Par Giovanni Diassise, étudiant en Parcours recherche à Sciences Po, avec la contribution de Rostom Guedouar et Pierre Geraud
Introduction : une métropole tenue par ses mobilités
Avec 14 lignes de métro, 5 lignes de RER, 8 lignes de tramway, 1500 lignes de bus, la région francilienne dispose du réseau le plus vaste et le plus fréquenté de transports publics en France. En permettant le transport quotidien de 9,4 millions de voyageurs, ce réseau soutient l’accès à l’emploi, à l’étude et aux services, relie les périphéries aux centralités et façonne l’économie urbaine. Ils concentrent aussi des tensions qui fragilisent la confiance des usagers : retards, annonces contradictoires, stationnements improvisés, sentiment d’insécurité, décalage entre grandes promesses d’infrastructure et qualité de service réellement perçue. Ils rendent possibles des millions de trajets quotidiens, soutiennent l’accès à l’emploi, à l’étude et aux services, relient les périphéries aux centralités et façonnent l’économie urbaine. Ils concentrent aussi des tensions qui fragilisent la confiance des usagers : retards, annonces contradictoires, stationnements improvisés, sentiment d’insécurité, décalage entre grandes promesses d’infrastructure et qualité de service réellement perçue.
Du fait de sa position géographique avantageuse, au centre du réseau en étoile francilien, la station Châtelet–Les Halles traduit les enjeux de déplacements dans une méga région dense. Les entretiens courts menés par Connexions1 révèlent un répertoire d’expériences récurrentes:
– Des usagers disent partir systématiquement en avance pour absorber une incertitude jugée ordinaire.
– D’autres expliquent renoncer à certaines activités en soirée, non par manque d’offre mais par peur d’attendre sur des quais peu fréquentés.
– Plusieurs décrivent la gêne occasionnée par les rames surchargées et à des correspondances ratées, notamment sur le RER A et B. Des voyageurs racontent aussi des bagarres, des vols à la tire, des portes maintenues ouvertes qui aggravent la saturation.
– Le résultat n’est pas seulement une perte de temps mais une érosion de la dignité dans l’acte de se déplacer.
Ces récits montrent que la disponibilité d’une ligne ou d’une fréquence ne garantit pas l’habitabilité du déplacement. La mobilité est une compétence socialement distribuée, et la capacité à composer avec l’aléa, à diversifier les itinéraires ou à s’extraire des heures de pointe dépend de ressources inégales. La notion de motilité, avancée par Vincent Kaufmann, permet de qualifier cette différence2. Deux personnes exposées à la même infrastructure ne disposent pas de la même liberté effective de mouvement, car la mobilité combine connaissances pratiques, capacités économiques, dispositions culturelles et sentiment de sécurité. Les ménages plus précaires cumulent temps perdu, fatigue et exposition à l’insécurité, tandis que d’autres, mieux dotés, transforment l’accessibilité en opportunités supplémentaires.
Les paragraphes suivants proposeront des pistes de réflexion et de débat pour analyser ces tensions et envisager des leviers d’action à même de répondre aux enjeux soulevés dans cette introduction.
I. Les transports comme opportunité d’intégration institutionnelle : gares, tramways et systèmes de transport
Au-delà de leur fonction technique, les transports structurent la ville et hiérarchisent les centralités. Une gare n’est pas seulement un point de passage : elle peut devenir un pôle d’emplois, de services et de commerces, capable de redistribuer les opportunités. Mais cet effet intégrateur n’est pas automatique. Sans stratégie foncière et sans gouvernance urbaine, une gare se réduit à un point de congestion. Les comparaisons européennes confirment ce contraste. À Kassel, dans le Land de Hesse en Allemagne, l’extension du RegioTram à l’échelle régionale a montré qu’un maillage pertinent peut connecter des communes périphériques et stabiliser des tendances démographiques qui, autrement, seraient défavorables. La fréquentation a dépassé les projections initiales, signe que l’offre, si elle est lisible et fiable, modifie les pratiques. En revanche, des villes comme Rennes et Amiens illustrent une difficulté lorsque le développement résidentiel reste indifférent au corridor ferroviaire et que l’automobile continue d’organiser la vie quotidienne. Dans ce cas, l’offre de transport n’irrigue pas le territoire, elle coexiste avec lui en parallèle. Cette divergence entre corridors et habitat rappelle que l’intégration spatiale ne se décrète pas et qu’elle demande une gouvernance exigeante3.
L’intégration, dans le domaine des transports métropolitains, ne renvoie pas seulement à la dimension technique de l’offre, mais recouvre plusieurs registres : institutionnel, territorial, économique et social. La comparaison entre la Métropole du Grand Paris et la Greater London Authority l’illustre bien. À Londres, la création de Transport for London (TfL) en 2000 a permis de centraliser la gouvernance de la mobilité4. Cette intégration a concerné la tarification (introduction de l’Oyster card), la planification des extensions du métro et la gestion des bus. Avec un budget annuel dépassant les 11 milliards de livres avant la pandémie de Covid5, et un périmètre couvrant l’ensemble du Grand Londres, TfL a pu coordonner l’aménagement de Canary Wharf avec l’extension de la Jubilee Line et le développement de la DLR (Docklands Light Railway). Résultat : entre 2000 et 2018, la part des transports collectifs dans les déplacements est passée de 29 % à près de 40 %, tandis que la congestion automobile a diminué d’environ 20 %6.
En Île-de-France, la situation est différente. Île-de-France Mobilités (IDFM) coordonne l’offre de transport, mais la maîtrise du foncier et la planification urbaine restent largement aux mains des communes et des intercommunalités. Cette fragmentation limite l’efficacité des investissements. Plusieurs gares rénovées du RER A ou du RER B concentrent aujourd’hui des flux considérables, mais faute de stratégie foncière en amont, elles se transforment en points de saturation sans générer de dynamiques urbaines. À l’inverse, des cas comme la Plaine Saint-Denis montrent qu’une articulation réussie entre transport et aménagement peut produire un effet d’intégration territoriale : la desserte renforcée par les RER B et D, combinée à une stratégie foncière active, a permis de faire émerger l’un des principaux pôles tertiaires de la région francilienne, avec plus de 20 000 emplois créés et 5 000 logements construits depuis les années 20007, tout en évitant un exode massif des habitants vers les périphéries plus lointaines. Ce développement est soutenu par des projets structurants comme le réaménagement du pôle-gare de Saint-Denis8 et la création d’un centre de commandement unique pour les lignes RER B et D9, qui renforcent l’intermodalité et la qualité de service dans ce secteur stratégique.
L’intégration est aussi économique. Comme le souligne Pierre Veltz avec son modèle assurantiel, les entreprises se localisent là où elles sont assurées de trouver les compétences, et les travailleurs s’installent là où ils sont assurés d’accéder à un bassin d’emplois10. Cette logique ne fonctionne que si la qualité et la fiabilité des transports rendent crédible cette double assurance. Les enquêtes d’Île-de-France Mobilités montrent par exemple que 70 % des actifs franciliens considèrent la proximité d’une gare ou d’une ligne de métro comme un critère décisif de localisation résidentielle11. La valeur immobilière en témoigne : autour des gares du Grand Paris Express, les prix ont déjà progressé de 10 à 15 % avant même l’ouverture des lignes12.
Enfin, l’intégration peut être sociale. En réduisant les distances-temps et en élargissant l’horizon d’accessibilité, les réseaux de transport favorisent la mixité urbaine et l’accès aux ressources métropolitaines. Mais lorsque les gains d’accessibilité profitent surtout aux ménages les plus solvables, l’effet peut se retourner en mécanisme de gentrification. C’est pourquoi l’intégration sociale suppose non seulement des infrastructures performantes, mais aussi des politiques foncières et tarifaires capables de garantir un accès équitable aux opportunités créées par la mobilité13.
II. Un système sous pression : sécurité, qualité perçue et gouvernance intégrée
La France et l’Île-de-France ont engagé des investissements massifs dans les transports publics, notamment à travers le Grand Paris Express et la modernisation des lignes RER. Ces projets visent à dessiner une métropole polycentrique, à réduire la dépendance au schéma radial hérité du XIXe siècle et à améliorer la résilience du réseau. Le protocole mobilités 2023–2027 du contrat de plan État–Région prévoit 8,4 milliards d’euros d’investissement, dont 3 milliards apportés par l’État et la Société du Grand Paris, et 3,7 milliards par la Région Île-de-France14. Les priorités incluent l’automatisation des RER B et D, la transformation de treize gares stratégiques, et l’interconnexion des lignes du Grand Paris Express avec les réseaux existants15. Pourtant, le sentiment dominant parmi les usagers reste celui d’un présent contraint. Le décalage entre les annonces stratégiques et l’expérience vécue alimente une forme de lassitude, voire de défiance. Les enquêtes menées par Île-de-France Mobilités en 2024 montrent que la satisfaction globale des usagers reste inférieure à 60 %, malgré les efforts de modernisation16. Cette tension n’invalide pas les projets, mais elle en révèle l’incomplétude : si la gouvernance se concentre sur demain, l’acceptabilité se joue aujourd’hui. Il existe ainsi une contradiction entre horizon d’aménagement et quotidien des pratiques, entre promesse d’intégration et perception d’un service sous pression.
Parmi les préoccupations exprimées par les voyageurs, la sécurité occupe une place centrale. Elle ne relève pas uniquement de la prévention des actes délictueux, mais de la capacité du système à garantir des conditions de déplacement compatibles avec la dignité et la confiance. La sécurité ressentie est devenue un indicateur structurant de la qualité perçue, au même titre que la ponctualité ou la fréquence. Les résultats issus des interviews menées par l’équipe de Connexions sont confirmés par l’enquête MobiObserver menée par Transdev où 43 % des usagers considèrent la sécurité comme le principal point à améliorer dans les transports en commun. La présence humaine visible sur les quais et dans les rames est largement plébiscitée, tout comme l’amélioration de l’éclairage, la propreté et la médiation sociale17.
La RATP a renforcé les effectifs du Groupe de Protection et de Sécurité des Réseaux (GPSR), avec plus de 1 000 agents déployés sur le terrain en 202418. En parallèle, le déploiement de caméras de surveillance, parfois dotées d’intelligence artificielle à titre expérimental pendant les Jeux Olympiques19, témoigne d’une volonté d’innovation sécuritaire. La loi du 28 avril 2025, dite “loi Tabarot”, a élargi les prérogatives des agents de sûreté de la RATP et de la SNCF, leur permettant notamment de procéder à des palpations de sécurité sans autorisation préfectorale préalable20.
Ces mesures visant à renforcer la sécurité ont eu des effets positifs. Selon les données du ministère de l’Intérieur, les actes de délinquance dans les transports franciliens ont diminué de 8 % entre 2023 et 2024, atteignant leur niveau le plus bas depuis 2016. Toutefois, cette baisse ne suffit pas à dissiper le sentiment d’insécurité, notamment chez les femmes et les jeunes, qui restent les publics les plus exposés aux violences sexistes et sexuelles21. Ce décalage entre sécurité réelle et sécurité perçue appelle une réponse multidimensionnelle, qui dépasse les dispositifs technologiques pour inclure les ambiances, la médiation sociale, la lisibilité des espaces et la qualité de l’accueil22.
La qualité perçue ne peut être dissociée de la sécurité. Elle repose sur une combinaison d’éléments tangibles et intangibles, qui conditionnent l’usage, la motilité et la confiance. Une gouvernance fragmentée, où les responsabilités sont dispersées entre opérateurs, collectivités et État, limite la capacité à coordonner les investissements et à mutualiser les ressources. À l’inverse, une gouvernance intégrée permet de calibrer les efforts là où ils sont les plus nécessaires, en articulant sécurité, qualité de service et justice sociale23.
Le financement des transports publics interroge quant à sa soutenabilité à long-terme. Le financement par le versement mobilité, les contributions publiques et la tarification aux usagers rendent délicat tout arbitrage entre accessibilité tarifaire et régularité de l’offre. La structure sociale des usagers franciliens fait que les hausses de prix pèsent plus lourdement sur les ménages captifs du réseau, en particulier ceux dont les horaires sont peu flexibles et qui n’ont pas d’alternative modale. Selon les données de l’Observatoire des mobilités, les ménages appartenant aux trois premiers déciles de revenus consacrent entre 8,6 % et 11,9 % de leur budget mensuel aux déplacements domicile-travail, contre moins de 3,8 % pour les déciles supérieurs24. Cette disparité pose directement la question d’une justice sociale des mobilités, notamment dans les territoires périphériques ou mal desservis.
À l’inverse, des baisses tarifaires non ciblées (comme la gratuité pour les moins de 18 ans ou les réductions forfaitaires sans condition de ressources) peuvent produire des effets limités si elles ne sont pas accompagnées d’investissements suffisants dans la fiabilité et la sécurité du réseau. En Île-de-France, l’élargissement du tarif Navigo à tarif unique a certes simplifié l’accès, mais les investissements prioritaires (renouvellement du matériel roulant, automatisation des lignes, renforcement des effectifs de sécurité) ont été différés dans plusieurs corridors saturés25. Ce décalage entre tarification et qualité perçue peut accroître la fréquentation sans résoudre les goulets d’étranglement, notamment aux heures de pointe sur les lignes B et D du RER. Une politique tarifaire équitable ne peut donc être dissociée d’une stratégie d’investissement ciblée. L’équilibre juste ne consiste pas à opposer prix et service, mais à concevoir un ensemble d’instruments tarifaires et budgétaires qui protège les mobilités contraintes tout en finançant ce qui compte pour la qualité perçue26.
La sécurité, dans cette perspective, n’est pas un coût additionnel mais une condition d’usage. Elle est le socle sur lequel repose la promesse de mobilité27. Les dispositifs expérimentés lors des Jeux Olympiques (comme la vidéosurveillance algorithmique ou les caméras-piétons) illustrent une volonté d’innovation, mais leur pérennisation dépendra de leur acceptabilité sociale et de leur capacité à renforcer la confiance sans porter atteinte aux libertés28. La gouvernance se mesure ici à sa capacité à maintenir l’ordinaire à un niveau de qualité compatible avec les ambitions d’aménagement. C’est dans cette articulation entre sécurité ressentie, qualité perçue et intégration territoriale que se joue l’avenir des transports métropolitains29.
III. Gouverner les effets de la mobilité : articuler transports, urbanisme et équité territoriale
La première exigence est de traiter l’ordinaire comme une priorité politique. Une métropole ne se construit pas uniquement par des projets structurants ou des lignes nouvelles : elle se mesure à la qualité de l’expérience quotidienne. La régularité de l’offre, la robustesse de l’information voyageur et la présence humaine sur les lignes les plus chargées sont des éléments décisifs pour la confiance. La vulnérabilité sociale se concentre souvent dans les horaires contraints, les trajets périphériques et les interconnexions mal desservies. C’est là que se joue l’acceptabilité du système. Répondre à cette exigence suppose de réallouer des moyens vers des fonctions d’exploitation et de médiation, en différant certaines dépenses d’infrastructure dont la visibilité politique dépasse parfois leur urgence fonctionnelle. Concrètement, cela peut signifier le recrutement d’agents de médiation sur les lignes saturées, l’extension des horaires de maintenance pour limiter les interruptions, ou encore l’installation de dispositifs d’information en temps réel dans les gares de rabattement30.
La deuxième exigence est d’aligner l’infrastructure sur une stratégie urbaine explicite. Une gare ne devrait pas s’ouvrir sans plan de secteur qui stabilise le foncier et garantisse une part significative de logements abordables, de commerces de proximité et d’équipements publics. Les cas européens évoqués plus haut montrent que les tramways et les gares régionales réussissent quand ils sont intégrés à une vision d’habitat et d’activités, et qu’ils échouent quand ils n’influencent pas la localisation résidentielle qui reste orientée vers la voiture. L’expérience francilienne révèle que l’infrastructure seule ne suffit à transformer les usages si elle n’est pas accompagnée d’une politique de l’habitat cohérente. La planification urbaine doit anticiper les effets d’attractivité induits par les transports et les encadrer par des outils de régulation31.
La troisième exigence est de consolider la gouvernance métropolitaine. Les communautés d’agglomération et les établissements publics de coopération intercommunale peuvent jouer un rôle déterminant dans la réduction des inégalités territoriales, à condition de mutualiser les ressources fiscales et les compétences stratégiques. La richesse d’une commune ne reflète pas nécessairement celle de ses habitants. Certaines disposent d’une base économique importante, comme des zones d’activités ou des sièges sociaux, mais accueillent peu de ménages modestes. D’autres cumulent précarité sociale et faibles recettes fiscales. Dans ce contexte, des configurations hétérogènes où les villes centres redistribuent une partie du produit fiscal, notamment par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ou la taxe foncière, peuvent contribuer à corriger les écarts structurels.
Sur le plan opérationnel, il ne s’agit pas de créer une nouvelle taxe dédiée, mais de renforcer les mécanismes de solidarité existants, comme le Fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France. Il est également nécessaire d’adapter l’architecture fiscale locale afin de mieux relier les recettes économiques aux besoins en services publics liés à la mobilité. Une gouvernance métropolitaine pleinement intégrée permettrait de coordonner la planification des transports avec les politiques de logement et d’aménagement, en dépassant les logiques de concurrence entre territoires. Pour être efficace, cette gouvernance doit s’appuyer sur des moyens d’action clairs, sur des capacités d’observation territoriale et sur une légitimité démocratique renforcée32.
La quatrième exigence est de traiter concrètement la question de la justice sociale des mobilités, au-delà des intentions affichées. Les instruments tarifaires devraient cibler les mobilités contraintes et reconnaître la diversité des situations. Une tarification progressive selon les revenus, associée à des abonnements flexibles pour les horaires contraints, permettrait de réduire la charge pesant sur les usagers captifs, notamment les travailleurs précaires et les étudiants. Il est également essentiel de renforcer la motilité, entendue comme la capacité réelle des individus à organiser leurs déplacements de manière autonome, informée et adaptée à leurs contraintes. Cela implique de renforcer l’apprentissage des réseaux, notamment pour les publics fragiles qui ne maîtrisent pas toujours les codes du système de transport : lecture des plans, compréhension des correspondances, usage des titres dématérialisés, anticipation des horaires. L’accompagnement doit devenir une fonction intégrée du service public, avec des agents visibles et formés dans les lieux de transit les plus complexes. L’ergonomie de l’information joue ici un rôle décisif : signalétique lisible, interfaces numériques accessibles, messages vocaux clairs, traduction multilingue et cohérence graphique entre les supports. Ces éléments conditionnent l’usage autant que la fréquence ou la vitesse. Enfin, il convient de rendre les itinéraires alternatifs plus lisibles et attractifs, en travaillant sur leur accessibilité physique et numérique, et en mobilisant des outils publics comme Accès-libre ou Transport.data.gouv.fr.. La mobilité ne peut être considérée comme un droit effectif sans une capacité réelle à s’orienter, comprendre et choisir son itinéraire. Elle doit être pensée comme un service public accessible, lisible et inclusif33.
La cinquième exigence vise à anticiper les effets fonciers et les dynamiques de gentrification que les projets de transport peuvent générer. Toute amélioration substantielle d’accessibilité transforme les territoires concernés, mais cette transformation n’est pas neutre : elle modifie les équilibres fonciers, attire de nouveaux profils résidentiels et peut, en l’absence de régulation, exclure les populations les plus vulnérables. À Villejuif, Bagneux ou au Bourget, l’annonce de nouvelles stations du Grand Paris Express a entraîné une hausse rapide des prix du foncier et des loyers, bien avant l’arrivée effective du métro34. Cette anticipation spéculative, alimentée par les investisseurs privés, tend à exclure les ménages modestes des quartiers en mutation. Les projets de transport produisent une rente foncière considérable, mais celle-ci est rarement captée par la puissance publique. Pour éviter cette dérive, plusieurs leviers peuvent être mobilisés : la constitution de réserves foncières publiques autour des gares, via des préemptions ciblées ou des conventions avec les établissements fonciers, permettrait de maîtriser les usages futurs du sol. Ces leviers doivent être coordonnés dans une stratégie territoriale explicite, articulée à la gouvernance de la mobilité et du logement.
La sixième exigence est d’assumer la transition territoriale comme un rééquilibrage des compétences entre l’État et les collectivités. Face à la fragmentation des responsabilités, certaines fonctions stratégiques comme la régulation foncière, la tarification sociale ou la gouvernance des données doivent être recentralisées pour garantir l’équité et la cohérence du système. La mise en place d’abris-quais bien éclairés, de patrouilles de sécurité visibles, de correspondances garanties aux heures sensibles, de voies de délestage pour limiter la saturation, ainsi que de dispositifs de médiation en lien avec les associations d’usagers, constitue un ensemble d’actions concrètes qui améliorent directement les conditions de déplacement au quotidien. La transition ne repose pas sur des ruptures spectaculaires, mais sur une série de gestes de gouvernance répétés, visibles et évalués, qui rendent crédible la promesse d’un système plus juste et plus habitable.
En somme, les politiques doivent assumer la dimension expérimentale de la transition. Les villes qui ont avancé ont souvent combiné des prototypes de service, des ajustements rapides et une évaluation transparente des résultats. La mise en place d’abris-quais mieux éclairés, de patrouilles mixtes, de temps de correspondance garantis, de voies de délestage pour les heures critiques et de campagnes de médiation coordonnées avec les associations d’usagers sont autant d’interventions modestes individuellement mais décisives collectivement. Le changement de régime de mobilité passe par des gestes de gouvernance répétés, visibles et évalués35.
- Connexions (novembre 2024), Vos pires galères dans les transports https://youtu.be/05PsFmaWSps?si=wolTBEafwlKv1DUv https://youtu.be/rc_pWJi3y58?si=zhyHc7jCckVWefxp ↩︎
- Kaufmann, V. (2002). Re-thinking Mobility. Ashgate ↩︎
- Desjardins, X. (2017). Urbanisme et mobilité : de nouvelles pistes pour l’action. Éditions de la Sorbonne. ↩︎
- Estèbe, P. (2008). Gouverner la ville mobile : intercommunalité et démocratie locale. PUF. ↩︎
- Transport for London, Annual Report and Statement of Accounts 2018/19, p. 8-12. Disponible en ligne :https://content.tfl.gov.uk/tfl-annual-report-and-statement-of-accounts-2018-19.pdf ↩︎
- Greater London Authority, Travel in London Report 12 (2019), chap. 2 « Travel demand and mode shares » ↩︎
- Institut Paris Région. Plaine Saint-Denis / Paris Nord Est. https://en.institutparisregion.fr/know-how/urban-planning/what-large-scale-urban-projects-in-paris-region/plaine-saint-denis-paris-nord-est/ ↩︎
- Île-de-France Mobilités. Réaménagement du pôle-gare de Saint-Denis. Mis à jour le 27 mars 2025. https://www.iledefrance-mobilites.fr/le-reseau/projets/polegare-saint-denis ↩︎
- Île-de-France Mobilités. Un futur centre de commandement unique pour les RER B et D. https://presse.iledefrance-mobilites.fr/un-futur-centre-de-commandement-unique-pour-les-rer-b-et-d/ ↩︎
- Pierre Veltz, La société hyper-industrielle, Seuil, 2017. Voir aussi sa préface dans Caroline Granier, Refaire de l’industrie un projet de territoire, Presses des Mines, 2023. ↩︎
- Île-de-France Mobilités, Enquête perception des transports en commun, juillet 2025. https://www.iledefrance-mobilites.fr/decouvrir/enquete-voyageur-perception-transports-en-commun ↩︎
- Actions Immobilier, Le Grand Paris Express : Quel impact sur le marché immobilier en 2024 et au-delà ?, janvier 2025. https://www.actionsimmobilier.fr/fr/actualites/le-grand-paris-express-quel-impact-sur-le-marche-immobilier-en-2024-et-au-dela-4032307.html ↩︎
- Île-de-France Mobilités, Mobilité inclusive : une Île-de-France accessible à tous, Schéma Directeur d’Accessibilité, septembre 2024 ↩︎
- Préfecture de la région Île-de-France, 8,4 Md€ d’investissement pour valoriser le transport francilien, 21 décembre 2023 https://www.prefectures-regions.gouv.fr/ile-de-france/Region-et-institutions/L-action-de-l-Etat/Amenagement-du-territoire-transport-et-environnement/Les-transports-du-quotidien/8-4-Md-d-investissement-pour-valoriser-le-transport-francilien-et-la-mobilite-du-territoire ↩︎
- Île-de-France Mobilités, Présentation des travaux printemps–été 2025, 30 avril 2025 https://presse.iledefrance-mobilites.fr/presentation-des-travaux-printemps-ete-2025/ ↩︎
- Île-de-France Mobilités, Baromètre de satisfaction des voyageurs 2024, mai 2024 https://www.iledefrance-mobilites.fr/actualites/barometre-de-satisfaction-des-voyageurs-2024 ↩︎
- Transdev, MobiObserver – Sécurité dans les transports en commun, mai 2024 https://www.transdev.com/wp-content/uploads/2024/06/mobiobserver-transdev_securite-dans-les-tansports-en-commun_mai-2024_.pdf ↩︎
- RATP, Une journée avec nos agents de sûreté, avril 2025 https://www.ratp.fr/une-journee-avec-nos-agents-de-surete ↩︎
- Ministère de l’Intérieur, Sécurité des Jeux Olympiques de Paris 2024 https://www.interieur.gouv.fr/actualites/grands-dossiers/a-linterieur-des-jeux-olympiques-et-paralympiques-de-paris-2024/securite ↩︎
- Légifrance, Loi n° 2025-379 du 28 avril 2025 relative au renforcement de la sûreté dans les transports https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051528207 ↩︎
- Ministère de l’Intérieur, Délinquance dans les transports – Interstats, mars 2025 https://www.interieur.gouv.fr/fr/Interstats/Infractions-et-sentiment-d-insecurite/Delinquance-dans-les-transports ↩︎
- Transdev, MobiObserver, op. cit. https://www.transdev.com/wp-content/uploads/2024/06/mobiobserver-transdev_securite-dans-les-tansports-en-commun_mai-2024_.pdf ↩︎
- Cour des comptes, Les transports en Île-de-France : un système en mutation, octobre 2023 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-transports-en-ile-de-france-un-systeme-en-mutation ↩︎
- Île-de-France Mobilités, Les mobilités contraintes en Île-de-France, rapport thématique, juin 2024 ↩︎
- Cour des comptes, Les politiques tarifaires dans les transports publics urbains, rapport public, octobre 2023 ↩︎
- Île-de-France Mobilités, Tarification et équité sociale, février 2024 https://www.iledefrance-mobilites.fr/actualites/tarification-et-equite-sociale ↩︎
- Cour des comptes, Sécurité et performance dans les réseaux franciliens, juin 2024 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/securite-et-performance-dans-les-reseaux-franciliens ↩︎
- Ministère de l’Intérieur, Bilan des dispositifs expérimentaux de sécurité, septembre 2024 https://www.interieur.gouv.fr/actualites/bilan-des-dispositifs-experimentaux-de-securite ↩︎
- Sénat, Commission du développement durable – Compte rendu du 30 septembre 2024 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240930/devdur.html ↩︎
- Xavier Desjardins, Urbanisme et mobilité. De nouvelles pistes pour l’action, Éditions de la Sorbonne, 2022
↩︎ - Ibid. ↩︎
- Estèbe, P. (2008). Gouverner la ville mobile : intercommunalité et démocratie locale. PUF. ↩︎
- Xavier Desjardins, Urbanisme et mobilité. De nouvelles pistes pour l’action, Éditions de la Sorbonne, 2022 ↩︎
- Dianko Mamadou, La gentrification des quartiers de gare du Grand Paris Express, Université Paris 1, 2022 https://sigquali.master-geomatique.org/component/fabrik/details/7/266-la-gentrification-des-quartiers-de-gare-du-grand-paris-express ↩︎
- Xavier Desjardins, Urbanisme et mobilité. De nouvelles pistes pour l’action, Éditions de la Sorbonne, 2022 ↩︎