Par Pierre Geraud, étudiant en Master Stratégies territoriales à Sciences Po
D’après une étude de la fédération des associations générales étudiantes (FAGE) de janvier 2024, un étudiant sur cinq ne mangerait pas à sa faim en France1. Les fragilités structurelles des politiques de soutien de la vie étudiante (3,2 Md d’euros pour la LF 2025) ont été particulièrement visibles pendant la crise sanitaire, alors que de nombreux étudiants ont été dépendants de l’assistance alimentaire d’associations, dans un contexte de suppression d’emplois étudiants liés à l’épidémie.
La politique de soutien à la vie étudiante mobilise différents acteurs en particulier l’Etat avec le programme 231 qui finance cette politique les universités avec des dispositifs d’accueil et d’accompagnement, les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) pour le logement et la restauration principalement, dont le réseau est piloté par le centre national (Cnous), et d’autres organismes ponctuels (associations par exemple). La complexité des multiples outils de soutien et la mauvaise coordination des acteurs engagés sur cette politique représentent des freins à l’efficacité des politiques de soutien à la vie étudiante.
Plusieurs dispositifs concourent à résorber les difficultés qui se posent pour les étudiants et ont été renforcés :
Pour limiter la précarité étudiante, différents leviers ont été mis en place par l’État et ses opérateurs. Au premier rang de ces mécanismes figurent les bourses sur critères sociaux (BCS), qui concernent environ 700 000 étudiants sur une population globale de 3 millions en 2023. Versées sous conditions de ressources, elles constituent souvent la première source de soutien financier pour les étudiants issus de milieux modestes.
Afin de compléter cette aide directe, des dispositifs spécifiques visent à améliorer les conditions de vie au quotidien. Le soutien au logement étudiant s’illustre avec la construction et la gestion de résidences universitaires par les Crous, tandis que la restauration universitaire (RU) propose des repas complets à tarifs subventionnés (1 € pour les boursiers et 3,30 pour les non-boursiers). L’objectif est de réduire le poids des dépenses courantes (loyer, nourriture), qui constituent l’essentiel du budget d’un étudiant. Ces dispositifs (dotations aux bourses, subventions versées aux Crous) sont financés par le programme 231.
Depuis 2018, une évolution majeure est intervenue avec la création de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Payée chaque année par les étudiants non boursiers, elle a pour vocation de financer des actions destinées à améliorer la qualité de vie sur les campus (culture, activités sportives, accompagnement social).
L’instauration de cette contribution a par ailleurs coïncidé avec le rattachement des étudiants au régime général de sécurité sociale, permettant aux intéressés de réaliser des économies notables sur leurs cotisations (auparavant destinées aux mutuelles étudiantes). Selon la Cour des comptes 2, cette réforme a globalement accru le pouvoir d’achat des étudiants et facilité leur accès aux soins.
Enfin, il peut être souligné que les étudiants peuvent également bénéficier d’autres prestations sociales, non spécifiques (i.e qui ne sont pas seulement pour les étudiants), à l’instar des aides personnalisées au logement (APL) versées par les caisses d’allocations familiales (CAF).
À la faveur de la crise sanitaire, la lutte contre la précarité étudiante est devenue un objectif central, en particulier avec des mesures d’urgence :
La pandémie de COVID-19 a mis en lumière la vulnérabilité particulière des étudiants, qu’il s’agisse de leur situation financière, de leur logement ou encore de leur santé mentale. Les pouvoirs publics ont déployé des mesures d’urgence visant à soutenir les besoins les plus immédiats :
- Logement : Le loyer des logements universitaires gérés par les Crous a fait l’objet de gels successifs du 1/01/2020 au 1/09/2024, empêchant une hausse de 6% des loyers et limitant ainsi les charges auxquelles doivent faire face les étudiants.
- Restauration : Pendant la crise sanitaire, la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) avait été partiellement réaffectée pour financer l’aide alimentaire, et le repas à 1 € initialement réservé aux seuls boursiers à partir d’août 2020 avait été étendu à l’ensemble des étudiants de janvier à août 2021, allégeant fortement le poste de dépenses des étudiants lié à l’alimentation.
- Pouvoir d’achat : Des aides d’urgence ont été accordées, notamment une aide exceptionnelle de 200 euros versée une fois en mai-juin 2020 en cas de perte d’emploi ou de stage étudiant
- Santé et bien-être : Des dispositifs d’accompagnement psychologique ont été instaurés par exemple le « chèque psy » en février 2021 permettant aux étudiants de consulter gratuitement un psychologue en libéral, sans avancer de frais afin de pallier l’isolement et la détresse mentale aggravés par les restrictions sanitaires.
La situation des étudiants demeure particulièrement problématique :
Malgré l’essor récent de dispositifs destinés à soutenir les étudiants, des difficultés et des inégalités d’accès persistent sur le plan territorial, en particulier en matière de logement. En Ile de France, l’offre de résidences CROUS est largement inférieure à la demande : sur les 25 000 demandes pour la rentrée 2023 à Paris, seuls 1 000 logements CROUS ont été attribués. A l’échelle nationale, l’offre de logements Crous ne répond qu’à 7% des besoins en logements étudiants (Conseil national de l’habitat, janvier 20253). Cette situation constitue un vecteur d’angoisse et de risque de décrochage scolaire pour les étudiants.
Par ailleurs, plusieurs signaux préoccupants témoignent d’un manque d’adaptation des dispositifs :
- Le biais inflationniste des APL sur les loyers a été souligné par l’INSEE, tandis que le calcul des BCS sur les revenus de l’année N-2 ne permet pas d’adapter les aides à la situation réelle de l’étudiant, en particulier en période de crise. Ainsi, le nombre de boursiers avait baissé de 7 % entre 2022 et 20234, alors que la précarité étudiante tend à s’aggraver (FAGE, Baromètre de la précarité étudiante 2024) : 36 % des étudiants déclarent avoir déjà sauté souvent ou de temps en temps des repas par manque d’argent5 (IFOP, octobre 2024). Aussi, en 2022, la hausse du coût de la vie pour les étudiants (de 6,47 %) était supérieure à l’inflation (6,1%) (enquête UNEF sur le coût de la vie étudiante, août 20226).
- Les capacités d’accueil psychologique restent insuffisantes. Ainsi, on compte en 2025 environ 1 psychologue spécialisé en équivalent temps plein pour 15 000 étudiants, soit un ratio deux fois supérieur à celui de 2020 (un pour 33000), mais néanmoins dix fois inférieur à la recommandation internationale (1 pour 1 500 étudiants7). À titre de comparaison, les Etats-Unis disposent de ressources de santé mentale pour les étudiants bien plus importantes (1 psychologue pour 1588 étudiants en 20218).
- L’offre de dispositifs d’aide est souvent hétéroclite, mal coordonnée et mal connue des principaux intéressés : il peut arriver que plusieurs organismes (associations, universités, Crous) proposent des aides similaires, sans coordination, ce qui limite leur efficacité
Mieux coordonner les acteurs concernés et améliorer l’efficacité des dispositifs :
Pour répondre aux défis de la précarité étudiante, une réforme en profondeur requiert d’abord un renforcement de la coordination entre les multiples acteurs (universités, Crous, collectivités, État, associations).
- Sur la mobilisation des acteurs :
- La connaissance du phénomène de la précarité étudiante pourrait être portée plus efficacement dans le débat public grâce à un Observatoire de la vie étudiante (OVE) plus robuste, capable de proposer des données fiabilisées et des analyses régulières.
- L’organisation du réseau Crous/Cnous, gagnerait à être revue en particulier pour corriger la pénurie et les déséquilibres territoriaux : l’accélération de la construction de logements Crous doit constituer une priorité. Aussi, la mutualisation des logements Crous via la colocation pourrait être encouragée à Paris, comme c’est déjà le cas à Montpellier ou à Lyon où celle-ci est nettement plus développée. Le rapport pour l’année 2023 sur le réseau Cnous/Crous avait également mis en évidence la nécessité de clarifier le partage des compétences entre les universités, les Crous et l’État9.
Sur le renforcement des dispositifs :
Les services de santé universitaires pourraient bénéficier de moyens renforcés, afin de réduire la pénurie d’accompagnement psychologique et d’offrir des parcours de soins adaptés. En ce sens, le renforcement des effectifs de psychologues apparait nécessaire. Aussi, des dispositifs comme le chèque psy doivent gagner en pertinence et les difficultés d’accès doivent être traitées (Christophe Ferveur, Fondation Santé des étudiants de France, 202510).
La réforme des bourses, lancée par le ministère de l’Enseignement supérieur en 2024, a revalorisé le barème revenus-points de charges permettant à de nouveaux étudiants d’être éligibles. Les effectifs d’étudiants boursiers ont alors augmenté de 2,1 % pour l’année universitaire 2023-2024 (Ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, septembre 202411). Cette politique de revalorisation des bourses doit être poursuivie en prenant mieux en compte dans les critères d’octroi la diversité des situations (parcours professionnels précoces, étudiants en reprise d’études, etc.). Aussi, une réflexion sur l’évolution des modalités de calcul des BCS doit être entreprise afin de ne plus les faire reposer sur les revenus de l’année N-2.
- Enfin, il apparait nécessaire de dynamiser la CVEC afin d’en faire un outil structurant de la « vie étudiante ». Au-delà de son rôle de financement, il s’agirait de renforcer la participation des étudiants aux décisions relatives à l’utilisation de cette contribution (création ou rénovation d’infrastructures, soutien d’initiatives étudiantes…), favorisant ainsi leur capacité d’agir au sein des instances universitaires.
- https://www.fage.org/news/actualites-fage-federations/2024-01-10,DP_Consultation_BougeTonCROUS_2024.htm ↩︎
- Les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur, novembre 2018 ↩︎
- https://www.habitatjeunes.org/2025/01/31/le-logement-des-jeunes-une-urgence-sociale/ ↩︎
- https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-boursiers-sur-criteres-sociaux-en-2022-2023-92745#:~:text=Durant%20l%E2%80%99ann%C3%A9e%20universitaire%202022-2023%2C%20derni%C3%A8re%20ann%C3%A9e%20avant%20la,une%20baisse%20de%207%2C6%20%25%20en%20un%20an. ↩︎
- enquête IFOP menée sur un panel 812 étudiants et publiée en octobre 2024 ↩︎
- https://unef.fr/wp-content/uploads/2022/08/Enquete-sur-le-Cout-de-la-vie-etudiante-2022.pdf ↩︎
- recommandations de l’OMS concernant la santé mentale, novembre 2023 ↩︎
- https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ210120276.html ↩︎
- https://www.lescrous.fr/2024/07/le-cnous-publie-son-rapport-dactivite-pour-lannee-2023/?export_format=pdf ↩︎
- https://www.lemonde.fr/campus/article/2025/02/26/cinq-ans-apres-la-crise-due-au-covid-19-les-cheques-psy-pour-les-etudiants-ont-ete-utiles-mais-insuffisants_6564951_4401467.html ↩︎
- https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-boursiers-sur-criteres-sociaux-en-2023-2024-97464 ↩︎