La dialectique du matérialisme historique dans la pensée de Marx

La pensée matérialiste développée par Karl Marx et Friedrich Engels se caractérise par le rôle très central de l’Histoire. Ce n’est pas tout à fait nouveau à leur époque, alors que de plus en plus de penseurs soulignaient que beaucoup de choses qui avaient été considérées comme «naturelles» et éternelles, étaient sujettes à changement. Néanmoins, selon ces philosophes et économistes allemands du XIXe siècle, les facteurs économiques et les masses populaires sont les deux composantes majeures qui façonnent l’histoire du monde. En réaction aux philosophies idéalistes de l’histoire, comme celle de Hegel, Marx développe et enrichit dans ses nombreux travaux son concept de « matérialisme historique » qui met l’accent sur les origines concrètes et observables du moteur de l’histoire.

Marx développe son analyse de l’histoire à partir de deux points de vue complémentaires. D’une part, il soutient que l’histoire peut être expliquée à travers une dialectique des forces productives et des rapports sociaux de production. D’autre part, il souligne le rôle de la lutte des classes dans le processus historique, y compris dans les domaines politique et idéologique.

Dans leur ouvrage « L’Idéologie allemande » écrit en 1845-1846, les philosophes Marx et Engels développent une toute nouvelle philosophie de l’histoire, le « matérialisme historique », et en énoncent les principes fondamentaux. Pour eux, les événements historiques dans toute leur diversité (guerres, révolutions, etc.) sont déterminés non par des idées ou par l’action d’individus (les fameux « grands hommes ») mais par l’impact de l’évolution des moyens de production sur la société et les mentalités, ainsi que par les relations sociales. Par « relations sociales », Marx entend les interactions qui lient entre eux des individus de classes différentes et qui engendrent des relations de coordination et, en même temps, de domination et de conflit. Ces rapports sociaux ne dépendraient pas de la volonté du peuple (surtout dans le cas de l’exploitation d’une classe par une autre) mais de la forme de propriété des moyens de production, c’est pourquoi ils seraient déterminés, comme le dit Marx : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé ». La conception matérialiste de l’histoire est donc une critique acharnée de l’idéalisme historique : il s’agit de rapporter l’étude de l’histoire à sa base économique, plutôt que d’y voir le simple développement de principes abstraits, contrairement à la théorie de Hegel qui l’interprétait comme la succession de différents esprits ascendants puis déclinants (« Volksgeist »).

Marx a utilisé une méthode dialectique pour comprendre l’histoire, tout comme Hegel, mais d’un point de vue matérialiste, la remettant « sur pied » (matérialisme dialectique). Dans la postface au « Capital », Marx nie partager la même pensée que Hegel : « Ma méthode dialectique n’est pas seulement différente de la méthode hégélienne mais en est l’opposé direct ». Ce sont donc, pour Marx, les conditions matérielles d’existence qui déterminent la conscience des hommes dans l’histoire, et non l’inverse : « Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience » énonce-t-il dans son livre « L’idéologie allemande ». En définitive, ou en dernière instance, les forces productives sont les principaux moteurs du changement et la principale explication des conditions sociales, idéologiques et politiques. Selon lui, l’histoire se compose comme suit : chaque mouvement – ou thèse – produit sa propre contradiction – ou antithèse – et la négation de la négation permet le passage à un stade plus avancé de l’histoire – ou synthèse. Ainsi, la thèse du communisme primitif, à savoir l’organisation politique de la société humaine primitive sans classes telles que nous les connaissons, a été contredite par l’antithèse de la propriété privée des moyens de production, avec la lutte des classes comme issue inévitable. La synthèse dans le futur sera donc, pour Marx, la création nécessaire d’une société sans classes. Comment la société passe-t-elle d’une étape à l’autre ? L’idée de dialectique repose sur la présence de fortes contradictions entre le développement des forces productives d’une part (techniques de production) et les rapports sociaux de production d’autre part. Le lien entre l’homme et la nature joue un rôle crucial dans l’histoire : en créant des outils et des moyens de production, l’humanité modifie la nature et la façonne à son image. Initialement conçu pour répondre à des besoins élémentaires, l’outil devient ensuite aussi un moyen d’exploitation d’une classe par une autre et engendre une lutte déterminant le cours de l’histoire.

De ces thèses, Marx établit que les conditions d’existence des êtres humains et les rapports entre les différentes classes sociales influencent grandement le cours des événements. Ainsi, il développe l’un de ses concepts les plus connus : celui de la lutte des classes comme principal moteur de l’histoire, lutte présente dans toutes les sociétés et ce, depuis que l’homme existe : « L’histoire de toute société jusqu’ici existante est l’histoire de les luttes de classe » écrivait-il dans son « Manifeste du parti communiste » publié en 1848. Autrefois, elle opposait l’homme libre à l’esclave, le patricien au plébéien ou le seigneur au serf ; dans la société capitaliste, cette lutte oppose le prolétaire , qui ne possède que sa force de travail, au bourgeois, propriétaire des moyens de production. Selon Marx, le bourgeois profiterait de sa position de domination en exploitant le prolétariat à son profit, en lui imposant des conditions de travail et de vie inhumaines. et en lui versant un salaire inférieur à la valeur de sa production, à l’origine de son surplus. Ultimement, la révolution prolétarienne est censée constituer la fin de l’histoire telle que nous la connaissons et marquer le début d’une ère nouvelle où le capitalisme, emporté par les forces productives et sociales qu’il a lui-même créées, aboutit à une société sans classe.

Marx a voulu façonner une « science de l’histoire » et les régimes communistes, au cours du XXe siècle, ont prétendu l’avoir mise en pratique. Cependant, le matérialisme historique peut difficilement rendre compte de nombreux événements et développements qui se sont produits depuis la mort de Marx. La lutte des classes n’a peut-être pas évolué comme prévu, produisant une sorte de synthèse que Marx n’avait pas anticipée, et les facteurs économiques n’ont peut-être pas toujours prévalu, même « en dernière instance » et dans le cas des révolutions communistes.

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