Crise du logement en France : quel diagnostic et quelles réponses ?  

Par Pierre Geraud, étudiant en Master Stratégies territoriales à Sciences Po

En France, le droit au logement est un objectif à valeur constitutionnelle (OVC) découlant de la rédaction des 10e et 11e alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (94-359 DC, 19 janv. 1995, Loi relative à la diversité de l’habitat ; 98-403 DC 29 juill. 1998, Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions)1. La mise en œuvre de cet OVC par le législateur résulte alors de la loi du 5 mars 2007, consacrant le droit au logement opposable (DALO).   

Toutefois, plus de quatre millions de personnes sont considérées comme mal logées, près d’un million n’ont pas de domicile personnel et 100 000 vivent dans une habitation de fortune toute l’année (Fondation pour le Logement des Défavorisés, 30e rapport sur le mal-logement, 2025)2. Cette situation illustre une situation de crise du logement en France, alors que les aides publiques se sont élevées à 44 milliards d’euros en 2023 (Ministère du logement et de la rénovation urbaine, octobre 2024)3. La baisse des constructions et des transactions engendre un blocage du parcours résidentiel et en conséquence dégradation des conditions d’accès à des locations ou à la propriété, malgré les mesures prises par les pouvoirs publics. En outre, les défis de long-terme liés à la démographie, à l’accès à tous au logement et à la transition écologique contraignent fortement la politique publique liée. Enfin les réponses publiques – qui visent tantôt à favoriser (accession à la propriété), tantôt l’accueil des publics plus modestes (parc social), tantôt le logement à un prix abordable (locatif par exemple) – peuvent souffrir d’un déficit de lisibilité.  

La crise du logement en France, qui se traduit par une baisse des transactions et des constructions, concerne aussi bien l’offre que la demande :  

La période récente a été marquée par une baisse des constructions et des transactions. En effet, le nombre de permis de construire en France, est passé de 500.000 logements en 2022 à environ 350.000 en 2025, soit une baisse de 30%, tandis que le nombre de transactions est passé d’1,2 millions à 780000 entre septembre 2022 et 2024, soit une baisse de 35%. Aussi, le rythme des constructions neuves reste freiné par une insuffisante mise en d’œuvre des autorisations : le nombre effectif de logements construits reste significativement inférieur à celui des logements autorisés (Cour des comptes, Note thématique, Assurer la cohérence de la politique du logement face à ses nouveaux défis, 7 juillet 2023)4. La contraction des transactions et des constructions neuves engendre un blocage du parcours résidentiel (diminution du nombre de primo-accédants, faible rotation dans le parc social) et un mal-logement conséquent.    

Les facteurs d’explication se trouvent à la fois du côté de l’offre et de la demande. Au niveau de l’offre, la période inflationniste en 2022 et 2023 (5%/an) a augmenté les coûts de production qui pèse sur la construction et la rénovation. Ces coûts ont même augmenté plus que l’inflation. Outre, l’inflation le BTP est confronté à une profonde transformation en cours avec les acteurs de la rénovation qui ne sont pas encore structurés. Au niveau de la demande, si le parc de logements s’est agrandi (25 millions en 1984, contre 37,5 millions en 2020), la pression démographique dans certains territoires – comme à Paris et sa proche banlieue – ainsi que des moindres aménagements en couple  (moins de 70 % des personnes de 32 ans vivent en couple en 2021, contre quasiment 80 % en 1990, INSEE, France, portrait social, ménages, couples et familles, novembre 2024)5 contribuent à accroître la demande de logements, se traduisant notamment par une forte tension locative. En outre, les périodes de hausse des taux d’intérêt ont réduit la capacité d’emprunt des ménages pour un achat et favorisé ainsi la tension locative. Le logement représente ainsi environ un tiers des dépenses pré-engagées des ménages (France Stratégie, Note d’analyse n°102, août 2021)6, faisant de celui-ci le poste le plus difficilement compressible.   

Sur le temps long, si les pouvoirs publics sont progressivement intervenus dans le secteur du logement, en agissant sur l’offre comme la demande, les choix opérés n’ont pas toujours eu les effets escomptés :  

D’une part, en matière d’offre, si loi Siegfried de 1894 établit les comités d’Habitations à Bon Marché (HBM) et la loi Loucheur de 1928 fixe des objectifs quantitatifs de construction de logements, c’est surtout après la Seconde guerre mondiale que l’Etat devient un acteur clé de la construction de logements, en particulier sociaux, qui se traduit notamment par les « grands ensembles » et à partir des années 1980 une politique de développement social dans les quartiers aujourd’hui dits « prioritaires ». Aussi, la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) impose aux communes de disposer d’au moins 20% de logements sociaux, renforçant ainsi la production de logements accessibles dans les zones tendues. Par ailleurs, des instruments fiscaux ciblant les logements vacants ou les résidences secondaires visent également à agir sur l’offre de logements, en favorisant la remise sur le marché de biens inoccupés ou faiblement utilisés.  

D’autre part, les pouvoirs publics agissent également sur la demande. Le développement d’aides aux logements (allocation de logement familiale créée en 1948, allocation de logement sociale en 1972, aide personnalisée au logement en 1977) vise alors à « solvabiliser » la demande (des locataires comme des accédants à la propriété) et à donner aux ménages plus de choix dans leur logement via un soutien financier direct. La suppression de la taxe d’habitation depuis 2020 dont devait s’acquitter l’occupant du logement, solvabilise également la demande.   

Aussi, la volonté des pouvoirs publics de solvabiliser la demande, en particulier des propriétaires, se traduit par des dispositifs tels que MaPrimeRénov’ ou Ma Prime Adapt mais également des crédits d’impôts ou des prêts garantis. La demande est également soutenue par un cadre juridique structurant la relation entre locataires et bailleurs, le régime en France étant protecteur des premiers (ex : loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) de 2014 encadrant les loyers et fixant la période de la trêve hivernale, du 1er novembre au 31 mars, durant laquelle les procédures d’expulsion d’un locataire sont suspendues).  

Toutefois, les choix opérés ne parviennent pas à enrayer la crise actuelle. Le soutien à la demande a des effets limités : la suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales à partir de 2020 a en réalité été captée en grande partie par les prix de l’immobilier (Institut des politiques publiques, Evaluation de la réforme de la taxe d’habitation, décembre 2023)7, tandis que le biais inflationniste des APL sur les loyers a été démontré (INSEE, L’impact des aides au logement sur le secteur locatif privé, novembre 2014)8. En parallèle, l’Etat a réduit son appui aux bailleurs sociaux alors que les nombre de demandeurs de logement social est passé de 2 à 2,6 millions entre 2016 et 2023 et que la rotation est faible. Aussi, la politique d’adaptation des logements à l’évolution démographique, notamment face au vieillissement de la population française reste insuffisante aujourd’hui. L’enveloppe concernée, notamment avec « Ma Prime Adapt », reste faible, en comparaison à la rénovation énergétique (Cour des comptes, Le soutien aux logements, face aux évolutions climatiques et au vieillissement de la population, octobre 2023)9.  

En outre, la politique du logement est confrontée aux ambitions des politiques environnementales. En effet, la loi Climat Résilience de 2021 a fixé l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) – qui vise à cesser toute progression nette de l’artificialisation des sols d’ici 2050 – ou encore l’interdiction à la location des « passoires thermiques » (G au 1/01 2025, F en 2028). Ces mesures de sobriété foncière et énergétique conduisent alors à augmenter indirectement la pression sur l’offre de logements.   

Il apparait nécessaire de mieux adapter la politique du logement aux enjeux sociaux et écologiques, tout en encourageant la mobilité résidentielle :  

Cette adaptation nécessite en premier lieu des réponses matière de fiscale. En ce sens, le conseil des prélèvement obligatoires (CPO, Pour une fiscalité du logement plus cohérente, décembre 2023)10 préconise de taxer davantage la détention, principalement via la taxe foncière, à condition toutefois de rendre cette imposition moins régressive et plus juste notamment par la mise en œuvre de la réforme des valeurs locatives cadastrales (VLC), dont le système peut apparaitre injuste à l’heure actuelle (Insee, Mathias André, Olivier Meslin décembre 2023)11. En effet, si la taxe foncière payée par les ménages ayant le patrimoine immobilier brut le plus faible représente 0,5 %, ce taux est proche de 0,4 % pour les ménages entre les centiles 60 et 90 et s’établit à 0,22 % pour les 1 % aux patrimoines immobiliers les plus élevés (André, Meslin, 2021)12.   

Aussi, il apparait nécessaire de revoir les incitations inopérantes. A titre d’exemple, le dispositif Pinel présentait un effet d’aubaine, en soutenant des investissements réalisés dans des zones peu tendues, ou à destination de ménages qui auraient investi sans incitation fiscale, il était donc pertinent de le supprimer (Cour des comptes, L’aide fiscale à l’investissement locatif Pinel, 2024)13.  

Par ailleurs, pour que les outils réglementaires comme l’interdiction de location des passoires thermiques soient pleinement efficaces, plusieurs rapports (association NégaWatt en 2018, Convention citoyenne pour le climat en 2020, Assemblée nationale et Sénat en 2022)14 recommandent de confirmer ces interdictions tout en levant les freins techniques et juridiques. Cela implique d’adapter les règles d’urbanisme, de réviser certains règlements de copropriété et de faciliter les travaux de rénovation dans les secteurs patrimoniaux ou les immeubles collectifs.  

Enfin, pour atteindre les objectifs de sobriété foncière, il apparait nécessaire de changer de paradigme économique : aujourd’hui, les projets immobiliers sur des terrains nus sont souvent plus rentables, car leur valeur augmente fortement ensuite. À l’inverse, recycler des terrains déjà construits, comme des friches, est plus coûteux (Plan Urbanisme Construction Architecture, mars 2024)15. A ce sujet, le développement de « foncières de renaturation »16 chargées d’acquérir, porter et renaturer des terrains déjà artificialisés doit être encouragé. Cet outil permettrait de maîtriser les prix et d’orienter les projets vers les zones déjà construites, pour mieux encadrer le marché et éviter la spéculation.  

  1. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1995/94359DC.htm
    https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1998/98403DC.htm ↩︎
  2. https://www.fondationpourlelogement.fr/30e-rapport-sur-letat-du-mal-logement-en-france-2025/ ↩︎
  3. https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/295731.pdf ↩︎
  4. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20230707-note-thematique-Assurer-coherence-politique-logement-face-nouveaux-defis.pdf ↩︎
  5. https://www.insee.fr/fr/statistiques/8242327?sommaire=8242421#figure1_radio1 https://www.insee.fr/fr/statistiques/8242327?sommaire=8242421#figure1_radio2 ↩︎
  6. https://www.strategie-plan.gouv.fr/files/files/Publications/2021/0831%20dépenses%20préengagées/fs-2021-na_102-depenses_pre-engagees.pdf ↩︎
  7. https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2023/12/TH_CPO_vIPP_vdef_compressed.pdf ↩︎
  8. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1521337 ↩︎
  9. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20231026-CEC-Soutien-aux-logements-face-aux-evolutions-climatiques.pdf ↩︎
  10. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/pour-une-fiscalite-du-logement-plus-coherente ↩︎
  11. https://www.insee.fr/fr/statistiques/7735076#tableau-figure1 ↩︎
  12. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5893223 ↩︎
  13. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-08/20240905-Aide-fiscale-investissement-locatif-Pinel.pdf ↩︎
  14. https://www.precarite-energie.org/IMG/pdf/nw_etude_juin_2018_resorber_la_pre_carite_energetique_et_renover_les_passoires_thermiques.pdf
    https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/rf/ccc-rapport-final-seloger.pdf
    https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-eco/l16b0482_rapport-fond.pdf
    https://www.senat.fr/rap/r22-129/r22-1290.html ↩︎
  15. https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/actes_tpsf_epernay_web.pdf ↩︎
  16. outil public comparable aux SAFER agricoles ↩︎

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