La coupe du monde 2022 au Qatar en débats

La polémique dure depuis presque 10 ans. Depuis que le Qatar, minuscule pays en majeur partie désertique du Moyen-Orient, s’est vu accorder l’organisation de la coupe du monde de football pour 2022, nombre de questions restent en suspens et inquiètent la scène internationale. La mise en accusation de Michel Platini en juin 2019 dans le cadre d’une enquête pour corruption sur l’attribution du Mondial 2022 ravive la polémique et nous amène à nous interroger sur la légitimité qu’a un pays comme le Qatar à accueillir un événement aussi important. Retour sur une affaire controversée.

L’attribution de la coupe au Qatar

Le 2 décembre 2010, lors d’une réunion à Zurich, le comité exécutif de la FIFA et son président Sepp Blatter officialisent l’organisation de la coupe du monde 2022 au Qatar. Cette annonce est une petite surprise puisque le pays pétrolier passe devant la première puissance mondiale, elle aussi candidate, que sont les Etats-Unis. Le lendemain-même, les médias anglo-saxons dénoncent une corruption à grande échelle qui aurait biaisé les conditions d’attribution du plus grand événement footballistique de la planète.

Problèmes engendrés par cette attribution

Le Qatar n’est pas et n’a jamais été un pays à culture footballistique. Il paraît donc étonnant d’attribuer l’organisation du Mondial 2022 à une nation qui n’a jamais réussi à se qualifier à la moindre coupe du monde auparavant, tant le niveau de ses joueurs était insuffisant. Si pour 2022, l’équipe nationale est qualifiée d’office, il n’est pas certain qu’elle brillera pour autant à domicile. Le président américain de l’époque Barack Obama affirme qu’il s’agit d’une « mauvaise décision », tandis que Michel Platini reconnaît lui aussi en mai 2014 que cette attribution était une erreur, mais que « c’était la volonté politique, aussi bien en France, qu’en Allemagne […] De grandes entreprises françaises et allemandes interviennent au Qatar, vous savez ».

L’ambassadeur du Qatar en France, Mohamed Jaham Al Kuwari, a publié une tribune dans le journal Le Monde dans laquelle il tente de justifier cette volonté des autorités qatariennes d’accueillir le mondial 2022. Selon lui, leur pays est en mesure d’organiser un tel événement du point de vue des infrastructures et de la logistique. De plus, cette nécessité d’organiser un mondial de football au Moyen-Orient pour la première fois s’accompagnerait d’une amélioration des relations diplomatiques entre les différents Etats de la région afin de préserver la paix, en plus d’aider à l’intégration des pays arabes dans la mondialisation. C’est cet ensemble de motivations qui aurait poussé le Qatar à postuler – avec succès – à l’organisation du mondial 2022.

Cependant, le climat du Qatar pose problème. Les températures peuvent en effet atteindre 50 degrés en été, situation intenable pour des joueurs devant courir pendant 90 minutes s’ils devaient le faire sans climatisation, ainsi que pour les centaines de milliers de supporters venus du monde entier. En janvier 2011, Sepp Blatter puis Michel Platini se déclarent alors, afin de remédier à ce problème et contre toute attente, favorables à l’organisation du Mondial en hiver pour la première fois de l’histoire de la coupe du monde. On peut s’étonner de la prise de conscience de ce problème seulement après coup. Une telle décision bouleverserait le calendrier des matchs des championnats nationaux, qui devraient s’interrompre plus longtemps que d’habitude pour permettre à leurs joueurs de rejoindre leur équipe nationale pendant plus d’un mois.

Bien que les températures hivernales soient moins extrêmes qu’en été, celles-ci demeurent toujours trop importantes pour permettre aux footballeurs de jouer dans des conditions optimales. C’est pourquoi les autorités qatariennes ont prévu la mise en place de climatiseurs dans tous les stades afin de rafraîchir les lieux. Ces dispositifs font l’objet d’une importante polémique car ils contribuent au réchauffement global de la planète dans un contexte de dérèglement climatique. L’indignation de la communauté internationale vis-à-vis de dispositifs aussi énergivores ne semble toutefois pas faire reculer les autorités qatariennes sur leur décision.

Bien que le Qatar prétende être prêt à héberger l’événement, de nombreux lieux sont encore en construction : parmi les 8 stades qui accueilleront joueurs et supporters en hiver 2022, seuls 3 sont actuellement opérationnels. Tous ces stades, en plus d’autres infrastructures planifiant l’accueil et le transport des nombreux supporters attendus (plus de 1,5 million) comme des hôtels et un métro, nécessitent la mise en oeuvre de travaux pharaoniques et très onéreux. Le Qatar peut de toute évidence financer ces nombreux projets grâce ses importantes recettes perçues de la vente massive de son pétrole, matière première à la fois indispensable pour toute économie développée et abondante sous le désert qatari. Le petit pays subit toutefois un embargo économique de la part de ses propres voisins, puisque l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn et l’Egypte ont, notamment, arrêté d’approvisionner le Qatar en matériaux de construction pour manifester leur colère quant au soutien du Qatar aux Printemps arabes. Néanmoins, les fournisseurs ont changé et les travaux se poursuivent. 

En revanche, les conditions de travail des migrants appelés pour construire tout ces infrastructures presque en urgence continuent de nuire fortement à l’image internationale du pays arabe. Le statut des migrants travaillant en ce moment pour ce vaste projet, principalement originaires du Népal, du Bangladesh et de l’Inde, est en effet dénoncé à travers le monde, notamment par l’ONG Amnesty International dans son rapport alarmant intitulé « The ugly side of the beautiful game » (« le côté hideux du beau jeu »). Leurs conditions de travail sont telles que certains y voient de « l’esclavagisme contemporain » : des horaires à rallonge couplées à un salaire dérisoire et un travail physique parfois dangereux, le tout sous un soleil de plomb, ont coûté la vie à 2 700 ouvriers entre 2012 et 2018 selon le journal The Guardian. L’ONG Human Rights Watch dénonce le manque de transparence du Qatar, qui refuse de publier des chiffres officiels. Leurs passeports sont confisqués dès leur arrivée, les empêchant de voyager ou même d’échapper au travail forcé en changeant d’emploi. Les migrants, privés de leurs droits, ne se plaignent pas par crainte de représailles.

Enfin, dès 2010, des soupçons de corruption pèsent sur cette attribution. Le président du comité qatari aurait en effet versé 1,5 million de dollars à trois membres africains du comité exécutif de la FIFA chargé de l’attribution de la coupe du monde en échange de leurs votes. Le lendemain de l’annonce officielle, le journal anglo-saxon The Sun publie pour Une « Truqué ! » (« Fixed » en anglais). Un nouveau scandale survient en 2013 après la publication dans France Football d’une enquête intitulée « Qatargate » (en référence à l’affaire du « Watergate ») où la FIFA est désignée comme une « petite mafia » et où le journaliste sportif français Eric Champel pointe les failles du système en déclarant que « l’éthique a été plusieurs fois bafouée par le Qatar dans la façon dont il a obtenu la Coupe du Monde 2022 ». S’ajoute à cela une supposée réunion secrète qui se serait tenue à l’Elysée le 23 novembre 2010, soit une dizaine de jours avant le vote de la FIFA, entre le Président français Nicolas Sarkozy, le prince du Qatar Tamim ben Hamad Al Thani, le président de l’UEFA Michel Platini et le propriétaire du Paris Saint-Germain Sébastien Bazin. Le journal France Football avance en 2013 que le Qatar aurait promis de racheter le PSG – ce qu’il a fait – en plus de monter leur actionnariat au sein du groupe Lagarde et de créer une chaîne rivalisant avec Canal + (que Sarkozy voulait fragiliser), à savoir BeIn Sports, le tout en échange de la voix de Platini en faveur du Qatar et non des Etats-Unis. L’ancien footballeur français démentira certaines informations, et en minimisera d’autres. Il sera mis en garde à vue le 18 juin 2019.

Le Qatar semblait ainsi déterminé à accueillir le Mondial de football 2022, quitte à user de moyens illégaux comme la corruption ou à bafouer les droits de l’Homme pour construire rapidement les stades. S’il a longtemps été question, en raison des nombreuses polémiques, d’attribuer l’organisation du Mondial 2022 à un autre pays, il n’en est finalement rien. Espérons seulement que le contexte particulier de la mise en place de cette coupe du monde n’entachera en rien la qualité du football attendu et la joie de ce qui doit être une fête.

Martin Vasseur

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