains29.

III. Gouverner les effets de la mobilité : articuler transports, urbanisme et équité territoriale

La première exigence est de traiter l’ordinaire comme une priorité politique. Une métropole ne se construit pas uniquement par des projets structurants ou des lignes nouvelles : elle se mesure à la qualité de l’expérience quotidienne. La régularité de l’offre, la robustesse de l’information voyageur et la présence humaine sur les lignes les plus chargées sont des éléments décisifs pour la confiance. La vulnérabilité sociale se concentre souvent dans les horaires contraints, les trajets périphériques et les interconnexions mal desservies. C’est là que se joue l’acceptabilité du système. Répondre à cette exigence suppose de réallouer des moyens vers des fonctions d’exploitation et de médiation, en différant certaines dépenses d’infrastructure dont la visibilité politique dépasse parfois leur urgence fonctionnelle. Concrètement, cela peut signifier le recrutement d’agents de médiation sur les lignes saturées, l’extension des horaires de maintenance pour limiter les interruptions, ou encore l’installation de dispositifs d’information en temps réel dans les gares de rabattement30.

La deuxième exigence est d’aligner l’infrastructure sur une stratégie urbaine explicite. Une gare ne devrait pas s’ouvrir sans plan de secteur qui stabilise le foncier et garantisse une part significative de logements abordables, de commerces de proximité et d’équipements publics. Les cas européens évoqués plus haut montrent que les tramways et les gares régionales réussissent quand ils sont intégrés à une vision d’habitat et d’activités, et qu’ils échouent quand ils n’influencent pas la localisation résidentielle qui reste orientée vers la voiture. L’expérience francilienne révèle que l’infrastructure seule ne suffit à transformer les usages si elle n’est pas accompagnée d’une politique de l’habitat cohérente. La planification urbaine doit anticiper les effets d’attractivité induits par les transports et les encadrer par des outils de régulation31.

La troisième exigence est de consolider la gouvernance métropolitaine. Les communautés d’agglomération et les établissements publics de coopération intercommunale peuvent jouer un rôle déterminant dans la réduction des inégalités territoriales, à condition de mutualiser les ressources fiscales et les compétences stratégiques. La richesse d’une commune ne reflète pas nécessairement celle de ses habitants. Certaines disposent d’une base économique importante, comme des zones d’activités ou des sièges sociaux, mais accueillent peu de ménages modestes. D’autres cumulent précarité sociale et faibles recettes fiscales. Dans ce contexte, des configurations hétérogènes où les villes centres redistribuent une partie du produit fiscal, notamment par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ou la taxe foncière, peuvent contribuer à corriger les écarts structurels.

Sur le plan opérationnel, il ne s’agit pas de créer une nouvelle taxe dédiée, mais de renforcer les mécanismes de solidarité existants, comme le Fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France. Il est également nécessaire d’adapter l’architecture fiscale locale afin de mieux relier les recettes économiques aux besoins en services publics liés à la mobilité. Une gouvernance métropolitaine pleinement intégrée permettrait de coordonner la planification des transports avec les politiques de logement et d’aménagement, en dépassant les logiques de concurrence entre territoires. Pour être efficace, cette gouvernance doit s’appuyer sur des moyens d’action clairs, sur des capacités d’observation territoriale et sur une légitimité démocratique renforcée32.

La quatrième exigence est de traiter concrètement la question de la justice sociale des mobilités, au-delà des intentions affichées. Les instruments tarifaires devraient cibler les mobilités contraintes et reconnaître la diversité des situations. Une tarification progressive selon les revenus, associée à des abonnements flexibles pour les horaires contraints, permettrait de réduire la charge pesant sur les usagers captifs, notamment les travailleurs précaires et les étudiants. Il est également essentiel de renforcer la motilité, entendue comme la capacité réelle des individus à organiser leurs déplacements de manière autonome, informée et adaptée à leurs contraintes. Cela implique de renforcer l’apprentissage des réseaux, notamment pour les publics fragiles qui ne maîtrisent pas toujours les codes du système de transport : lecture des plans, compréhension des correspondances, usage des titres dématérialisés, anticipation des horaires. L’accompagnement doit devenir une fonction intégrée du service public, avec des agents visibles et formés dans les lieux de transit les plus complexes. L’ergonomie de l’information joue ici un rôle décisif : signalétique lisible, interfaces numériques accessibles, messages vocaux clairs, traduction multilingue et cohérence graphique entre les supports. Ces éléments conditionnent l’usage autant que la fréquence ou la vitesse. Enfin, il convient de rendre les itinéraires alternatifs plus lisibles et attractifs, en travaillant sur leur accessibilité physique et numérique, et en mobilisant des outils publics comme Accès-libre ou Transport.data.gouv.fr.. La mobilité ne peut être considérée comme un droit effectif sans une capacité réelle à s’orienter, comprendre et choisir son itinéraire. Elle doit être pensée comme un service public accessible, lisible et inclusif33.

La cinquième exigence vise à anticiper les effets fonciers et les dynamiques de gentrification que les projets de transport peuvent générer. Toute amélioration substantielle d’accessibilité transforme les territoires concernés, mais cette transformation n’est pas neutre : elle modifie les équilibres fonciers, attire de nouveaux profils résidentiels et peut, en l’absence de régulation, exclure les populations les plus vulnérables. À Villejuif, Bagneux ou au Bourget, l’annonce de nouvelles stations du Grand Paris Express a entraîné une hausse rapide des prix du foncier et des loyers, bien avant l’arrivée effective du métro34. Cette anticipation spéculative, alimentée par les investisseurs privés, tend à exclure les ménages modestes des quartiers en mutation. Les projets de transport produisent une rente foncière considérable, mais celle-ci est rarement captée par la puissance publique. Pour éviter cette dérive, plusieurs leviers peuvent être mobilisés : la constitution de réserves foncières publiques autour des gares, via des préemptions ciblées ou des conventions avec les établissements fonciers, permettrait de maîtriser les usages futurs du sol. Ces leviers doivent être coordonnés dans une stratégie territoriale explicite, articulée à la gouvernance de la mobilité et du logement.

La sixième exigence est d’assumer la transition territoriale comme un rééquilibrage des compétences entre l’État et les collectivités. Face à la fragmentation des responsabilités, certaines fonctions stratégiques comme la régulation foncière, la tarification sociale ou la gouvernance des données doivent être recentralisées pour garantir l’équité et la cohérence du système. La mise en place d’abris-quais bien éclairés, de patrouilles de sécurité visibles, de correspondances garanties aux heures sensibles, de voies de délestage pour limiter la saturation, ainsi que de dispositifs de médiation en lien avec les associations d’usagers, constitue un ensemble d’actions concrètes qui améliorent directement les conditions de déplacement au quotidien. La transition ne repose pas sur des ruptures spectaculaires, mais sur une série de gestes de gouvernance répétés, visibles et évalués, qui rendent crédible la promesse d’un système plus juste et plus habitable.

En somme, les politiques doivent assumer la dimension expérimentale de la transition. Les villes qui ont avancé ont souvent combiné des prototypes de service, des ajustements rapides et une évaluation transparente des résultats. La mise en place d’abris-quais mieux éclairés, de patrouilles mixtes, de temps de correspondance garantis, de voies de délestage pour les heures critiques et de campagnes de médiation coordonnées avec les associations d’usagers sont autant d’interventions modestes individuellement mais décisives collectivement. Le changement de régime de mobilité passe par des gestes de gouvernance répétés, visibles et évalués35.

  1. Connexions (novembre 2024), Vos pires galères dans les transports https://youtu.be/05PsFmaWSps?si=wolTBEafwlKv1DUv https://youtu.be/rc_pWJi3y58?si=zhyHc7jCckVWefxp ↩︎
  2. Kaufmann, V. (2002). Re-thinking Mobility. Ashgate ↩︎
  3. Desjardins, X. (2017). Urbanisme et mobilité : de nouvelles pistes pour l’action. Éditions de la Sorbonne. ↩︎
  4. Estèbe, P. (2008). Gouverner la ville mobile : intercommunalité et démocratie locale. PUF. ↩︎
  5. Transport for London, Annual Report and Statement of Accounts 2018/19, p. 8-12. Disponible en ligne :https://content.tfl.gov.uk/tfl-annual-report-and-statement-of-accounts-2018-19.pdf ↩︎
  6. Greater London Authority, Travel in London Report 12 (2019), chap. 2 « Travel demand and mode shares » ↩︎
  7. Institut Paris Région. Plaine Saint-Denis / Paris Nord Est. https://en.institutparisregion.fr/know-how/urban-planning/what-large-scale-urban-projects-in-paris-region/plaine-saint-denis-paris-nord-est/ ↩︎
  8. Île-de-France Mobilités. Réaménagement du pôle-gare de Saint-Denis. Mis à jour le 27 mars 2025. https://www.iledefrance-mobilites.fr/le-reseau/projets/polegare-saint-denis ↩︎
  9. Île-de-France Mobilités. Un futur centre de commandement unique pour les RER B et D. https://presse.iledefrance-mobilites.fr/un-futur-centre-de-commandement-unique-pour-les-rer-b-et-d/ ↩︎
  10. Pierre Veltz, La société hyper-industrielle, Seuil, 2017. Voir aussi sa préface dans Caroline Granier, Refaire de l’industrie un projet de territoire, Presses des Mines, 2023. ↩︎
  11. Île-de-France Mobilités, Enquête perception des transports en commun, juillet 2025. https://www.iledefrance-mobilites.fr/decouvrir/enquete-voyageur-perception-transports-en-commun ↩︎
  12. Actions Immobilier, Le Grand Paris Express : Quel impact sur le marché immobilier en 2024 et au-delà ?, janvier 2025. https://www.actionsimmobilier.fr/fr/actualites/le-grand-paris-express-quel-impact-sur-le-marche-immobilier-en-2024-et-au-dela-4032307.html ↩︎
  13. Île-de-France Mobilités, Mobilité inclusive : une Île-de-France accessible à tous, Schéma Directeur d’Accessibilité, septembre 2024 ↩︎
  14. Préfecture de la région Île-de-France, 8,4 Md€ d’investissement pour valoriser le transport francilien, 21 décembre 2023 https://www.prefectures-regions.gouv.fr/ile-de-france/Region-et-institutions/L-action-de-l-Etat/Amenagement-du-territoire-transport-et-environnement/Les-transports-du-quotidien/8-4-Md-d-investissement-pour-valoriser-le-transport-francilien-et-la-mobilite-du-territoire ↩︎
  15. Île-de-France Mobilités, Présentation des travaux printemps–été 2025, 30 avril 2025 https://presse.iledefrance-mobilites.fr/presentation-des-travaux-printemps-ete-2025/ ↩︎
  16. Île-de-France Mobilités, Baromètre de satisfaction des voyageurs 2024, mai 2024 https://www.iledefrance-mobilites.fr/actualites/barometre-de-satisfaction-des-voyageurs-2024 ↩︎
  17. Transdev, MobiObserver – Sécurité dans les transports en commun, mai 2024 https://www.transdev.com/wp-content/uploads/2024/06/mobiobserver-transdev_securite-dans-les-tansports-en-commun_mai-2024_.pdf ↩︎
  18. RATP, Une journée avec nos agents de sûreté, avril 2025 https://www.ratp.fr/une-journee-avec-nos-agents-de-surete ↩︎
  19. Ministère de l’Intérieur, Sécurité des Jeux Olympiques de Paris 2024 https://www.interieur.gouv.fr/actualites/grands-dossiers/a-linterieur-des-jeux-olympiques-et-paralympiques-de-paris-2024/securite ↩︎
  20. Légifrance, Loi n° 2025-379 du 28 avril 2025 relative au renforcement de la sûreté dans les transports https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051528207 ↩︎
  21. Ministère de l’Intérieur, Délinquance dans les transports – Interstats, mars 2025 https://www.interieur.gouv.fr/fr/Interstats/Infractions-et-sentiment-d-insecurite/Delinquance-dans-les-transports ↩︎
  22. Transdev, MobiObserver, op. cit. https://www.transdev.com/wp-content/uploads/2024/06/mobiobserver-transdev_securite-dans-les-tansports-en-commun_mai-2024_.pdf ↩︎
  23. Cour des comptes, Les transports en Île-de-France : un système en mutation, octobre 2023 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-transports-en-ile-de-france-un-systeme-en-mutation ↩︎
  24. Île-de-France Mobilités, Les mobilités contraintes en Île-de-France, rapport thématique, juin 2024 ↩︎
  25. Cour des comptes, Les politiques tarifaires dans les transports publics urbains, rapport public, octobre 2023 ↩︎
  26. Île-de-France Mobilités, Tarification et équité sociale, février 2024 https://www.iledefrance-mobilites.fr/actualites/tarification-et-equite-sociale ↩︎
  27. Cour des comptes, Sécurité et performance dans les réseaux franciliens, juin 2024 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/securite-et-performance-dans-les-reseaux-franciliens ↩︎
  28. Ministère de l’Intérieur, Bilan des dispositifs expérimentaux de sécurité, septembre 2024 https://www.interieur.gouv.fr/actualites/bilan-des-dispositifs-experimentaux-de-securite ↩︎
  29. Sénat, Commission du développement durable – Compte rendu du 30 septembre 2024 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240930/devdur.html ↩︎
  30. Xavier Desjardins, Urbanisme et mobilité. De nouvelles pistes pour l’action, Éditions de la Sorbonne, 2022

    ↩︎
  31.  Ibid. ↩︎
  32. Estèbe, P. (2008). Gouverner la ville mobile : intercommunalité et démocratie locale. PUF. ↩︎
  33. Xavier Desjardins, Urbanisme et mobilité. De nouvelles pistes pour l’action, Éditions de la Sorbonne, 2022 ↩︎
  34. Dianko Mamadou, La gentrification des quartiers de gare du Grand Paris Express, Université Paris 1, 2022 https://sigquali.master-geomatique.org/component/fabrik/details/7/266-la-gentrification-des-quartiers-de-gare-du-grand-paris-express ↩︎
  35. Xavier Desjardins, Urbanisme et mobilité. De nouvelles pistes pour l’action, Éditions de la Sorbonne, 2022 ↩︎

La fiscalité locale : états des lieux et perspectives 

Par Pierre Geraud, étudiant en Master Stratégies territoriales à Sciences Po

Constituant l’une des quatre grandes catégories de ressources des collectivités territoriales (avec les concours de l’Etat, l’emprunt et les produits issus du patrimoine et des services publics locaux), la fiscalité locale représente deux tiers des recettes des collectivités, soit environ 165 milliards d’euros en 2022 et regroupe d’une part les impôts et taxes locaux et d’autre part la fiscalité nationale affectée. Toutefois, la récente vague d’augmentation des taxes foncières dans certaines communes confrontées à une situation budgétaire difficile comme à Paris (+ 52% en 2023) a relancé le débat sur le financement des collectivités locales, dans un contexte où les collectivités doivent faire face à la suppression de taxes locales (taxe d’habitation, contribution sur la valeur ajoutée des entreprises). En outre, les collectivités ont été confrontées à une hausse structurelle de leurs dépenses avec l’élargissement de leurs compétences au gré des actes de la décentralisation, mais également conjoncturelles pendant la période inflationniste 2022-2023.  

Les collectivités locales sont dotées d’une autonomie financière en vertu de la Constitution  :

Le principe de libre-administration (Constitution du 4 octobre 1958, art 72) dont dispose les collectivités induit une autonomie financière (Constitution de 1958, art 72-2 introduit par la révision du 28 mars 2003) selon laquelle les collectivités doivent bénéficier de « ressources propres ». Cependant, les collectivités ne bénéficient pas de l’autonomie fiscale, l’autorisation à lever l’impôt relève de la compétence du législateur (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, art 14).  L’article 72-2 précise alors que la loi peut autoriser les collectivités à recevoir tout ou partie du produit d’impositions de toute nature et en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine . Les ressources propres représentent une part déterminante des recettes des collectivités. La loi organique du 29 juillet 2004 établit des seuils de ressources propres : ainsi au moins 62% des ressources des communes doit provenir de ressources propres, 58 pour les départements et 42,3 % pour les régions.  

La fiscalité locale regroupe d’une part les impôts et taxes locaux qui constituent une source de financement importante des collectivités et d’autre part, la fiscalité nationale affectée qui représente une part notable et de plus en plus importante des ressources des collectivités :  

Les impôts et taxes locaux, sont ceux qui bénéficient exclusivement aux collectivités territoriales. Il existe d’une part une fiscalité directe locale1 :  

  • La taxe d’habitation (TH), supprimée totalement depuis le 1er janvier 2023 pour les résidences principales, demeure sur les résidences secondaires et les logements vacants (2,8 Md€ en 2023 et 3 Md€ en 2024) affectée au bloc communal.  
  • Les taxes foncières sur les propriétés bâties (TFPB, 39.8 Md€ en 2023) et non bâties (TFPNB, 1 Md€ en 2023) payées par les propriétaires de terrain, dont les assiettes sont calculées à partir des valeurs locatives cadastrales affectées principalement au bloc communal. Il existe également des taxes annexes à la TFPB (environ 11 Md€), comme la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) qui représente 8 Md€ en 2023  
  • La fiscalité économique des collectivités est constituée de la contribution économique territoriale (CET, 16 Md€ en 2022), créée en 2010 en remplacement de la taxe professionnelle. Elle est composée de deux impositions : la cotisation foncière des entreprises (CFE, 7 Md€ en 2022, affectée au bloc communal) la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, 9 Md€ en 2022, affectée au bloc communal et aux départements). La recette de la CVAE est amenée à diminuer dans les années à venir du fait de sa suppression progressive (cf infra).  
  • L’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER) (producteurs d’électricité, propriétaires de réseaux téléphoniques, Réseau ferré). Son produit (1,6 Md€) est également partagé entre les niveaux de collectivités territoriales.  
  • D’autres impôts économiques existent comme la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM), la taxe sur les pylônes ou la redevance des mines par exemple.  

D’autre part, il existe une fiscalité indirecte locale :  

  • Les droits sur les mutations à titre onéreux (DMTO, 20 Md€ en 2021, 16.3 Md€ en 2023) sont principalement affectés aux départements.  
  • Les taxes d’urbanisme (taxe d’aménagement, taxe de participation pour voirie et réseaux, taxe départementale des espaces naturels sensibles)  

En parallèle, la fiscalité nationale affectée représente une part notable et de plus en plus importante des ressources des collectivités. Contrairement aux impôts et taxes locaux, la fiscalité nationale affectée ne bénéficie pas exclusivement aux collectivités, le produit n’est que partiellement reversé aux collectivités.  

La fiscalité nationale affectée aux collectivités territoriales est constituée principalement : 

  • De fraction de TVA, versées en compensation de la suppression de la taxe d’habitation et de la réforme de la CVAE : elles se sont élevées à 52,1 Md€ en 2023 (14,1 Md€ bloc communal, 20,4 Md€ départements, 16,3 Md€ régions)  
  • D’accises sur les produits énergétiques (anciennement TIC, 11 Md€) en 2023, partagée essentiellement et de manière quasiment égale entre régions (5,1) et départements (5,5), une petite partie est également affectée au bloc communal (375 millions)  
  • De la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA, 8,3 Md€), affectée presque intégralement aux départements. 

Ces impôts nationaux partagés compensent les transferts de compétences dans le cadre de la décentralisation ainsi que la disparition d’anciens impôts et taxes locaux. 

La suppression récente d’impôts locaux majeurs a réduit la part de la fiscalité locale dans les ressources des collectivités :

Ces dernières années, les produits des taxes et impôts locaux et leur part dans les ressources des collectivités ont fortement diminué, passant de 98 milliards en 2020 à 68 en 2022 et à 65,2 en 2023 (Les collectivités locales en chiffres, 20242). Les pouvoirs publics ont en effet réduit la fiscalité locale des entreprises et des ménages pour soutenir la compétitivité des premières et le pouvoir d’achat des seconds. Aussi, la suppression progressive de la CVAE, avec une pleine suppression prévue au premier janvier 2030 (Loi de Finances pour 2025), constitue un vecteur de diminution des recettes fiscales pour les collectivités territoriales. En outre, entre 2018 et 2023, la taxe d’habitation sur les résidences principales a été progressivement supprimée.  

Ces diminutions de ressources pour les collectivités ont quasiment toutes été compensées par de la fiscalité nationale affectée, en premier lieu de la TVA, dont une part est par ailleurs transférée à la Sécurité sociale pour équilibrer les exonérations de cotisations.

De ce fait, la structure de financement des collectivités a été profondément modifiée : le bloc communal capte aujourd’hui la majeure partie des impôts locaux avec pouvoir de taux, notamment fonciers alors que cette fiscalité locale est devenue minoritaire du financement des autres collectivités – se réduisant par exemple aux DMTO pour les départements et dont la recette a diminué ces dernières années – voire absente pour les régions. La fiscalité affectée, sans pouvoir de taux, et donc de maitrise de ces ressources, engendre une réduction des marges de manœuvre des collectivités.  

Par ailleurs, la révision à venir des valeurs locatives cadastrales (VLC) pour les locaux d’habitation (logements, parkings), prévue pour 2028 (LF 2023), inquiète les collectivités. Si cette réforme revêt un enjeu de justice fiscale, notamment d’asseoir l’imposition sur une valeur proche de la valeur réelle du bien, la dernière révision générale des VLC ayant eu lieu en 1970 pour les locaux d’habitation, elle risque de redistribuer le potentiel fiscal entre collectivités et de nécessiter des mécanismes de péréquation renforcés.  

La réflexion quant à la nature et aux objectifs de la fiscalité locale doit être poursuivie et amplifiée, dans la perspective d’une refonte du système de financement  

Face à une complexité croissante, l’étude d’une refonte globale du financement des collectivités parait opportune. La Cour des comptes (Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d’évolution, octobre 20223) avait notamment préconisé d’affecter la totalité du produit des impôts locaux au bloc communal comme la DMTO ou la part départementale de la CVAE afin de privilégier un lien entre l’impôt local et le service public local rendu au plus près des citoyens. Cette proposition s’inscrit d’ailleurs dans un débat plus large, celui de l’hypothèse d’une suppression des départements et le transfert de leurs compétences aux régions et aux intercommunalités (Commission sur la libération pour la croissance française, proposition 259, janvier 20084), même s’il faut souligner que cet échelon détient une légitimité historique (Décret du 22 décembre 1789 de l’Assemblée nationale constituante). Il serait également pertinent de poursuivre et d’encourager la recentralisation du RSA, comme l’expérimente la loi 3DS de 2022, afin de soulager les département compte tenu de l’effet procyclique engendré par la hausse du chômage, qui génère une hausse des dépenses de RSA et une baisse des recettes de TVA, en particulier dans certains départements.  

Par ailleurs, la révision des VLC pour les propriétés non commerciales et locaux d’habitation doit être une priorité afin de rétablir une fiscalité juste et actualisée, tout en garantissant des mécanismes de péréquation renforcés, afin de limiter les écarts entre les collectivités. En ce sens, il est nécessaire de garantir l’effectivité de cette révision en 2028 et de ne pas encore une fois la reporter, la révision étant initialement prévue en 2026.  

Enfin , la question du développement de la fiscalité environnementale, incitant à des comportements vertueux notamment en termes de sobriété foncière, reste ouverte (Conseil Prélèvement Obligatoires sur le ZAN et la fiscalité locale, 20225 ; Comité pour l’économie verte, 20196). De même, la Convention citoyenne pour le climat (Orientations en matière de financement, juin 20207) avait proposé de réformer la TEOM par des mécanismes plus justes et incitatifs afin de favoriser les comportements éco-responsables.  

Crise du logement en France : quel diagnostic et quelles réponses ?  

Par Pierre Geraud, étudiant en Master Stratégies territoriales à Sciences Po

En France, le droit au logement est un objectif à valeur constitutionnelle (OVC) découlant de la rédaction des 10e et 11e alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (94-359 DC, 19 janv. 1995, Loi relative à la diversité de l’habitat ; 98-403 DC 29 juill. 1998, Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions)1. La mise en œuvre de cet OVC par le législateur résulte alors de la loi du 5 mars 2007, consacrant le droit au logement opposable (DALO).   

Toutefois, plus de quatre millions de personnes sont considérées comme mal logées, près d’un million n’ont pas de domicile personnel et 100 000 vivent dans une habitation de fortune toute l’année (Fondation pour le Logement des Défavorisés, 30e rapport sur le mal-logement, 2025)2. Cette situation illustre une situation de crise du logement en France, alors que les aides publiques se sont élevées à 44 milliards d’euros en 2023 (Ministère du logement et de la rénovation urbaine, octobre 2024)3. La baisse des constructions et des transactions engendre un blocage du parcours résidentiel et en conséquence dégradation des conditions d’accès à des locations ou à la propriété, malgré les mesures prises par les pouvoirs publics. En outre, les défis de long-terme liés à la démographie, à l’accès à tous au logement et à la transition écologique contraignent fortement la politique publique liée. Enfin les réponses publiques – qui visent tantôt à favoriser (accession à la propriété), tantôt l’accueil des publics plus modestes (parc social), tantôt le logement à un prix abordable (locatif par exemple) – peuvent souffrir d’un déficit de lisibilité.  

La crise du logement en France, qui se traduit par une baisse des transactions et des constructions, concerne aussi bien l’offre que la demande :  

La période récente a été marquée par une baisse des constructions et des transactions. En effet, le nombre de permis de construire en France, est passé de 500.000 logements en 2022 à environ 350.000 en 2025, soit une baisse de 30%, tandis que le nombre de transactions est passé d’1,2 millions à 780000 entre septembre 2022 et 2024, soit une baisse de 35%. Aussi, le rythme des constructions neuves reste freiné par une insuffisante mise en d’œuvre des autorisations : le nombre effectif de logements construits reste significativement inférieur à celui des logements autorisés (Cour des comptes, Note thématique, Assurer la cohérence de la politique du logement face à ses nouveaux défis, 7 juillet 2023)4. La contraction des transactions et des constructions neuves engendre un blocage du parcours résidentiel (diminution du nombre de primo-accédants, faible rotation dans le parc social) et un mal-logement conséquent.    

Les facteurs d’explication se trouvent à la fois du côté de l’offre et de la demande. Au niveau de l’offre, la période inflationniste en 2022 et 2023 (5%/an) a augmenté les coûts de production qui pèse sur la construction et la rénovation. Ces coûts ont même augmenté plus que l’inflation. Outre, l’inflation le BTP est confronté à une profonde transformation en cours avec les acteurs de la rénovation qui ne sont pas encore structurés. Au niveau de la demande, si le parc de logements s’est agrandi (25 millions en 1984, contre 37,5 millions en 2020), la pression démographique dans certains territoires – comme à Paris et sa proche banlieue – ainsi que des moindres aménagements en couple  (moins de 70 % des personnes de 32 ans vivent en couple en 2021, contre quasiment 80 % en 1990, INSEE, France, portrait social, ménages, couples et familles, novembre 2024)5 contribuent à accroître la demande de logements, se traduisant notamment par une forte tension locative. En outre, les périodes de hausse des taux d’intérêt ont réduit la capacité d’emprunt des ménages pour un achat et favorisé ainsi la tension locative. Le logement représente ainsi environ un tiers des dépenses pré-engagées des ménages (France Stratégie, Note d’analyse n°102, août 2021)6, faisant de celui-ci le poste le plus difficilement compressible.   

Sur le temps long, si les pouvoirs publics sont progressivement intervenus dans le secteur du logement, en agissant sur l’offre comme la demande, les choix opérés n’ont pas toujours eu les effets escomptés :  

D’une part, en matière d’offre, si loi Siegfried de 1894 établit les comités d’Habitations à Bon Marché (HBM) et la loi Loucheur de 1928 fixe des objectifs quantitatifs de construction de logements, c’est surtout après la Seconde guerre mondiale que l’Etat devient un acteur clé de la construction de logements, en particulier sociaux, qui se traduit notamment par les « grands ensembles » et à partir des années 1980 une politique de développement social dans les quartiers aujourd’hui dits « prioritaires ». Aussi, la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) impose aux communes de disposer d’au moins 20% de logements sociaux, renforçant ainsi la production de logements accessibles dans les zones tendues. Par ailleurs, des instruments fiscaux ciblant les logements vacants ou les résidences secondaires visent également à agir sur l’offre de logements, en favorisant la remise sur le marché de biens inoccupés ou faiblement utilisés.  

D’autre part, les pouvoirs publics agissent également sur la demande. Le développement d’aides aux logements (allocation de logement familiale créée en 1948, allocation de logement sociale en 1972, aide personnalisée au logement en 1977) vise alors à « solvabiliser » la demande (des locataires comme des accédants à la propriété) et à donner aux ménages plus de choix dans leur logement via un soutien financier direct. La suppression de la taxe d’habitation depuis 2020 dont devait s’acquitter l’occupant du logement, solvabilise également la demande.   

Aussi, la volonté des pouvoirs publics de solvabiliser la demande, en particulier des propriétaires, se traduit par des dispositifs tels que MaPrimeRénov’ ou Ma Prime Adapt mais également des crédits d’impôts ou des prêts garantis. La demande est également soutenue par un cadre juridique structurant la relation entre locataires et bailleurs, le régime en France étant protecteur des premiers (ex : loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) de 2014 encadrant les loyers et fixant la période de la trêve hivernale, du 1er novembre au 31 mars, durant laquelle les procédures d’expulsion d’un locataire sont suspendues).  

Toutefois, les choix opérés ne parviennent pas à enrayer la crise actuelle. Le soutien à la demande a des effets limités : la suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales à partir de 2020 a en réalité été captée en grande partie par les prix de l’immobilier (Institut des politiques publiques, Evaluation de la réforme de la taxe d’habitation, décembre 2023)7, tandis que le biais inflationniste des APL sur les loyers a été démontré (INSEE, L’impact des aides au logement sur le secteur locatif privé, novembre 2014)8. En parallèle, l’Etat a réduit son appui aux bailleurs sociaux alors que les nombre de demandeurs de logement social est passé de 2 à 2,6 millions entre 2016 et 2023 et que la rotation est faible. Aussi, la politique d’adaptation des logements à l’évolution démographique, notamment face au vieillissement de la population française reste insuffisante aujourd’hui. L’enveloppe concernée, notamment avec « Ma Prime Adapt », reste faible, en comparaison à la rénovation énergétique (Cour des comptes, Le soutien aux logements, face aux évolutions climatiques et au vieillissement de la population, octobre 2023)9.  

En outre, la politique du logement est confrontée aux ambitions des politiques environnementales. En effet, la loi Climat Résilience de 2021 a fixé l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) – qui vise à cesser toute progression nette de l’artificialisation des sols d’ici 2050 – ou encore l’interdiction à la location des « passoires thermiques » (G au 1/01 2025, F en 2028). Ces mesures de sobriété foncière et énergétique conduisent alors à augmenter indirectement la pression sur l’offre de logements.   

Il apparait nécessaire de mieux adapter la politique du logement aux enjeux sociaux et écologiques, tout en encourageant la mobilité résidentielle :  

Cette adaptation nécessite en premier lieu des réponses matière de fiscale. En ce sens, le conseil des prélèvement obligatoires (CPO, Pour une fiscalité du logement plus cohérente, décembre 2023)10 préconise de taxer davantage la détention, principalement via la taxe foncière, à condition toutefois de rendre cette imposition moins régressive et plus juste notamment par la mise en œuvre de la réforme des valeurs locatives cadastrales (VLC), dont le système peut apparaitre injuste à l’heure actuelle (Insee, Mathias André, Olivier Meslin décembre 2023)11. En effet, si la taxe foncière payée par les ménages ayant le patrimoine immobilier brut le plus faible représente 0,5 %, ce taux est proche de 0,4 % pour les ménages entre les centiles 60 et 90 et s’établit à 0,22 % pour les 1 % aux patrimoines immobiliers les plus élevés (André, Meslin, 2021)12.   

Aussi, il apparait nécessaire de revoir les incitations inopérantes. A titre d’exemple, le dispositif Pinel présentait un effet d’aubaine, en soutenant des investissements réalisés dans des zones peu tendues, ou à destination de ménages qui auraient investi sans incitation fiscale, il était donc pertinent de le supprimer (Cour des comptes, L’aide fiscale à l’investissement locatif Pinel, 2024)13.  

Par ailleurs, pour que les outils réglementaires comme l’interdiction de location des passoires thermiques soient pleinement efficaces, plusieurs rapports (association NégaWatt en 2018, Convention citoyenne pour le climat en 2020, Assemblée nationale et Sénat en 2022)14 recommandent de confirmer ces interdictions tout en levant les freins techniques et juridiques. Cela implique d’adapter les règles d’urbanisme, de réviser certains règlements de copropriété et de faciliter les travaux de rénovation dans les secteurs patrimoniaux ou les immeubles collectifs.  

Enfin, pour atteindre les objectifs de sobriété foncière, il apparait nécessaire de changer de paradigme économique : aujourd’hui, les projets immobiliers sur des terrains nus sont souvent plus rentables, car leur valeur augmente fortement ensuite. À l’inverse, recycler des terrains déjà construits, comme des friches, est plus coûteux (Plan Urbanisme Construction Architecture, mars 2024)15. A ce sujet, le développement de « foncières de renaturation »16 chargées d’acquérir, porter et renaturer des terrains déjà artificialisés doit être encouragé. Cet outil permettrait de maîtriser les prix et d’orienter les projets vers les zones déjà construites, pour mieux encadrer le marché et éviter la spéculation.  

  1. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1995/94359DC.htm
    https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1998/98403DC.htm ↩︎
  2. https://www.fondationpourlelogement.fr/30e-rapport-sur-letat-du-mal-logement-en-france-2025/ ↩︎
  3. https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/295731.pdf ↩︎
  4. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20230707-note-thematique-Assurer-coherence-politique-logement-face-nouveaux-defis.pdf ↩︎
  5. https://www.insee.fr/fr/statistiques/8242327?sommaire=8242421#figure1_radio1 https://www.insee.fr/fr/statistiques/8242327?sommaire=8242421#figure1_radio2 ↩︎
  6. https://www.strategie-plan.gouv.fr/files/files/Publications/2021/0831%20dépenses%20préengagées/fs-2021-na_102-depenses_pre-engagees.pdf ↩︎
  7. https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2023/12/TH_CPO_vIPP_vdef_compressed.pdf ↩︎
  8. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1521337 ↩︎
  9. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20231026-CEC-Soutien-aux-logements-face-aux-evolutions-climatiques.pdf ↩︎
  10. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/pour-une-fiscalite-du-logement-plus-coherente ↩︎
  11. https://www.insee.fr/fr/statistiques/7735076#tableau-figure1 ↩︎
  12. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5893223 ↩︎
  13. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-08/20240905-Aide-fiscale-investissement-locatif-Pinel.pdf ↩︎
  14. https://www.precarite-energie.org/IMG/pdf/nw_etude_juin_2018_resorber_la_pre_carite_energetique_et_renover_les_passoires_thermiques.pdf
    https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/rf/ccc-rapport-final-seloger.pdf
    https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-eco/l16b0482_rapport-fond.pdf
    https://www.senat.fr/rap/r22-129/r22-1290.html ↩︎
  15. https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/actes_tpsf_epernay_web.pdf ↩︎
  16. outil public comparable aux SAFER agricoles ↩︎

Qui sommes-nous ?

Nous sommes des étudiants de divers cursus (stratégie territoriale, sociologie, droit, économie…) et avons créé Connexions, un projet qui se positionne comme un espace de réflexions et d’échanges constructifs. 

Le projet se veut : 

Apolitique et Fédérateur : Dans une société polarisée, notre objectif est de promouvoir le débat, fédérer autour d’enjeux communs, en dépassant les clivages politiques. 

Instructif et Informatif : A travers les sujets traités, Connexions fait dialoguer les points de vue (universitaires et institutionnels), en s’appuyant sur des références chiffrées et normatives. Disposer de suffisamment d’informations, objectives et factuelles, est nécessaire pour se forger une opinion éclairée. 

Innovant et Réfléchi : Au-delà de la présentation des enjeux dans nos sujets traités, nous cherchons en plus à formuler des propositions réalistes, visant à nourrir une réflexion sur l’amélioration des politiques publiques.  

Humain avant tout : Au-delà des thèmes traités, Connexions est surtout un espace de réflexions individuelles et de rencontres. Chaque  participant est invité à s’interroger avec les autres sur ce qu’il souhaite personnellement pour la société. 

Votre voix compte !

THE DEVELOPING RELEVANCE OF ENVIRONMENTAL JUSTICE (PART II: An increasing plethora of responses to Environmental Justice)

By Harrison Cox, University College London

The movement’s organisation

The grassroots movement was effective because of its popularity, but its lack of organisation led to a disjointed approach, meaning that efforts were often unnecessarily duplicated. A more organised approach would have been more coherent and promoted its relevance.

The movement seems to have acknowledged this drawback. Following the upsurge of interest in the issues, the organisations working on EJ seem to have institutionalised themselves[1]. They became “Registered EJ Organisations (REJOs)”. This allowed them to secure consistent financial assistance,[2] and more importantly, the movement gained political legitimacy. These groups also gained legal ability as officially recognised representatives of the discriminated communities.

The US REJOs have also expanded their remit by developing alliances and combining their work with NGOs. This is notable given the historical differences between the EJ movement and NGOs, who have tended not to “engage with communities on the ground dealing with Environmental Justice”[3]. In a similar movement of combining efforts, the EJ Atlas was launched in 2014, offering an invaluable tool for these movements to coordinate to work more effectively. However, one could question how these grassroots movements can fit into an institutional framework in which discriminatory processes have historically dominated. To remain relevant, they must take care not to alienate the social origin of the movement in favour of a globalised broad approach.

The legal evolution

It was not until Clinton’s 1994 Federal Executive Order that legal provisions were implemented to address these issues in the US. This seems relatively late, given that the movement has been at the forefront of environmental demands since 1987. It is also remarkable that international instruments started to discuss this issue before the US addressed it. In 1992, the Rio Declaration recognised the inherent link between social and environmental issues. Principle 6 highlights this recognition by combining “the least developed and those most environmentally vulnerable”. Naturally, this does not refer directly to racial discrimination, but often, the least developed countries are those that suffered from extraction by colonial empires. EJ theories also figure in the Kyoto Protocol[4] by recognising different climate change responsibilities, the Aarhus Convention,[5] which offers solutions to address these issues through procedural rights and the Sustainable Development Goals (SDGs)[6].

Finally, a significant factor in environmental law is environmental impact assessments. These play a valuable role in promoting EJ. By guaranteeing public participation, they are giving local communities a say in the development of their environment and favouring better decision-making in protecting vulnerable communities. However, they are a limited EJ tool because they do not examine environmental effects on specific communities.

EJ is thus addressed throughout international instruments raising its relevance.

An increased relevance through affiliation

EJ has become more relevant through its affiliation with other vital movements in the environmental field.

This has already been evidenced by its legal representations being mainly instruments regarding sustainability (Rio, Kyoto, SDGs). Nationally, this is also the case as in the UK, the 1999 UK Sustainable Development Strategy has a guiding principle of “Ensuring a Strong, Healthy and Just Society”[7] with a focus on combatting poverty and social exclusion, leading to what Agyeman has coined “Just Sustainability”. This gives EJ an important supplement, as it was about distributing harm equally but not limiting harm’s occurrence, which is the objective of sustainability. Interestingly, this also gives an essential political platform as many NGOs and policy decisions focus on sustainability issues.[8] Thus, EJ has developed a form of mission hybridity[9], making itself more relevant in political discourse.

The movement has also been linked to environmental democracy. Firstly, through Procedural Environmental Rights,[10] which emerged following Agenda 21[11] and secondly, through the Aarhus Convention. These two procedures are interlinked, as Aarhus offers procedural rights to deal with environmental issues. This gives vulnerable communities opportunities to access information, allowing them to participate effectively and defend their rights in court. The Aarhus Convention also requires that they can access the courts to defend themselves without being prohibited due to prohibitive costs,[12] which is an essential consideration for vulnerable communities.

Finally, recognising environmental rights in the human rights discourse may give further weight to EJ arguments[13]. This is especially the case if combined with non-discrimination legislation relating to race. Although this gives increased relevance to EJ by allowing communities of colour to claim discrimination in their right to a healthy environment, and given how important environmental human rights are becoming, it is to be seen how this movement will adapt to the rights-based approach, specifically when considering the argument that the ‘human’ in human rights is a white, wealthy male[14] and not the discriminated communities of colour.

To conclude, EJ has evolved since its origins. It has gone from an unorganised movement addressing local issues in the US to a global movement affiliated with various other theoretical and practical approaches to addressing environmental concerns. This has made EJ much more relevant today than in the 1980s.

Bibliography

AC Perez and others, ‘Evolution of the EJ movement: activism, formalization and differentiation’ [2015] 10(10) Environmental Research Letters <https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/10/10/105002> accessed 30 November 2023

Anibal Quijano, ‘Coloniality and Modernity/Rationality’ [2007] 21(2) Cultural Studies 168, 171

Commonwealth of Massachusetts, EJ Policy of the Executive Office of Environmental Affairs, 2002

Dorceta Taylor, ‘The Rise of the EJ Paradigm’ [2000] 43(4) American Behavioral Scientist 508-580

Elizabeth Fisher, ‘The many forms of EJ’ Environmental Law: A Very Short Introduction (OUP 2017) 110

Executive Order, ‘Federal Actions to Address EJ in Minority Populations and Low-Income Populations’, (12898 1994), Federal Register, 59, 32

Friends of the Earth (FoE), ‘EJ: mapping transport and social exclusion in Bradford’ [2001]

G. Mitchell, The Messy Challenge of EJ in the UK: Evolution, status and prospects, (NECR273, 2019), Natural England Commissioned Reports

Groundwork UK, ‘Out of Bounds : Equity in Access to Urban Nature’ |2021]

Harris AP, “Toward a Law and Political Economy Approach to EJ” in Sumudu A Atapattu, Carmen G Gonzalez and Sara L Seck (eds), The Cambridge Handbook of EJ and Sustainable Development (Cambridge University Press 2021)

Jane Holder, ‘EJ in Everyday Green Spaces’, [2016] 81-85

Joshua Gellers and Chris Jeffords, ‘Toward Environmental Democracy?: Procedural Environmental Rights and EJ’ [2018] 18(1) Global Environmental Politics 99-121

Julian Agyeman and Bob Evans, “Just Sustainability’: The Emerging Discourse of EJ in Britain?’ [2004] 170(2) Environment and Development in the UK 155-164

Principles of EJ, The First People of Color Environmental Leadership Summit, 1991

Robert Bullard, ‘Overcoming Racism in Environmental Decision Making’ [1994] 36(4) <https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00139157.1994.9929997> accessed 1 December 2023

Spencer Banzhaf and others, ‘EJ: The Economics of Race, Place, and Pollution’ [2019] 33(1) The Journal of Economic Perspectives 185-208

United Church of Christ Commission for Racial Justice. ‘Toxic Wastes and Race in the United States’ [1987]


[1] Perez (7), 2      

[2] Perez (7), 5

[3] Perez (7), 7

[4] 1997

[5] 1998

[6] Ideas underpinning EJ are explicitly visible in SDGs, 1, 3, 5, 10 and 16.  

[7] My emphasis

[8] Agyeman (2), 160

[9] Perez (7), 9

[10] Gellers, PERs and EJ, 2018

[11] Ibid

[12] Aarhus Costs protection – CPR 45, Part VII

[13] Harris (3), 467

[14] Ibid