Défiance politique & déclin relatif de nos partis traditionnels

Les partis politiques sont des institutions centrales de la vie politique. Ils peuvent se définir comme des organisations durables, implantées sur tout le territoire et ayant pour objectifs finaux la conquête et l’exercice du pouvoir grâce au soutien du peuple. Aujourd’hui, les partis semblent dans une situation paradoxale : alors que ces structures ont longtemps été jugées nécessaires pour désigner des candidats et offrir des choix clairs aux électeurs, de nombreux sondages montrent une méfiance grandissante des citoyens envers elles. Dès lors, les partis politiques seraient-ils devenus moins indispensables ? 

La moindre importance des partis politiques est d’abord liée au déclin des idéologies et des appartenances. La chute du Mur de Berlin en 1989 est venue mettre un terme au grand affrontement idéologique du 20e siècle opposant les sociétés capitalistes libérales de l’Ouest et le monde communiste de l’Est, qui a longtemps structuré la géopolitique mondiale mais aussi certains paysages politiques nationaux. Dans le même temps, les transformations de l’économie et de la société dans les Etats occidentaux, comme la hausse générale des niveaux de vie, le déclin relatif de l’industrie et les délocalisations, ont modifié et complexifié les frontières entre classes sociales, notamment en affaiblissant la classe ouvrière – et donc certaines affiliations partisanes qui, autrefois, allaient de soi. 

Plus généralement, de moins en moins de citoyens se reconnaissent dans le clivage droite/gauche traditionnel. Certains politiques brouillent même volontairement les pistes, en faisant de la « triangulation », ce qui consiste à prendre des idées de son adversaire voire à présenter, in fine, son idéologie comme « au-dessus » de la gauche et la droite.

La montée de l’individualisme et de l’hédonisme vient aussi mettre à mal la place des partis politiques dans la société. Les engagements des citoyens sont plus limités (parfois à des causes précises) et temporaires ; ils ne se retrouvent pas dans des organisations hiérarchisées auxquelles on adhérait pour toute leur vie comme autrefois, au service d’une véritable vision du monde. 

En conséquence, les effectifs des partis ont beaucoup diminué et le jeu politique semble devenu, pour beaucoup, une affaire qui ne les concerne pas, réservée à des professionnels qui cherchent avant tout à faire carrière (voire à s’enrichir plus ou moins honnêtement). Les sondages témoignent de ce rejet des partis : selon le 10e baromètre annuel de la confiance du Centre d’étude de la vie politique (Cevipof), seuls 9% des Français déclaraient avoir confiance dans les partis en décembre 2018. 

De nombreux partis traditionnels européens sont entrés en crise. En atteste l’effondrement, en Italie, du Parti Communiste, du Parti Socialiste et de la Démocratie Chrétienne, au profit, plus récemment, de l’émergence de partis « populistes » de gauche comme de droite qui ont accédé ensemble au pouvoir (Ligue et Mouvement 3 Etoiles), sans compter les périodes de gouvernements « techniciens » et « trans-partisans », dirigés par des experts apolitiques, tels M. Monti ou, actuellement, M. Draghi.

La victoire d’Emmanuel Macron aux élections présidentielles de 2017 illustre aussi ce point : pour la première fois, un tout nouveau parti (La République en Marche), ne se revendiquant ni de gauche, ni de droite, ayant pour unique but de soutenir un candidat aux présidentielles, a remporté la majorité absolue aux élections législatives qui ont suivi. Dans le prolongement de ce constat, et à l’exemple d’E. Macron en 2017 stigmatisant les partis, figures du « monde d’avant », certains candidats aux élections de 2022 ont quitté leur parti en espérant gagner ainsi en visibilité et en popularité.

Les médias comme la télévision mais aussi maintenant, les réseaux sociaux, favorisent la personnalisation de la politique, comme le font dans certains cas les institutions, à l’image de la Vème République en France, depuis l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel. De même, aux Etats-Unis, le système présidentiel a empêché l’émergence de partis puissants. 

Il arrive également que de nouvelles thématiques et de nouveaux courants de pensée créent des divisions au sein des camps, voire des partis, traditionnels. Ainsi, le souverainisme et la construction européenne ont divisé europhiles et eurosceptiques à l’intérieur de la droite (le RPR à l’époque du referendum sur le traité de Maastricht) et de la gauche (LFI/parti socialiste). L’écologie suscite de nouvelles oppositions, par exemple à gauche entre ceux qui défendent la décroissance et ceux qui restent attachés à la défense du pouvoir d’achat. 

Des élus ont conduit des politiques parfois en désaccord avec leur parti d’origine. Donald Trump, au cours des primaires qu’il a remportées, puis après son élection à la tête des Etats-Unis en décembre 2016, a imposé son style et ses idées, parfois très éloignés du conservatisme traditionnel, aux Républicains américains. Au Royaume-Uni, Boris Johnson a gagné les législatives après de fortes tensions au sein de son propre parti, en promettant de mettre en place le Brexit et d’augmenter les investissements dans les régions défavorisées, traditionnellement favorables au Labour Party. Même en Allemagne, où les partis sont restés incontournables, notamment du fait de la représentation proportionnelle (les partis désignent les candidats), la chancelière Angela Merkel, s’appuyant sur sa popularité, s’est plusieurs fois écartée des positions habituelles de son parti (sur la sortie du nucléaire et sur l’accueil des réfugiés syriens, par exemple). 

Pour autant, le jeu politique continue largement à s’organiser autour des partis. Si nombre d’entre eux sont en crise, l’organisation des acteurs du jeu politique sous la forme de partis reste souvent indispensable, notamment pour viser les différents lieux de pouvoir (Parlement, collectivités locales, tête de l’Etat). Les nouveaux courants deviennent des partis (écologistes, populistes) ou investissent d’anciennes structures partisanes, comme le « trumpisme » s’emparant du parti républicain, pour concourir aux élections, s’implanter et durer. Notons les difficultés de La République en Marche et du « macronisme » sans Macron à convaincre les électeurs aux élections locales, faute d’un parti solide.

Des facteurs anciens, comme les systèmes électoraux, en particulier le scrutin uninominal à un tour, peuvent contribuer à la préservation du rôle des partis, comme aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, en particulier dans la désignation des candidats.

Certains partis ont su se renouveler pour s’adapter aux évolutions sociales : plus grande facilité d’adhésion et émergence de partis « en ligne » (le parti 3 Etoiles italien et La France Insoumise). Les relations y sont en principe plus horizontales et les militants y jouent un rôle plus actif, notamment à l’occasion de l’organisation de primaires quand elles sont « fermées » (réservées aux adhérents) pour désigner des candidats qui peuvent renforcer leur légitimité face à des candidats « hors parti ».

Les recompositions de la société et du monde du travail ont mis à mal les anciens systèmes de parti, comme celui de la « quadrille bipolaire » en France avec le Parti Communiste et le Parti Socialiste, à gauche, les libéraux et les gaullistes, à droite. Cependant, les partis actuels ne sont pas dénués d’assises sociologiques, en dépit de l’individualisation des modes de vie. Toujours en France, le Rassemblement National regroupe une partie importante des classes populaires, tandis que LREM vise les classes moyennes supérieures, la gauche rassemble plutôt les jeunes diplômés et les fonctionnaires tandis que la droite a la plus grande partie de ses soutiens chez les retraités et les classes possédantes. Ce socle électoral leur confère une certaine stabilité. Certains nouveaux partis (souverainistes, populistes, de gauche radicale et écologistes) semblent ainsi destinés à durer.

Les repères idéologiques ont changé plus que disparu. Ils s’organisent autour de valeurs et d’idées qui définissent de nouveaux clivages forts et structurants, probablement durables, mobilisant des militants parfois très engagés. Ces combats idéologiques s’articulent de nos jours davantage autour de la préservation de l’environnement, du féminisme, des identités, de l’insécurité ou de l’immigration…

Il arrive que des mouvements sociaux nés en-dehors des partis se transforment en partis, ou que leurs acteurs s’engagent dans des partis qu’ils contribuent à transformer et à mettre au service de nouveaux combats. Ainsi, les partis de gauche mettent aujourd’hui moins en avant les classes populaires et la défense du pouvoir d’achat au profit de thématiques nouvelles comme le féminisme et l’antiracisme.

En définitive, si les partis politiques traversent une phase de crise, il s’avère aussi que leur rôle reste consubstantiel d’un cadre politique démocratique, mais cela rend d’autant plus nécessaire leur renouvellement. 

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