L’art calligraphique existe depuis que les hommes pratiquent l’écriture. D’abord un moyen de garder une trace des transactions commerciales de la vie courante, l’écriture s’est ensuite élargie à de nombreux autres usages, notamment dans les plus hautes sphères des sociétés (parmi les élites dirigeantes et les ordres religieux) dans les premiers temps. Etymologiquement, le mot calligraphie vient du grec kalos, signifiant « beau » ; il peut donc être défini comme « l’art de la belle écriture ». A l’instar de l’écriture, dont elle tire ses origines, la calligraphie est universelle, mais diffère selon les cultures. Si la calligraphie persane, ou « orientale », se base sur l’alphabet arabe, la calligraphie occidentale, elle, repose sur l’embellissement des caractères latins. Encore de nos jours, l’art calligraphique occidental est omniprésent dans nos sociétés : chaque marque, chaque produit, en cherchant à se distinguer de ses concurrents, adopte son propre son style calligraphique pour attirer l’œil du consommateur et s’assurer d’être facilement reconnaissable par tous – même par ceux qui ne parlent pas forcément la langue ou n’utilisent pas le même alphabet.
Les premières traces de calligraphie occidentale remontent à l’époque romaine, à la fin du VIIe siècle avant J.-C, à une période où les Romains s’inspiraient de l’écriture des Grecs et l’adaptaient à la phonétique latine. Plusieurs écritures calligraphiques romaines en sont ainsi issues, comme la Capitale Romaine, la Quadrata, la Rustica et la Cursive. L’écriture romaine est par conséquent à l’origine de toutes les calligraphies latines.
La calligraphie occidentale s’est ensuite essentiellement développée grâce aux moines chrétiens durant le Moyen-Age. A une époque où l’imprimerie n’existait pas encore, la seule solution pour diffuser le savoir biblique et les textes religieux consistait à recopier les ouvrages, un à un, page après page : ce sont ce qu’on appelle les manuscrits (du latin manus, « les mains » et scribere, « écrire »).

Cette tâche occupait une grande partie du temps des moines copistes. Le film « Le nom de la Rose » réalisé par Jean-Jacques Annaud et sorti sur grand écran en 1986, est un drame médiéval mettant en scène le travail manuscrit réalisé par les moines copistes dans une abbaye bénédictine du nord de l’Italie, sous fond de morts mystérieuses et inexpliquées. Plusieurs scènes du film exposent le scriptorium, la salle dédiée à la copie des manuscrits, et les bibliothèques. Dans cette salle, plusieurs moines s’attèlent à la charge de recopier les manuscrits, installés à leurs bureaux, munis de leur plume, de leur parchemin vierge et de leur encrier, le tout dans un silence pour ainsi dire religieux.
Recopier un texte en un nombre donné d’exemplaires ne suffit néanmoins pas pour parler de « calligraphie ». Les manuscrits médiévaux se distinguent en effet également par la diversité, la créativité des caractères et par les formes artistiques que prennent certains d’entre eux. En ce sens, les enluminures étaient essentielles pour décorer les manuscrits et leur apporter une touche moins « austère ».
De nos jours, le terme d’enluminure renvoie essentiellement à l’ensemble des éléments décoratifs et des représentations imagées exécutés dans un manuscrit pour l’embellir. Au XIIIe siècle, l’enluminure est aussi très associée à l’usage de la dorure. L’enluminure de l’époque était donc une illustration ou une lettre imagée dessinée sur un fond doré – la lettrine – le tout servant à embellir les manuscrits. Par exemple, certaines enluminures, parfois presque comiques, pouvaient consister en différents personnages, animaux ou plantes, enchevêtrés les uns les autres de manière à former des lettres.

Les enluminures ornaient principalement les premières lettres de certaines phrases (on ne verrait jamais, par exemple, une lettre enluminée au beau milieu de l’une d’entre elles). Elles servaient essentiellement à mettre en valeur les lettres majuscules en début de chapitre ou de paragraphe, à les rendre plus importantes et plus esthétiques aux yeux des lecteurs, notamment afin de les aider à mieux saisir la structure du texte.
Il existe différents types d’enluminures, en fonction de leur plus ou moins grande insertion dans le texte lui-même. Certaines enluminures se détachent totalement du texte, lorsqu’il s’agit par exemple d’une illustration en bas de page. D’autres, au contraire, sont des lettres majuscules ornées de motifs, de dessins et de dorures.


Parmi les différents types d’enluminures que l’on retrouve au Moyen-Age, nous pouvons recenser les scènes figurées, les compositions décoratives, les lettrines et enfin les signes divers (qui ne peuvent pas être considérés comme des enluminures à proprement parler mais qui possèdent tout de même pour certains une valeur esthétique). Toutes ces enluminures n’étaient pas réalisées par les moines copistes, mais par d’autres moines appelés les « pictor ».
La copie des manuscrits permettait également, selon les moines chrétiens, de purifier leur âme : bien plus qu’un simple travail de répétition, cette activité très chronophage constituait pour eux une forme de prière, entre une ascèse et une louange. Cette pratique religieuse censée élever l’âme nécessitait également une extrême concentration de la part des moines copistes, ainsi qu’une très grande précision des gestes, la moindre erreur pouvant être fatale et gâcher un travail de longue haleine. La copie de manuscrits exigeait donc des moines une hygiène de vie exemplaire et surtout une très grande patience, ce que leur apprenait leur vie quotidienne en marge de la société consacrée à honorer le Seigneur. Somptueusement reliés, ces livres coûtaient si cher qu’ils restaient l’apanage de collectionneurs fortunés, clercs ou laïcs.
La calligraphie monastique a également suivi les tendances cursives traversant au fil du Moyen-Age les sociétés européennes. Ainsi, en l’an de grâce 780, la minuscule caroline voit le jour dans l’école palatine tenue par Alcuin, sous l’impulsion de Charlemagne. Ce nouveau style d’écriture se diffuse ensuite depuis l’abbaye Saint-Martin de Tours, avant de se répandre dans tout l’Empire par l’intermédiaire des codices (l’ancêtre du livre moderne), les capitulaires et divers textes religieux. La minuscule caroline se caractérise par les formes rondes et régulières de ses caractères, son homogénéité et son effort de lisibilité. Pour la première fois, un espace sépare les mots parcequavantfranchementoncomprenaitrien, et il devient enfin possible de différencier le V du U ! La caroline s’inspire de l’écriture onciale et semi-onciale, tout en incluant des éléments de l’écriture insulaire utilisée en Grande-Bretagne et en Irlande, et se diffuse en Europe à partir du IXe siècle.
Ses particularités la rendent plus aisée à lire que sa prédécesseur, la minuscule mérovingienne, que le paléographe Bernard Bischoff qualifie de semi-cursive en raison de son écriture ferme et régulière. Issue des écritures romaines et utilisée en France sous la dynastie des mérovingiens, elle se distinguait par sa cursive étroite, verticale et resserrée, ses nombreuses ligatures, ses mots peu voire pas espacés et son latin parfois incorrect, conduisant trop suivant à des contresens. En raison de la disparition des institutions romaines en Gaule, l’écriture mérovingienne se scinda en de nombreuses variantes qui évoluèrent de manière inégale dans le royaume franc aux VIIe et VIIIe siècles. Ceci motiva Charlemagne à lancer ses grandes réformes de l’écriture pour tenter d’uniformiser les écritures régionales en Europe (tout en la rendant plus lisible), ce qui amena à la création et la diffusion de la minuscule caroline.
Enfin, à partir du XIe siècle se développe l’écriture gothique depuis les scriptoriums des abbayes du Nord de la France, de la Flandre et de l’Angleterre, avant de gagner fortement en popularité en Allemagne le siècle suivant. L’écriture gothique est une déformation de la minuscule caroline : les caractères arrondis laissent place à des lettres anguleuses aux arrondis brisés, qui ne sont pas sans rappeler les arcs brisés des cathédrales de l’époque. Il est possible, selon le médecin et homme politique français Emile Javal, que cette évolution graphique résulte de l’introduction et de la généralisation de la plume d’oie dans les scriptoriums, dont la pointe carrée formait naturellement ces lettres anguleuses.



L’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1450 à Mayence marque la fin d’une époque et le début d’une nouvelle. La calligraphie manuscrite occidentale cesse brutalement au profit de la presse, bien plus rapide et moins coûteuse à produire. Toutefois, jusqu’à la fin du XIXe siècle, tous les actes publics et privés, les édits royaux et les traités continuent de s’écrire à la main : chaque souverain se charge de trouver un maître écrivain expert en calligraphie pour rédiger ces dossiers, notamment parce qu’une belle calligraphie reflèterait le prestige, au même titre que d’autres arts. L’émergence de l’informatique et du traitement de texte semble signer l’arrêt de mort de la calligraphie, et son enseignement disparaît peu à peu des écoles au milieu du XXe siècle. L’héritage de la calligraphie occidentale largement développée au Moyen-Age reste néanmoins encore visible dans notre société contemporaine. La typographie et les polices d’écriture informatiques en sont en effet directement issues, or toutes les publicités, les étiquettes et les marques les utilisent pour promouvoir leurs produits (par exemple, la police d’écriture du quotidien Le Monde s’inspire de l’écriture gothique). Enfin, le monde des arts s’approprie progressivement la calligraphie, par exemple avec l’émergence ces dernières décennies des graffitis dans l’espace public. Quels que soient l’époque, l’aire géographique ou le domaine étudié, la calligraphie a donc toujours eu pour but de mettre en valeur le message de fond par la recherche de nouvelles techniques d’écriture esthétiques.