L’impact de l’épidémie de coronavirus sur les équilibres géopolitiques mondiaux

La planète a rarement connu un choc d’une telle ampleur, affectant simultanément presque tous les pays. Celui-ci a nécessairement des effets sur les relations internationales et les rapports de force entre grandes puissances. Il s’agit aujourd’hui de savoir, outre s’il sera important et durable, s’il accentuera des tendances actuelles ou si, au contraire, il les remettra en cause.

A de nombreux égards, cette épidémie semble de nature à amplifier des tendances observées depuis trois décennies.

Cette épidémie est mondiale et s’inscrit pleinement dans le mouvement de la mondialisation. Certes, les fléaux sanitaires n’ont pas attendu l’époque actuelle pour se propager d’un bout à l’autre de la planète, telle la Grande Peste venue d’Asie, qui a tué entre le quart et le tiers de la population européenne entre 1347 et 1353. Toutefois, l’épidémie actuelle se distingue par la rapidité et l’ampleur de sa propagation, puisque tous les continents ont été affectés en quelques semaines. 

Conséquence de la mondialisation, la diffusion de cette maladie renforce et approfondit cette dernière. Même si la coopération entre Etats reste difficile, elle s’est avérée nécessaire à cette occasion et elle s’est développée, qu’il s’agisse d’échanger des informations ou d’apporter différentes formes d’aide, comme la prise en charge de malades (Français hospitalisés en Allemagne), l’envoi de médecins spécialistes ou même de projections statistiques réalisées à l’intention d’autres pays. 

La coopération en matière de recherche sur le virus, les traitements et les vaccins possibles a atteint un degré remarquable, rarement égalé par le passé dans de telles circonstances. Ainsi les scientifiques du monde entier ont-ils eu rapidement accès au génome du virus décrypté. Les résultats des études sur la maladie et l’efficacité des traitements circulent presque en temps réel.

Le coronavirus, venu de Chine, paraît renforcer paradoxalement la stature internationale de l’empire du Milieu. Ses méthodes de lutte contre la maladie, certes difficilement transposables partout dans le monde, ont montré une certaine efficacité. Elle constitue le premier fournisseur de masques et ses cargaisons sont souvent attendues avec impatience. Elle veille aussi à mettre en scène l’aide internationale qu’elle déploie. Elle paraît également avoir à nouveau « marqué des points » en Afrique dans un contexte où les autres pays développés donnaient la priorité à leurs problèmes intérieurs.

L’affaiblissement du leadership américain s’est encore manifesté à l’occasion de cette crise internationale, dans la lignée d’une politique étrangère des Etats-Unis clairement isolationniste et indifférente à la gouvernance mondiale. Personne n’a remarqué que les Etats-Unis présidaient le G20 cette année, ceux-ci n’ayant pris aucune initiative. L’UE ne représentant pas une superpuissance de substitution, faute d’unité de vues et de capacités opérationnelles, la Chine semble une nouvelle fois profiter de cette situation pour s’affirmer sur la scène internationale. 

L’épidémie de coronavirus met en relief le caractère devenu multipolaire du système international. Ceci comporte d’ailleurs des aspects négatifs, d’autant que l’on ne peut que déplorer, parallèlement, l’impuissance des instances multilatérales, y compris l’Organisation mondiale de la Santé, à jouer leur rôle face à un tel phénomène planétaire, ce qui, là encore, ne fait que confirmer un constat bien établi…

Pour autant, cette crise ne contredit pas l’idée que s’amorcerait une forme de « démondialisation » sous la forme, modérée, d’une renationalisation de certaines fonctions et d’une régionalisation des échanges internationaux. 

Les pénuries de matériels et parfois de savoir-faire ont fait cruellement ressentir des situations de dépendance à l’égard de l’étranger et – semble-t-il – donné l’impulsion à des politiques visant à restaurer des formes de souveraineté, de contrôle des décisions et de capacité de production dans des domaines et des secteurs jugés stratégiques, comme ceux de la santé et du médicament. Plus globalement, l’interruption de certains approvisionnements, à cause des transports ou de la mise à l’arrêt de fournisseurs, a montré la fragilité de chaînes de production s’étendant dans le monde entier. 

Il est prématuré d’en conclure à une prochaine vague de relocalisations, mais les facteurs allant dans le sens d’une démondialisation, au moins relative, pèsent aujourd’hui davantage que ceux qui vont en sens inverse. A défaut de pouvoir rapatrier la fabrication de certains produits et composants, notamment pour des raisons de coûts, les Etats semblent esquisser une réflexion sur la relocalisation vers un « étranger proche » (par exemple, au Maghreb s’agissant de l’Europe) ou au sein d’un ensemble économique cohérent et relativement solidaire (typiquement l’Union européenne). 

Cette tendance était déjà à l’œuvre, du fait de l’augmentation des coûts du travail en Asie et de la montée des préoccupations écologiques, qui invitent à privilégier les circuits courts.

Par ailleurs, la récession, d’une brutalité inédite, a mis en en danger des entreprises nationales emblématiques et des filières entières, conduisant les Etats à intervenir massivement dans les économies pour soutenir l’activité et les revenus ainsi que pour sauver certaines grandes entreprises nationales. 

De même, la montée en puissance de la Chine pourrait avoir culminé à l’occasion de cette crise, qui contient peut-être les germes d’un recul ou annonce au moins, dans certains domaines, un coup d’arrêt. 

Celle-ci autrefois vue comme un marché prometteur, un fournisseur à bas coûts et un partenaire incontournable apparaît de plus en plus, pour l’UE et les Etats-Unis, comme un rival stratégique, un concurrent dangereux voire déloyal, un Etat et un régime intrinsèquement différents ne partageant pas les mêmes valeurs ni les mêmes règles du jeu. Ses hésitations au début de la crise, son manque de transparence sur l’origine du coronavirus comme sur sa propagation, allant jusqu’à la répression initiale des « porteurs de mauvaises nouvelles », ont durablement affecté son image et même permis à certains d’essayer d’en faire un bouc-émissaire.

Au total, par-delà les exagérations de journalistes et d’éditorialistes prompts à décréter que « plus jamais rien ne sera comme avant » (il n’est par exemple pas évident que cette crise va renforcer les préoccupations écologiques et pouvoir justifier pendant longtemps la hausse de l’endettement public), il s’avère que l’épidémie de coronavirus consacre certains renversements de tendances sur la scène internationale. Par définition, ces moments de bascule, où de nouveaux phénomènes ne font encore que prendre forme, créent un avenir particulièrement incertain et vont de pair avec un monde instable.

Martin Vasseur

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