1987 : Quand la déconnexion avec les réalités économiques atteint son paroxysme

Lundi 19 octobre 1987 : l’indice Dow Jones perd 22,6 % de sa valeur, soit la pire séance jamais enregistrée pour Wall Street. Surnommé « the black Monday », ce krach n’a paradoxalement pas eu de répercussions immédiatement néfastes sur l’économie réelle, contrairement au krach de 1929. Cette crise a été causée par des phénomènes macroéconomiques, tels que les variations de taux de change avec le dollar mais également par des nouvelles innovations qui sont mises en application sur les marchés financiers tels que les algorithmes de trading. Dans ce reportage, nous allons nous pencher précisément sur les facteurs de cette crise, mais également analyser la réponse de la FED.

Une conjoncture précédant la crise marquée par des variations importantes du dollar

Une politique désinflationniste initiée par Paul Volcker :

Il convient de rappeler le contexte de cette crise. Dans les années 1970, l’économie américaine est marquée par la stagflation, c’est-à-dire une forte inflation combinée à une faible croissance. La fin de la convertibilité or-dollar, décidée par Richard Nixon le 15 août 1971, a entrainé la mise en place d’un système de changes flottants, faisant évoluer la valeur des monnaies selon l’offre et la demande. Ce système s’est révélé pervers pour les Etats-Unis puisque le dollar a été confronté à plusieurs dévaluations, générant de l’inflation. Cette inflation a également été causée par les chocs pétroliers de 1973 et 1979, faisant passer de 1,3 à plus de 30 dollars le prix du baril entre le début et la fin des années 1970, ce qui a lourdement impacté la production des entreprises du secteur secondaire. Si l’on donne des chiffres précis, le taux d’inflation en 1974 était aux alentours de 10 % et le taux de croissance était de -2 %, soit à un niveau négatif. En août 1979, Paul Volcker est nommé par Jimmy Carter président de la FED. Il mène alors une politique de lutte contre l’inflation, afin de redonner de la valeur au dollar. Pour cela, il fait passer les taux au jour le jour de 11 % à plus de 20 %, c’est-à-dire que le prix de l’argent prêté par la Banque centrale américaine aux établissements de second rang pendant 24 heures étaient de plus de 20 %, ce qui limitait forcément la création monétaire en dollars, entrainait sa rareté et par conséquent augmentait sa valeur. La création monétaire prévue pour le rachat de devises étrangères devenait par conséquent plus limitée.

Une désinflation excessive :

Sur un plan purement monétaire, cette politique, s’est révélée efficace : en 1980, le taux d’inflation était d’environ 14 %, il n’était plus que de 3 % en 1983. Cette appréciation fulgurante du dollar au détriment des autres monnaies qui se voyaient alors dévaluées a alors débouché sur un accord monétaire entre les principaux pays du G7 (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Japon et RFA) le 22 septembre 1985, les Accords du Plaza. Plusieurs milliards de dollars sont injectés sur le marché monétaire, ce qui fait baisser mécaniquement sa valeur. Ainsi, à la fin de l’année 1986, le dollar avait effacé tous ses gains et avait retrouvé son niveau de 1979. Les accords du Plaza, censés limiter l’appréciation du dollar, ont eu des effets excessifs, dans le sens qu’ils ont créé un cercle vicieux inflationniste pour le dollar. Pour contrer cette nouvelle dépréciation du dollar, les pays du G5, accompagnés du Canada optent pour la stratégie inverse de celle conclue au Plaza, en signant les Accords du Louvre le 21 et 22 février 1987, correspondant à une politique de renforcement de la valeur du dollar. Cependant, ces accords ne parviennent pas à enrayer la dépréciation de la monnaie américaine. L’échec de cet accord, a alors des conséquences sur les rendements du marché obligataire américain. En effet, la hausse de l’inflation, entraine une diminution des taux d’intérêts réels, qui rappelons-le se calcule approximativement par le taux d’intérêt nominal soustrait du taux d’inflation. Par conséquent, durant les mois précédent le krach, les taux d’intérêts nominaux ont augmenté considérablement, le bond du trésor américain sur 10 ans atteint 9,5 %. La dépréciation du dollar a des effets bénéfiques sur la croissance et permet de dynamiser les exportations. En effet, si la valeur du dollar diminue par rapport au franc par exemple, il faudra moins de francs pour obtenir un bien en dollars, ce qui les produits américains plus compétitifs. Cependant, cette hausse de la compétitivité des produits américains ne permet pas de compenser les pertes causées par la dévaluation du dollar, ce qui se traduit par une hausse du déficit commercial. L’annonce des chiffres du déficit commercial américain le 16 octobre est d’ailleurs considérée comme l’un des principaux éléments déclencheurs du krach.

Une crise endogène

Une crise favorisée par la dérégulation :

Par la suite, il est nécessaire de comprendre le contexte de l’époque. Depuis l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan en 1981, les Etats-Unis connaissent une période de libéralisation, dans le sens d’un recul voire d’une absence d’intervention de l’état sur les marchés financiers. Cette politique favorise alors le développement de produits financiers ou de nouvelles opérations. Par la suite, des opérations font leur apparition grâce à l’informatisation de la finance, marquée par les débuts des programmes de trading. Des algorithmes avaient été créés et programmaient des ordres de vente et d’achat automatique. Les programmes fonctionnaient alors avec des stop loss, c’est-à-dire des ordres de vente automatique afin de protéger le capital. Cependant, à cette époque, étant donné que les programmes étaient encore peu développés et similaires, leur fonctionnement avait alors tendance à intensifier les fluctuations des cours de bourse, notamment baissières. L’autre apparition importante était celle de la portfolio insurance, dont l’objectif était de protéger le capital des investisseurs. L’idée est d’organiser une fusion entre un portefeuille d’actions et un contrat de vente, une option put. En cas de croissance du marché les gains générés étaient moins importants que la hausse des cours, du fait de la perte de la prime dans le cadre de l’option. Pour en connaître plus sur le système des options, je vous invite à regarder la vidéo consacrée à ce sujet. L’avantage était que si les gains en cas de hausse du marché étaient moins importants, les pertes en cas de baisse étaient amoindries par la prime de l’option. Il s’agissait en fait d’un arbitrage visant à répartir les risques.

Un stop-loss ayant favorisé une crise uniquement financière :

Le stop-loss était marqué par des inconvénients pour les investisseurs. Le premier était qu’à cette époque, le marché de ce type de produits était oligopolistique, ce qui mettait les établissements bancaires dans une position de Price Maker et non de Price Taker comme sur un marché concurrentiel. En effet, sur un marché concurrentiel, caractérisé par une atomicité de l’offre et de la demande, les acteurs, nombreux et étant des atomes, ne pouvaient pas avoir d’influence sur le marché et par conséquent, infléchir les prix à la hausse ou à la baisse. Par conséquent, à cette époque, les établissements bancaires fixaient en quelque sorte à leur guise les conditions du marché, comme le montant de la prime ou les conditions d’échéance. Ainsi, en cas de baisse massive des cours, l’investisseur par ces conditions de marché peu avantageuses, n’a pas son capital réellement protégé et c’est ce qui s’est produit durant le krach d’octobre 1987. Les réponses institutionnelles ont été immédiates. La FED, la banque centrale américaine, joue son rôle de prêteur en dernier ressort et inonde le marché de liquidités. Mais la particularité de ce krach est que les conséquences immédiates sur l’économie réelle sont quasiment nulles. En effet, le taux de croissance en 1987 était de 3,5 % et a même connu une accélération l’année suivante en grimpant en 1988 à 4,2 %. Après le krach, les autorités ont décidé de réguler le fonctionnement des programmes de trading, avec l’instauration de coupe-circuit, en cas de baisse brutale des cours. Cependant, à plus long-terme, à l’aube des années 1990, face à l’inflation engendrée par la politique de la FED, cette dernière a alors été contrainte de relever ses taux, ce qui a ralenti la croissance de l’économie américaine. De 3,5 % en 1989, elle s’élevait à 4,2 % l’année précédente.

Cet épisode de 1987 révèle les effets néfastes qu’engendre la dérégulation et l’absence d’intervention de l’état sur les marchés. Cette libéralisation, qui a débuté sous Nixon avec la fin des taux de change fixe, a engendré un bouleversement du marché monétaire mondial et le dollar a connu successivement des phases de dévaluation et de renforcement, qui a impacté également les autres monnaies ainsi que le pouvoir d’achat des ménages. Puis, avec l’arrivée au pouvoir de Reagan, les Etats-Unis connaissent durant les années 1980, une période de dérégulation financière et d’euphorie sur les marchés. Les autorités publiques, refusant de reconnaitre le risque de formation d’une bulle spéculative, laisse cette dernière éclater. Paradoxalement, le marché était tellement déconnecté avec les réalités économiques, que l’impact sur l’économie réelle sera minime, mais cette chance ne sourit pas toujours, comme l’ont révélé les épisodes de 1873 et de 1929 ou plus récemment de 2007 et de 2011.

https://www.edubourse.com/guide-bourse/krach-1987.php

https://www.lefigaro.fr/flash-eco/2012/10/19/97002-20121019FILWWW00596-le-krach-de-1987-c-etait-il-y-a-25-ans.php

https://www.lesechos.fr/2017/10/krach-du-19-octobre-1987-le-jour-ou-wall-street-sest-effondre-184501

http://www.fb-bourse.com/krach-boursier-1987/

https://fr.statista.com/statistiques/564926/prix-annuel-du-petrole-de-l-opep-1960/

https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/quand-la-fed-remontait-ses-taux-a-20_1791297.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Krach_d%27octobre_1987

https://fr.tradingeconomics.com/united-states/gdp-growth-annual

https://fr.tradingeconomics.com/united-states/inflation-cpi

https://fr.wikipedia.org/wiki/Récession_du_début_des_années_1990

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